Disclaimer de Benoit : vous avez beaucoup aimé les récits de lecteurs de BonneGueule qui créent leur propre marque de vêtements. Après ceux d'Laperruque.
Très agréable à lire grâce à leur passé de blogueurs, je suis content qu'ils aient vraiment "joué le jeu" et de voir qu'ils sont rentrés dans les détails, que ce soit au niveau du financement et de ses contraintes, ou des réflexions sur le positionnement.
Depuis 10 ans, nous nous intéressons à la mode masculine à travers notre blog Redingote et suivons BonneGueule depuis ses tous débuts.
Nos histoires respectives ont évolué en parallèle et nos chemins se sont croisés à de nombreuses reprises (tant pour des projets professionnels que pour des happy hours).
Nous avons eu des parti-pris assez différents sur nos blogs respectifs, mais toujours avec des valeurs très proches.
Aujourd’hui, concrétisant ces années de curiosité et de passion pour la mode masculine et la maroquinerie, nous nous lançons à notre tour et créons notre propre marque.
Notre background : les origines des deux Robin
Robin Hureau, étudiant en droit reconverti en artisan
Assez étrangement, tout a commencé sur les bancs de la fac de droit d’Orléans. Les cours étaient super mais laissaient beaucoup de temps libre. L’idée d’un blog sur le vêtement masculin a commencé à poindre, un peu par hasard, sans réelle connaissance dans ce domaine.
Quelques semaines plus tard, après avoir découvert des dizaines de marques indépendantes, Redingote voyait le jour. Assez rapidement, le blog connaissait un petit succès car il n’y avait pas grand monde à l’époque. Je me suis passionné pour ce milieu où les marques indépendantes foisonnaient, où la qualité et la créativité stimulaient le curieux que j’avais toujours été.
De fil en aiguille (héhé), je me suis retrouvé vendeur chez FrenchTrotters à Paris, puis responsable de leur boutique rue de Charonne. J’ai ensuite assisté Nicolas Gabard chez Husbands et ai enchaîné avec un passage éclair en marketing chez Dymant, une start-up qui éditait des objets d’exception.
Ces expériences m'ont aidé à réaliser une chose : j'étais trop loin du produit. Je n’avais qu’une envie : celle de m’en rapprocher au maximum. Sur mon temps libre, j'ai donc commencé à bricoler seul, dans mon minuscule studio parisien, en regardant des vidéos sur Youtube et en dévalisant Amazon.
Très vite, le cuir et ses secrets ont tourné à l’obsession et je me suis retrouvé à collectionner cuirs, livres et outils, de manière presque maladive. Évidemment, je me suis servi de Redingote pour assouvir ma curiosité et aller rencontrer des gens qui avaient de l’or dans les mains : les artisans.
Célia Granger est la première à m'avoir accordé du temps pour une interview et, au fil de notre échange, je commençais à comprendre que son style de vie était exactement ce que je cherchais à construire : on y prenait le temps de faire les choses, de manière durable et à taille humaine. Sans forcément rêver d’acheter un yacht.
Après notre rencontre, les idées et les questions se sont bousculées pendant plusieurs semaines, mais une chose était sûre : je continuais de m’ennuyer au travail.
Un matin, elle m'a proposé de venir à l’atelier quelques heures par semaine pour me perfectionner et découvrir les vraies ficelles du savoir-faire. Le rêve devenait réalité...
Vous vous en doutez : il ne m’a pas fallu très longtemps pour me rendre compte que j’étais cent fois plus heureux les mains dans la colle, que derrière une caisse enregistreuse.
Ni une ni deux, j'ai décidé de tout plaquer pour passer un CAP “Sellerie/Maroquinerie”. Celui-ci accompagnait parfaitement ma licence de droit.
Robin Nozay, passionné de mode et de produit
De mon côté, c’est lorsque j’étais étudiant ingénieur en informatique que j’ai commencé à bloguer sur la mode masculine.
Après une première expérience professionnelle d’un an et demi dans la finance, l’ennui guettait...
J’ai alors décidé de tenter de vivre de ce qui me passionnait : la mode. J’ai donc repris les études, d’abord avec des cours du soir au London College of Fashion (pour tâter le terrain), puis avec un master à l’Institut Français de la Mode.
