Chers amis, nous nous retrouvons pour un nouveau guide des matières !
Aujourd'hui on parle de lainages, c'est-à-dire de fibres qui poussent sur les animaux. Celles qui finissent dans vos mailles, écharpes, costumes et manteaux. Et cette fois-ci, je souhaite faire un coup de projecteur sur l'un des points les plus abordés quand on parle de la qualité des lainages : la finesse des fibres. On dit souvent que plus la fibre est fine, plus grande est la qualité.
Alors, le but de cet article n'est pas de dire TOUT ce qu'il y a à dire sur ces fibres et leur qualité, car on pourrait couper des poils cheveux en quatre pendant des jours entiers.
Mais pour faire le tri parmi toutes les appellations (qu'elles soient d'usage ou purement commerciales), je vous ai concocté cette liste qui recense un grand nombre d'espèces et de grades de qualité. Et j'ai même fait un petit classement...
Le classement par finesse et par famille d'espèces
Les camélidés
Le chameau, l'alpaga, le lama et toute leur smala. Ce ne sont pas les lainages les plus répandus en Occident, mais dans certaines régions du monde comme l'Amérique du Sud, ils sont monnaie courante.
- Vigogne : 10 à 12 microns.
- Baby* Camel : 16 à 18 microns.
- Royal Alpaca : inférieur à 18 microns.
- Superfine/Baby* Alpaca : 18 à 22 microns.
- Guanaco : 18 à 24 microns, pas de grade à ma connaissance. C'est un autre camélidé, très similaire d'apparence au lama, dont les fibres sont moins répandues.
- Chameau : 17 à 26 microns.
- Lama : 20 à 40 microns.
- Fine Alpaca : 22,1 à 26,9 microns.
- Medium Alpaca : 27 à 30 microns.
- Coarse Alpaca : supérieur à 30 microns. A ce stade là, que ce soit de l'alpaga importe peu : ça va gratter au contact de la peau.
* Contrairement à la croyance populaire, le terme "Baby" n'implique pas nécessairement que la fibre provienne d'un bébé, mais plutôt que ce soit la première tonte/peignage de l'animal.
Les caprins
Les chèvres et leurs cousins. La star du classement est évidemment la chèvre hircus, ou chèvre à cachemire.
- Baby Cashmere : 13,5 microns environ.
- Cachemire grade A : 15 microns environ.
- Cachemire grade B : 16 à 19 microns.
- Mohair / Angora : 25 à 40 microns, pas de grade à ma connaissance. Une fibre très gonflante qui donne un aspect assez "nuageux" à vos mailles.
- Cachemire grade C : 19 à 30 microns environ. C'est le fameux "cachemire pas cher" que vous trouvez partout en entrée de gamme.
* Contrairement à la croyance populaire, le terme "Baby" n'implique pas forcément que cela provienne d'un bébé, mais plutôt que ce soit la première tonte de l'animal.
Les ovins
Et non pas les ovnis.
C'est la famille des moutons, première espèce qui nous vient en tête lorsqu'on dit le mot "laine".
Mouton Mérinos
Oui, on fait une petite catégorie à part pour la sous-espèce la plus populaire (elle le mérite bien). Vous noterez que le mérinos produit effectivement une laine plus fine que celle d'autres espèces.
- Utrafine merino : inférieur à 15 microns.
- Superfine merino : de 15 à 18,5 microns.
- Fine merino : de 18,6 à 19,5 microns.
- Mérinos standard : aux alentours de 21,5 microns.
Appellations commerciales connues : Mérinos "Extrafine" (moyenne de 19,5 microns)
Autres espèces de moutons
- Agneau / Lambswool : grade de finesse variable, plusieurs espèces de provenance possible. Désigne avant tout la provenance d'un agneau, un jeune mouton.
- Laine / wool : Eh bien là... ça peut être tout et n'importe quoi en terme de finesse. Ça vous indique juste que ça vient d'un mouton. Mais ça peut aussi être de la laine recyclée, de la laine de qualité inférieure... Ou pas.
- Shetland wool : en moyenne 23 microns. Assez épais et robuste donc. Désigne une race de mouton des îles Shetland. Très connue pour les pulls à l'aspect brossé qu'on en fait.
