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tan_may_sax_ena)Vous aimez comprendre les coulisses d'une marque ? Découvrez les autres interviews Déclic déjà publiées.
- LaneFortyfive. Mais ça aide.
Comment ai-je découvert la marque ? Ma compagne est justement photographe et elle adore autant les images que les vêtements du fondateur Tanmay Saxena. Je confirme : les quelques pièces LaneFortyfive de sa garde-robe sont résolument uniques.
Nous voilà donc avec chacun notre passion pour un truc anglais qui finit en 45 : à elle la marque de vêtements unisexe LaneFortyfive, à moi le groupe d’ambient pastoral Epic45. C'est une anecdote qui n'a pas manqué d'amuser l'intéressé.
Curieux ? Il fallait évidemment en savoir plus, d’où cette nouvelle et très spontanée rencontre Déclic, réalisée via Skype entre Londres et Paris.
LES PREMIERS SOUVENIRS ET LA TRADITION INDIENNE
C’est une récurrence assez troublante : la plupart de nos rencontres Déclic font état d’une quête de sens à un moment donné du parcours. Qu’elle soit acquise très jeune ou développée en cours de route, il est toujours question d’une passion avant même d’aborder les dures lois du commerce. L’histoire de Tan avec le vêtement commence ainsi par un long voyage :
« Je suis né en Inde et j’ai déménagé au Royaume-Uni il y 15 ans maintenant. Si je me remémore mon enfance et ce que le vêtement signifiait alors pour moi, je pense surtout à une tradition qui avait cours dans ma petite ville natale : si tu n’es pas très riche, tu n’achètes pas de vêtements de marque. Tu vas plutôt acheter du tissu et te diriger vers un tailleur, pour la confection. C’est beaucoup moins cher en Inde de procéder ainsi.
C’est l’inverse de ce qui se pratique dans d’autres régions du monde, où tu peux acheter des vêtements de marques très bon marché. Acheter du tissu et passer par la case tailleur te coûtera peut-être dix fois plus cher. Cette tradition m’est restée. En grandissant, j’ai tout de même acheté des vêtements de marques mais je n’ai trouvé mon propre style qu’assez tard.
C’est assez lié à mon mode de vie, aux codes de la société. Je suis allé à l’école, j’ai eu un diplôme en informatique, j’ai fait des études supérieures dans la gestion et la finance, etc. On m’a un jour proposé un travail au Royaume-Uni, pour un an. Tout a changé pour moi à ce moment-là. Je suis parti puis j’ai décidé de rester et de m’installer. Il n’était pas encore question de lancer ma marque de vêtements ou de travailler dans le créatif. »
PRISE DE CONSCIENCE ET PASSION VINTAGE
Pour Tan, la véritable découverte du vêtement se fait à travers l’ancien, à l’écart de l’industrie textile contemporaine. Ce qui n’est alors qu’une activité du week-end va peu à peu lui ouvrir une nouvelle voie :
« À partir de 2012-2013, j’ai commencé à collectionner des petites pièces vintage et à les proposer dans des marchés aux puces. J’ai pas mal voyagé, visité de nombreux marchés aux puces à travers l'Europe : Paris, Berlin, Cracovie, plein d’autres endroits. Je me suis ainsi constitué une petite collection de curiosités, que je vendais ou que j’échangeais aux puces de Londres le week-end. La semaine, je travaillais pour une banque.
C’est là, dans les marchés aux puces, que j’ai rencontré des gens vraiment créatifs. C’est ma première expérience – je ne savais pas ce que pouvait être une communauté créative comme celle de Londres. C’est aussi à ce moment-là que j’ai commencé à trouver mon propre style, à savoir ce que j’aimais porter.
J’ai découvert le lien puissant entre la psychologie d’une personne, sa personnalité et les vêtements qu’elle porte. Maintenant, je peux très facilement dire : nous sommes ce que nous portons et nous portons ce que nous sommes. Ceci étant, cela m’a pris beaucoup de temps pour trouver mon style.
