Que retenir de la salopette au cinéma si ce n’est qu’elle a traversé toutes les époques et habillé quelques-uns des plus grands acteurs ? Vous allez le découvrir dans cette nouvelle Bobine : Michel Simon, James Dean, Jean Gabin ou Al Pacino ont composé avec des tenues passionnantes.
Mais ce qui frappe plus encore avec la salopette, c’est bien son universalité et sa capacité à toucher tous les styles. Du workwear au plus habillé, du film d’auteur au film d’horreur : voici quelques histoires et inspirations dédiées à l’un des vêtements les plus simples et intrigants du vestiaire masculin.
1. Le vieil homme, la salopette et la mer
«L'Atalante» (Jean Vigo, 1934)
Tout commence par un commentaire reçu lors de l’épisode précédent :
« Et si avec un Bobine tu pouvais m'appuyer pour intégrer la salopette dans la fenêtre d'Overton de la mode masculine, ça m'arrangerait ! Car j'aimerais bien tenter, mais je n'ose pas encore assez »
Hasard du calendrier, j’ai chiné une salopette Japan Blue il n’y a pas si longtemps pour une poignée d’euros. Jolie pièce, inspirante. Pas pour moi, ceci dit. C’était comme qui dirait pour offrir. Mais cette expérience m’a poussé à aller un peu plus loin et à regarder comment on pouvait bien la porter au cinéma.
Commençons donc avec un peu d’histoire. Bien avant d’être popularisée par les marques de denim américain comme Levi’s, la salopette apparaît en France à la fin du XIXème siècle - le nom lui-même viendrait de l'argot.
Dans sa forme primitive, c’est un vêtement de travail qui ne s’embarrasse qu’assez peu du style. Pour la petite histoire, la maison qui les conçoit à cette époque existe toujours aujourd’hui sous les traits de la marque Lafont. Mais pour une salopette aujourd’hui, vous pouvez aussi regarder chez Carhartt, Tonton & Fils, Nigel Cabourn ou bien encore du côté de la marque suggérée ici.
Au cinéma, on trouve bien sûr des salopettes avant l’ère du parlant. Par exemple dans les champs de blé de « L’Intruse » de F.W. Murnau en 1930. Mais puisque la salopette est notre odyssée du jour, que diriez-vous plutôt de prendre un peu le large ?
Sur une péniche, des jeunes mariés et un vieux loup de mer apprennent à vivre ensemble. «L’Atalante» est un peu plus qu’un film, c’est une étoile filante. Regardez par exemple comment François Truffaut en parle.
Si la bande-annonce ne donne que de bien maigres indices, vous pouvez déjà apercevoir ici et là quelques vestes et casquettes de marins. L’unique long métrage de Jean Vigo est sans équivalent, et il n’a jamais vraiment été complètement achevé non plus. Son histoire est semée d’embuches, de coupes et d’interdiction. Le montage lui-même s’effectue alors que le cinéaste est alité et gravement malade .
Mais à le revoir aujourd’hui, difficile de ne pas se laisser encore une fois emporter par sa poésie et son étonnante modernité. On peut y voir une sorte d’éloge de la fuite. On peut aussi y découvrir des personnages hauts en couleurs, habillés en mailles et salopettes sur une péniche baptisée l’Atalante.
Oh bien sûr, de l’eau a coulé sous les ponts depuis 1934 et plus grand monde ne chausse vraiment de sabots comme l’attachant personnage de Michel Simon. On porte en revanche toujours la salopette et le tee-shirt blanc. Les pulls à col montant ou col roulé, les vestes en maille et les marinières aussi.
C’est l’idée générale : des tenues fonctionnelles, des salopettes sombres ou claires, mâtinées ici et là de légendes maritimes. Autant dire que le vêtement a des rides, du vécu et de l’aventure en lui. Il est aussi très probablement rapiécé de toutes parts.
Mais rien de tout cela n'apparait comme totalement daté. «L’Atalante» a quelque chose d’actuel dans l’œil. Les cycles de la mode, souvenez-vous. Sans parler de l'attrait actuel pour le vintage.
Si «L’Atalante» ne va jamais beaucoup plus loin que le port du Havre, il transporte avec lui son lot de souvenirs et de bricoles amassés au fil des voyages. Les hommes et les vêtements s’usent au travail et dans les bistrots – c’est ainsi que Michel Simon aime à raconter ses histoires, d’un port à l’autre.
Pour un style plus avancé autour de la salopette, nous y reviendrons un peu plus tard. En attendant, pour la porter sans chichis, comme sur le pont de l’Atalante, il faudra sans doute se remettre aux rayures et aux pulls marins. C’est clairement un look rustique et sans âge – une première piste, avec ou sans les tatouages du vieil homme incarné par Michel Simon, qui partage avec Ernest Hemingway une même passion pour les chats.
Au-delà de ses tenues et de sa mise en scène, vous trouverez plus simplement dans « L’Atalante » un film qui fait du bien et ça tient beaucoup à la belle générosité de Michel Simon à l’écran . Si malgré tout vous n’avez pas le pied ou l’esprit marin, rassurez-vous : nous allons bien vite retrouver la terre ferme.
2. La salopette idéale
«Les Temps modernes» (Charles Chaplin, 1936)
Ah, «Les Temps Modernes » ! Impossible de faire l’impasse sur ce film de 1936 réalisé par Charles Chaplin : on y retrouve en effet l’une des salopettes les plus célèbres du cinéma, et ce n’est pas la seule trouvaille de cette nouvelle et dernière aventure de Charlot.
Alors que le cinéma est désormais parlant, Charles Chaplin fait de la résistance : il joue avec les bruitages, le son, la musique mais se refuse encore à faire dialoguer pleinement ses personnages. Qu’importe, le cinéma muet est toujours plein d’inventivité et Chaplin réalise là un film à la fois témoin et visionnaire sur l’homme et la mécanisation du monde.
Bon, avouez que c’est tout de même un peu troublant : à certains endroits, «Les Temps Modernes » est encore bien en phase avec notre époque, comme pour nous rappeler qu’on n’a pas peut-être pas tout à fait changé de monde. Malgré la noirceur du décor , c’est néanmoins un film profondément positif.
