Qu'est-ce qu'un "Graal" pour moi ?
C'est ainsi que j'appelle ces pièces dont on affine et mûrit la recherche au fil des années.
La recherche du Graal, c'est la quête d'une pièce "ultime" dans sa catégorie.
Et par "ultime", je n'entends pas "parfait".
Je parle plutôt d'un idéal personnel, si méticuleux et spécifique qu'il en devient difficile de le concrétiser.
"C'est ça que je veux. Et tôt ou tard, je finirais par me le procurer exactement comme ça !"
Après vous avoir présenté ma recherche du Perfecto Idéal, j'aimerais donc vous partager un autre mes "Graals"...
Quelle est l'image que vous vous faites d'un manteau idéal ?
Pour ma part, j'ai toujours vu le manteau comme la plus noble toute toutes les pièces de la garde-robe masculine.
Imaginez un instant que votre penderie est une cour, et que ses vêtements en sont les courtisans...
Lorsque vous en ouvreriez la porte en hiver, vous devriez entendre une chemise annoncer solonellement :
"Voici Messire Le Prince, Manteau Long XIV, Seigneur du Royaume d'Hiver".
Le manteau, prince d'une garde-robe
Ce "prince", il fut un temps où je l'imaginais un plutôt comme un monarque martial.
Le manteau était pareil à une armure : structuré, grandiose par sa forme, sobre par sa couleur et sa matière. D'une élégance un peu plus stricte, disons.
J'avais une préférence pour ces manteaux aux épaules structurées et au drap de laine très robuste.
Tandis qu'aujourd'hui, le manteau idéal m'apparaît un peu plus comme un prince plus... Décadent, disons. Mais d'autant plus charmant.
Je cherche donc un rendu plus proche d'une cape que d'une armure : enveloppant, souple, avec une touche de décontraction.
Je veux un manteau avec lequel je puisse m'accouder - allez, m'affaler même ! - sur un comptoir ou le coin d'une table.
Le poids de l'hiver est déjà bien assez lourd comme ça, je ne veux pas que mon manteau me prive en plus de mes mouvements.
Et pour qu'il ne perde pas sa splendeur malgré ce relâchement volontaire, il lui faut une matière somptueuse.
Mais ce changement de préférences ne concerne pas que moi, à vrai dire.
Ce que j'expliquais dans mon article sur le Soft Tailoring, c'est que c'est toute la sphère du menswear qui entame une mue progressive vers une élégance moins guindée, afin qu'elle survive dans un monde où le style formel a perdu beaucoup de son sens.
Quoi qu’il en soit, vous avez là mon ressenti concernant ce manteau idéal. J'ai formulé le sentiment général de ce que je veux que la pièce dégage.
Ma méthode pour définir un "Graal" vestimentaire, c'est de démarrer avec ce point de départ émotionnel, pour ensuite le concrétiser en des idées tangibles, des détails, des couleurs, des matières et des formes.
1. Le manteau clair, une lumière dans l'hiver
Commençons par la couleur, puisque c'est la première chose qui me vient à l'esprit.
Au premier abord, j'imagine une couleur claire : quand un manteau est fait dans une étoffe splendide, ça a le mérite de la faire d'autant plus ressortir.
Pour être franc, cet article a bien failli s'appeler "À la recherche du "Graal" : le Camel Coat". Avant d'avoir creusé la question, je partais déjà convaincu.
Il est vrai que cette couleur illumine l'hiver grisâtre, sublime absolument tous les tons neutres, les blancs et écrus, les bleus, et fonctionne même avec des nuances de bordeaux et de vert bien choisies.
Et pour couronner le tout, il faut dire qu'elle dégage un charme résolument rétro.
2. Le dilemme du camel
Mais, en y réfléchissant bien, je lui trouve tout de même deux ou trois inconvénients.
Déjà, ce charme rétro provient justement d'une certaine image qui me paraît bien ancrée dans l'imaginaire collectif...
Bruce Boyer le dit très bien dans cet article, où il le qualifie le classique "Polo Coat" de "Plus Aristo de tous les Manteaux".
