Enfin l'été ! Petite tradition personnelle, lors de cette saison, je délaisse mes montres classiques et mes chronographes habillés : elles entrent en estivation .
Alors, durant les mois d’été, par quoi remplacer sa montre classique ? Un poignet nu ? Quelques bracelets ? Vous devez vous en douter, vous connaissez nos sélections de montres de plongée. Pour moi, c’est systématique, chaque été, une plongeuse vient m’accompagner, invariablement, à la plage ou en ville, à la campagne ou sur un bateau. Et cela tombe bien, un ancien modèle avec une belle histoire fait son retour via une collaboration qui a attiré mon attention.
Jacques Bianchi et la Marine Nationale
Ces dernières années, le thème de la Marine Nationale est très en vogue+ que cela soit à travers les bracelets ou les montres avec des cotes de modèles vintage ayant équipé la Marine Nationale qui ont littéralement décollés.
L’un des exemples les plus marquants fut la dotation en Tudor Submariner pour certaines unités de la Royale et notamment les commandos marine. Pour autant, bien que régulièrement mises en avant, les Tudor Submariner ne bénéficiaient pas d’un monopole. Quelques rares marques ont également doté la Royale et c’était le cas de Jacques Bianchi.
Qui est Jacques Bianchi ?
Jacques Bianchi est avant tout un fameux horloger indépendant disposant d’un atelier à Marseille, il est une figure marquante de l'horlogerie de la cité phocéenne. Il intervient évidemment beaucoup sur la réparation/révision/restauration des montres mais pas uniquement.
Ce personnage haut en couleur a connu, fourni ou réparé des montres de célèbres marins comme le Commandant Cousteau ou le plongeur apnéiste Jacques Mayol. Il a également conçu certains prototypes et des montres pour la Marine Nationale dont la JB 200, dont nous allons parler aujourd’hui.
En 1982, la Marine Nationale basée à Toulon commande plusieurs lots de la JB 200 pour en doter certaines de ses unités comme l’École de Plongée entre autres ou pour certains membres du Groupement des Plongeurs Démineurs ou des plongeurs hélico.
L’importance cruciale d’un bon storytelling
Je peux vous confier qu’après avoir lu des communiqués de presse ou passé en revue des sites de marques horlogères, le niveau de contenu est limité. La qualité est souvent faible et vous retrouverez souvent les mêmes mots clefs ou les poncifs du genre « montre iconique », « intemporelle », « ADN de la marque ». Je vais être clair : c’est du charabia qui ne veut strictement rien dire, ces termes ont été vidés de toute leur substance.
Le vrai problème pour beaucoup de marques c’est le travail de fond et de recherche qui est souvent absent. Et pourtant… C’est peut-être le point le plus essentiel d’une bonne communication. La plupart des marques ont de belles histoires intéressantes à raconter.
Faut-il vouloir faire l’effort de les connaître et aussi de savoir les raconter et avoir – sagement – conservé ses archives au lieu de les envoyer à la décharge parce que l’entreprise voulait faire quelques petites économies dans la gestion de ses stocks. Cela paraît invraisemblable mais c’est la réalité de beaucoup de marques et même parmi les plus prestigieuses, notamment dans les années 80 et 90 à l’époque où il y a eu un grand ménage avec la mise au rebut de nombreuses archives. Le constat est sans appel : certaines marques se sont tirées une balle dans le pied pour réaliser des économies de bouts de chandelle. Une honte.
Aussi, il est rare de voir un bon storytelling, qui s’appuie sur un travail de recherche pour apporter la preuve concrète que telle montre a réellement été une dotation militaire par exemple. Le cas de Jacques Bianchi est l’une des exceptions à la règle et je salue l'effort qui a été fait par les porteurs du projet. Beaucoup de marques devraient en prendre de la graine.
Niveau légitimité historique, cette montre de plongée passe haut la main le test. Si les Jacques Bianchi des années 80, et aussi des années 90, ont vu les poignets des marins de la Marine Nationale, la fin des dotations militaires a également entraîné la fin de nombreuses montres conçues pour l’Armée Française – point que nous avons abordé lors de l’article consacré aux montres militaires.
Si les montres JB ont été éclipsées pendant des années, l’atelier a continué à fonctionner et Jacques Bianchi, à 80 ans, continue de réparer des montres. Jusqu’au jour où un projet de revival est arrivé avec une triple collaboration et un lancement sur Kickstarter. Et sur ce point, je me dois de faire un aparté.
Kickstarter et les montres
Bien que c'est un phénomène que j'observe de très près pour détecter quelques futures success stories, j’ai toujours été un peu réfractaire à passer en revue des montres lancées sur Kickstarter et pour une raison qui fait partie de ma démarche de test.