Passionné par la matière, j’ai d’abord fait du développement produit chez Frenchtrotters, puis Burberry. Je suis ensuite devenu acheteur mode homme pour le Printemps, suivi par un passage en tant que directeur marketing chez Balibaris.
Des expériences différentes qui ont avant tout été guidées par cette passion pour la mode masculine.
Le saut vers l’inconnu : se lancer en tant qu’indépendant (Robin Hureau)
Le besoin d'être indépendant
CAP en poche, je ne me voyais pas travailler à la chaîne chez Vuitton, Chanel ou même Hermès. Ce sont des maisons très prestigieuses mais elles sont trop grosses pour essayer des choses nouvelles, puisqu'on y est chronométré pour chaque opération.
En effet, la moindre technique doit y être validée par le “Bureau des méthodes” et, évidemment, l’artisan n’a aucun droit de regard sur le choix des cuirs ou des modèles.
La plupart des diplômés de ma formation y sont en poste et beaucoup n’y voient plus une passion, mais un travail alimentaire qu’ils oublient une fois le week-end arrivé.
C’est vite devenu évident pour moi : il fallait que je m’installe à mon compte, bien décidé à en découdre (héhé bis) avec les difficultés qui allaient se présenter.
"Qu'est-ce qui peut bien m'arriver de catastrophique ?"
Problème : comment démarrer sans revenu et sans capital, seulement armé de passion et de bonne volonté ?
Là, il a fallu compter les cartes que j’avais en main et garder en tête ce qui sonne comme un mantra pour beaucoup d’entrepreneurs : "Au pire, qu’est ce qu’il peut bien m’arriver de catastrophique ?"
Avant de chercher à démarrer l’activité, il fallait que je puisse continuer à vivre de manière décente, ce qui passe par plusieurs étapes :
- Réduire drastiquement mes dépenses : ça commence bien, pas de famille à charge ! Il me suffirait donc d’abandonner la bière (ouch), d’apprendre à cuisiner chez moi et d’inviter mes amis au lieu de sortir au resto, d’arrêter d’acheter des vêtements et de passer mes vacances à faire du vélo. Pour la question du loyer à Paris, la réponse était toute trouvée : je suivrais ma copine suédoise à Malmö, en Suède, où elle retournait faire ses études. Bien que le coût de la vie y soit identique qu’à Paris, les loyers y sont beaucoup moins élevés (tant pour les spacieux appartements que les locaux pouvant servir d’atelier).
- Trouver un revenu complémentaire : pas de chance... sur place, les jobs dans les cafés étaient pris d’assaut par les jeunes suédois. En alignant difficilement deux mots, je n’allais pas faire pâlir la concurrence. Le temps que j’apprenne les bases de la langue, je suis repassé par la case mode : une grande marque de prêt-à-porter féminin m'a sélectionné pour l’accompagner pendant de courtes missions de ventes en showroom. Job de rêve pour un porteur de projet : cela me permettait de dégager suffisamment de revenu pour passer du temps sur le développement de ce qui allait devenir Laperruque, et de temps pour perfectionner mon savoir-faire. Assez rapidement j’ai également trouvé le moyen d’enseigner la couture sellier en Suède.
- Tester l’activité de sellier/maroquinier : Pas de collection, pas d’atelier, c’est donc dans un coin de la cuisine que j'ai réalisé mes premières commandes sur-mesure, où le client (la famille, les amis et amis d’amis) pouvait tout choisir. Avec peu de moyens et beaucoup de contraintes, on devient très rapidement créatif ! On fait beaucoup d’expériences et les solutions fusent. Ravis, les premiers clients me permettaient de tester rapidement mon savoir-faire et de le pousser en avant, de me poser de bonnes questions et d'être toujours plus exigeant.
Heureux de vivre mon rêve (enfin) et de convaincre mes clients grâce à mes réalisations, je restais néanmoins lucide :
- Chaque objet réalisé me demandait beaucoup plus de temps que prévu par rapport à mes estimations prix. Qu'importe, seule la livraison et la satisfaction du client comptaient, donc à moi de travailler plus efficacement,
- Le client qui a besoin de sur-mesure est rare : il nécessite que celui-ci connaisse bien ses goûts et ait une idée très précise de l’objet qu’il souhaite avoir entre les mains.