Il faut y voir l’effet de l’amour bien sûr, plus généralement d’une grande humanité voire, qui sait, du style et des vêtements. Lorsque le personnage de Chaplin rêve les yeux grands ouverts à son idéal il y a certes un toit, de quoi vivre et manger, et une jeune femme interprétée par Paulette Goddard avec qui partager son quotidien.
Mais il y a aussi une tenue associée à cette vision du bonheur : une salopette, un tee-shirt blanc, un bandana autour du cou, un chapeau et une veste que l’on pourrait de nos jours substituer à un blazer élégant mais décontracté. Essayez un peu pour voir : si cela fonctionne pour Chaplin, cela doit être universel.
Tout comme celle d’Henri Fonda dans «Stronghold. Pour la petite histoire, il faut remonter à 1916 pour la première rencontre de la marque avec l’univers de Chaplin.
Dans «Les Temps Modernes», il porte la salopette le plus souvent avec un tee-shirt ou une chemise – la simplicité, toujours. Et si l’on se réfère au site de Stronghold, cette salopette est désormais entrée au musée : beau témoignage de l’importance du vêtement au cinéma.
Bien sûr, on pourra toujours arguer que ses chaussures sont en piteux état, qu’ailleurs son pantalon est définitivement trop large à la taille ou bien encore que la redingote, c’est quand même plus vraiment ça. C’est pas faux. Mais il y a d’autres motifs d’émerveillement ici et là.
Car même fauché ou en prison, son personnage n’en conserve pas moins du style. Jetez par exemple un œil sur l’ensemble en denim qu’il porte derrière les barreaux – ah le grain de la toile, et la coupe de la veste !
Si jamais vous vous décidez à revoir le cinéma de Chaplin, ouvrez l’œil, ne vous arrêtez pas seulement à la salopette, et bien sûr comme le dirait Benoit : ouvrez votre cœur.
3. La salopette et ses autres vies
«Sergent York» (Howard Hawks, 1941)
C’est vrai, de par son histoire, la salopette est communément associée à tous types de travaux manuels. C’est un vêtement pratique, solide, qui ne craint ni la saleté ni les trucs divers et variés dans les poches – mètre, tournevis, calepin, crayons, etc. On peut globalement tout faire avec, et même tenter d’y joindre un soupçon d’habillé. C’est un vêtement qui possède plusieurs vies.
Avant d’en arriver là, notons dans un premier temps qu’il n’est pas rare de croiser la salopette sur les chantiers ou même chez les bricoleurs du Dimanche. Vous pensez peut-être également à Super Mario ou au Michel Blanc de «Viens chez moi, j’habite chez une copine» ?
On pourrait aussi évoquer sa présence dans les campagnes du cinéma américain des années 40 : Henri Fonda dans «Les Raisins de la Colère», une référence, mais aussi Gary Cooper dans le «Sergent York» d’Howard Hawks l’année suivante.
Pour ceux qui ne connaitraient pas Gary Cooper : jetez un œil sur «Morocco» de Josef von Sternberg ou ses films avec Frank Capra et Ernst Lubitsch. Notez aussi, pour vous donner envie, que c’était l’un des acteurs les mieux habillés de son époque.
De manière plus anecdotique : c’est aussi une grande source d’inspiration pour un personnage de série célèbre, qui aime les polos, les chemisettes et les mocassins : Tony Soprano. Mais je radote.
Dans «Sergent York», Gary Cooper campe un gars de la campagne davantage porté sur l’alcool que sur le travail des champs. L’histoire se déroule en 1917, un peu avant que l’Amérique n’entre en guerre .
Entre-temps, son personnage, qui vit jusque-là en famille dans un coin paumé du Tennessee, range bien vite les bouteilles pour se consacrer à Dieu. Il partira plus tard au service sous étiquette «objecteur de conscience» et reviendra tout à la fois sergent et héros national. C’est l’Amérique !
Le film est un succès et permet à l’acteur de rafler un Oscar. Certes, ce n’est ni le plus mordant ni le meilleur Howard Hawks. Mais il y a tout même quelque chose à voir dans le parcours du personnage, le jeu de Gary Cooper et aussi dans ses vêtements : salopette en denim, chemise de type Gingham, chapeau, boots.
Il porte parfois avec un blazer austère, qui transforme d’une certaine manière la tenue de travail : tantôt plus habillée pour l’église, tantôt plus stylisée pour la nuit tombée - il lui suffit dans ce dernier cas d’ajuster le col de la chemise à l’instar de ce que peuvent faire ici Michel ou Nicolò.
Enfin, ce n’est qu’un détail, mais notons tout de même qu’il partage avec le Monsieur Hulot de Mon Oncle un même goût pour les chaussettes rayées et qu’il porte par ailleurs particulièrement bien le vêtement militaire.
Voilà un autre exemple de ce que la salopette peut être détournée de sa fonction d’origine. Mais comme vous allez le voir, ce ne sera pas le dernier. Prenez place dans la Delorean et remontez vos montres : nous repartons pour la France et le milieu des années 50.
4. Salopette, carreaux et imperméable
«Gas Oil» (Gilles Grangier, 1955)
Souvenez-vous, Sean Connery s’y était essayé avec «Train d’Enfer» en 1957 : le personnage de chauffeur routier, le réalisme social, la vie sur les routes. Rien de tout cela n’est étranger à Jean Gabin : c’était déjà plus ou moins le sujet de «Gas Oil», un film de Gilles Grangier réalisé deux ans avant et dans lequel Jean Gabin tient le rôle principal.
Des films de chauffeurs, vous en trouverez un certain nombre au cinéma. La vie sur la route fascine et nous y reviendrons plusieurs fois dans cette Bobine. Si toutefois vous étiez pressés, pour aller au plus simple avec la salopette, jetez juste un œil sur «Cent mille dollars au soleil» d’Henri Verneuil en 1964.
Tout est là, dans un esprit minimaliste : Bernard Blier y va de son petit look à base de salopette et de tee-shirt blanc et ça vaut comme qui dirait son pesant de cacahuètes. Ceci étant, je vous invite à rester : la tenue de Jean Gabin dans «Gas Oil» a bien plus à offrir.
De quoi s’agit-il ? D’un entrepreneur qui tente tant bien que mal de payer son camion tout neuf, d’une histoire de vol qui tourne mal et d’un quiproquo entre une bande mafieuse menée par un Roger Hanin en costume et notre honnête homme en mode workwear.