J’avais 30 ans lorsque je suis allé pour la première fois dans une galerie d’art. Ayant grandi à la campagne, en Inde, je n’avais jamais eu la chance ou l’opportunité de pouvoir le faire. Et lorsque je suis arrivé au Royaume-Uni, je ne faisais que travailler. J’étais créatif mais ça ne s’exprimait pas encore de manière concrète. Peut-être que j’ai eu de la chance. Ou peut-être que nous faisons notre propre chance.
J’ai toujours voulu grandir de l’intérieur. Je m’efforce de sortir de ma zone de confort. Si je peux en apprendre quelque chose, j’en suis très heureux. C’est ce que s’est passé quand j’ai commencé à trouver mon propre style et mes vêtements.
Je n’aimais pas le fait d’aller dans une chaîne de magasin, d’acheter quelque chose puis de le porter jour après jour en sachant que le monde vous identifie aussi selon vos vêtements et que des milliers de gens portent exactement la même chose. »
LE DÉCLIC ET LA CRÉATION DE LANEFORTYFIVE
Quelque chose est alors en gestation chez Tan. Mais de l’éveil à la concrétisation, il y a encore une histoire de temps qui passe et des connaissances qui s’acquièrent sur le tas. C’est un truc qu’on retrouve chez tous les gens curieux :
« L’idée que je puisse avoir ma propre marque n’était pas encore là. C’est un peu plus tard, vers 2014-2015, que j’ai réalisé que je pouvais le faire. J’ai lu quelques livres, regardé beaucoup de chaînes YouTube sur les bases de la couture et la coupe des patrons. Et puis un jour, j’ai fait quelques vestes moi-même. Il m’a fallu environ trois semaines pour faire deux vestes. Elles étaient évidemment très mal faites !
J’en ai encore une dans ma garde-robe, c’est une de mes toutes premières pièces. J’ai petit à petit pensé à faire cela un peu plus sérieusement : trouver un nom, réfléchir à ce que je voulais faire comme vêtements, etc. Ma philosophie était simple : faire des vêtements que je peux porter moi-même, avec plaisir. Pour tout un tas de raisons, je ne me reconnaissais pas dans les vêtements qui existaient sur le marché. C’est ainsi que LaneFortyfive a commencé : j’ai officiellement lancé la marque en 2016 tout en travaillant la journée en parallèle.
L’un de mes premiers distributeurs venait du Japon. C’est à ce moment où j’ai réalisé que peut-être certaines personnes appréciaient mon travail. Alors j’ai commencé à lui accorder plus d’attention, plus de temps. Je le faisais déjà avant, mais les choses commençaient à bien évoluer.
J’ai donc pensé qu’il était temps pour moi de me jeter à l’eau et d’arrêter mon travail à la banque, qui me procurait certes de l’argent mais qui ne me rendait pas heureux. J’ai quitté mon emploi en 2017-2018 et je travaille désormais à temps plein sur LaneFortyfive.
J’ai commencé tout seul. Puis je me suis entouré de quelques tailleurs locaux parce que personne n’aurait acheté ce que je faisais en l’état. Je suis doué pour imaginer des choses, transférer d’une manière ou d’une autre mes idées sur le papier mais j’avais besoin de quelqu’un de compétent et de professionnel pour faire les vêtements.
Aujourd’hui, il y a une équipe d’environ 12 tailleurs. Ils vont et viennent dans l’équipe, en fonction de la charge de travail. Ils sont tous indépendants. Ce dont je m’occupe, ce sont les concepts, les dessins, la recherche du tissu, la photographie et la vidéo : c’est une seule et même voix créative qui lie le tout ensemble. »
LA DIFFÉRENCE : DES VÊTEMENTS, MAIS PAS SEULEMENT
On l’a souligné plus haut : de nouvelles marques qui se lancent de par le monde, vous en trouverez des dizaines. Nombreuses sont celles qui suivent les modes, les tendances et proposent in fine plus ou moins la même chose. Qu’est-ce qui fait alors qu’on sort du lot ?
