Récemment, un lecteur m'a confié vouloir acquérir un manteau d'une bonne marque pour lequel il a vraiment eu un coup de coeur. Mais le prix lui paraissait élevé alors que les boutons étaient en plastique... Je lui ai conseillé d'essayer la pièce, pour voir.
Il m'a fait son retour : la pièce est belle, et elle lui va vraiment bien. Mais elle ne tombe pas juste sur la cassure de l'épaule, comme on l'explique dans les règles de l'art.
Oui, la marque en question taille large sur certaines pièces car elle possède une vraie influence streetwear. Mais surtout, si la pièce lui va bien, pourquoi se poser cette question ?
Je pense m'être retrouvé face à un cas typique d'overthink.
Chez BonneGueule, l’overthink est ce moment où vous pensez trop. Vous vous prenez la tête sur des détails qui vous apparaissent de plus en plus importants à mesure qu’ils occupent votre esprit.
Quand vous vous demandez si vous réfléchissez trop, c'est qu'il est déjà trop tard !
Certaines personnes prennent ce genre de questions très au sérieux, et j'ai été surpris de voir que ça pouvait parfois devenir vraiment anxiogène. Il est donc temps de faire un peu de ménage avec tout ça !
L'overthink : d'où ça vient ?
L'overthink, d'après ce que j'ai pu conclure, vient principalement de deux choses :
- un manque d'essayages de vêtements sans acheter,
- une tentative de rationalisation extrême.
Pourquoi est-ce si important d'essayer sans acheter ? Tout simplement parce que la plupart du temps, cela répond à vos questions de manière concrète.
C'est en essayant une paire de bottines que vous verrez si le style vous plaît. C'est en essayant deux mailles de couleurs différentes que vous verrez laquelle vous va le mieux (et vous plaît le plus). Alors, essayez, essayez, et essayez encore !
De ce fait, quand un débutant n'a pas d'éléments de réponse concrets (issus d'essayages), eh bien il essaye de les trouver en rationalisant à l'extrême.
S'habiller doit rester avant tout un plaisir
Certes, ça fait un peu phrase bateau dit comme ça, mais c'est tellement vrai qu'il est obligatoire de le rappeler.
N'oubliez jamais ce que j'ai beaucoup évoqué :
La mode masculine n’est pas faite pour se prendre la tête.
Encadrez cette phrase et accrochez-la sur la porte de votre penderie.
Si jamais vous avez des doutes trop présents dans votre manière d’aborder la mode masculine, c’est que vous faites fausse route. En d’autres termes, n’entretenez pas de questions sans réponses !
Si composer une tenue n’est pas un plaisir pour vous, que cela devient même une source d’angoisse et de questions existentielles, il y a clairement quelque chose qui ne va pas.
Alors faites-moi une faveur, obstinez-vous à ce que chaque instant au contact d’un vêtement inclut du plaisir. Rien que cela vous éloignera à tout jamais de l’overthink !
Sortir d'une vision trop théorique et éloignée du réel
Je vais prendre un cas concret, arrivant souvent lorsqu'on lit beaucoup d'articles précis et pointus.
Vous voulez choisir une paire de chaussures et vous avez lu tout un tas de choses sur les différents montages de souliers, les coutures, la qualité du cuir, etc.
Problème : arrivés en boutique, vous vous apercevez que le montage est très propre, que les coutures sont bonnes mais sans plus. Alors que vous avez appris qu’elles devaient être très fines et régulières dans le cas optimal.
Et là, vous voyez que le cuir a une toute petite imperfection alors que vous avez lu qu’il devait être parfaitement uniforme. Vous vous dites alors :
"Je les prends ou pas ? D'un côté, elles ont l'air super, mais de l'autre... Ce petit pli... Et là, cette couture est un peu grossière..."
Voilà, vous voici en plein overthink.
En fait, le problème des connaissances théoriques pointues, c’est qu’elles vous donnent (à tort) une vision de la mode masculine utopique et aseptisée, où la moindre imperfection est décevante et doit être bannie.
Je vois venir votre réponse :
Mais dites, ce n'est pas vous qui nous parlez tout le temps de qualité des matières, de la confection, et qui voulez nous transmettre le goût des choses bien faites ? C'est un peu comme dire une chose et son contraire là, non ?
Absolument pas ! Nous ne sommes pas non plus en train de vous dire "un beau cuir lisse et uniforme, c'est inintéressant, achetez du cheap", ou "il ne faut pas vous soucier d'une confection bancale".
Le but est surtout de vous faire relativiser en vous rappelant qu'un choix se fait aussi par rapport à des éléments contextuels, subjectifs. Des éléments qui répondent aux besoins et envies de chacun, et pas seulement à une "valeur absolue".