Les dialogues sont signés Michel Audiard, le scénario n’est pas foufou, mais Jean Gabin partage l’affiche avec Jeanne Moreau et les petites scènes de la vie quotidienne valent toujours le détour.
Pour Gabin, à chacun ses préférences. De mon côté par exemple, ses rôles de patriarche m’embarrassent le plus souvent mais j’ai une admiration sans bornes pour ses rôles d’avant-guerre, en particulier chez Jean Renoir : regardez le style des «Bas-Fonds», de «La Bête Humaine» ou plus encore de «La Grande Illusion» - son plus beau style au cinéma ?!
Dans «Gas-Oil», on découvre un personnage moins angoissé, en mode pépère. Il a la force et le style tranquille, et compose avec certains rituels immuables : le réveil ultra matinal, les charentaises, le chauffage puis l’habillage.
Ici c’est une salopette de couleur sombre sur une chemise à carreaux, associée à des bottes ou à des chaussures bien rustiques. C’est une nouvelle fois une tenue de travail, mais ne vous inquiétez pas il commence à y avoir du nouveau de ce côté-là du vestiaire masculin.
Si jamais vous pensiez la salopette et l’imperméable incompatibles, Jean Gabin vous prouvera le contraire. Mais ce n’est pas la seule de ses trouvailles stylistiques. Aviez-vous par exemple déjà imaginé l’acteur en sneakers ?
Vous verrez ici ce que ce ça donne : chemise, pantalon avec de beaux volumes et une paire de baskets qu’on pourrait facilement relier à des Converse. Mais à dire vrai, si Jean Gabin nous apprend entre autres à porter la salopette avec chemise carreaux et imperméable, rien ne vaut la vraie vie le concernant.
Jetez par exemple un œil sur cette photographie disponible sur le site du magazine Patrimoine Normand. C’est une de mes tenues préférées avec salopette – et comme avec Gary Cooper ou Charles Chaplin, vous avez là un bel exemple de tenue de travail revisitée, ici avec un blazer qu’on imagine avec de la texture et du caractère.
5. Salopette et chemisette
«A l'Est d'Eden» (Elia Kazan, 1955)
Pendant ce temps-là, de l’autre côté de l’Atlantique, la jeunesse américaine se découvre une nouvelle idole. Il s’appelle James Dean et crève littéralement l’écran dans «A l’Est d’Eden». Derrière la caméra, le cinéaste Elia Kazan orchestre une fois de plus la légende.
Vous le savez : tout comme Steve McQueen, James Dean est une inépuisable source d’inspiration pour la mode masculine. Des années avant Brad Pitt, on peut même se risquer à dire qu’il aura été l’un des premiers à rendre la salopette sexy.
Quant à Elia Kazan, notez qu’on lui doit entre autres les images d’«Un Tramway nommé Désir», de Marlon Brando et de son tee-shirt iconique. Mais aussi d’autres films moins célébrés quoique tout aussi aussi intéressants pour le vêtement comme «La Fièvre dans le sang» ou «Le Dernier Nabab».
On peut enfin souligner qu’il a été le mari de Barbara Loden, dont l’unique film «Wanda» est en un sens presque plus important que toute son œuvre à lui. Hein, quoi ? Un changement de regard, c’est aussi fascinant que la route ou les vêtements. Jetez-y un œil, si vous pouvez.
Évidemment «A l’Est d’Eden» peut paraitre tout à fait conservateur, artificiel et suranné en comparaison. Et si l’on se réfère au seul parcours météoritique de James Dean, on peut même lui préférer la modernité et le style de «La Fureur de Vivre». Pas sûr ?
L’histoire ici se déroule en 1917 en Californie. Il est question de famille brisée, d’une mère absente, d’un père mal aimant, de références bibliques et d’un James Dean somme toute perdu et révolté. C’est tout en Technicolor et en Cinemascope et bien sûr cela a quelque chose de tout à la fois très beau, réconfortant et un peu nostalgique.
Ce qui ne l’est pas en revanche, ce sont les tenues de James Dean : vous y trouverez comme un petit d’air d’hier et d’aujourd’hui. Jetez par exemple un œil sur les cols de chemises, les ceintures et les volumes des pantalons.
Petite parenthèse : si vous ne croyez toujours pas au pouvoir d’attractivité du pull à col V, «A l’Est d’Eden» vous réconciliera peut-être dans la foulée avec cette pièce décriée. Pantalon crème, chemise blanche, pull beige à col V et tennis blanches, c’est un des looks intemporels du film.
Dans un autre genre, pour tenter de vous convaincre sur le V, le jaune et aussi pour glisser un petit clin d’œil à Coluche, l’un des plus fervents (sup)porteurs de la salopette en France :
Aux États-Unis, elle trouve avec James Dean son premier grand ambassadeur de charme. Elle est en denim, et il la porte avec chemise et manches retroussées au-dessus du coude. A vrai dire, c’est tellement bien retroussé que c’est peut-être même une chemisette.
Il en porte d’ailleurs dans le film, avec costume. C’est sa tenue pour sortir, la salopette étant une fois de plus réservée au travail. Ce qui change ici, c’est que la salopette n’est plus seulement un vêtement de labeur : c’est désormais un outil de séduction.
6. Panache & salopette
«Serpico» (Sidney Lumet, 1973)
Croyez-vous au hasard en matière de style au cinéma ? Avant de vous prononcer, sachez qu’«A l’Est d’Eden» et «Serpico» ont au moins un point commun : leur costumière, Anna Hill Johnstone, également à l’œuvre sur «Le Parrain» de Francis Ford Coppola.
Dans Bobine, on s’est déjà arrêtés sur le travail du cinéaste Sidney Lumet à travers les tenues de Sean Connery et si Anna Hill Johnstone n’a pas travaillé sur ces films en particulier, c’est une collaboratrice régulière du cinéaste.
Avec «Serpico», on passe pour ainsi dire au niveau supérieur. Il y a des films dont on retient à la fois un certain intérêt cinématographique et une ou deux tenues phares. Beaucoup plus rares sont ceux qui conjuguent l’ensemble de ces critères avec en plus une richesse stylistique de tous les instants.
En découvrant Al Pacino dans ce rôle de policier intègre et seul contre un système pourri jusqu’à la moelle, vous arrêterez bien vite de compter : «Serpico» est un festival, et vous penserez assurément à toutes sortes de marques contemporaines en observant son vestiaire.