Il y raconte l'histoire de cette pièce classique, le plus souvent réalisée ce camel très franc, dont on dirait qu'il tire plus sur le jaune que sur le marron clair.
Et ce justement je crois que c'est ce côté "aristo" qui me fait tiquer. Et ça concerne très spécifiquement ce camel-ci, et pas un autre.
D'un côté, je ne vais pas nier l'attrait "princier" que cela représente, puisque de mon propre aveu, c'est un peu ce que je cherche aussi dans un manteau.
Mais de l'autre, quand je pense à ces nuances de camel sur un manteau, je ne peux m'empêcher d'y associer un Christian Bale dans le film American Psycho, ou des mannequins dans une vieille pub Ralph Lauren.
Et une fois que je laisse mon esprit divaguer, le flot d'images continue : je vois de jeunes américains blonds au style preppy et à la mâchoire carrée, affublés de "rep ties" airs snobinards, accompagnés de leurs papas beaux gosses aux cheveux poivre et sel.
Il m'évoque une image glorifiant un peu trop l'argent et la "caste" d'une élite fantasmée.
Et pour rapporter ça à la France, je l'imagine aussi comme le manteau d'un Ouest parisien d'antan, un peu mondain.
Or ce n'est pas ce que j'entends par "Le Prince de ma penderie" quand je parle du manteau. J'entends tout à fait que pour certains, ce sont des images tout à fait positives, et même un idéal à atteindre.
Mais moi, ça me laisse assez tiède.
Mais pour en revenir à nos chameaux moutons, cette affaire de connotation, ça se joue à une nuance près. A un rien !
Et pourtant ça change tout à mes yeux.
Une fois ce ressenti clarifié, d'autres couleurs claires se suggèrent à moi comme des alternatives.
Toit d'abord, j'envisage un camel légèrement plus brun. Une autre nuance, donc.
Un peu moins salissant, et un peu plus modeste aussi. Peut-être pas aussi voyant, mais lumineux malgré tout (la qualité de l'étoffe joue autant que la couleur).
Autre détail, mais pas des moindres, cette nuance a plus de chances d'aller à un brun au teint clair (tel que moi) en hiver.
Trois nuances de camel, du plus "jaune" à gauche, en passant par le plus beige au milieu, pour finir sur le plus "brun" à droite. (Loewe, Lardini, Suitsupply)Ensuite, il y a aussi le grège.
C'est cette couleur un peu bâtarde , à mi-chemin entre le beige et le gris, que l'on sous-estime d'ailleurs trop souvent chez l'Homme. C'est comme du taupe en plus clair !
Ton neutre par excellence, il est parfait pour réaliser des camaïeux ou des dégradés gris, beiges, blanc...
J'ai aussi pensé au gris clair, ainsi qu'au blanc, mais le premier dégagera quelque chose de trop neutre pour ce que je cherche. Mais c'est le rôle du gris, après tout.
Quant au second... Le manteau blanc, c'est bien pour faire le coq au Pitti Uomo, mais je crois que je m'en lasserais un peu vite.
J'ai eu envie d'en avoir un il y a deux ans, quand j'ai été pris d'un penchant soudain pour les dégradés de tons clairs, mais je pense que j'ai bien fait de laisser ça au stade d'envie.
3. Chameau ou pas chameau ?
Vient ensuite la question de la fibre.
Bien évidemment, un manteau digne d'être qualifié de "Graal" sera réalisé dans une fibre précieuse .
Ce n'est pas tellement par besoin d'avoir une douceur exceptionnelle sur un manteau (qui n'est jamais en contact avec la peau), ni un simple accès de snobisme textile.
C'est plutôt parce que les fibres plus rares, fines et délicates que la simple laine, tendent à donner un tomber fluide, et une luminosité que la plupart des laines n'offrent pas.
On pense donc des lainages tels que le cachemire, l'alpaga, le yak, ou, justement, le chameau, fibre à laquelle le "Camel Coat" doit ce surnom.
Car le polo coat, qui tient ses origines des campus anglais au début du 20ème , était bel et bien en poil de chameau.
C'est une fibre extrêmement douce et chaude, dont l'aspect "velu" reflète la lumière d'une façon très singulière.