- Laine Vierge / Pure Laine Vierge : Ces labels se réfèrent à la pureté de la laine. Un 100% "laine vierge" tolère une pureté minimale de 93%, tandis qu'un 100% Pure Laine Vierge tolère 99,7%. Les autres fibres peuvent être synthétiques, ou de simples résidus. Ce sont les labels de la Woolmark Company, qui cherche à certifier les produits qui contiennent de la "laine vierge" provenant de la tonte d’animaux sains et vivants, par opposition à la laine récupérée sur les toisons d'animaux abattus et à la laine recyclée. Cependant, l'absence de certification Woolmark n'est pas une marque de mauvaise qualité. Exactement comme il existe de nombreux produits agricoles non "certifiés bio", mais très bons !
Appellations commerciales connues : "Geelong Wool". Une laine d'agneau particulièrement douce et fine, normalement originaire d'Australie. Difficile de trouver des données fiables sur la finesse de celle-ci, mais elle serait autour des 19,5 microns.
Les Bovins
Ceux qui font "meuh" et ressemblent à des vaches. Le principal intéressé de cette famille est le yak, puisqu'à ma connaissance c'est le seul dont on tire des fibres textiles aujourd'hui.
Le Yak
- Le "duvet" : 16 à 20 microns. Enfoui au plus près du corps de l'animal, sous les kilos de poils plus grossiers.
- Fibre intermédiaire : 20-50 microns. Souvent bien trop épais pour quelque chose qui sera en contact direct avec la peau.
- Fibre extérieure : très épaisse, 79-90 microns. En Mongolie, on en fait des fibres. D’ailleurs on voit bien que le yak n’a pas l’air très doux vu de l’extérieur.
Appellations commerciales connues : "Super Yak" (correspond au duvet de 16 à 20 microns), "Baby Yak" (premier peignage du duvet de yak, moyenne 16 microns ou même légèrement inférieur).
Et voilà, vous avez votre petit classement ! Fini les bobards, la prochaine fois qu'un vendeur vous dira "Monsieur, nous avons le meilleur cachemire au monde !", vous pourrez l'embêter un peu avec cette liste ! 😉
Et comme vous pouvez le voir, il vaut clairement mieux un très bon mérinos qu'un mauvais cachemire !
Bonus pour en savoir plus
Je vous ai préparé quelques anecdotes, informations complémentaires et considérations qui vous permettront de comprendre encore mieux les lainages. Parce qu'un classement, c'est bien, mais c'est mieux quand on comprend ce qu'il veut vraiment dire.
Alpaga, Alpaca, Alpaquoi...?
Certaines appellations sont orthographiées de plusieurs façons dans cet article. Ce n'est pas une erreur : le secteur textile est souvent régi par l'anglais dans ses appellations.
Lorsqu'une appellation n'existe qu'en anglais, il est donc approprié d'utiliser la bonne orthographe. (Et évidemment, lorsqu'il existe une version française communément utilisée, c'est celle qui est choisie).
On écrit donc :
- "Alpaga" en français et "alpaca" en anglais
- "Cachemire" en français et "cashmere" en anglais
- "Mérinos" en français et "merino" en anglais
- "Chameau" en français et "camel" en anglais
- "Laine" en français et "wool" en anglais
"Eh mais... on pourrait faire des pulls avec des cheveux non ?"
Soyez honnêtes, je sais que certains d'entre vous se posent secrètement la question. Eh bien désolé, mais la réponse est non.
Toute question d'éthique et d'hygiène mise de côté, un cheveu humain est bien trop épais pour créer une fibre agréable au porté.
Pour donner un élément de comparaison, un cheveu humain est d'une finesse allant de 50 à 100 microns.
Navré, pas possible de les mettre de côté chez le coiffeur pour faire des économies de maille...
Super-extra-mega-giga-fine Merino Wool™
Non je rigole. Ça n'est pas un vrai nom, rassurez-vous.
Mais les fabricants peuvent avoir des appellations commerciales différentes de tous ces grades. Par exemple une de nos filatures qui produit notre mérinos à 19,5 microns l'appelle "extrafine". C'est le nom commercial de sa qualité de fil, qui sous-entend une qualité de fibre du coup, mais qui ne la désigne pas directement.
Attention à ça, donc. Demain vous pourriez très bien monter votre filature, prendre des fibres mérinos à 20 microns et appeler votre fil "Hyperfine Merino". Ça serait tout à fait légal. Et pas mensonger d'ailleurs puisque tout de même plus fin qu'un mérinos moyen.