Exemple : vous voulez une paire qui s'insèrerait très bien dans un look un peu baroudeur, qui ait un aspect brut, voire même un peu abimé... Eh bien, dans ce cas précis, un cuir d'un peu moins bonne qualité , avec une "patine d'usure", fera vraiment bien le boulot.
Et la bonne nouvelle, c'est que c'est (normalement) moins cher que le genre de "cuir parfait" auquel vous pensiez. Si elle présente en plus un parti-pris créatif sympa, difficile à trouver chez une marque qui fait du soulier "classique", et que ça vous semble costaud, pourquoi vous prendre la tête ?
Est-ce que vous avez vraiment besoin que la marque ait utilisé un veau pleine fleur de premier choix, au tannage végétal lisse et parfait, pour ensuite le poncer, le salir et lui donner un aspect finalement usé ?
Ou encore d'avoir forcément des coutures parfaitement droites, resserrées et alignées sur une paire que vous voulez de toute façon porter avec des vêtements complètement casual ?
Je crois bien que non !
Cette vision très lisse des vêtements entre en décalage avec une réalité qui comprend des aspérités, des nuances et oui, parfois quelques plis.
Overthink et pièces haut de gamme : le pouvoir des photos
Faites bien attention : une photo peut être trompeuse sur la texture, les proportions, la coupe ou la matière. On peut avoir l’impression qu’un manteau a du volume dans le dos alors que ce n’est pas le cas. Et n’oubliez pas qu’un vêtement, ça bouge ! Il suit les mouvements de son porteur et ça, on ne le voit pas sur une photo.
Dans la pratique, on ne doit pas chercher le zéro plis. Ce n’est pas parce qu’une veste n’est pas la mieux cintrée au monde qu’elle est mauvaise.
Entendons-nous bien, il existe effectivement des vestes avec zéro plis ; des chaussures parfaitement moulées à vos pieds ; des chemises coupées selon vos exigences les plus spécifiques, avec boutons en nacre de première qualité, coutures extrêmement fines et des points très resserrés... Ça s’appelle le sur-mesure de luxe et ça coûte très cher. Là, vous pouvez vous permettre d’être aussi exigeants.
Sinon, ne vous enfermez pas dans une vision aseptisée et parfaite de la mode masculine car c’est un insidieux chemin vers l’overthink.
Les cas classiques d'overthink
Certes, certes. Pourtant, quand on veut apprendre à trouver son style, il y a quand même des choses indispensables à connaître, non ? Quelle est la limite entre connaissances indispensables et overthink ?
Bonne question !
Depuis deux ans, je tiens le rôle de Responsable de la Communauté chez BonneGueule, et je réponds à toutes vos questions de style et de shopping.
Et pour vous répondre concrètement, je vous donc propose de passer en détail certains cas les plus récurrents où l'overthink bat son plein. J'espère que ça vous permettra de prendre du recul sur ces questions précises.
Faire du rapport qualité / prix une obsession
Je pense que c'est le cas qu'on voit le plus chaque jour : chercher coûte que coûte le meilleur rapport qualité/prix possible ! L'erreur ? Oublier qu'on achète aussi une coupe, un style et qu'il y a d'autres types de valeur ajoutée sur une pièce.
J'ai parfois l'impression qu'agir ainsi revient à chercher la meilleure affaire possible en oubliant ce qu'on aime vraiment.
Certains vont même jusqu'à calculer "le coût d'une pièce par nombre de ports" en estimant sa durée de vie . Sur le principe, c'est bien de vous soucier de la durabilité des pièces. C'est même quelque chose qu'on défend vivement sur BonneGueule et qu'on a rationalisé ainsi dans certains articles.
Mais dans la pratique, n'est-ce pas plus pertinent de poser des questions simples telles que : "ce jean Naked & Famous, un peu plus cher que ceux que je possède, vaut-il le coup ?" ; "est-ce que je vais le porter assez souvent ?" ; "va-t-il me durer plus longtemps ?" ; "est-ce que j'ai le budget pour ?" et "est-ce qu'il me fait suffisamment envie ?".
À ce propos, si vraiment vous vouliez faire un choix 100% rationnel quoi qu'il arrive, la véritable équation ne serait pas "rapport qualité / prix" mais... Rapport qualité / prix / style ! Et il se trouve que le beau, le plaisir, c'est en grande partie subjectif, et non quantifiable...
Cette composante "style" est rarement le point fort des marques qui concentrent tout leur argumentaire de vente sur des très petits prix pour une super qualité, notamment pour ce qui est de pouvoir varier les designs : leur modèle économique repose sur le fait de pouvoir décliner la même pièce très "passe-partout".