Bien sûr, on pourra toujours arguer que Sidney Lumet présente ici un monde en tout point dégueulasse et corrompu et que ce n’est tendre avec personne. Certes, et tout cela est même renforcé par une approche quasi-documentaire sur la ville de New-York et son époque – le film est tourné au début des années 70.
Mais «Serpico» est aussi une immense source d’inspiration vestimentaire. Jetez un œil sur les tenues d’Al Pacino. C’est un homme en pleine mutation physique et stylistique. Il a quelque chose du workwear militaire à la Engineered Garments. Il a aussi un truc vaguement hippie dans les motifs et les volumes, sans parler de la dimension christique qui va avec son visage et les tuniques qui l’accompagnent.
A noter qu’il porte ici des sandales au bureau, parfois même avec des chaussettes blanches. Si l’idée de venir travailler ne serait-ce qu’en jogpant ou en sneakers vous embarrasse, n’hésitez pas à prendre appui sur le courage et la ténacité d’Al Pacino dans «Serpico».
Certains diront qu’il est expert dans l’art de transgresser les règles. D’autres qu’il est juste lui-même. Ce qui est sûr, c’est que son personnage aurait toute sa place dans Panache.
Alors autant vous prévenir : si vous n’avez encore jamais jeté un œil à ce classique du cinéma américain des années 70, vous allez avoir furieusement envie de vêtements. Du bucket hat au caban en passant par la chemise en chambray, la liste des choses à voir ici est assurément trop longue pour être citée en entier.
On peut en revanche admirer son approche de la salopette. Vous le sentiez venir depuis tout à l’heure : elle est ici comme débarrassée de sa fonction première. On peut donc enfin la trouver cool, lui donner du style, de l’ampleur et un brin de flemme assumée tout en l’associant à d’autres univers.
Ici par exemple Al Pacino opte pour la chemise popover, la salopette à rayures et la veste de travail qu’on soupçonne d’être de marque Lee. Qu’il ajoute une casquette et quelques accessoires bien sentis et c’est soudain jour de fête.
On pourrait d’ailleurs s’arrêter là. Sauf que vous allez le voir dès le film suivant : la salopette n’a pas fini de nous surprendre.
7. Salopette et Perfecto
«Au fil du temps» (Wim Wenders, 1976)
L’inspiration qui suit n’est pas franchement une évidence. De Wim Wenders, vous connaissez peut- être «Paris, Texas» avec Nastassja Kinski et Harry Dean Stanton, ou bien encore «Les Ailes du Désir» avec Bruno Ganz et Peter Falk. Il commence à tourner dès les années 70 et parmi ses nombreuses obsessions il y a le rock, le cinéma et la culture américaine.
On le sait moins : il a aussi tourné un documentaire intitulé «Carnets de notes sur vêtements et villes» autour de la mode et du créateur Yohji Yamamoto à la fin des années 80. Son nom ne vous est d’ailleurs peut-être pas tout à fait étranger, ne serait-ce que parce que Nicolò a déjà pu vous raconter son histoire personnelle avec un de ses vêtements.
Ici aussi il est question d’une veste, et elle a probablement plusieurs centaines de kilomètres au compteur. Si jamais vous possédez une veste ou un blouson en cuir de type Perfecto, il est bien possible que vous trouviez dans «Au Fil du Temps» de Wim Wenders une nouvelle manière de les porter : avec une salopette, s’entend. Vous n’y aviez jamais songé ?
On le sait, le Perfecto est souvent associé au rock et les liens du cinéaste avec cette musique sont connus de longue date. Regardez par exemple du côté de U2 ou de Nick Cave. Ses premiers films aussi sont truffés de disques et de clins d’œil au rock.
«Au fil du Temps» ne déroge pas à la règle. On y trouve entre autres des pépites de ce genre. Et aussi, surtout, un indescriptible sentiment de solitude et de liberté. C’est que la route fascine, souvenez-vous.
C’est justement toute l’histoire du film : deux hommes sillonnent en camion la campagne allemande et ses salles de cinéma plus ou moins à l’abandon. Vous aurez peut-être l’impression de visiter un pays en ruine – il y a des bunkers laissés en friche par l’armée US ici.
Ou d’avoir, comme le personnage principal, l’occasion de réfléchir à votre propre parcours. « Pour la première fois, je me vois comme quelqu’un qui a vécu un certain temps, et ce temps c’est mon histoire. C’est réconfortant. » Associez le temps en question à votre chemin vers le style, et vous verrez la vie j’espère autrement.
Pour Wim Wenders, c’est le dernier mouvement d’une belle trilogie consacrée à l’errance. On y croise les fantômes de Nicholas Ray et de Fritz Lang, et aussi une ambiance inspirée du travail photographique de Walker Evans.
Au centre, le personnage de Rüdiger Vogler, qu’on découvre dans un premier temps presque nu sous sa salopette à rayures Lee. Cette manière de la porter aura droit à son focus un peu plus tard, ne vous inquiétez pas.
En attendant, je vous laisse admirer le style nature et les moustaches kingsize de notre personnage, qui s’habille au fur et à mesure que le film avance : des boots, une chemise, un perfecto. C’est simple, ça ajoute une touche de caractère supplémentaire mais encore fallait-il y penser.
Si toutefois ce style audacieux vous laissait de marbre, vous trouverez d’autres motifs de satisfaction chez son camarade de route : plus classique, avec pantalon en laine, chemise à rayures et blazer léger, probablement en lin. En attendant le film suivant, je vous laisse méditer dès maintenant sur ce billet de Jordan. Vous en aurez besoin à l’approche du numéro 11.
8. Salopette et polos de rugby
«Les Guerriers de la nuit» (Walter Hill, 1979)
Y-a-t-il parmi vous des fans de «Double Dragon» ? Si oui, «Les Guerriers de la nuit» devrait avoir comme un petit air de famille. Si non, pas de panique : de Marylin Manson à Dennis Hopper,le film de Walter Hill a inspiré bien au-delà du jeu vidéo et vous devriez d’une manière ou d’une autre vous y retrouver.
Pour la petite histoire, cette aventure de la fin des années 70 partage le même directeur de la photographie que le premier Rambo et ça se voit. Mais au-delà de son ambiance très particulière, «Les Guerriers de la Nuit» est surtout un régal pour le style.