« Je n’ai pas étudié la mode et je ne me suis pas lancé pour vendre uniquement des vêtements en tant que tels. Je vends effectivement des vêtements mais j’ai un même investissement émotionnel pour la manière dont ils sont présentés.
Si l’on aime un vêtement, on devrait selon moi aussi aimer la philosophie qu’il y a derrière. Quand on le porte, ce sera toujours plus qu’un simple morceau de tissu. Sans cela, ça ne fonctionnerait pas pour moi et je ne ferais probablement pas ce travail. Je ne peux pas faire un vêtement si je n’ai pas une bonne compréhension du pourquoi et de l’histoire qui va avec.
Il y a tellement de gens qui font des vêtements que je n’ai en soi pas besoin d’en faire. Pourquoi faire quelque chose que tout le monde fait par ailleurs ? Je ne le fais pas volontairement différemment.
Mon travail est tel qu’il est parce que je viens d’un endroit différent, que je n’ai pas de formation dans la mode. Peut-être que j’ai cette liberté. Je me donne la possibilité de créer des choses différentes, avec une liberté un peu enfantine. »
LES GRANDS ESPACES, UNE SOURCE D'INSPIRATION
Tan vit à Londres. Pourtant, vous ne verrez pas tant que ça le gris du béton sur les looks de LaneFortyfive. Il plane sur ses films et ses images comme une liberté retrouvée et une envie de grands espaces :
« Je fais de temps en temps des shootings en ville mais quand on en sort, on trouve de magnifiques grands espaces, ouverts. L’imagination ne s’y heurte pas à un mur comme c’est le cas, littéralement, en ville. Lorsque tu es sur une plage ou dans un champ, tu peux jouer avec le ciel, la terre, les couleurs – ça libère mon imagination.
Si tu visualises par exemple un enfant dans un champ, la première chose qu’il va faire, ce sera de courir sans raison, jusqu’à ce qu’il soit un peu fatigué et qu’il retrouve un peu la « raison ». C’est je crois ce que nous ressentons un peu tous ces temps-ci après avoir vécu dans les villes. Dès que nous retrouvons de l’espace, nous « courons » partout. Je pense qu’il se passe la même chose avec mon imagination. »
L'INCLUSIVITÉ ET L'ESPRIT TAILLEUR
L’une des particularités de LaneFortyfive, c’est que les vêtements sont réalisés en fonction de chaque client. On peut ainsi choisir le tissu ou certains détails comme la couleur des boutons. C’est un bel au revoir au monde du prêt-à-porter et à l'ego parfois surdimensionné de la mode :
« Les gens qui créent des vêtements sont peut-être trop obsédés ou possessifs vis-à-vis de leur travail. Cela semble désormais normal que les créateurs produisent un vêtement précis et qu’il n’y ait ensuite aucune place pour la personnalisation. Je n’aime pas spécialement l’idée du 50/50 mais je laisse toujours un peu de place pour que la personne en face se sente partie intégrante.
Si tu donnes par exemple la possibilité de choisir un bouton ou le tissu alors la personne fera partie du vêtement. Elle le portera avec plus de joie, en ayant la sensation qu’elle a fait partie du processus, que le vêtement a été fait pour elle. Pour moi, c’est un processus aussi important qu’inclusif. »
Quand on lui indique qu’il rejoint d’une certaine manière l’esprit originel du tailleur, avec des vêtements produits à la demande et une économie plus sobre, moins axée sur la quantité, il acquiesce :
« C’est bon pour la planète. On achète moins. On valorise davantage. Et puis en achetant chez moi, on fait partie de l’histoire du vêtement. Ce n’est pas comme une pièce qui repose en boutique sur l’étagère, qui n’a pas été faite pour soi.
Lorsqu’on achète quelque chose chez LaneFortyfive il est fait spécialement pour vous parce qu’il n’existait tout simplement pas avant. On passe la commande, on a la possibilité de choisir le tissu, les boutons, etc.