Il est donc compliqué de rester constamment dans cette approche si vous voulez un jour porter autre chose que les basiques les plus simples.
Si vous ne deviez retenir qu'une chose de ce que je viens de vous dire : n'oubliez pas qu'à la fin, vous ne portez pas un rapport qualité / prix mais bien un vêtement. Une pièce qui a aussi un style, un contexte, un usage et un tas d'autres raisons d'être achetée, que d'être simple "la bonne affaire ultime".
Vouloir à tout prix accorder les couleurs entre elles
Point très important : ne sur-intellectualisez pas l’assemblage des couleurs.
Pour réellement "mal assembler" les couleurs, il faut deux choses :
- Le vouloir : en général, vous savez très bien quand vous êtes sur des couleurs pétantes, sans trop chercher à les équilibrer. Allez, avouez-le, vous avez voulu délirer un peu (et c'est bien aussi !), en sachant très bien qu'il y avait un risque d'erreur... Autre chose : vous êtes entièrement habillés en basiques gris foncé, bleu sombre, noirs, marron foncé, sans jouer sur les textures ou les volumes, sans trop réfléchir... Vous ne serez pas vraiment étonnés que votre tenue soit finalement très terne.
- Avoir des pièces très bas de gamme : vous remarquerez vite que prendre le parti des couleurs originales, tout comme celui des plus strictes, passe beaucoup plus facilement avec une qualité de matière, un design et une coupe au top. Alors qu'avec une pièce cheap, vous aurez l'air clownesque ou triste.
À moins de taper dans ce genre de pièces, vous avez bien peu de chances de vous tromper. Prenez-le plutôt dans le sens inverse : vous pouvez jouer sur l'assortiment des couleurs, vous en amuser, mais vous ne devez pas en faire une règle.
A vrai dire, si vous vous prenez trop la tête, le plus gros risque serait de chercher la complexité à tout prix, le "mieux" jusqu'à vouloir tout assortir, faire des rappels de couleurs partout dans sa tenue... Et bien souvent, le rendu est étrange et peu naturel.
Surtout si on parle d'accessoires. Il n'y a rien de pire que de vouloir tous les accorder entre eux : le bonnet de la même couleur que l'écharpe et, tant qu'à faire, de vos chaussettes ET de vos gants. Ou encore, vouloir absolument des bracelets accordés aux lacets des chaussures...
Retenez une chose concernant les accessoires : la spontanéité est de rigueur. Trouver de petits rappels de couleur, c'est bien. En faire quelque chose de forcé et mécanique, c'est trop.
Pour paraphraser Hugo Jacomet, notre confrère fondateur du blog Parisian Gentleman :
Ce genre de démarche attire le regard non pas sur votre personne, ou votre style, mais sur vos efforts pour paraître élégant.
Avoir peur de l'image qu'on renvoie
Là, on entre dans quelque chose de plus profond mais très fréquent. J'ai entendu beaucoup de gens me dire qu'ils aimeraient avoir leur propre style, original et bien à eux. Mais à côté, avoir peur que ça fasse "trop riche" ; "trop soigné" ; "trop féminin" ; "trop sobre"...
Parfois, on a tellement peur de l'image qu'on renvoie que l'on n'arrive pas à prendre de partis. À accepter qu'un style "fort" - du moins, qui nous ressemble - va nécessairement polariser et ne pourra pas plaire à tout le monde.
Il faut apprendre ici à faire la différence entre un style complètement absurde et une approche un peu différenciante qui plaira ou non, mais qui ne sera pas choquante comme un homme en slip kangourou, avec un chapeau haut de forme et des chaussures de randonnée.
Vous ne pouvez pas vous demander ce qu'une pièce sous-entend chaque fois que vous en voyez une nouvelle. Demandez-vous plutôt si vous l'aimez bien et si elle correspond à votre style, à vos envies.
Trop se concentrer sur la longueur des pièces et les éventuels plis
Dernier cas classique de l'overthink : la longueur des manches, la longueur d'une chemise, la longueur d'un pantalon... et les plis parfois visibles !
Je reçois souvent des mails de lecteurs qui me disent avoir repéré un bon jean, avec des poches arrière bien dessinées, des cuisses impeccables, une belle toile, mais qui ne l'ont pas acheté à cause du pli sous la poche arrière. Je ne sais pas si vous vous rendez compte : ne pas acheter un beau jean uniquement à cause d'un malheureux pli !
Alors désolé d'en décevoir certains, mais ce pli est parfaitement normal et naturel. J'ai déjà dit que le "zéro pli", c'était comme le risque zéro : ça n'existe pas et ça n'existera jamais.