Une raison simple : c’est le vêtement qui fait office de carte d’identité. L’histoire se déroule ainsi à New-York et met en scène plusieurs gangs de la ville qui s’affrontent jusqu’au bout de la nuit.
Parmi eux : les Warriors, que toute la ville recherche pour un crime qu’ils n’ont pas commis. Chaque gang a son style vestimentaire et figurez-vous que c’est même à cela qu’on les reconnait.
On peut donc envisager les «Guerriers de la Nuit» comme un défilé de mode à ciel ouvert. L’environnement y est résolument nocturne et urbain, parsemé de graffitis, de rues défoncées, de stations de métro, de parcs et même d’un cimetière.
Tout cela est entrecoupé de planches de bande-dessinée et de musique comme ça. Bref. Vous y êtes ? Serrez les poings et chaussez vos Converse. Ils s’appellent les Baseball Furies, les Orphans, les Lizzies ou les Gramercy Riffs et ils ne sont clairement pas là pour rigoler.
Un cauchemar ? Le film a parfois des allures de film de zombies. On y découvre d’ailleurs un bien étrange gang qui ferait fureur dans «Massacre à la Tronçonneuse» ou dans un film de la série «Chucky», autre personnage à salopette célèbre.
La salopette en denim, justement, c’est le truc de ce gang et ils ont une manière bien à eux de se l’approprier. Certains se souviennent peut-être de l’obsession de Jordan pour les polos de rugby ? C’est comme si elle était exaucée en une séquence, dans un mélange de denim, d’esprit Drake’s, de patins à roulettes et de baston de rue. Si vous avez compris Bastong, notez que ça peut sans doute aussi marcher.
On est en tout cas bien loin des chinos beige et des sneakers blanches, mais il faut avouer que c’est une association intéressante, à garder dans un coin de votre tête si jamais vous deviez sécher un matin devant votre dressing.
On n’en a pas parlé, mais bien sûr les Warriors aussi ont leur signe distinctif : c’est un gilet sans manche en cuir, affublé du nom du gang au dos. Pour d’autres équipes, ce sera la chemisette, la veste en denim, le blouson de cuir, les tenues de baseball ou les chapeaux.
Il y a autant de gangs en ville que de types de vêtements, et tous ces looks peuvent là aussi, pourquoi pas, vous donner quelques idées. La suite ? C’est ni plus ni moins que mon inspiration préférée pour cette sélection.
9. Salopette et velours
«Shining» (Stanley Kubrick, 1980)
A ce stade, vous vous demandez peut-être si je me suis moi-même laissé convaincre par la salopette. Eh bien pas encore, j’avoue, mais j’ai déjà ma petite idée sur la question.
A vrai dire, c’est même assez précis. Pour la matière, ce serait très certainement du velours. Et pour la couleur : quelque chose comme ici, chez Samuraï Jeans. En réalité, cette salopette-ci ferait très bien l’affaire et je vois déjà avec quoi je pourrais la porter. Intrigués ?
Je vais peut-être vous surprendre, mais mon influence première serait à chercher du côté du personnage de Shelley Duvall dans «Shining» de Stanley Kubrick. Pour rappel, on a pu évoquer le film dans Bobine à travers le pull à col roulé.
Vous connaissez l’histoire. Et vous n’avez probablement plus aucune envie de devenir gardien d’hôtel hors saison, perdu au milieu des montagnes et de surcroit sur un site maudit. En revanche, la tenue de Shelley Duvall vous a peut-être déjà fait envie, quel que soit votre sexe.
Vous le savez : la salopette n’a pas de frontières. Les femmes s’en sont d’ailleurs emparées très tôt au cinéma, et rien qu’en France, vous la retrouverez chez de très nombreuses actrices, de Brigitte Bardot à Béatrice Dalle, de Sophie Marceau à Bernadette Lafont.
Mais à dire vrai, aucune des tenues en question ne procure le même effet frisson que celle de Shelley Duvall dans «Shining» : elle a même quelque chose d’un peu magique selon moi. Mais ça, vous vous en doutez, ça ne s’explique pas vraiment.
En revanche, on peut noter qu’elle est remarquable dans sa construction, son choix de matière et de couleur : une maille à col roulé beige, une belle chemise à carreaux vert et une salopette qu’on devine en velours marron.
Imaginons une paire de boots workwear pour conclure et on tient là une tenue fantastique à tous les sens du terme pour l’hiver. Notez au passage que si Jack Nicholson ne porte pas de salopette dans «Shining», il en a déjà porté dans la vie courante.
Un exemple très réussi ici, en salopette blanche et chemisette, qui vous donnera peut-être envie d’aller plus loin encore que le jean blanc :
Pas encore tout à fait convaincus ? Par chance, il y a encore quelques propositions en stock, certaines plus surprenantes que d’autres, et pour toutes les saisons. Je vous laisse reprendre votre souffle : vous allez en avoir besoin.
10. Salopette & téléphone maison
«E.T l'Extraterrestre» (Steven Spielberg, 1982)
Si la salopette trouve sa source dans le monde du travail et des adultes, difficile de ne pas évoquer sa présence dans le monde de l’enfance, du rêve et du style en construction.
En cherchant bien, vous tomberez peut-être même sur un souvenir d’enfance. Regardez par exemple parmi les photos de vos premières années : il n’est pas impossible que vous y découvriez une salopette ici ou là.
Du travail à l’enfance, on pourrait probablement écrire une thèse sur cet étrange glissement de terrain de la salopette dans nos vestiaires. En attendant, dans les années 80 par exemple, filles comme garçons la portent régulièrement : ce vêtement est partout et bien souvent en denim. Mais il en existe dans plein d’autres matières.
Rien d’étonnant à ce que la salopette prenne également place dans le cinéma de Steven Spielberg. L’enfance est une thématique récurrente du cinéaste, et «E.T. l’extraterrestre» l’un de ses films les plus populaires et les plus personnels sur le sujet.
E.T.? Au cas où vous seriez passé à côté, il est de petite taille, extraterrestre et principalement botaniste. Ses camarades étant partis sans lui en pleine nuit, le voilà désormais seul dans la forêt, traqué par d’étranges hommes dont ne voit que les lampes torches et les porte-clés.