Ne jetons cependant pas la pierre aux filateurs : il est normal que chacun d'entre eux veuille créer une façon de distinguer et légitimer leur travail sur leurs différentes qualités de fils. Puisque, comme je l'explique plus bas, il n'y a pas que la finesse qui compte.
Beau ne veut pas dire costaud
Plus la fibre est fine, plus elle a un beau tombé, une bonne douceur et prise de lumière. On la considère donc de plus grande qualité, d'autant qu'elle est bien plus rare.
Cependant, elle devient aussi moins résistante à l'abrasion : boulochage sur les mailles dans le cas de frottements répétés et trous, dans le cas d'une laine de costume tissée.
D'ailleurs pour le costume, on tient le même raisonnement mais on ne parle pas de microns, mais de Super 100's, 110's, 120's... Pour des usages réguliers, à partir de 130's, on a quelque chose de soyeux et fin mais qui n'est pas trop fragile face à l'abrasion. Plus vous montez ensuite, plus ce sera rare, splendide, cher... et fragile.
Ne soyez pas obsessionnels
Plus c'est fin, plus c'est luxueux, vous l'avez bien compris.
Cependant, il faut aussi être réaliste : il est absurde d'exiger un manteau entier en Superfine Merino comme qualité minimum. D'une part parce que ce n'est pas en contact direct avec la peau, d'une autre parce que ça deviendrait un produit de luxe. Les laines moins douces ont donc un beau rôle à jouer, dans l'outerwear par exemple.
Et enfin les laines plus rêches ont aussi un caractère visuel différent qui apportera richesse et variété à votre garde-robe.
La "douceur", un faux-ami
"Moi j'aime le cachemire, parce que c'est tout doux. Et plus c'est doux plus c'est de la bonne qualité...
On est d'accord hein ? Tu ne vas pas nous dire le contraire quand même ?"
Eh bien... Non. Faux.
Bon d'accord. Plutôt "pas exactement vrai".
En fait d'un point de vue matériel et physique, le mot "douceur" veut tout et rien dire à la fois. Et d'ailleurs l'amalgame quasi-automatique entre "douceur" et "qualité" fait la fortune des fabricants les plus malins...
Selon mon expérience, il y a trois types de "douceurs" qui se combinent dans le toucher d'une fibre :
1. D'abord, la première, la plus évidente, est celle qui est due à la finesse d'une fibre. Puisque son diamètre est moins gros, l'aspérité est moins prononcée. Sous vos doigts, cela se traduit par moins de friction et donc plus de douceur.
2. La seconde est due au gonflant de cette fibre : c'est un peu le même principe, quand on touche une matière qui emprisonne plus d'air à sa surface, il y a moins de friction.
3. Mais la troisième est moins évidente, car elle est due à sa structure microscopique : la fibre est-elle très lisse ? Très souple ? Ou au contraire assez rigide ? Même une fibre d'une extrême finesse, si elle n'était que très peu souple, aurait au final un toucher plutôt "craquant" que doux.
Enfin, il ne faut pas oublier tout ce qui est relatif au tissu, à la maille, ou même au filage !
Si vous prenez une maille très texturée, du relief se sentira sous vos doigts. Et même le plus doux des cachemires aura une douceur qui paraîtra moins remarquable. Il en va de même pour les tricots en très grosse jauge.
A l'inverse, une écharpe en cachemire tissée assez lâchement gagne en souplesse et en aération... Ce qui vous laisserait croire qu'elle est encore plus douce.
Bref, si l'on ne prend pas en compte tous ces éléments, on risque de mal comprendre pourquoi tel ou tel tissu est doux (ou moins doux) et du coup de mal comprendre sa valeur.
Pour ne pas vous faciliter la tâche, certains fabricants rendent leurs mailles et tissus plus doux à l'aide de traitements chimiques (le plus souvent en entrée de gamme) ou mécaniques pour créer une impression de qualité en boutique. Evidemment, ça ne dure pas forcément dans le temps et au fil des lavages...
Plus c'est fin, plus c'est chaud ?
Pas tout à fait.
La chaleur de la fibre n'est pas directement liée à sa finesse, mais plutôt à son "gonflant", c'est-à-dire sa capacité à emprisonner l'air en prenant beaucoup de volume par rapport à son poids. Celui-ci dépend effectivement de la finesse mais aussi de la structure et de la forme du poil.