On se sent ainsi plus connecté au vêtement et cela aide aussi d’une certaine manière à le conserver dans le temps plutôt que de le jeter comme cela arrive souvent avec la fast-fashion. L’inclusivité est certainement la clé pour aller de l’avant, surtout à l’époque que nous vivons. »
LA MODE UNISEXE, OUI MAIS...
Parmi les autres particularités des collections LaneFortyfive, le fait que les vêtements soient unisexes. Si le terme est résolument en vogue, cela ne veut cependant pas dire l’abandon du style pour Tan :
« En fait, les gens ne le savent pas toujours mais la toute première collection que j’ai travaillée a été réalisée avec uniquement des hommes. Le jour du tournage, les quatre mannequins sont venus et j’ai réalisé dès les premières minutes qu’il manquait quelque chose, que ce n’était pas naturel.
Il n’y avait pas de femme sur le tournage ! J’ai alors pensé que ça sonnait faux et j’ai annulé le tournage. Puis j’ai réfléchi, j’ai beaucoup lu et ça m’a ouvert les yeux au fur et mesure que je lisais sur l’anatomie masculine et féminine.
J’ai alors compris que je devais faire des vêtements qui soient pour tout le monde. Ça ne veut pas dire qu’ils ne peuvent pas être adaptés à la morphologie des femmes mais il n’y a en tout cas pas de changement plus spécifique pour accentuer ou sexualiser certaines parties du corps.
Si quelqu’un commande un pantalon, nous demandons toujours s’il est destiné à un homme ou une femme. Selon les bases de l'anatomie, le rapport taille/hanches pour les hommes et les femmes est complètement différent. Je ne souhaite pas que tout le monde marche dans un même bloc de pantalon rectangulaire, mais qu’au contraire il aille bien à chacun.
Aussi, lorsqu’on parle de vêtements unisexes, ça veut dire que nous sommes prêts à lui donner une forme qui convienne au mieux à chacun. Mais cela reste unisexe. Je ne suis pas du tout intéressé à l’idée de faire un pantalon en forme de tuyau tout droit, qui puisse s’adapter à tout le monde. On s'arrange pour qu'il puisse aller à chacun, mais encore une fois pas d'une manière sexualisée. »
LE STYLE, LE TISSU OU LA COUPE ?
C’était l’un des axes de réflexion de Nicolò dans Sapristi. Qu’en pense le designer de LaneFortyfive ? Il balaie la question d’un revers de la main, comme si l’essentiel était définitivement ailleurs.
« On pourrait faire un diagramme circulaire pour voir ce qui est le plus important et ce qui ne l’est pas. Mais à la fin des fins, ce qui compte, c’est que les vêtements vous fassent du bien. Si vous êtes heureux dans ce que vous portez, alors vous ferez des choses heureuses dans votre vie et cela se répercutera non seulement sur vous mais aussi sur les gens qui vous entourent. »
MATIÈRES PRÉFÉRÉES ET GARDE-ROBE PERSONNELLE
Quelles matières utilise Tan pour ses vêtements ? Et que peut-on trouver dans sa garde-robe ? Quand on le questionne sur ces sujets, on découvre que les deux sont étroitement liés :
« Mes clients sont très sensibles au fait que les tissus soient d’origine responsable. S’il y a trop de polyester ou de plastique, ce n’est tout simplement pas bon pour la peau, pas bon pour la planète. La plupart du temps, j’utilise des tissus durables à bases de fibres naturelles qui proviennent du Royaume-Uni.
Mais si jamais je voyage, je passe toujours une demi-journée en amont pour faire quelques recherches sur la culture et les tissus locaux, les ateliers et artisans sur place qui font des choses particulières, etc.
Même si je ne peux ramener que dix mètres de tissus dans ma valise, c’est génial parce que je peux faire cinq pièces avec. Le « keep it small » a ses avantages. Il y a moins d’effets sur tout mais on continue de produire de jolies choses que les gens peuvent regarder et apprécier.