- Trouver de la matière pour du sur-mesure est compliqué : les fournisseurs de cuirs haut de gamme, habitués à traiter avec de grosses entreprises, demandent des minimums qui ne sont pas compatibles avec la réalisation de pièces uniques. S’y plier impliquerait de constituer du stock, ce qui n’aurait pas été bon dans mon cas.
La nécessité de développer une collection qui réponde aux besoins d’un panel plus large pour développer l’activité s’est finalement imposée assez vite.
Le projet et la mise au point du concept
Nous avions envie de travailler ensemble sur un projet plus vaste que le blog - ce depuis longtemps - conscients qu'on avait de l'énergie à revendre.
À l'époque, “Faire de la perruque” ou “Travailler en perruque”, c’était travailler caché, en douce, dans un atelier. C’est une expression utilisée par les artisans ou les ouvriers pour désigner les objets fabriqués au nez et à la barbe de leurs employeurs, en utilisant les outils et les matières disponibles au sein de l’entreprise.
Finalement, c’est aussi ce qu’on faisait avec Redingote lorsque nous étions en poste : il nous arrivait de nourrir le blog pendant les pauses déjeuner ou même de rencontrer des designers pendant nos heures de travail.
On a donc commencé avec Laperruque et c’est resté. On s’est aussi rendu compte assez vite que le nom de la marque ne faisait pas le produit, alors on s’est vite concentrés sur l’essentiel 😉
Après tout, est-ce qu’une des plus belles réussites en ce moment ne s'appelle pas Acné ?
S'intéresser à son environnement pour mieux se lancer
Établir un constat sur le marché
Lorsque nous avons commencé à travailler sur Laperruque, nous ne nous retrouvions dans aucune marque de maroquinerie présente sur le marché. Nous avons fait plusieurs constats :
- Une offre milieu de gamme qui manquait de qualité et de finesse car surtout constituée de produits aux traitement bruts (cuir non doublé, coutures grossières, bords non finis...),
- Une offre impertinente qui pensait devoir réinventer la roue avec un positionnement “créateur”, et des produits aux formes souvent complexes et peu fonctionnelles,
- Une offre haut de gamme qui ne proposait plus de beaux cuirs : les marques de luxe, qui continuent à vendre des formes simples, se sont tournées massivement vers des cuirs embossés et traités comme le Saffiano. Ce type de cuir est plastifié et est ainsi protégé de l’eau, des marques, mais il perd tout ce qui en fait une matière vivante. C’est aussi un cuir qui coûte bien moins cher,
- Ses prix incohérents : les marques de luxe, même spécialistes de la maroquinerie, pratiquent des prix complètement décorrélées du niveau de qualité de leurs produits. En effet, cela fait bien longtemps que les accessoires servent à rendre le rêve accessible. Du coup, ils sont devenus une gigantesque source de revenus, ultra rentable, avec des marges bien supérieures à celles de la plupart de leurs autres produits.
Il y avait donc un boulevard pour une marque qui souhaitait réaliser des produits aux formes simples, fonctionnelles, dans les plus belles matières et à des prix enfin réalistes.
Les avantages de la maroquinerie
Nous avions sous la main un des meilleurs artisans du monde, mais au-delà de cela, la maroquinerie est un secteur qui présente de nombreux avantages :
- Un stock facile à gérer : les stocks ne prennent pas de place donc pas besoin d'entrepôts ni de réserves en points de vente.
- C’est un produit qu’il n’est pas nécessaire d’essayer : il se vend donc facilement sur internet.
- Il n’y a pas de taille. Contrairement aux vêtements (ou pire, aux chaussures), il n’y a qu’une taille par produit, limitant ainsi les investissements et les risques de se tromper dans les achats.
Connaître son produit
Se fixer des exigences
Une fois ce “trou” dans le marché identifié, cela nous a permis de dresser une liste d’exigences que les produits Laperruque devaient respecter. Nous les voulions :
- De qualité : en tant qu’amateurs, nous voulions que nos produits soient d’une qualité irréprochable. Une belle couture, une bonne finition, ce n’est pas forcément visible pour un oeil non-averti mais cela permet d’apporter ce je-ne-sais-quoi qui fera sortir le produit du lot.
