Le vestiaire de l'homme est pauvre.
Je veux dire, vous ne verrez jamais que les Ecossais pour porter des jupes. Pardon... des kilts. Mais la dure réalité, c'est que les hommes disposent de beaucoup moins de pièces -que les femmes- pour s'exprimer.
Il y en aura toujours pour dire que telle ou telle couleur, sur le spectre impartial d’un nuancier Pantone, ne convient pas aux hommes car elle féminise. Et, quand une femme porte une chemise, un smoking, des boots d’homme, chacun applaudira sa liberté et son chien, à la garçonne, toutefois quand je mets la robe de mariage de ma mère là on veut me déshériter un homme s'aventure un peu trop loin hors de la zone réservée d'ordinaire à ses semblables, hors des jeans bruts, de la chemise blanche ou bleue et de ces quelques pièces qu'on veut bien nous laisser pour nous divertir, alors il y a comme un malaise.
Si, comme on veut nous le dire, "l'homme est une femme comme les autres", alors c'est surtout celle qui vit au dépens des autres, se repaît des restes et demande la permission pour parler à propos de sujets que les autres estiment maîtriser mieux.
Messieurs, devant cette situation injuste, j'ai tout de même une bonne nouvelle : vous pouvez porter le henley !
Le henley est tout ce qui nous reste. Ça et la pilosité faciale. Alors défendons-le fièrement !
© Photo : The Sartorialist
Il est un emblème masculin et rares sont les femmes qui se sont risquées à le porter.
Le henley, c'est la seule pièce dont l'homme puisse jouir du monopole (mais pour combien de temps encore ?), alors portez-le pour dormir, pour accompagner vos enfants à l'école, pour rouler vite, pour lire, pour sauver le monde, pour travailler. De l'aube à l'aube.
Au moment où j'écris ces lignes, et que les vagues se brisent contre la falaise aiguisée sur laquelle ma maison est construite, euh... dans mon modeste appartement parisien je veux dire, je porte un henley en dessous et je crois bien qu'on me verra plus souvent aussi, hors de chez moi, avec l'un d'eux sur le dos.
Vous allez comprendre pourquoi.
LE HENLEY, LE VÊTEMENT DES ÉPOPÉES
Allons à l'essentiel : le henley est une pièce de coton tricoté dotée d'une échancrure fermée par des boutons, née au 19ème siècle en tant que sous-vêtement. Pratique le soir quand il fait froid, quand on s'endort un peu trop loin du feu qui brûle à peine.
Il est alors doté de cette échancrure, permettant de jouer avec la température.
On voit bien le cow-boy se réveillant à l'aube en henley, santiags et blue-jeans, sa tasse en étain de café brûlant dans les mains.
Cillian Murphy, alias Thomas Shelby dans Peaky Blinders, qui porte un henley pour passer la nuit dans son paradis artificiel.
Sauf que c'est en Angleterre que le henley est né et non en Amérique, il paraît. Et d'ailleurs, il ne devait pas s'appeler comme cela à l'origine puisqu'il tient ce nom de la ville de Henley-on-Thames, acquis dans la seconde partie de sa vie -son adolescence on pourrait dire- avec la réappropriation qu'en fait alors le sport, et tout particulièrement l'aviron.
En 1839 a en effet lieu dans cette ville la Royale Regatta, plus grande course d'aviron de toute l'Angleterre.
Avec le développement de ce sport (Je vous invite à lire cet excellent article du blog Ahbras sur l'Undershirt Militaire Américain, très instructif à cet endroit.
On y apprend que, si l'undershirt, c'est-à-dire le sous-vêtements porté en haut, dans une composition de 50% de coton et 50% de laine à des fins d'isolation du corps contre le froid, est déjà une composante essentielle de la tenue du soldat, ce n'est qu'en 1950 qu'il naît sous la forme de henley au sein de l'armée américaine. Celle-ci, en effet, expérimente des formes diverses d'undershirt pour en fournir la version la plus aboutie et efficace aux forces armées.
© © CIE Hub (vu sur Abhras)
Le type de layering préconisé par temps froid et sec.
C'est donc un vêtement simple jusqu'à l'épure, dont le seul élément de coquetterie (l'échancrure à boutons) est en fait conçu comme une fonctionnalité permettant de jouer avec la température de son corps et de l'extérieur. Ce qui n'est pas possible avec un col rond simple.
À l'époque, on le trouve dans les couleurs suivantes : écru, olive et marron. Bref, des tons militaires.
© © Button Up Clothing"
Vu sur Abhras qui indique : "Un authentique Undershirt, Winter, M-50, Type 1 Class 1. Il porte la spécification MIL-U-10211C datée d’août 1952.
Aujourd'hui, des deadstocks peuvent être trouvés sur Broadway and Sons, ainsi bien sûr que dans les friperies physiques.
Mais l'histoire du henley ne s'arrête pas là.
