Sommaire
1. Premiers souvenirs avec le vêtement2. L'adolescence et l'arrivée des marques étrangères3. Le déclic vers le métier de la mode4. Le style, la coupe ou le tissu ? 5. Style personnel : la simplicité avant tout6. Centres d'intérêt : sport, déco et architecture7. Le style et les Coréens8. Les matières naturelles : le futur de la modeCertains amoureux du style ont l'œil rivé à l'Est de la planète. Chez BonneGueule, on se passionne depuis longtemps pour les matières et le style japonais. Juste à côté, la Corée du Sud a elle aussi de beaux arguments à faire valoir. En témoigne le passionnant travail de la marque Bastong. Rencontre avec son fondateur, Alt Ki.
(Crédit photo de couverture : Alt Ki / Bastong)
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Si vous êtes familiers de nos colonnes, ce n'est sans doute pas la première fois que vous croisez le nom Bastong sur votre route. Si non, de quoi s'agit-il ? D'une marque de vêtements coréenne fondée en 2011 et basée à Séoul, avec un propos de style et une passion pour les matières comme on les aime. Son fondateur s'appelle Alt Ki et pour des raisons pratiques, notre échange se fera uniquement par e-mail. Aussi étonnant que cela puisse paraître, il connaît déjà notre travail.
Même si je ne comprends pas un mot de français, je peux voir et sentir que vous êtes aussi passionnés que professionnels. Je suis un de vos admirateurs !
© Bastong
Alt Ki, le fondateur de la marque Bastong
Qu'importent les apparentes barrières de la langue : la mode a quelque chose de tout à fait universel, quand bien même la notion de style varie d'un pays à l'autre. A Séoul on trouve des marques et des vêtements passionnants, avec une proposition de style résolument singulière. À tel point qu'on peut désormais parler de style coréen.
Si vous êtes amateurs de cinéma, ce point ne vous aura d'ailleurs probablement pas échappé : l'esthétique des films sud-coréens joue à la fois du décor et du vêtement, et on ne compte plus les exemples des tenues inspirantes découvertes dans le cinéma de Hong Sang-soo, Park Chan-wook ou Bong Joon-ho.
Comment expliquer ce phénomène ? Alt Ki ne nous donnera pas vraiment la réponse. Mais on devine à le lire qu'il s'agit probablement d'un mariage entre spécificités locales et influences extérieures. Comment le vêtement est-il entré dans sa vie ? Il raconte.
Premiers souvenirs avec le vêtement
« J’ai suivi des cours d’art dès mon plus jeune âge. Je rêvais de devenir peintre. J’étais un enfant calme, qui adorait dessiner. Je pouvais dessiner pendant des heures et je me souviens combien c’était agréable de recevoir des compliments sur mes dessins.
Ma mère décidait généralement de ce que je devais porter quand j’étais petit. Elle prêtait attention à la manière dont j’étais habillé et elle avait bon goût.
Il y a une petite histoire dont je me souviens encore. Je jouais près de la maison lorsqu’un camarade de classe est passé. Je l’entends encore dire « Il s’habille bien d’habitude en classe. Je ne l'ai presque pas reconnu dans ce vieux tee-shirt ». Je portais un tee-shirt rose un peu passé, avec des rayures et je ne l’ai plus jamais remis ensuite. C’est à ce moment je crois que j’ai compris que la mode avait son importance. »
© Bastong
L'adolescence et l'arrivée des marques étrangères
« Avec le recul, la Corée n’était pas culturellement très riche car le pays était pauvre après la guerre. Au début de mon adolescence, la culture coréenne était principalement influencée par les Etats-Unis et le Japon. Nike était la marque la plus admirée et Michael Jordan la plus grande idole des enfants.
La Corée a connu un énorme afflux de culture étrangère quand j’étais au collège, vers 1994. De nombreuses maisons de mode internationales sont par exemple entrées sur le marché national. Des marques européennes aux couleurs vives telles que Benetton, Head ou Fila, et des marques américaines comme Tommy Hilfiger et Calvin Klein, aux lignes audacieuses, ont ouvert des boutiques en Corée. C’était une période passionnante.
Chaque marque était à sa manière choquante et rafraîchissante à la fois. C’est comme si nous étions projetés dans un tout nouveau monde. À cette époque, J’économisais tout mon argent et je dépensais chaque centime en vêtement.
J’étais follement amoureux de mode et de vêtements. Une fois, j’ai même menacé mes parents de quitter la maison s’ils ne m’offraient pas la veste en cuir shearling que je voulais. Je n’étais pas un adolescent très malin, mais j’ai pleinement apprécié l’arrivée des marques étrangères et de la nouveauté. C’était très stimulant. »
© Bastong
Le déclic vers le métier de la mode
« La mode, c’est venu ensuite, une fois adulte. C’était une petite affaire au début. J’ai ouvert un petit commerce de détail vers 2008, j’étais conseiller de style. C’était chaque fois une grande joie de satisfaire les clients avec les tenues que je leur proposais. L’entreprise a grandi grâce au bouche-à-oreille mais j’ai commencé à me sentir frustré au bout de quelques années. J’étais de moins en moins satisfait des vêtements disponibles sur le marché.
