Vous connaissez Grailed ?
Ce site de seconde main s'illustre par deux choses : son positionnement résolument haut de gamme, si ce n'est luxe , et ses excellents éditos, sur son blog "Dry Clean Only", dans lesquels on trouve parfois des infos très pointues sur l'histoire de la mode et les tendances.
Cependant, si j'y pense aujourd'hui, ce n'est pas pour le site en lui-même, mais plutôt pour la force évocatrice de son nom, très inspirant.
"Grailed".
S'il est impossible à traduire en un seul mot en français , il évoque l'idée que certains vêtements puissent être "élevés au rang de Graal".
Et derrière le concept de Graal, trésor mystérieux des légendes médiévales, se cache évidemment l'idée de "quête", dont le Graal est censé être l'aboutissement.
Autrement dit, un Graal est un vêtement "ultime" dans sa catégorie.
Pas tant "ultime" parce qu'il serait "parfait" , mais plutôt parce que connaître cet idéal, savoir si précisément ce que l'on recherche, c'est le résultat de longues années de passion, d'expérimentation et de réflexion.
Bien sûr, ce que vous considérez être votre "Graal" peut évoluer avec le temps. Mais il y a certains désirs vestimentaires inassouvis, que l'on voit s'affiner, et mûrir au fil des années, en arrière-plan, au fond de notre esprit... Jusqu'à ce qu'un beau matin, on se réveille en s'exclamant :
"C'est ça que je veux. Et tôt ou tard, je finirais par me le procurer exactement comme ça !"
Aujourd'hui, j'aimerais donc vous partager un de mes "Graal", dont la quête s'est précisée au fil des années.
J'en ai une petite liste en tête, et si jamais ça vous plaît, je prévois de vous en livrer d'autres pour ce format "Carte Blanche", au sujet de bottines, de manteaux, de jeans...
Mais pour cette fois, on va commencer par le Perfecto.
Il y a quelques années, j'avais pour idéal le Perfecto dans sa version "luxe" : un cuir d'agneau dont le grain frise la perfection, des zips chromés respirant le raffinement... Quelque chose de très contemporain, en fait.
Et pour avoir testé (et possédé) un tel blouson pendant un temps, j'ai été longtemps comblé par cette approche "raffinée" qui a participé à rendre le perfecto plus accessible en matière de style.
Puis un jour, il est devenu trop petit, et a fini entre les mains d'un ami.
Je me suis dit que tôt ou tard, il fallait que je le remplace. Mais au fil du temps, je me suis mis à rêver d'un perfecto aux antipodes du premier…
Mon perfecto noir idéal
Avant toutes choses, j'ai fini par être séduit par l'idée d'un cuir qui se patine beaucoup, contrairement à l'agneau lisse de mon ancien Atelier Bertrand.
1. En fait-on des tartines sur la patine ?
Cela dit, on est parfois déçus de ce que la patine du temps peut donner dans la vraie vie.
Parce qu'à force de lire un peu partout que les cuirs "s'embellissent avec le temps", on s'attend à des contrastes formidables, à être projetés dans une bande dessinée, à retrouver la texture d'un vieux film et finalement… On est juste face à un objet qui assume bien son âge.
Et pour cause : on oublie parfois que les vieilles photos desdits acteurs, de musiciens, ou même de nos parents, sont non seulement teintées par une subjective nostalgie, mais aussi par un grain et un traitement des couleurs bien différents de ce que vous verriez sur une image moderne... Ou si vous voyiez la pièce de vos propres yeux.
Ce n'est pas pour rien qu'Instagram a fasciné le grand public à ses débuts avec ses filtres "vintage" en tout genre : ils ont le pouvoir d'enjoliver la réalité.
Bref, ça fait partie de la magie du "rétro", et de ses limites...
La patine peut avoir un charme, mais ce n'est pas non plus de la magie. Ce n'est pas comme dans les films.
Enfin... Ça, c'est ce que je croyais.
2. "Fine Creek Leathers" : une patine comme dans un rêve
Parce que si vous connaissez un peu les marques japonaises et la philosophie esthétique du "Wabi-Sabi" , vous vous doutez peut-être qu'il y en aurait bien une pour relever le défi.
C'est là qu'intervient Fine Creek Leathers.
La première fois que Benoît m'a évoqué la marque , je suis passé à côté de son atout principal.
Voilà, en gros, ce que j'ai aperçu au détour d'une rapide recherche Google Images :
Ce n'est que quelques jours plus tard, alors que le nom m'était revenu en tête, que j'ai compris ce qui les rendait uniques en faisant une seconde recherche. Parce que là… je suis tombé sur ça :
Et là, c'est le coup de cœur absolu.
J'apprends que la marque se fournit auprès d'une tannerie japonaise, avec laquelle elle a développé une recette de tannage exclusive sur des cuirs de cheval.
Via ce tannage végétal , on obtient un cuir qui se patine comme nul autre.
D'abord, le grain naturel de la peau se renforce, lui conférant un aspect souple et grainé semblable à celui des cuirs de cerf, mais avec un caractère encore plus prononcé.
Mais surtout, le pigment noir profond déteint progressivement, révélant peu à peu le coloris naturel du cuir en dessous.
Et en soi, cette perte progressive de pigments de surface est un mécanisme commun dans la patine d'un cuir à long terme.
Ce qui rend Fine Creek unique, c'est que le cuir est tanné et traité de façon à ce que cette perte soit plus rapide, et plus "fondue".
Vous obtenez donc ces splendides dégradés qui vont du noir au marron.
Les nuances sont d'une richesse que je n'ai jamais vu ailleurs sur une patine "naturelle".