Le lin a toujours été le tissu principal pour moi. C’est tellement agréable. Récemment, j’ai été très fan de la moleskine. Je porte d’ailleurs un pantalon en moleskine en ce moment même et ça fait six mois maintenant qu’il me suit partout.
En fait, j’ai une très petite garde-robe : trois pantalons, cinq tee-shirts, quelques vestes et c’est à peu près tout. Je dois encore acheter des tee-shirts de marques que j’aime bien car je n’ai pas encore commencé à en faire moi-même. Mais globalement, je ne porte que les vêtements que j’ai créés.
C’est d’ailleurs pour cette raison que je fais des vêtements : je n’aimais pas les vêtements que beaucoup d’autres marques fabriquaient. Cela fonctionne bien, c'est comme une recherche permanente. Je porte mes propres vêtements, j’apprends à les connaître mieux, de plus en plus. Cela me permet de progresser.
C’est aussi quelque chose de particulier que de porter ses propres vêtements. Par exemple lorsque je me promène et que les gens me demandent d’où vient mon pantalon. « Oh ça vient d’un ami à moi ! » Parfois ils vont regarder sur Instagram et se rendre compte que c’est juste moi.
La moleskine, c’est tellement doux et agréable au toucher et au porter. Avant la moleskine, je portais beaucoup de velours côtelé parce que c’est là aussi doux au toucher. Le lin aussi devient doux et très beau après quelques lavages. C’est très naturel, parfait à porter les jours d’été.
Je connais des gens qui portent du lin toute l’année, même dans des pays comme l’Angleterre où il fait très froid l’hiver : ils les superposent, ou bien glissent en première couche des vêtements thermiques, puis du lin par-dessus. »
LA MODE ET SES INFLUENCES
Peut-on créer des vêtements sans s’inspirer des autres ? Pour Tan, la question ne se pose pas vraiment. Son travail est né justement de ce qu’il ne trouvait pas ce qu’il souhaitait pour son style ailleurs :
« Je ne suis pas consciemment influencé par les autres marques. Je ne suis abonné à aucun magazine de mode. Mais je suis abonné à un joli magazine qui s’appelle Holiday. Dans chaque numéro, ils choisissent une ville ou un pays et tout le numéro est basé sur la ville ou le pays choisis.
J’ai commencé à le lire religieusement pendant le confinement, parce qu’on ne pouvait justement pas partir en vacances. C’était mon échappatoire. Lorsqu’on lit ce magazine d’un bout à l’autre, c’est comme si on voyageait jusqu’à cet endroit.
Je ne m’inspire pas de la mode mais plutôt de la photographie, de la poésie, des films ou de la musique. J’ai des amis qui n’arrêtent pas de me suggérer d’aller jeter un œil sur les vieux travaux d’archives des créateurs de mode.
Si je découvre quelque chose par accident dans un film, c’est différent. Mais je ne veux pas m’inspirer consciemment des créateurs de mode parce que cela n'a aucun sens pour moi.
C’est pourquoi je n’ai jamais collaboré avec un autre créateur. Si je devais collaborer, ce serait plus avec un musicien ou un peintre… La discipline artistique serait différente. Ceci étant, il y a plein de choses auxquelles on ne peut échapper de nos jours. Si tu es sur Instagram et que tu as une marque de vêtements, Instagram n’a de cesse de te suggérer d’autres marques. Alors que pour s’inspirer, il suffit juste de sortir faire un tour dehors.