Il rencontre alors Eliott, un jeune garçon un peu rêveur qui vit avec sa mère, son grand frère et sa petite sœur dans la banlieue de Los Angeles. D’une manière générale, le film de Steven Spielberg s’attache à délivrer clins d’œil et messages sur la tolérance, l’amitié et bien sûr le cinéma et la pop-culture.
Mais on peut également y voir aujourd’hui le témoin d’une culture ultra gourmande en sodas, bonbons, burgers, polyester et produits industriels de toutes sortes. Comme E.T., investissez la penderie et jetez un œil sur le contenu du frigo ou de la télévision : vous aurez peut-être une petite idée de l’espèce humaine en 1982.
Parmi les premières questions posées à E.T., on notera en tout cas que le vêtement arrive en bonne position. C’est dire si c’est important et ça se comprend d’autant plus qu’E.T. ne porte rien sur lui : ses premiers pas dans la mode se résumeront à une chemise à carreaux, de la maille bien moelleuse et une tentative un peu ratée de tenue femme.
En revanche, les enfants (et les garçons en particulier) témoignent d’un style qui perdure encore aujourd’hui bien au-delà des États-Unis : jeans bleach, sneakers blanches, hoodies gris ou colorés.
La salopette n’est pas en reste. On la trouve chez la petite sœur interprétée par Drew Barrymore et associée à un sweat rayé, mais aussi chez Henri Thomas ici dans le rôle d’Eliott : un sweat blanc texturé à manches longues, une salopette en denim, et visiblement une paire de Nike qui ressemble fort à celles du futur Marty McFly.
Si tout cela a comme un petit goût de madeleine de Proust, c’est normal : la salopette n’est plus seulement un vêtement de travail. Elle a au fil des ans et des usages investi des champs plus personnels, qui peuvent parfois remonter jusqu’à l’enfance.
PS : notez bien que c’est le moment de vous souvenir du billet de Jordan mentionné un peu avant. Attention les yeux : c’est parti !
11. Salopette sinon rien
«Jamais plus jamais» (Irvin Kershner, 1983)
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Vous vous souvenez peut-être de l’article de Nicolò sur la maille à même la peau ? Eh bien, à toute fin utile, sachez qu’on peut tout à fait en faire de même avec la salopette. C’est une idée comme ça, pour les beaux jours.
C’est du moins une des deux ou trois pistes à retenir de cet officieux come-back de Sean Connery aux services secrets de Sa Majesté. Soyons honnêtes : on aurait tout à fait pu s’en passer, mais il faut quand même reconnaitre que le film pose deux ou trois questions de style intéressantes, à défaut d’être au niveau des productions 007 des années 60.
En 1983, la franchise James Bond est en effet officiellement tenue par Roger Moore depuis 10 ans. Dans ces conditions, «Jamais plus jamais» apparait comme une aventure parallèle tout ce qu’il y a d’étrange.
C’est un James Bond sans grand panache et volontiers décousu. Pire, les costumes sont ternes et pour tout dire un peu cheap. Au casting, Sean Connery, Kim Basinger et Max Von Sydow peinent à faire oublier l’absence du punch, de la musique et des ors habituels de la série.
Pour autant, il y a tout de même quelques raisons ici et là de ne pas sombrer. D’abord parce que «Jamais plus jamais» contient une idée passionnante quoique malheureusement bien vite avortée : celle d’un James Bond vieillissant, ringard, qu’on aurait adoré voir aborder la retraite et s’habiller peut-être autrement.
C’est d’ailleurs ici qu’intervient le billet de Jordan. A quoi pourrait-bien ressembler une remise en question stylistique d’un James Bond grisonnant tel qu’incarné par Sean Connery ?
Il n’en sera pas grand-chose : tout au plus un séjour en cure de remise en forme, un peu de sport et de relaxation. C’est d’ailleurs là qu’on trouve la première tenue surprenante du film : qui donc peut bien faire son jogging en survêtement gris et col roulé écru sinon James Bond ?
La deuxième question de style tient dans une idée aussi simple que géniale : Sean Connery, une salopette en denim et rien d’autre sinon un bas de jambe subtilement retroussé – à la fraiche, à la cool, avec moumoute apparente sur le torse, comme si c’était tous les jours les vacances.
Bon esprit ? Pas sûr que ce soit si simple pour les plus timides ou complexés d’entre nous. Et ça pose par ailleurs d’autres types de questions, celle-ci par exemple. Néanmoins, pour la maison, le jardin, la plage où plus généralement à l’abri des foules, c’est une piste à creuser.
Au-delà de la bonne surprise de la salopette, retenez l’essentiel : avec « Jamais plus jamais », on découvre un peu ébahi que le James Bond incarné par Sean Connery n’est pas un monstre du style.
C’est un être humain comme vous et moi, qui peut se planter sur une association de couleur, un choix de coupe ou de matière. Et ça, tout de même, avouez que c’est rassurant.
12. Salopette et mailles irlandaises
«Ennemis rapprochés» (Alan J. Pakula, 1997)
A l’heure où le personnage d’Indiana Jones fête ses 40 ans, une petite pensée pour Harrison Ford. Pour rappel : Benoit a déjà évoqué son style chez Spielberg et sa fameuse paire d’Alden ici, et on s’était par ailleurs déjà penchés sur la parka de «La Guerre des Etoiles» ou le trench de «Blade Runner».
Dans «Ennemis rapprochés», il partage l’affiche avec Brad Pitt et si c’est très loin d’être leur film le plus heureux, solidaire et inspiré, on y trouve néanmoins une nouvelle manière d’appréhender la salopette. Si l’on en croit les histoires qui circulent autour des relations entre les deux hommes sur le tournage, c’est déjà pas si mal.
"Ce n'est pas une histoire américaine, c'est une ballade irlandaise." C’est une image utilisée pour les besoin du scénario, mais ne vous y trompez pas : « Ennemis rapprochés» est une entreprise très américaine. C’est aussi la dernière mise en scène d’Alan J. Pakula.
Pour quelque chose avec un peu plus de cinéma et d’Irlande dedans, jetez plutôt un œil sur «Le Vent se lève» de Ken Loach : c’est plus intéressant d’un point de vue style aussi, et vous y retrouverez entre autres Cillian Murphy, quelques années avant qu’il ne prenne part à l’aventure télévisuelle «Peaky Blinders».