Mon engagement a toujours été de passer en revue des montres que je recommanderais moi-même à mes propres amis parce que je crois sincèrement aux qualités des modèles présentés. Mon protocole de test reste inchangé : test pendant 10 jours minimum d’un modèle finalisé. Autrement dit, la version commercialisée au grand public OU une version finalisée qui peut être une présérie qui précède juste le lancement commercial.
Pourquoi ? Parce que je ne pense pas qu’il soit réaliste de faire une revue d’une montre non finalisée. Cela ne serait pas acceptable pour moi car comment recommander un modèle dont les caractéristiques ne correspondraient pas à la version que vous allez peut-être acheter ?
J'ai vu d'autres projets Kickstarters qui ne proposaient que des prototypes dont les défauts n’étaient pas corrigés. Alors, pourquoi la Jacques Bianchi fait exception dans le monde des Kickstarters ? Car il s’agit d’un Kickstarter pas tout à fait comme les autres : il s’agit d’une collaboration entre un authentique horloger qui a de l’expérience et garant de la qualité dans la réédition d’une de ses propres montres et des acteurs connus pour leur sérieux, en l’occurrence MAT Watches qui a apporté son expérience dans le domaine des montres professionnelles et actuelles.
Il y a eu des prototypes d’abord, des modifications ont été effectuées et enfin une version finalisée/de présérie qui correspond au modèle commercialisé .
Ceci étant dit, c’est avec cette version finalisée que je vais maintenant passer en revue la JB 200.
Du petit baigneur au grand plongeur
Ce que nous remarquons immédiatement au premier regard sur la JB200 c'est la présence du grand plongeur sur le cadran. Bien entendu, d'autres marques proposent des signes distinctifs de ce genre mais ils sont d'abord présents sous la forme d'une gravure sur le fond de boîte ou par un rajout discret sur le cadran. Ici, le message est clair, c'est une montre faite pour les plongeurs professionnels.
Par rapport à l'ancien modèle, la reproduction a été fidèle : le grand plongeur est identique sur le cadran et les index sont nets, parfaitement lisibles. À ce titre, le SuperLuminova - en remplacement du Tritium - a été appliqué non seulement sur les index et les aiguilles mais également sur le marquage de la lunette qui est unidirectionnelle - normal il s'agit d'une plongeuse - à 60 clics.
La teinte choisie pour les index et les marquages sur le cadran et la lunette est la couleur crème, ce qui lui donne un côté néovintage qui n'est pourtant pas trop exagéré par rapport à d'autres rééditions, comme la SM300 d'Omega, dont les teintes tentent d'imiter le tritium qui a vieilli.
La seule différence notable sur le cadran est l'absence de la date par rapport à la version originale des années 80.
Date & no date
La présente de la date sur une montre est une question d'ordre pratique certes mais qui peut faire débat entre les passionnés de montres. Il y aura toujours d'un côté ceux qui veulent la date sur leur montre et de l'autre côté ceux qui ne la souhaitent pas. La question déborde le champ pratique pour intégrer celui de l'esthétique : un guichet pour la date donne une information supplémentaire mais il n'existe pas de garantie que son insertion sur un cadran soit une réussite.
Beaucoup d'amateurs de montres préfèrent aujourd'hui un guichet discret pour la date en recourant au ton sur ton et même certains n'en veulent pas du tout pour avoir un cadran plus épuré. En outre, à l'esthétique peut se rajouter une dimension historique : certaines montres vintage n'intégrant pas la date, une réédition fidèle n'a peut-être pas réellement besoin d'en avoir une.
Mon avis personnel sur la question est : cela dépend. J'aime le No Date mais je peux parfaitement apprécier la présence d'un guichet pour la date à condition qu'elle soit bien insérée dans le cadran. J'ai tendance alors à la préférer à 6h avec un habile remplacement de l'index de cette heure. A contrario, voir un guichet pour la date "manger" une petite seconde par exemple me semble très inesthétique.
Sur la version d'époque, la JB200 comportait une date, le guichet blanc était plutôt grand et il contrastait avec le cadran noir. Mon opinion est simple : pour avoir manipulé le modèle original et le nouveau, je préfère pour cette montre l'absence de la date qui ne me semble pas trop nécessaire sur une montre de plongée. Le grand plongeur étant déjà un signe très distinctif, le choix final pour la réédition a été sage de ne pas inclure un guichet sur le cadran.
Les aiguilles sont fidèles à la version originale, ainsi on reconnaît bien l'aiguille des secondes qui est de type "seringue". Elles sont évidemment lisibles de nuit ou dans les profondeurs du fait de la présence du SuperLuminova.