Je ne fais pas de vélo parce que je suis toujours en train de penser ou d’observer. Même si je marche sur une route que j’arpente tous les jours, je regarde toujours ce qui se passe. Je ne survivrai pas cinq minutes en vélo, je passerais sous le bus ! Mon esprit étant toujours ailleurs, je préfère donc marcher et observer ce qui m’entoure. On ne sait jamais d’où vient une idée. »
LANEFORTYFIVE : UN NOM À MI-CHEMIN ENTRE RÊVE ET RÉALITÉ
Vous vous demandez peut-être d’où vient le nom de la marque ? Comme souvent, c’est un mélange d’imaginaire et de proximité sur lequel bien des gens se sont « cassés les dents », non sans un certain humour. Tan confirme :
« Certaines personnes pensent que c’est mon adresse, d’autres que mon vrai nom est Lane. « Bonjour Lane ! » « Bien sûr, je suis monsieur Fortyfive ! ». En fait, quand j’ai commencé à penser à la marque, j’avais cette image en tête où j’imaginais quatre ou cinq personnes portant les vêtements et se tenant dans une voie sans trafic ni personne.
Ils se tenaient simplement là, par une chaude après-midi et ils se parlaient entre eux. La photo était prise d’un coin de la rue donc on les voit près de l’appareil, avec la voie en arrière-plan. J’avais donc cette image en tête mais une voie doit avoir un nom ou un numéro et je n’arrivais pas à décider.
Puis en 2015, j’ai eu une blessure au dos. J’ai dû garder le repos pendant un mois. C’est à ce moment-là, alors que je devais garder le lit et que je travaillais à domicile, que j’ai fait tout le travail de fond autour de la marque, sur mon ordinateur portable.
Ce qui s’est passé avec ma blessure, c’est en lien avec mes vertèbres lombaires, le numéro 4 et le numéro 5. L4 et L5 c’est donc l’histoire de mon dos, plus la voie : c’est devenu LaneFortyfive. »
« ANOTHER GREEN WORLD » : DE BRIAN ENO À L'ÉCORESPONSABILITÉ
Au cours de l’échange, j’en viens à parler de l’album « Another Green World » de Brian Eno - Tan n'est pas insensible à la musique, comme vous pourrez le constater plus tard. Mais puisqu'on est dans le vert, soulignons que LaneFortyfive pense écologie et développement durable.
Si l’environnement et l’écoresponsabilité sont au cœur des défis du secteur textile, on peine encore à distinguer la sincérité de la communication chez les acteurs de la mode. Tan, lui, a sa petite idée sur la question sur le greenwashing en cours :
« Le vêtement est une seconde peau. Cela doit non seulement être beau à regarder de l’extérieur mais aussi de l’intérieur. Il s’agit de notre peau, après tout. Bien sûr, tout le monde ne voit pas notre peau. Ce que l’on voit, ce sont juste les vêtements que l’on porte.
Cette seconde peau définit ta personnalité, ce que tu représentes. Si quelqu'un porte de la fourrure ou du cuir, cela a d'une manière ou d'une autre un coût environnemental. Mais pour autant, nous avons tous nos trucs, nos vices : nous devons équilibrer notre balance.
De mon côté, j’aime faire les choses lentement, parce que cela permet d’y passer plus de temps et de mieux les comprendre. Nous avons vu ces dernières décennies que se dépêcher n’était pas la réponse à tout. Qu’il s’agisse de vivre, d’aimer ou de faire des choses.
Tu as peut-être entendu parler de ce que beaucoup de thérapeutes et psychologues suggèrent aux gens qui traversent une phase difficile et qui a quelque chose à voir avec les muscles faciaux ? Si l’on n’est pas heureux, il suffit de s’asseoir quelque part et de faire semblant de sourire, cela tend à améliorer sensiblement l’humeur.
Je pense que même si beaucoup de marques essaient même temporairement d'être durables, cela entraînera peut-être un changement de la même manière. Il est beaucoup plus facile d’être durable lorsqu’on est une petite marque. Mais s’il s’agit d’une marque en activité depuis deux, trois ou quatre décennies, je peux comprendre qu’il soit difficile de devenir complètement durable de manière soudaine.
C’est beaucoup plus facile, pour une nouvelle marque, de démarrer de manière durable. Ou même pour une marque relativement récente de modifier son processus de production et d’apporter des petits changements. On ne peut pas être durable à 100% - c’est tout simplement impossible. Mais on peut choisir ses matériaux et en conscience utiliser de moins en moins de plastique.