- Simples et fonctionnels : nos expériences sont complémentaires, mais aucun d’entre nous n’a fait d’étude, ni n’a officié en tant que styliste ou designer. Nous pensons que c’est un véritable métier et que cela ne s’improvise pas, nous n’avons donc pas voulu prendre de parti-pris stylistiques forts sur nos produits. Nous voulions laisser la qualité parler. Comme le disait Le Corbusier, "la décoration sert souvent à détourner l’attention d’une piètre qualité". La simplicité était aussi pour nous un moyen de s’adresser à un public large sans être clivant.
- Au prix juste : nous voulions des produits qui restent accessibles en termes de prix. Nous souhaitions un produit abordable, qui puisse parler au plus grand nombre, aussi bien pour les amateurs que pour les puristes.
- Au branding discret : nous ne pensons pas que nos clients doivent être des panneaux publicitaires ambulants. Nous ne les payons pas pour cela. En tant que clients, nous fuyons tout ce qui a un logo trop visible donc nous n'en voulions aucun sur nos produits.
- Durables : en général, les porte-cartes et portefeuilles sont conservés de très nombreuses années, et sont utilisés tous les jours. Nos produits devaient donc bien vieillir et, comme un jean japonais, devenir de plus en plus beau avec le temps.
Faire les choix les plus judicieux possibles
Toutes ces exigences nous on permis de nous orienter dans le choix des cuirs, du savoir-faire que Robin utiliserait et des formes à réaliser :
- Cuir : nous avons décidé de travailler quelques cuirs qui sont parmi les plus beaux au monde. Notre ambition de durabilité et de patine nous ont fait nous orienter vers un cuir végétal naturel suédois, beige clair à l'achat mais qui va rapidement “bronzer” pour prendre une belle couleur caramel. Par ailleurs, nous travaillons le Novonappa et le Baranil, cuirs bien connus des puristes, qui ont un toucher exceptionnel et une patine magnifique bien qu'un peu plus lente.
- Style : nous sommes partis sur les formes archétypales de chaque type de produit. Notre unique parti-pris en termes de style a été de faire des bords arrondis (d’un rayon de 2cm), présents sur l’ensemble de nos produits. C’est discret, fonctionnel (cela facilite l’accès aux cartes) et esthétique.
- Savoir-faire : pour nous démarquer de l’offre “brute” de la concurrence, nous avons utilisé les savoir-faire traditionnels de la sellerie-maroquinerie française. Ainsi, tous nos produits sont doublés dans un cuir de chèvre français, le point sellier que nous utilisons est plus fin que celui utilisé habituellement, même dans le luxe, et les bords sont teints puis cirés à la cire d’abeille.
Comment choisir son business model ?
Les trois grandes catégories de nos jours
Aujourd’hui, on peut distinguer sur notre niveau de gamme plusieurs grands business models :
- Le business model “classique” : la marque achète les matières, fait réaliser les produits par un atelier externe puis les distribue au sein de multimarques tiers. Les multimarques prennent en charge une partie du travail de communication de la marque, en plus de la distribution.
- Le business model “direct to consumer”, très en vogue en ce moment. C’est notamment celui de BonneGueule, d’Everlane, ou d’Atelier Particulier : la marque continue à travailler avec un atelier externe pour la réalisation des produits, mais contrôle toute la distribution (via un site internet et/ou un réseau de boutiques). Toute la difficulté ici est de parvenir à se faire connaître, ce qui implique des dépenses supplémentaires.
- Le business model “intégré verticalement” : c’est le cas des marques de luxe aujourd’hui, qui souvent contrôlent aussi bien la fabrication que la distribution des produits. Elles remontent de plus en plus dans la chaîne d’approvisionnement et vont même jusqu'à acheter des tanneries voire des élevages pour contrôler toutes les étapes. Cela nécessite de savoir gérer de nombreux métiers différents (d’industriel à commerçant …), mais permet un contrôle optimal sur le produit, son image, et la manière dont il est vendu.