Une fibre très droite et lisse est plus "douce" mais a moins de gonflant. Vous n'avez qu'à regarder une fibre de polyester classique : c'est droit comme un "i" et c'est pour ça que c'est difficilement comparable à une laine en termes de capacité thermique, quand bien même ça serait très fin.
C'est toujours plus compliqué qu'il n'y paraît
Bon, et maintenant, la nouvelle qui fâche : comme pour tout dans la vie, rien n'est jamais aussi simple qu'il n'y paraît. Du coup ce petit guide ne vous permet pas d'avoir une appréciation définitive, exhaustive et indiscutable de la qualité d'un lainage.
Car d'autres critères encore plus compliqués sont à prendre en compte, dont certains que vous ne pourrez jamais vérifier en magasin. Par exemple...
La longueur des fibres
Oui je sais... C'était déjà pas assez compliqué que de devoir parler d'épaisseurs microscopiques, mais en plus il faut parler de longueurs exprimées en millimètres !
La bonne nouvelle, c'est qu'une fibre plus fine est généralement plus longue par la même occasion. Pour certaines d'entre elles, les appellations requièrent des standards de longueur en plus de ceux de la finesse.
Mais c'est un critère moins répandu, et aussi moins documenté, surtout côté client.
Il n'y a pas que la taille qui compte...
Mais aussi ce qu'on en fait ! (On parle toujours de fibres hein, soyons sérieux.)
Qu'elles soient longues ou fines, c'est bien.
Notez cependant que les mesures de finesse en micron correspondent à des moyennes dans un échantillon prélevé sur la masse de lots fibres brutes destinées à devenir du fil.
Par conséquent, il y a un autre paramètre à prendre en compte : de quoi est composée cette moyenne, au juste ? Car les fibres les plus courtes et rêches ont un impact fort sur le toucher, et le rendent beaucoup moins doux, quand bien même la moyenne afficherait un chiffre flatteur.
Autrement dit, si vous obtenez une finesse de fibre moyenne de 19 microns sur votre fil de mérinos, elle n'aura pas le même toucher si elle est composée de fibres comprises entre 17 et 21 microns que si c'est du 15 à 22 microns avec une grande majorité de fibres plus épaisses.
Je vais prendre un exemple par l'absurde pour rendre ça encore plus clair :
Imaginez que vous ayez deux sacs de cachemire, sac A, et sac B.
- Dans le sac A, vous mettez 100% de fibres d'un cachemire moyen.
- Dans le sac B, vous mettez 90% du meilleur cachemire du monde d'une finesse extrême, mais 10% de "grosse laine qui gratte".
Imaginez ensuite que les deux aient la même moyenne de finesse de fibre en micron...
Lequel sera le plus doux ? Eh bien c'est évidemment le sac A, parce que la "laine qui gratte" du second se fera bien plus sentir dans le toucher et prendra le pas sur le cachemire "top niveau".
Et malheureusement, cette donnée là, vous ne l'aurez jamais en tant que client. En fait pour ne rien vous cacher, même en tant que marque, il est très difficile de questionner son fournisseur pour obtenir des infos aussi détaillées.
Et dernière anecdote encore plus compliquée : j'ai même entendu dire que pour l'alpaga, on considérait que les fibres les plus ondulées étaient de meilleure qualité... Alors là, bonne chance pour mesurer ça en tant que client.
Le mot de la fin
Mais attends Nicolò, ça veut dire que ce classement au final... Il ne sert à rien ?
Non, n'exagérons pas non plus ! Je ne dis pas qu'on va essayer de vous arnaquer en "coupant" des fibres d'ultraluxe avec des fibres très mauvaises pour au final obtenir un résultat "moyenne gamme". Notamment parce je pense qu'une filature aurait assez peu intérêt à utiliser ses meilleures fibres pour ça...
Par contre, ce que vous devez retenir, c'est qu'entre deux belles laines qui affichent les mêmes chiffres au compteur, il est possible que l'une des deux emporte votre faveur, notamment pour toutes ces raisons indécelables.
Et savoir tout ça vous permet aussi de comprendre, en boutique ou sur le web, à quel point votre interlocuteur est informé, et jusqu'où vous pouvez lui faire confiance. .
Vous voilà encore un peu mieux armés pour déchiffrer les arcanes du tissu et les mystères de la qualité.