Ah, attendez, on me dit dans l'oreillette que le zéro pli sur un pantalon existerait... Cela s'appellerait un legging et on le trouverait plutôt chez la femme, avec minimum 5% d'élasthane. 😉
De même pour les vestes : une veste cintrée n'est pas ajustée partout, notamment au niveau de la poitrine. Si c'était le cas, elle serait inconfortable et vous limiterait dans vos mouvements.
Enfin, ne vous prenez pas trop la tête sur les longueurs : manches, pantalons, etc. Ce sont des points auxquels vous devez faire attention, mais toujours dans une certaine mesure.
Exemple : si vous êtes très grand et que la manche de votre pull arrive 1 centimètre au-dessus de l'os de votre poignet, respirez un bon coup... et acceptez-le.
C'est de la maille. Ça bouge. C'est extensible. Certains la portent même retroussée jusqu'aux coudes. Pas de panique.
À l'inverse, même philosophie si vous êtes petits ! Trois centimètres d'excès aux manches qui forment un petit pli en trop, une chemise qui s'arrête un peu plus loin que "précisément à mi-fesses"... Ce n'est pas grave. Je vous le dis du haut de mes 1m72 du fond du coeur. Et puis dans le pire des cas, la plupart de ces pièces peuvent être retouchées.
À ce propos, vous me demandez souvent à quelle longueur vous devriez idéalement retoucher votre pantalon...
En général, je vous réponds que la longueur "standard" correspond à un tombé "net", sans cassure par excès de matière, ni chevilles découvertes mais... tant qu'on ne commence pas à voir vos mollets, ou que votre pantalon ne forme pas un accordéon à la cheville, il y a peu de chances que vous vous trompiez !
Faites-vous confiance. Demandez-vous ce qui vous plairait le plus, ce qui vous semble le plus agréable pour votre silhouette.
Comment remédier à l'overthink de manière générale ?
Trouvez la réponse par le concret : essayer des vêtements
Engagez-vous à ce que chaque sortie en boutique soit un moment de détente et de découvertes, mais faites-le vraiment.
Amusez-vous à essayer de nouvelles pièces sans les acheter, à découvrir de nouvelles coupes, de nouveaux tissus et de nouvelles teintes, au lieu d'intellectualiser à outrance en vous demandant systématiquement si cette pièce est "bonne" ou "mauvaise" .
Ne cherchez pas systématiquement la réponse théorique, passez plutôt à la pratique !
Cela passe donc par des essayages, chez vous et en cabine. Si vous n’êtes pas sûrs d’un assemblage de couleurs, essayez-le ! Si vous n’avez pas d’idée pour assortir votre cardigan, essayez-le avec le premier vêtement qui vous tombe sous la main !
L’overthink, c'est se poser plein de questions qui n'ont pas lieu d'être pour se rassurer. Or pour se rassurer, il n'y a qu'un seul moyen : ESSAYEZ !
Prenez des risques
Vous savez que certains de vos vêtements vont bien ensemble. Vous savez que d’autres ne s’assemblent pas du tout. Et il y a une troisième catégorie, ceux qui sont en « zone grise » : vous ne savez pas et vous doutez devant votre miroir.
Il n’y a qu’une seule solution pour être fixés : porter la tenue pendant une journée entière et se faire un avis ensuite. Eh oui, il suffit parfois de recevoir quelques compliments pour se rendre compte qu’on nageait dans l’overthink.
Et n’oubliez pas, si c’était vraiment si moche que ça, votre instinct de survie vous aurait empêché de sortir de chez vous.
D'autant qu'avec une base de vêtements choisis à peu près correctement, les risques ne sont pas si grands que ça. Au pire, vous serez habillés de manière fade, mais rarement choquante.
Savoir assembler ses vêtements vient avec le temps et la pratique, donc pratiquez !
Une dernière chose...
Parmi les hommes les plus stylés que je connaisse, il y en a pas mal qui se fichent éperdument de la règle des trois couleurs ou de l’épaisseur de la semelle de leurs sneakers.
Si le style est lié à une vraie maîtrise des codes et règles de l’élégance masculine, il peut être a contrario un vrai mélange d’audace, de négligence, de créativité et de spontanéité. Je dis ça juste en passant... mais réfléchissez-y un peu !
L’overthink disparaît d’autant plus vite que vos goûts s’affirment.
Et faites-moi plaisir, quand vous vous posez une question, essayez de trouver votre réponse par l'essayage. S'il y a bien une chose que je veux que vous reteniez, c'est définitivement la réponse par la pratique !
Si jamais cet article a fait naître tout un tas de nouvelles questions en vous, ce n'est pas grave : posez-les nous en commentaires !