En attendant, revenons tout de même à notre histoire : Brad Pitt est ici membre de l’I.R.A. provisoire. Il arrive aux États-Unis pour une sombre histoire de missiles, la police le traque depuis son pays d’origine et sa couverture n’est autre que la famille modèle du policier incarné par Harrison Ford.
Tiré par les cheveux, non ? Si vous n’y croyez pas non plus, rassurez-vous : ce n’est pas très important.
Le film démarre en tout cas assez justement en Irlande et tout y est : la lande, ses côtes sauvages et ses marins, l’accent caractéristique des habitants , la musique traditionnelle, les maisons en pierre et une certaine violence presque documentaire.
Pour un peu, on entendrait presque les verres tinter au son de «Sally McLennane» des Pogues. Mais en vrai, vous aurez plus de chance de tomber sur une musique paresseuse de James Horner ou sur Dolores O’Riordan.
Plus proche de nos préoccupations : les fameuses mailles irlandaises. Et là, on peut dire qu’il se passe quelque chose. Peut-être pas du Inis Meáin, mais tout de même : c’est d’une certaine manière le point culminant du style développé ici.
Pulls à col rond, à col roulé ou à col châle : Brad Pitt semble avoir embarqué dans son voyage toute une collection de mailles, comme si c’était la chose la plus précieuse de son monde.
C’est presque surprenant. Mais on trouve aussi un bon blouson en cuir marron associé à un hoodie gris clair, une paire de boots et des pantalons sombres – classique, efficace, rien à signaler.
Les choses s’animent en revanche à l’approche du port. Car voyez-vous, Brad Pitt entend retourner chez lui avec un bateau de pêche et il veille lui-même aux réparations. C’est ici qu’intervient sa tenue avec salopette.
Fini le début des années 90 et l’ère de la salopette sinon rien : il porte désormais une maille solide avec une ample salopette beige de type chantier, pleine de cambouis. Et aussi un bonnet, pour tenir et les cheveux et le froid.
L’air de rien, on tient là une autre idée pour la pluie et l’automne/hiver, et dans un style un peu similaire et un peu plus dérangeant, vous pouvez regarder Robert Pattinson dans «The Lighthouse» de Robert Eggers.
Mais peut-être avez envie de passer à autre de chose : plus de vie et de soleil par exemple ? Rendez-vous au film suivant.
13. Salopette, cartoon et traditions
«O'Brother» (Joel & Ethan Coen, 2000)
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On a croisé plusieurs fois la route des frères Coen dans Bobine, notamment à travers le pull à col roulé ou la chemisette. Au tout début des années 2000, les deux hommes ont déjà produit quelques-uns de leurs meilleurs moments de cinéma et avec le temps, on s’est comme qui dirait habitués à leur style.
La routine ? Certes, «O’Brother» n’est pas vraiment une surprise. Il raconte les aventures de trois prisonniers évadés et contient à peu près tout ce qu’on aime chez les frères Coen : un sens particulier de l’humour et du dialogue, des clins d’œil au cinéma, aux cartoons et des situations kafkaïennes.
L’histoire se déroule au Sud des États-Unis. Soleil écrasant, accents locaux et style résolument rural. C’est un aperçu d’une certaine Amérique profonde, avec ses clichés et ses légendes revisitées. Il est question de grande Dépression, de musique country et de Ku Klux Klan. Voilà pour le décor d’un scénario librement inspiré de l’Odyssée d’Homère. Mais après tout, à chacun son Ulysse.
Celui des frères Coen n’est autre que George Clooney et si vous avez en tête les beaux costumes et l’idéal masculin, vous risquez bien d’être surpris : il n’y a pas plus terroir que les personnages d’«O’Brother».
La salopette de George Clooney est une belle manière de fêter le passage à l’an 2000. C’est aussi la pièce la plus remarquée (et la plus recherchée) du vestiaire d’«O Brother», mais si vous voulez vraiment savoir qui est le personnage le mieux habillé du film, jetez donc un œil du côté de Chris Thomas King - c’est le guitariste, celui qui fait des merveilles autour du feu.
Également au casting : les fidèles John Goodman et John Turturro. A noter que ce dernier est aussi un habitué du cinéma de Spike Lee, chez qui on peut également retrouver des salopettes en denim.
Jetez par exemple un œil sur les tenues Clockers» ou, dans un autre genre, celles du plus réussi «Jungle Fever». Si vous êtes attentifs, vous découvrirez dans ce film une bien belle façon de porter la salopette en denim chez Samuel L. Jackson, avec casquette, sweatshirt kaki et parka d’inspiration militaire.
Dans «O’Brother», la salopette se porte de manière plus traditionnelle. Les vêtements sont usés jusqu’à la corde, les souliers chargés de boue et de poussière, les chemises sales et pas repassées.
Mais rappelons que nos trois Daltons sont en cavale – pas le temps d’aller faire les magasins ou d’envisager un passage au pressing du coin. Le petit détail stylistique : nos personnages adorent les bretelles.
George Clooney en revanche, c’est autre chose : il affectionne tout particulièrement les bas résilles (pour ses cheveux) et… la salopette en denim, portée ici avec une simple chemise et des souliers.
C’est un look tout ce qu’il y a de brut. Un retour à la terre et à la simplicité ? Le denim de sa salopette a beau être bien délavé, la tenue de George Clooney fait ici écho à celle d’Henri Fonda dans «Les Raisins de la Colère». Pour autant, la boucle est encore loin d’être bouclée.
14. Salopette et cardigan
«Manderlay» (Lars Von Trier, 2005)
Non, nous n’avons pas vraiment bougé, juste changé de film et de perspective. Nous sommes toujours au Sud des États-Unis et le calendrier affiche encore quelque chose comme les années 30. C’est du moins ce qu’essaie de nous faire croire le «Manderlay» de Lars Von Trier.
Comme dans son prédécesseur «Dogville», on découvre ici un plateau de studio avec des personnages dedans et de la craie au sol. Il y a du théâtre et du cinéma en jeu, de l’audace dans la forme et quelque chose qui questionne, toujours. Le cinéaste ne laisse jamais indifférent, et si l’on se réfère ne serait-ce qu’à «Antichrist» ou «Les Idiots», ses films non plus.