Le boîtier de type Monnin pour une montre Destro
Monnin et plus exactement G. Monnin était un fabricant français de boîtiers de montres et qui a fourni des marques suisses ou françaises. Nous pourrions dire « Cocorico ! » mais rien de plus normal car la France était l’autre grand pays de l’horlogerie avec la Suisse avec tout un écosystème industriel très présent en Franche-Comté… Mais cela, c’était avant la terrible crise du quartz des années 70 et 80 et le processus de désindustrialisation qui a conduit à la disparition de pratiquement tout notre tissu industriel historique dans l’horlogerie.
Aujourd’hui, la France ne compte quasiment plus voir plus du tout de fabricants de boîtiers de montres, de cadrans et même de mouvements à quelques exceptions près! et l’autre s’appelait Nicolas Hayek, le patron historique du Swatch Group, qui a joué un grand rôle dans la sauvegarde, l’optimisation et la concentration industrielle qui ont permis au secteur d’être sauvé en Suisse.
Les boîtiers Monnin avaient des formes caractéristiques. La Jacques Bianchi originale des années 80 était dotée d’un boîtier Monnin aussi le projet collaboratif qui a conduit au revival de cette montre a évidemment fait un grand clin d’œil en revenant sur ce type de boîtier.
Et pour ma part je trouve que c’est un excellent point du fait de l’originalité de la forme du boîtier et le fait qu’il s’agisse d’une montre Destro.
Qu’est-ce qu’une montre Destro ?
Comme son nom l’indique, il s’agit d’une montre destinée traditionnellement pour les gauchers qui la portent sur leur poignet droit.
Mais ce n'est pas tout.
Une montre Destro peut parfaitement être utilisée par un droitier sur son poignet gauche. Cela pourra faire sourciller quelques-uns dans les forums mais primo ne prêtez pas trop attention à cela et secundo en réalité il y a une raison pratique que j'ai moi-même expérimenté.
Une montre de type plongeuse est dans la très grande majorité des cas plus volumineuse qu’une montre classique, aussi – vous pouvez faire le test vous-même – un mouvement du poignet lors d’un exercice militaire ou simplement sportif, vous verrez que le dos de votre main peut rentrer en contact avec une couronne à droite par une simple flexion de votre poignet gauche . Sur une montre de petit diamètre, vous ne devriez pas avoir trop d’inconvénients mais sur du 40-42-44mm, vous comprendrez ce que je veux dire.
Une question de confort qui se double d’une dimension pratique : dans un cadre professionnel, les activités d’un homme de terrain n’ont rien à voir avec celle d’un homme de bureau, vous serez certainement conduits à cogner par inadvertance votre montre contre différents éléments. Vous comprendrez vite qu’une couronne et un bord en acier (d’un tuyau, d’une rambarde, etc.) ne sont généralement pas compatibles et qu’entre les deux, c’est la couronne qui risque d’en prendre pour son grade. Avec une couronne à gauche sur une montre portée au poignet gauche, le risque est très minimisé de rencontrer ce type d’incident.
Le seul désavantage d’une montre destro pour un droitier c’est… de changer sa petite habitude pour remonter sa montre .
Au lieu d’utiliser les doigts de sa main droite pour remonter la couronne, il suffit d’utiliser sa main gauche. Pour ma part, avec une Destro, je positionne juste les 12h de la montre vers moi – je la prends en sens inverse en d’autres termes – et je continue de régler avec la main droite. À vous de voir ce qui vous convient le mieux.
Techniquement parlant, nous avons affaire à une montre d’un diamètre de 42mm hors couronne. Le 42mm est un standard dans les montres de plongée. Les cornes ont été légèrement retravaillées pour que la montre s’adapte à la grande majorité des poignets. Au porter, la JB200 ne dépasse pas du tout la taille de mon poignet , il y a bien de la marge.
D’ailleurs, la montre ne me donne pas du tout l’impression de faire 42mm au porter : illustration de l’éternelle différence entre les données papier et le vrai ressenti.
Le travail sur le boîtier est en fait assez fin sur une montre dans cette gamme de prix. Comme vous le voyez sur les photos, l’acier est brossé sauf sur les flancs du boîtier où il est poli. On retrouve ce type de finition par exemple sur les Tudor Black Bay en acier pour ne citer qu’un exemple dans une autre gamme.
Le boîtier de la Jacques Bianchi a été retravaillé plusieurs fois - je peux en témoigner pour avoir vu les prototypes - afin d’affiner la montre qui s’avère bien plus fine qu’une Seiko Turtle par exemple. Et le résultat est là : le boîtier requiert une certaine épaisseur – 13,3mm, ce qui normal pour une plongeuse – mais l’impression d’épaisseur est limitée avec les cornes et les flancs affinés du boîtier.
Le protège-couronne englobe réellement la couronne qui se retrouve ainsi protégée des chocs par plusieurs millimètres d’acier. Enfin, le verre saphir choisi est judicieux pour cette montre : il s’agit d’un verre saphir plat à la place d’un verre bombé. Le verre bombé a son charme aussi mais il rajoute de l’épaisseur à une montre et il faut le dire visuellement, je pense que le verre saphir plat était plus adapté à cette montre.