Quand j’aimais le design, la qualité n’était pas au niveau et quand la qualité était bonne, c'est le design qui n’allait pas. Je n’arrêtais pas de me dire « je devrais faire des vêtements moi-même » et j’ai finalement décidé un jour de vraiment me lancer.
J’ai commencé à visiter les marchés de tissus et les usines de vêtements chaque jour. Ça m’a coûté cher et j’ai eu ma part d’échecs avec cette première expérience. Mais plus j’apprenais, plus j’aimais ce travail. C’est ainsi qu’est née mon envie de créer une marque durable, qui soit aussi solide qu’un roc.
Bastong existe depuis 11 ans maintenant et la marque continue de grandir. C’est désormais une maison de couture, avec son propre atelier. C’est comme si la marque venait de finir ses études et qu’elle était désormais prête à conquérir le monde. »
Le style, la coupe ou le tissu ?
« Tout est important pour moi. Je crois qu’on peut dire qu’on tient un beau vêtement lorsque les trois se combinent à la perfection. Il y a des priorités, bien sûr. Lors de la phase de conception, j’avais par exemple l’habitude de penser d’abord au style et aux couleurs, en m’inspirant de films, de documentaires et de magazines.
Aujourd’hui, j’investis davantage de temps dans l’étude des tissus. J’en suis même venu à croire que le plus important, c’est la prise en compte de la couleur, de la sensation et de l’épaisseur unique de chaque tissu. En concevant un vêtement basé sur cette compréhension, on ne rate jamais sa cible. »
© Bastong
5. Style personnel : la simplicité avant tout
« Mes looks préférés, ce sont ceux qu’on peut voir dans les lookbooks de Bastong. C’est vraiment le style auquel j’aspire. Étrangement, plus je fais des vêtements, plus mon style personnel tend vers la simplicité. Je ne m’intéresse plus particulièrement au fait d’être bien habillé au quotidien. Je me concentre principalement sur la manière dont mes clients s’habillent, sur leur style et leurs vêtements.
De mon côté, je m’habille très simplement pour le travail. Il n’y a rien de particulièrement fun dans mon style aujourd’hui. Une chose que je prends toujours en compte en revanche, lorsqu’il s’agit de s’habiller pour une occasion particulière, c’est le fait de privilégier des couleurs simples. Je ne mélange pas plus de trois couleurs dans une tenue et je m’efforce de ne pas jouer avec plus de deux teintes de couleurs différentes. »
© Bastong
6. Centres d'intérêt : sport, déco et architecture
« La mode a été très longtemps mon unique but. J’envisageais même cela comme une course. Tout ce qui m’intéressait, c’était de devenir un expert de la mode. Ce n’est que depuis quelques années seulement que j’ai compris qu’il me fallait regarder autour de moi, voir et comprendre davantage le monde qui m’entoure.
Cela m’aide à faire progresser ma marque de vêtements. Depuis lors, je suis beaucoup plus ouvert à l'idée d'essayer tout ce qui pique mon intérêt. J’aime le tennis et le cyclisme. J’aime la décoration intérieure et l’architecture. L’architecture en particulier est un sujet captivant que j’apprécie de creuser de plus en plus. »
Le style et les Coréens
« Bastong ne représente pas le style coréen le plus courant. Je pense que la plupart des Coréens aiment garder les choses simples, propres et bien rangées. Ils se soucient de la propreté et sont préoccupés par la poussière ou les plis sur les vêtements. Ils aiment aussi acheter des vêtements neufs.
Regardez par exemple l’auteur de Gangnam Style, Psy : ses cheveux sont tellement bien lissés qu’aucune mèche ne dépasse. La plupart des Coréens tendent à préférer les styles polis, simples et propres. Les looks oversize, les épaules tombantes et les pantalons larges sont en vogue en ce moment.
Mais Bastong est une marque avec une identité forte, qui ne se laisse qu'assez peu influencée par le va-et-vient des tendances. Je garde un œil dessus, mais il me faudrait étudier les tendances actuelles un peu plus pour être en mesure de les commenter. »
Je suis un grand fan de Françoise Hardy. J'adorerais lui confectionner un vêtement. Sa voix est un véritable cadeau pour l'humanité !
© Bastong
Les matières naturelles : le futur de la mode
« J'ai passé beaucoup de temps à réfléchir au futur de la mode. Les vêtements en tissu technique offrent commodité et polyvalence. Mais le confort et la satisfaction que procurent les matières naturelles sont encore à ce jour incomparables. Pour que la Terre se porte mieux, il nous faudrait totalement arrêter de produire et de consommer, mais est-ce seulement possible ?
Le mieux que nous puissions faire, c'est valoriser les vêtements durables, ceux que l'on porte avec plaisir pendant des années, plutôt que les vêtements éphémères dont on se lasse vite. Au final, est-ce que les vêtements confectionnés avec des matières naturelles ne seraient pas mieux pour le monde ? »