LE HENLEY AU CINÉMA, SON PLUS BEAU RÔLE
La troisième vie du henley, c'est en tant que star de cinéma. Cinéma britannique bien sûr avec, notamment, Les Chariots de Feu (1981) de Hugh Hudson...
...mais aussi, et surtout, dans le cinéma américain.
Comme l'avait expliqué Benoît à la sortie de notre henley, ce haut est utilisé pour habiller un personnage tourné vers l'action. Le henley souligne le rapport au corps, un corps musculeux, fait pour le mouvement, les activités physiques.
Mais au cinéma, le henley est aussi celui qui habille l'homme lambda, le monsieur tout-le-monde en apparence, qui va révéler une autre dimension de lui-même au fil de l'intrigue. Et c'est bien cela, l'essence même du henley : c'est ni plus ni moins qu'un t-shirt (à manches longues ou non) avec quelque chose en plus ; cette échancrure à boutons qui lui donne tant de charme, ce je-ne-sais-quoi d'héroïque. Il dit aussi quelque chose du personnage : qu'il faut s'en méfier, qu'il gagnera à la fin, que son passé est trouble, qu'il est doté de compétences spéciales dont il se servira pour faire le bien.
Le henley au cinéma est un symbole. Il est l'habit de l'homme moral, de l'homme qui a des valeurs, du courage, du pragmatisme et œuvre pour le bien commun.
Sylvester Stallone dans son rôle mythique de Rocky (ici, le quatrième film).
On peut citer aussi John Wick, Jack Reacher, Bruce Willis dans Die Hard, Henry Cavill dans Superman.
Han Solo, joué par Harrison Ford, est un personnage d'action, un homme ordinaire dans un monde qui ne l'est pas du tout. Pour ce qui est de la morale en revanche, on repassera, bien que celui-ci ait tout de même de fortes valeurs d'amitié et de bien commun.
Voilà pour le henley tel qu'on le voit de nos jours en salles.
Cependant bien avant cela, ce qui a fondé le mythe du henley, c'est sa présence dans les westerns. Surtout dans la période "Spaghetti", avec Sergio Leone notamment, à partir de 1962.
CHOISIR LE BON HENLEY
Si vous projetez de le porter en base layer comme on dit (c'est-à-dire à la place d'un t-shirt, pour tenir chaud ou faire joli), alors prenez-le écru. C'est plus facile à accorder et cela illumine un peu votre buste.
Pourquoi l'écru et pas le blanc ?
Le blanc est fade pour ce genre de pièce très intuitive, proche de la peau. L'écru a un rendu plus naturel, plus nuancé et cela correspond mieux à la nature de cette pièce.
Sinon, pour la couleur toujours, se la jouer militaire reste l'option la plus souhaitable : écru, olive ou brun.
Autre chose : il ne faut pas le prendre trop fluide selon moi, mais plus épais comme un sweat fin un peu près du corps. Si la boutonnière est faite dans un tissu de densité différente que le reste du henley, cela donne un aspect vintage appréciable et donc de l'authenticité. Ce qui est important si vous le portez sans rien au-dessus, avec un jean et des sneakers par exemple.
Pour finir, il devrait avoir de la texture, sinon il devient ennuyeux.
On en trouvera chez : Homespun Knitwear, Merz B. Schwanen, Studio d’Artisan, 3Sixteen, Hemen Biarritz, The Real McCoy, Seagale, Sunspel, Glad Hand & Co, Uniqlo, Alex Mill.
Le plus simplement du monde. Vous avez probablement déjà même le reste de la tenue dans votre armoire pour tenter cette association.
Ce qui vient évidemment d'abord à l'esprit, c'est de verser dans le workwear. Cela correspond parfaitement à la dimension americana de cette pièce. Et donc la chemise à poches en denim, ainsi que le chino kaki semble particulièrement adaptés.
Les accessoires donnent encore pus d'authenticité à l'ensemble : du métal et du cuir marron.
Pour ce qui est des chaussures, des loafers font l'affaire, mais on aurait aussi pu imaginer des boots à la Red Wing ou Wolverine par exemple.
Si l'on devait mettre une veste par-dessus, une veste en denim brut serait la bienvenue. Ou alors un blazer sport bleu marine avec des revers un peu larges. Ou une veste en cuir comme ci-dessous :
On a ici quelque chose de plus tailoring. Très assumé, avec cette écharpe en été que je ne suis pas sûr de pouvoir supporter bien longtemps personnellement, mais la couleur est bien adaptée.
La beauté de cette tenue tient aux couleurs employées : du marron foncé, du beige, du marron moyen, du blanc cassé et du noir. C'est un camaïeu habile qui met en valeur le teint de George Cortina.
Pour l'imiter, vous pouvez porter un pantalon marron taille haute à pinces, porté un peu court avec des revers, des double-boucles, simple-boucles ou derbys, une chemise légère en popeline beige et le henley écru en dessous.