J'exclus toute comparaison avec des patines "artificielles" réalisées par la main de l'homme , car en plus de coûter une fortune pour être vraiment belles, elles ne parviennent presque jamais à imiter "le hasard harmonieux" que provoque une telle patine naturelle.
Si mon cœur s'est épris du modèle "Léon" (le plus populaire j'ai l'impression), la marque semble également proposer différentes épaisseurs de cuirs, mais aussi différents finissages, qui donneront des patines encore différentes de celle montrée plus haut.
Bref, Fine Creek relève le défi de proposer des cuirs dont la patine est aussi idéale que "l'idée que l'on se fait de la patine".
Ce qui est amusant, c'est qu'aux yeux d'un néophyte, un tel cuir paraîtrait beau, mais ne lui semblerait sans doute pas "hors-norme".
Justement parce qu'il correspond au fantasme commun que l'on se fait "d'un beau cuir bien vieilli"… Alors qu'un tel cuir n'existe pratiquement pas.
"Plus royaliste que le roi"
Ce genre de produits illustre très bien le merveilleux paradoxe de certaines marques japonaises, qui révèrent si intensément le vintage, que leurs reproductions et interprétations finissent par être "plus authentiques que l'original".
C'est le même genre de philosophie qui anime des marques telles qu'Orslow et ses jeans qui sont la version idéale du "vieux jean bien poncé".
Ou encore, The Real McCoy's qui s'applique à faire de la repro' de pièces vintage en conciliant une fidélité historique maximale, et une qualité sans doute au-delà des standards desdites pièces à l'époque...
Et plus simplement, c'est aussi ce jusqu'au-boutisme qui fait que certaines toiles selvedge japonaises ont fini par être plus texturées et granuleuses que les premières toiles Levi's d'antan.
3. Une coupe courte et cintrée à l'ancienne
Malgré ces éloges, la quête de mon Graal n'en serait pas une s'il me suffisait de commander un blouson Fine Creek pour l'accomplir.
Car si je parle vraiment de mon perfecto "idéal", il aurait non seulement un cuir tel que celui que je vous ai montré plus haut, mais aussi une coupe adaptée à ma morpho, et à mon style.
Ça ne saute pas aux yeux quand je suis habillé, mais j'ai un physique dit "athlétique" : je fais 73kg pour 1m72, avec un tour de poitrine de 106cm, et un tour de taille entre 75 et 79cm
Pour clarifier un peu ce que signifient ces chiffres du point de vue du prêt à porter, ça signifie que j'ai le tour de poitrine et la carrure d'un "grand" M, un tour de taille de S, voire XS.
Quant à la longueur des hauts, il faut savoir que les marques pensent généralement les XS pour des personnes allant de 1m70 à 1m75...
Bref, le verdict est très clair pour moi : si j'achète un blouson en prêt à porter, il a de fortes chances d'être soit trop serré, soit trop long et ample à la taille.
De plus, toujours du fait de ma morphologie, je suis plus avantagé par des silhouettes aux tailles mi-hautes , soulignées par un haut rentré dans le pantalon.
... Ce qui est évidemment difficile si votre blouson couvre complètement votre taille et tombe jusqu'à vos hanches (voire impossible lorsqu'il est fermé).
Notez que ces silhouettes étaient bien représentées dans les années 50 à 70, durant lesquelles elles étaient même la norme.
Au-delà de ça, le cintrage me paraît être un paramètre important pour un perfecto, indépendamment du style ou de la morphologie.
Car lorsqu'il serait ouvert, (à moins d'être grand et bien élancé), votre silhouette se verrait alourdie par les deux pans croisés d'un blouson un peu généreux à la taille.
D'ailleurs, c'est d'une douce ironie quand on sait que ce design a été inventé pour que les motards soient mieux protégés par la double couche de cuir à l'avant mais...
Un perfecto est plus souvent porté ouvert que fermé. Et c'est dans cette configuration qu'il tire le mieux parti de son style.
Alors, pour résumer, il me faudrait un blouson avec le cuir exclusif de chez Fine Creek, mais coupé pour le ventre et la hauteur d'un XS, mais la poitrine et la carrure d'un grand M.
Eh bien... Ce n’est pas gagné.
Mission impossible ?
Comment vais-je faire ? Vais-je tenter de me procurer ledit cuir auprès d'une mystérieuse tannerie japonaise , à l'autre bout du monde, pour essayer ensuite de trouver un artisan qualifié qui le transformera en blouson ici ?
Mission quasi impossible : non seulement il est très difficile pour un particulier d'acheter des cuirs dignes de ce nom au détail, mais le culte du secret à la japonaise n'aidera pas.
Sans même parler du prix d'un tel projet qui serait sans doute... Délirant. Je n'oserais même pas tenter une estimation.
Pourrais-je essayer d'en acheter un via un contact au Japon , après des heures à vérifier les mesures en ligne , pour ensuite le retoucher ?
Peut-être bien. Ceci dit, au-delà du coût que ça représenterait, rien ne garantit qu'une telle retouche donne un résultat vraiment convaincant.
Soit. Pourrais-je alors espérer, dans mes rêves les plus fous, que la marque propose un service de demi-mesure secret, ou qu'elle fasse une exception pour moi uniquement parce que je suis très gentil et que j'ai beaucoup de goût ? Mais oui, bien sûr que je peux.
Tout ça est fou. Mais c'est aussi ça, la passion.
Et le jour où vous accomplissez une telle quête, où vous obtenez un tel Graal... Votre vêtement portera non seulement la valeur de sa beauté et de son investissement financier, mais aussi la valeur du chemin que vous aurez parcouru pour l'obtenir.
Quoi qu’il en soit, vous connaissez maintenant mon premier "Graal".
Et vous, quelles sont ces pièces dont vous vous êtes fait une idée si précise, que vous en avez fait un "Graal" ?