Des intermédiaires limités
Il nous fallait sélectionner un business model qui soit cohérent avec nos contraintes et nos forces : aucun budget, un artisan au taquet prêt à faire tourner les aiguilles, une bonne connaissance des métiers de la distribution, quelques restes d’informatique nous permettant de faire un site web.
Nous avons donc finalement opté pour un modèle mixant la distribution en propre (à marge pleine) et la distribution via un réseau de multimarques (beaucoup moins rentable). Notre objectif : maîtriser un équilibre sain entre ces deux modes de distribution.
Notre avantage compétitif, celui de maîtriser notre atelier, nous permet donc de vendre en propre aussi bien qu’en distribution tierce, tout en pratiquant les prix du direct-to-consumer.
En effet, et c’est là notre force, nous limitons les intermédiaire en amont de la chaîne de valeur.
Cependant, cela implique une grosse contrainte que nous rencontrons très vite : embauches et formations d’artisans, gestion des cadences de production, régulation de la production tout au long de l’année...
L'étape suivante : construire son image
Lorsqu’on est pragmatique et intéressé avant tout par le produit, on a se focalise sur celui-ci. En tant qu’amateurs, nous voulions être irréprochables sur notre produit, qui est pour nous la base sans laquelle rien ne peut exister.
Cependant, nous sommes aussi très sensibles à une “belle marque”, c’est-à-dire à une marque qui a une image léchée, qui réalise de belles photos ou de beaux films pour présenter son produit, qui raconte son histoire et inspire.
Force est de constater que pour atteindre un public plus large, il faut être “cool” et “sexy”. Nous souhaitions donc avoir une image contemporaine, mettant en avant les savoir-faire traditionnels de Robin.
Nous souhaitions aussi que l’ensemble de notre clientèle puisse se reconnaître dans cette image. Tout comme nos produits sont fonctionnels et simples, nous ne voulions pas présenter une image fantasmée complètement décalée de la réalité. Il suffirait juste de réaliser cela d’une manière esthétique et contemporaine.
Exit donc tous les visuels vus et revus pratiqués par beaucoup de marques de maroquinerie : le vieil artisan (un acteur), qui travaille à la lueur d’une bougie pour un client (un mannequin), qui va utiliser son porte-document en fumant un cigare avant de partir en virée dans sa voiture vintage décapotable (louée pour le shooting).
Dans la vraie vie, on laisse son porte-feuille traîner dans sa poche ou sur sa table basse, à côté de ses cigarettes ou de ses clés. On le sort au marché, au café, au travail. C’est vraiment quelque chose d’universel.
Dernière ligne droite avant de lancer la marque
Pour lancer Laperruque, il nous fallait des produits finis, un site internet qui donne envie et de belles photos de ces produits.
Le développement produit
Le développement produit au sein des marques de prêt-à-porter ou d’accessoires suit presque toujours le même processus, que nous avons donc appliqué à notre situation :
- Création du plan de collection : la première étape consiste à décider de quels produits nous aurions besoin pour notre première collection.
- Prototypage : Robin a ensuite réalisé des propositions de forme pour chacun de ces produits, à partir de chutes de cuir afin que cela ne nous coûte pas un bras (Robin ayant besoin des deux pour coudre 😉 ).
- Aller-retours : les choses les plus complexes à réaliser sont souvent les plus simples d’apparence. Lorsque Robin (Nozay) recevait les prototypes à Paris, nous nous appelions sur Skype afin de réfléchir ensemble à la manière dont ce prototype pouvait être amélioré. Robin (Hureau) prenait ensuite en compte ces remarques pour monter un second prototype, puis un troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que le produit paraisse parfait. On sait qu’on a le bon produit lorsque celui-ci paraît normal, naturel, évident. C’est difficile à décrire mais il se passe vraiment quelque chose, il suffit parfois d’ajouter quelques millimètres pour qu’une pièce devienne soudainement juste, comme si sa forme tombait sous le sens.
- Échantillonnage : une fois les formes validées, Robin réalise un échantillon de chaque modèle dans chaque cuir sélectionné, afin que nous puissions apprécier le rendu du produit fini. C’est ensuite ces échantillons qui sont présentés lors des salons professionnels et pris en photo pour notre site de vente en ligne.