Depuis des siècles, nous ne faisons que prendre sans rendre suffisamment en échange. Aussi je pense que c’est une bonne chose à compter de maintenant que de rendre ce que l’on prend, ou du moins d’essayer de minimiser les dommages que l’on peut faire à l’avenir. »
L'APPRENTISSAGE ET LA PHOTOGRAPHIE
Tan est du genre autodidacte. Il n'a donc pas suivi d'études ou de cours particuliers pour apprendre sur le vêtement ou la photographie. Son plus grand professeur : ce sont finalement ses propres erreurs. Il s'explique :
« Je n’ai jamais été très emballé à l’idée de m’asseoir dans une salle de classe et d’apprendre ainsi. Étonnamment, ma mère a été enseignante pendant 50 ans. Je n’étais pas vraiment fait pour cette manière très structurée d’apprendre les choses. J’apprends à ma manière. Cela inclut pas mal de ce que l’on pourrait appeler des « impuretés » et que j’appelle de mon côté « une signature naturelle de style ».
Les photographies que je prends sont très très loin du niveau professionnel. L’éclairage n’est pas parfait. Parfois, certaines personnes trouveront même que ce n’est pas très beau. Mais ça l’est pour moi. Alors je prends, et je le sors tel quel.
Je n’ai pas lu grand-chose au sujet de la prise de photo. En fait, la première fois que j’ai acheté un appareil photo, j’ai dû demander à un ami photographe ce que je devais acheter et comment les objectifs fonctionnaient. Il y a encore cinq ans, je ne savais même pas ce qu’était un objectif grand angle et ce qu’il fallait utiliser pour faire des portraits ou des gros plans !
J’ai simplement lu les bases, fait beaucoup d’erreurs et appris ainsi. Je pense que c’est la meilleure manière d’obtenir quelque chose de naturel. Il y a des jeunes qui ont étudié la photographie et peinent à se faire une place dans le milieu de la mode qui me demandent parfois des conseils.
Je ne peux pas : ce qui fonctionne pour moi pourra ne pas fonctionner avec quelqu’un d’autre. Je peux expliquer mon travail, mes intentions et peut-être que s’ils essaient de faire de même, cela leur permettra de trouver leur voie.
Mais selon moi, le meilleur conseil, c’est encore d’aller dehors, de prendre des photos comme vous ne l’avez encore jamais tenté. Si l’on fait toujours la même chose, rien ne changera vraiment. Pour obtenir quelque chose de différent, il faut faire les choses différemment et prendre des risques.»
LA MUSIQUE, L'INSPIRATION ET ALDOUS HARDING
C'est le fil conducteur de notre format Pochette : la musique. Elle n'est jamais très loin de LaneFortyfive. La preuve avec cette petite anecdote que nous glisse Tan, pour conclure :
« Il y a une musicienne que je suis depuis un moment, elle est néo-zélandaise et s’appelle Aldous Harding. J’ai échangé avec elle de temps en temps ces deux dernières années.
Elle n’est pas très bavarde et vous pourrez vous rendre compte de sa personnalité si vous lisez une de ses interviews. Elle est très mesurée lorsqu’il s’agit de parler. J’ai créé quelques pièces pour elle, que je lui ai envoyées. D’ordinaire, quand on envoie de jolis vêtements à quelqu’un, la personne revient vers toi très vite « j’adore les vêtements, ils sont très beaux » etc.
Dans le cas présent, Aldous Harding a bien reçu les vêtements puis il y a eu un silence d’environ deux mois. Puis elle m’a envoyé un message via Instagram qui disait juste « Merci ». Le temps me dira si elle portera les vêtements, si elle les aime ou pas.
Quand je lui ai proposé de lui faire des vêtements, elle m’avait donné ses mensurations et souhaitait me rémunérer pour mon travail. Je lui ai répondu qu’elle contribuait déjà : quand je travaille, sa musique m’accompagne, elle ne peut pas contribuer plus que cela. »