Au final, du fait de la construction robuste de ce boîtier, la montre est étanche à 200 mètres aussi vous n'aurez strictement aucun problème pour plonger avec. En tant que civil ou en tant que professionnel.
Un mouvement signé Seiko
La grande différence par rapport à la montre originale c'est le mouvement qui passe du quartz au mouvement mécanique à remontage automatique. Plus exactement, le NH35 qui est un mouvement conçu et fabriqué par Seiko.
Dans l’entrée de gamme des montres mécaniques, le mouvement le plus courant est le Miyota qui fait partie d’un autre groupe japonais, Citizen, mais il existe des alternatives comme le NH35 qui est un mouvement à 24 rubis.
Les Miyota 8215 de Citizen et NH35 de Seiko sont des mouvements comparables, le NH35 étant toutefois plus cher que le Miyota 8215. Les deux fonctionnent à une fréquence de 21600 A/h. En termes de robustesse, les deux mouvements sont également comparables avec un petit point bonus en faveur du NH35 qui intègre le « Magic Lever » , ce dernier pouvant intégrer des caractéristiques supplémentaires comme le stop seconde .
La réserve de marche est de 41h avec le NH35, ce qui est classique même si bien entendu j'ai tendance à préférer des réserves de marche plus confortables mais il est très difficile voire impossible pour une marque indépendante et à taille humaine de se procurer des mouvements avec des réserves de marche de 70-80h par exemple.
Une montre à twister
Le bracelet officiel de la JB 200 est un Tropique – un bracelet en caoutchouc dont je vous avais fait la revue dans l’article sur les bracelets en matières techniques – il me semble de qualité honorable . Il possède aussi un système de pompes rapides qui permettent de changer de bracelet sans outil très facilement.
Ce bracelet est totalement en accord avec l’historique de ce modèle de montre. Toutefois, au porter, j’ai nettement préféré changer de bracelet pour opter pour une série de Natos/G10 qui donnent immédiatement un look qui me semble plus attrayant.
L’entrecorne de la JB 200 est de 20mm, l’entrecorne la plus courante dans le secteur aussi il sera très facile de trouver tous les bracelets que vous pourriez désirer dans cette dimension. Je conseillerais pour ma part un bracelet Nato simple gris de type seat belt en entrée de gamme ou un bracelet en deux pièces chez Avel & Men par exemple pour un twist plus poussé qui marie la fibre de carbone et le cuir.
Et en termes de look ?
Règle numéro 1 avec cette montre : profitez de vos vacances avec elle sans trop vous soucier des micro-rayures, cette montre est faite pour le terrain. Je recommanderais de la porter aussi bien sur une plage ou comme moi avec une chemise en denim ou en chambray.
Je recommanderais davantage les looks inspirés du workwear car on est clairement dans la thématique de la montre outil avec la construction robuste de cette Jacques Bianchi sans parler de son histoire avec la Marine Nationale.
On aime
- Une excellente idée de collaboration et de retour d’une montre qui a servi dans la Marine Nationale dans le passé !
- Une montre Destro avec un boîtier retravaillé intelligemment : la montre Destro a une place à part entière dans l’histoire des plongeuses et celle-ci bénéficie d'un travail soigné pour lui donner un aspect légèrement plus affiné sans compter le choix d’un acier alternant polissage et brossage
- Un cadran qui affiche un grand plongeur, fidèle à celui du passé, et qui change clairement des cadrans des plongeuses classiques du secteur
- Un prix très correct et bien étudié pour le lancement de cette montre
- Le choix du No Date et du passage au mouvement mécanique : les porteurs du projet ont évité le copier-coller et ils ont apporté des plus juste là où il le fallait
- Peut-être l'un des meilleurs Kickstarters du moment : je ne doute en aucun cas de son succès, dans le fond et dans la forme, le projet me semble très bien mené, un exemple à suivre et pas qu'en comparaison des autres Kickstarters
On aime moins
- Une réserve de marche classique de 41h, difficile de faire mieux dans cette gamme de prix
- Un bracelet caoutchouc « Tropique » qui est fidèle à l’époque et à l’esprit de la montre mais je n’hésiterai pas à vous conseiller des alternatives pour une petite dizaine d’euros supplémentaires pour twister la montre.
Caractéristiques techniques
- Référence : JB 200
- 42mm de diamètre
- Épaisseur : 13,3mm
- Boîtier en acier brossé et poli
- Couronne vissée
- Verre saphir plat
- Mouvement mécanique à remontage automatique Seiko NH 35
- 41h de réserve de marche
- Étanchéité 200m
- Prix : 594 euros en Kickstarter, 990 euros par la suite