Nous avons donc pu réaliser 5 produits en temps et en heure pour notre lancement, avant les fêtes de noël.
Le site web, ou comment mettre les mains dans le cambouis
N’ayant pas le budget pour faire réaliser un site web, et Robin ayant encore quelques notions issues de son diplôme d’ingénieur en informatique, nous avons décidé de passer par un CMS , et de le “customiser” pour que le rendu nous plaise.
Nous avons opté pour Tictail, une solution suédoise très simple d’utilisation, en utilisant un thème basique, qui faisait la part belle aux photos des produits. Il a ensuite fallu mettre les mains dans le cambouis et modifier le code CSS pour faire quelque-chose d’unique.
Faire les bonnes photos
Notre site étant ultra-minimaliste, il nous fallait de belles images de nos produits. Des images descriptives (qu’on appelle packshots) mais aussi des images plus inspirantes présentant les produits en situation, ce qui est finalement devenu notre premier “lookbook”.
Les packshots
Au début, nous pensions réaliser ces prises de vue sur des matières texturées, marbre, béton, bois... Nous avons donc fait des essais avec quelques pièces de maroquinerie que nous avions sous la main.
Le rendu était assez satisfaisant, mais présentait de nombreux problèmes :
- Les textures « écrasaient » le produit et détournaient l’attention loin de celui-ci.
- La réalisation était complexe car les textures étaient assez difficiles à trouver. Il n’était pas évident non plus de contrôler la lumière pour avoir un rendu cohérent entre les photos.
Nous sommes ensuite allés dans une boutique d'équipement en beaux-arts pour acquérir de belles feuilles de papier Canson, avec des couleurs qu’on jugeait dans l'air du temps, afin de les essayer comme fonds des photos. Nous avons pu les essayer sur les produits que Robin réalisait alors pour nos amis et amis d’amis.
Le résultat rendait vraiment bien, donc nous avons décidé de réaliser tous nos packshots de cette manière.
Il ne restait plus qu’à photographier nos 20 produits sous toutes les coutures (héhé n°3) et à tout retoucher afin que les images soient suffisamment lumineuses, les couleurs absolument identiques à celles pièces.
La création du lookbook : donner vie aux produits
Il nous fallait aussi des photos des produits en situation.
Robin Nozay avait l'habitude de prendre beaucoup de photos de vacances en utilisant un vieil appareil argentique. En rentrant d’un court séjour de travail dans le sud, il devait terminer une pellicule et un porte-cartes trainait dans la voiture. Un joli rayon de soleil de fin de journée tombait dessus. Il a pris deux photos, juste pour voir.
Après développement, la photo n’était pas exceptionnelle mais le grain, et son ancrage dans une situation quotidienne, nous ont séduits. Nous avons donc décidé d’explorer cette piste.
Nous ne voulions surtout pas avoir l'univers léché de la plupart des marques d'accessoires. Nous avons été beaucoup influencés par un magazine de déco que nous aimons bien, Apartamento.
Ce magazine a la particularité de prendre des photos chez des personnalités (un peu comme The Selby ou Freunde von Freunden) sans que les appartements ne soient trop préparés. Nous aimions le côté spontané de ces clichés.
Robin a donc fait quelques essais chez lui avec certains de ses porte-feuilles, juste pour voir :
On trouvait que ces photos rendaient bien mais que leur univers méritait d'être plus contrôlé. Il nous fallait aussi des mannequins, des personnes qui utiliseraient les produits et pourraient incarner la marque.
Nous avons finalement décidé d’aller rendre visite à des amis, et avons pris des photos de nos produits en situation dans leur appartement.
Cela a donné de super résultats, nous avions un lookbook dont voici quelques photos :
Le lancement, le financement, et la suite...
Un lancement au bon moment
Le site était prêt pile à temps. Il a été lancé mi-novembre, à point nommé pour la période des fêtes de fin d’année.
Les résultats étaient assez positifs, boostés par des commandes de nos proches. Nous pensions que le soufflet allait retomber et que les commandes s'arrêteraient nettes en janvier, une fois passé le réveillon et à l'approche des soldes.