Sur le manteau qu'un bon copain amateur d'art sartorial s'est fait faire sur mesure chez Ardentes Clipei, ça donne ça :
Alexandre s'est fait un Polo Coat dans les règles de l'art, le vrai.
Ce qui n'est donc pas ce que je recherche, mais sacrée pièce tout de même !
Et de mémoire, c'est un tissu Holland & Sherry qui a été utilisé.
Le résultat est assez saisissant, et on voit sur cette dernière photo à quel point le chameau possède une texture "veloutée" bien singulière.
Cependant, les étoffes de laine de chameau sont plus souvent produites dans cette nuance de camel très spécifique, rappelant la couleur de l'animal lui-même... Nuance qui, comme expliqué juste avant, ne me convient pas.
J'ai longtemps cru que c'était dû à une limitation technique de la fibre, mais il semblerait que ce soit plutôt une question de tradition qu'autre chose. C'est donc un premier argument en la défaveur du chameau, même si ladite fibre a un charme qui lui est propre.
Le deuxième point qui me dissuaderait de faire l'achat d'un tel manteau, ce serait son extrême fragilité.
C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles cette fibre a perdu en popularité au fil des décennies. Même le cachemire, fibre pourtant délicate, n'est pas aussi susceptible à l'abrasion et à la déformation.
Et ça, ce n'est pas compatible avec mon envie d'avoir un manteau dans lequel je peux m'affaler.
Je suis prêt à envisager de payer une somme communément perçue comme déraisonnable. Et même à attendre un bon nombre d'années avant de pouvoir le faire.
Mais si c'est pour un manteau qui me claque entre les doigts trois ans plus tard, ça n'ira pas.
Mais il reste une solution dont j'ai entendu du bien : en mêlant le chameau ou le cachemire à une laine de mérinos assez douce, on obtiendrait un toucher et une fluidité assez proche d'une composition "100%", mais une bien meilleure durabilité.
Pour avoir touché les mélanges laine-cachemire 50/50 de chez Loro Piana, sincèrement, la différence ne saute pas aux yeux.
Et par ailleurs... C'est tout de même un peu moins cher.
Oui oui, votre Graal n'est pas toujours obligé d'être la pièce la plus chère du marché... C'est juste que ça coïncide un peu souvent, malheureusement.
La question de la matière ayant été traitée, il reste celle du design. Et c'est loin d'être la plus simple.
C'est probablement même mes exigences en design qui rendront mon "Graal" aussi inaccessible...
Design : un coup d'œil chez la femme
J'ai toujours été assez inspiré par les manteaux féminins.
Adolescent, déjà, je trouvais que les manteaux de ma mère avaient une allure que les manteaux masculins ne semblaient pas avoir. Et j'ai mis du temps à comprendre pourquoi.
À mon avis, ça s'explique par le fait que le manteau féminin a toujours eu cette esthétique de la fluidité et de la rondeur, là où les manteaux masculins avaient, pendant longtemps, une allure bien plus anguleuse et structurée.
Mais désormais, l'air du temps a changé. Cette rondeur et cette souplesse se sont immiscées dans les manteaux masculins.
Alors même si les proportions ne sont pas les mêmes , il y a bien des choses sur les manteaux féminins qui peuvent inspirer le design d'un manteau Homme...
1. Col châle et manteau croisé
On y trouve beaucoup plus de tons doux et neutres, soit dit en passant.
Mais surtout, les manteaux femme ont souvent deux éléments visuels auxquels je tiens particulièrement pour que mon hypothétique manteau soit un "Graal" : une ceinture, et un col châle.
Et tenez-vous bien, ce n'est pas tout.
Je veux ce col châle sur du manteau croisé.
...
Et je n'ai pas fini !
Car non seulement je veux qu'il soit dans les bonnes proportions, à savoir ni trop large...
Ni trop étroit...
Mais en plus, je veux que le col et la ceinture aient du relief, notamment à l'aide d'un jeu de surpiqûres.
Les bords du col doivent avoir une surpiqûre, qui fait ressortir le tissu en une sorte de liseré tout le long du manteau.