Est-ce qu’il y a aussi quelque chose à voir du vêtement ? Oui, si l’on y regarde de plus près. A l’instar des peintres du XIXème, c’est cependant la femme qui occupe souvent une place très particulière dans le travail de Lars Von Trier. Regardez «Breaking The Waves», «Dancer In The Dark» ou bien encore «Melancholia». Emilie Watson, Björk ou Kirsten Dunst : à chaque héroïne son style.
C’est aussi le cas de «Manderlay», et bien sûr, on pourrait évoquer les deux-trois pièces très inspirantes (un pantalon, quelques hauts) de Bryce Dallas Howard.
Le scénario est un prétexte. Une bande de gangsters avec à leur tête un père et sa fille, une plantation avec ses maîtres et ses esclaves. Au cœur de tout cela : une réflexion sur la liberté, le pouvoir et la condition humaine qui s’achève avec la voix d’un très grand amateur de mode. Il se peut que certains chercheurs réfléchissent encore au sens de tout cela.
En attendant, c’est sûr, «Manderlay» est autrement plus cérébral, philosophique et pessimiste qu’«O Brother». Pour autant, au-delà de son décor minimal, de sa mise en scène et de son esprit parfois dérangeant, «Manderlay» nous raconte lui aussi quelque chose du style avec salopette – et comme toujours avec la mode, c’est moins futile ou anecdotique qu’il n’y parait.
Oublions donc les costumes mafieux de Willem Dafoe, Jean-Marc Barr et consorts. Oublions aussi l’élégance grisonnante de Danny Glover et concentrons-nous plutôt sur le personnage clé d’Isaach de Bankolé. C’est l’électron libre.
Il est ici «catalogué» comme fier, charmeur, tricheur et solitaire. C’est assurément l’un des mystères de «Manderlay», une inépuisable source d’attraction. Si jamais vous craigniez pour votre sex-appeal à vouloir tenter la salopette, vous trouverez peut-être ici de quoi vous rassurer. Sinon, souvenez-vous que Brad Pitt est en partie devenu célèbre grâce à ce vêtement.
En attendant, notre homme porte une salopette en denim parfois sans rien, d’autres fois avec un henley à manches longues blanc. Sur ce dernier look, on retrouve évidemment l’esprit US déjà développé dans les tenues de George Clooney ou Henri Fonda.
Mais notez que la configuration henley + salopette peut aussi se conjuguer à la française, comme ici chez Lino Ventura dans le très WTF «Fantasia chez les ploucs» de Gérard Pirès en 1971 :
Ceci étant, sachez qu’il est toujours possible de bousculer un peu la tradition. C’est ce que propose Isaach de Bankolé dans «Manderlay» en ajoutant à l’ensemble un bien énigmatique gilet coloré à manches ¾.
A notre échelle, on pourrait pourquoi pas imaginer comme alternative un cardigan de type RRL ou à défaut tout type de cardigan avec du caractère. Vous visualisez la tenue ? Voilà, vous y êtes. Place maintenant à l’ère moderne.
15. Salopette et couleur jaune
«Il ou elle» (Anahita Ghazvinizadeh, 2017)
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Que dire de la salopette dans sa version short et estivale ? Qu’on la porte beaucoup chez la femme mais qu’il n’est pas rare d’en croiser chez l’homme. Regardez par exemple du côté des marques de jeans, ou chez les spécialistes du workwear.
Force est de constater que c’est aussi cool que la salopette telle que nous l’avons observée jusqu’ici. On peut imaginer beaucoup d’autres matières que la toile d’un jean, et des associations avec tee-shirts, chemisettes ou encore espadrilles.
Voilà donc l’été ? On dirait bien. Mais la réflexion portée par notre dernier exemple est un peu plus complexe que la bonne combinaison de pièces à choisir pour une tenue estivale.
«Il ou elle» est le premier film de l’iranienne Anahita Ghazvinizadeh : son cinéma a quelque chose du poème intérieur. Il chuchote et aime à se réfugier dans les plis de l’enfance.
Il aime aussi la lumière et ses reflets, la nature et les ambiances éthérées. Il pose aussi un certain nombre de question sur l’identité – qu’elle soit sexuelle ou culturelle.
Pour la petite histoire, Anahita Ghazvinizadeh a suivi des cours avec Abbas Kiarostami – une influence, et un cinéaste majeur par ailleurs. Jetez donc un œil sur «Close-Up», «Et la vie continue…» ou bien encore «Le Goût de la cerise».
Le personnage central d’ «Il ou elle» s’appelle J. C’est un adolescent en plein questionnement, interprété par Rhys Fehrenbacher. Il habite une banlieue tranquille de Chicago, est né garçon mais se projette fille.
Chaque jour il tient une liste sur laquelle il inscrit G pour Girl ou B pour Boy selon ce qu’il ressent. Qu’on lui présente un sablier et sa première envie sera de le figer indéfiniment. Ainsi protégé par le monde de l’enfance, il n’aurait alors plus à choisir celui tendu par les adultes.
Autour de lui, des parents à l’écoute et une sœur artiste qui partage sa vie avec un jeune iranien exilé. J. aime les chats, les fleurs et les poèmes. Dans son vestiaire, on découvre aussi d’autres possibles qui viennent d’une certaine manière questionner notre rapport au genre et au vêtement.
Imaginez un instant votre quotidien débarrassé de la frontière homme/femme. Quels nouveaux espaces s’ouvriraient alors ?
Dans le vestiaire de J., on trouve une robe à imprimés fleuris portée avec des sneakers. On trouve aussi des bermudas, des tee-shirts et des chemises longues. Parce que le film aime à jouer avec la lumière et la photographie, on ressent ici plus particulièrement les couleurs.
Et la salopette ici a d'une certaine manière aussi valeur de symbole : on peut la voir comme le dernier rempart de l'enfance. C'est un vêtement qui rassure, et qui peut par ailleurs appeler les vacances, les beaux jours et d'autres souvenirs heureux.
Regardez la tenue qui ouvre et marque d’une certaine manière le film : une salopette short en jean, une paire de sneakers avec probable patchwork et un obsédant tee-shirt jaune, une couleur sur laquelle on s’est déjà arrêté ici.
C’est simple, coloré, assurément confort et universel. Est-ce là une tenue que vous tenteriez cet été ? A vous de jouer.