À l'inverse, aidées par le bouche-à-oreille et les articles de blogs qui ont parlé de nous, les ventes ont continué voire augmenté. Fin février, nous n’étions pas loin du point de rupture : notre investissement initial (certes minime) était presque remboursé, et nous devions réinvestir cette somme pour acheter de nouvelles peaux.
L'officialisation et le financement
Nous avons donc décidé de passer à l’étape suivante : nous associer et monter une SAS. En effet, la marque fonctionnait jusqu’ici sous le statut auto-entrepreneur de Robin.
L’occasion de mettre noir sur blanc tout ce que nous n’avions pas eu le plaisir de faire jusqu’ici : un business plan, une stratégie de développement, un plan de trésorerie, des bilans prévisionnels…
Ce fut aussi l’occasion de réaliser que nous allions avoir besoin de financements, nos apports respectifs nous ayant seulement permis d’acheter les cuirs, un packaging rudimentaire et de développer nos produits. Pour nous développer, nous avions besoin d’argent au moins pour :
- Combler notre besoin en fond de roulement : les commandes des boutiques ayant lieues 6 mois avant leur facturation, il faut donc avancer les coûts de développement des collections et de production.
- Investir dans des outils et machines : jusqu'à présent, aucune machine n’intervient dans la réalisation de nos produits mais nos prix ont été calculés pour des produits réalisés avec l’aide d’une presse, d’une pareuse et d’une piqueuse sellier.
Nous avions deux pistes pour nous constituer un capital de départ : le crowdfunding et une éventuelle levée de fond.
Le crowdfunding a l’avantage de ne pas diluer notre participation dans l’entreprise et de créer une dynamique de communauté autour de notre projet. C’est donc la solution que nous avons envisagé en premier lieu.
Le crowdfunding
Après avoir vu les (très bon) résultats des marques comme Gustin aux USA ou Atelier Particulier et Asphalte en France, nous nous sommes dit que nous pourrions proposer nos produits ainsi que des nouveautés avec une petite réduction aux personnes souhaitant nous filer un coup de main.
Un crowdfunding est un vrai projet : il faut développer du contenu spécialement pour celui-ci, et l’animer tout au long de la campagne.
Pour le rendre encore plus attractif, nous avons souhaité y proposer certains de nos futurs produits, dont la sortie n’était prévue que pour l'été suivant.
Nous avons eu la chance d’avoir un ami monteur pour des marques créateurs, lequel a parfaitement compris notre histoire et réalisé pour nous une vidéo de présentation de notre projet :
Une des clés d’un projet de financement participatif réussi est la communication. Nous avons donc approché plusieurs médias afin de communiquer dessus, et c’est à ce moment là que Geoffrey et Benoit nous ont proposé de rédiger cet article afin de faire profiter la communauté BonneGueule de notre expérience. Un exercice difficile mais que nous espérons réussi !
Vous pouvez jeter un oeil à notre campagne ici, n’hésitez surtout pas à nous aider !
NDLR : Si la notion de crowdfunding vous intéresse, nous vous invitons à (re)lire notre article sur le sujet.
Et pour la suite...
Après cette étape de financement, de nombreuses aventures nous attendent :
- Acheter des machines d’occasion à Paris pour les amener à Malmö, probablement avec une camionnette de location. On en profitera pour importer en France, sur notre trajet retour, de beaux meubles suédois vintage pour nos amis.
- Réaliser l’ensemble de la production des commandes du financement participatif.
- Développer notre collection Printemps-Été 2018 et la présenter sur un salon professionnel en juin.
- Prendre l’ensemble des photos de notre collection Automne-Hiver 2017 et la mettre en ligne pour mi-août.
- Développer un nouveau packaging plus cohérent avec notre marque et nos produits.
- Développer un nouveau site web plus personnalisé.
- Faire un premier essai de distribution physique avec un pop-up shop pour les fêtes.
On ne risque pas de s’ennuyer ! En attendant, nous vous invitons à visiter notre page de notre crowdfunding.
Et vous, avez-vous déjà effectué une reconversion ? Quelles ont été vos galères et vos grands moments ? Racontez-nous ça dans les commentaires !