Il en va de même pour la ceinture, mais ce jeu de surpiqûres peut aussi se faire d'autres façons, comme ci-dessous.
Sinon, quand c'est trop plat, ça fait trop peignoir. Ou robe de chambre, au choix.
Ça, c'est le genre de choses que vous remarquez probablement "sans vous en rendre compte".
Ce sont ces détails qui donnent du cachet à une pièce, mais que l'on pourrait facilement oublier si l'on demandait à quelqu'un de lister ses critères.
3. Des poches "postier"
Là où ma recherche se complique encore, c'est que je veux à la fois ces deux éléments (ceinture et col châle), qui sont bien plus souvent féminins que masculins, ET deux éléments de design beaucoup plus répandus dans le menswear masculin traditionnel.
Premièrement, ces poches.
Je les ai entendues être surnommées "poches postier". Parce que... Je suppose qu'on peut y glisser une enveloppe ? Je n'en sais rien, honnêtement.
Au bureau de poste à côté de chez moi, je n'ai jamais vu d'employés avec des poches comme ça, et le facteur non plus, alors bon...
En tout cas, c'est sans doute le détail qui me plaît le plus sur le polo coat d'origine, et un des plus caractéristiques : ces poches qui sont à la fois plaquées, carrées avec un arrondi sur les angles, et à rabat.
Il existe des variations de forme, bien sûr, mais elles renvoient toujours cette image de confort spacieux, fonctionnel. Ca donne un sentiment sécurisant pour vos mains et pour vos effets personnels.
Elles sont d'une élégance franche et plus brute, qui aide à décontracter le manteau.
Et je pense qu'elles auront une très bonne synergie avec les manches...
4. Des manches raglan
C'est le dernier détail qui caractériserait mon manteau clair idéal : des manches raglan.
Là aussi, c'est un choix qui participe à la décontraction, et qui vient ôter l'aspect structuré que peut avoir l'épaule d'un manteau classique.
Et je vais vous avouer une chose : je n'ai jamais porté de manteau aux épaules raglan.
La légende dit que c'est bien plus confortable qu'une épaule classique. Si c'est vrai, voilà une raison de plus.
Mais la raison pour laquelle je l'envisage, c'est surtout pour atteindre un équilibre avec ma morphologie.
Le manteau est déjà une pièce qui épaissit la carrure. Étant plutôt court de taille (1m72) et musclé, je cherche donc à diminuer son angulosité.
Car épaule structurée peut me faire ressembler à un rectangle ambulant.
C'est moins criant sur une veste, mais sur un manteau (clair de surcroit), ça saute aux yeux.
Il faut savoir que la forme classique de l'épaule structurée a été pensée pour "simuler" une silhouette charpentée.
Mais lorsque vous êtes musclé, votre corps offre déjà beaucoup de structure aux pièces.
Mais comment vais-je faire pour trouver ça ?
... Aucune idée.
Le principe de la quête du Graal, c'est que si je savais où le trouver, je n'aurais rien à vous raconter.
Bien sûr, c'est en partie une question de budget, car les exigences de mes "Graals" les placent tout en haut du panier.
Mais si ce n'était que ça, j'économiserais longtemps, j'achèterais un jour la pièce, et je vous dirais "regardez, voici mon plus beau manteau".
Ou je vous enverrais un lien vers le produit, tout simplement.
Donc, pas d'obstacles, pas de quête !
Pour le moment, je ne vois que l'option du vrai "Bespoke" qui pourrait matérialiser un tel projet.
C’est-à-dire du sur-mesure avec personnalisation complète. Bien évidemment, les tarifs d'un tel manteau sont complètement prohibitifs...
Et puis, même si je trouvais une marque de demi-mesure capable de proposer précisément ce design... Il faudrait que le tailleur ait accès au bon tissu ! La bonne nuance de camel ou de grège. Le bon poids, le bon tomber, l'équilibre fluidité et chaleur, le juste compromis entre robustesse et douceur...
Décidément, je vais en rêver encore longtemps de ce manteau, avant de le voir sur mes épaules.
Pour conclure, je vous poserais la même question qu'au début de cet article : à quoi ressemblerait-il, votre manteau idéal ?