SOUS UNE VESTE
Êtes-vous cet artiste dans son appartement sous les toits ?
On aurait pu se passer de la couche intermédiaire et du pantalon à fleurs. Les photos de henley porté avec un blazer sont assez rares je dois dire. Mais c'est tout à fait possible. Il faut simplement que la veste soit plutôt décontractée : avec des poches plaquées, un tissu texturé, peut-être épais. Ensuite, portez-le avec un jean ou un chino et des derbys ou des sneakers.
Simple.
David Bowie dénote sur ce fond noir et blanc.
Le henley avec un costume. Je ne vous le conseille pas particulièrement. Sauf si vous voulez vraiment sortir de l'ordinaire, lors d'une soirée, comme David Bowie. Mais est-ce vraiment souhaitable ?
Ici, Ethan Desu (est-ce son vrai nom ?) joue sur le côté rebelle du henley, limite hors-la-loi, en l'associant à un perfecto, un chapeau et des lunettes noires. Ça fonctionne bien, vous ne trouvez pas ?
AVEC UN GILET
Workwear. Workwear. Workwear. Workwear. Workwear. Workwear. Workwear. Workwear. Workwear. Workwear. Workwear.
Une tenue qu'il faut assumer. Mais avec un jean ou un chino plus propre, c'est très envisageable. D'ailleurs, de cette manière, le henley sera bien mis en valeur puisque l'échancrure à boutons pourra sortir nonchalamment du V du gilet.
Ce n'est pas très difficile à faire et je vous donnerai d'autres exemples plus loin, avec Alessandro Squarzi.
Doug Bihlmaier, le directeur de Ralph Lauren Vintage. Normal qu'il porte le henley, non ?
PORTÉ SEUL
Vu sur le blog Put This On. La simplicité charmante du henley.
Pris comme pièce seule, le henley est intéressant car il donne à voir, plus qu'un t-shirt ne saurait le faire, grâce à l'ouverture et les boutons. Ici, il a été choisi écru et c'est tant mieux. Un blanc aurait été trop éclatant et manqué de naturel.
Avec un simple chino marine et des mocassins pour l'été.
Clément de Crafted Paris (allez le voir sur Insta @craftedparis, cet homme maîtrise le workwear).
Une tenue riche pour l'été, jouant sur les teintes minérales. Après tout, il trône sur un rocher, quoi de plus normal ? Le contraste au niveau de la boutonnière donne du relief et du contraste.
Clément joue habilement sur les teintes de blanc cassé, de blanc et de gris. C'est très bien fait.
SOUS UN PULL
© (Photo The Sartorialist)
On ne recommande pas spécialement les pulls col V peu profonds comme celui-ci, mais là il y a quelque chose. L'idée de cette superposition est bien sûr de faire dépasser le non-col du henley par l'ouverture du pull. Cela fonctionne donc aussi avec un pull col rond un peu échancré.
Même principe, mais avec un sweat à capuche.
LE CAS ALESSANDRO SQUARZI
C'était difficile de ne pas citer Alessandro Squarzi dans cet article tant l'homme est adepte du henley. C'est là aussi que l'on voit l'imbrication discrète mais véritable de la sprezzatura et de l'americana (ou Linshi Tasks
NOTE DE DAVID :
- Le henley, c'est le modèle blanc cassé de la marque mais qui n'est plus proposé par la marque car il est un peu transparent (cela m'importe peu #freethenipple !)
- Allen Edmonds : on ne conseille pas particulièrement les produits de Allen Edmonds à l'heure actuelle mais si vous trouvez des chaussures vintage de la marque en bon état, foncez ! Surtout celles-ci en cordovan que j'ai trouvées pour pas cher.
- Linshi Tasks est une marque chinoise quasi introuvable en France.
CHRISTOPHE, SENSIBLE AUX VIBRATIONS WORKWEAR DU HENLEY
Depuis qu'il est arrivé chez BonneGueule, Christophe a développé un goût pour les pièces workwear. Et je dois dire que ça lui va très bien !
Henley : J.Crew
Jean : Kurabo BonneGueule
Boots : Wolverine
Cardigan : Inis Meáin
Veste : Bleu de Paname
Sac : Bleu de Chauffe
MICHEL, CASUAL CHIC
Henley : Vintage
Foulard : Levi's
Cardigan : Uniqlo
Jean : A.P.C.
Sneakers : National Standard
Manteau : Sandro
LE MOT DE LA FIN...
Pensez au henley.
Le henley comme alternative au t-shirt blanc, comme alternative à la chemise. Sous un gilet, un pull, une veste, juste avec un jean. C'est une pièce qui, bien portée, apporte quelque chose de charmant et peut rompre avec une certaine monotonie.
Ce n'est pas difficile à porter. Et même, je parie que vous savez déjà le faire...
SOUS UNE CHEMISE