Vous l’adorez.
Il vous tient compagnie chaque semaine en ce moment. Il vit chacun de vos mouvements tout au long de la journée, partage vos instants à toute heure, collé contre vous. Il fait presque partie de vous.
Il vous arrive parfois même de le cajoler, parce qu’il est doux. Parce qu’il vous tient chaud. Peut être aussi parce que vous avez dû vendre votre poisson rouge pour vous l'offrir.
C’est votre pull en maille préféré.
C’est d’ailleurs en pleine saison hivernale, entre plusieurs ports intensifs, qu’un matin vous l’enfilez devant votre miroir, sereinement pour attaquer votre journée.
Mais là, quelque chose ne va pas.
Vous le sentez : votre pull est différent, quelque chose à changé à sa surface, mais vous ne savez pas encore quoi.
Vous vous rapprochez du miroir, fixez votre compagnon d’hiver de plus près et là, vous les voyez : les bouloches.
Ces petites peluches intrusives qui s’introduisent sans prévenir dans la vie de vos pulls pour en perturber la belle régularité.
Elles n’étaient pourtant pas mentionnées sur l’étiquette.
© Il avait pourtant l'air si innocent quand vous étiez à la caisse...
Pas de panique, c’est là qu’intervient notre nouveau format : Christophe, notre rédacteur en chef, m’a mis au défi de faire le tour des aléas du vêtement dans une série d’articles courts.
Pour cela, je dois affronter mon pire ennemi : l’esprit de synthèse. Je lui ai parié un kilo de coquilles Saint-Jacques que j’y arriverai. A vous de juger si je dois aller faire la queue chez le poissonnier.
Pour revenir à nos mini-moutons de laine qui se promènent sur votre pull, on va donc voir ce qu’il s’y passe.
Pourquoi votre pull bouloche-t-il ? Est-il pour autant de mauvaise qualité ? Quelle est la solution magique pour y remédier ?
La réponse ci-dessous, sans l’aide de Jamy.
MAIS QUE SE PASSE-T-IL ?
Commençons par nous rassurer : les bouloches, c’est normal.
À moins d’avoir un pull en fibres de poly-pétrole sans intérêt, votre maille passera forcément par cette étape. Elle rejette tout simplement de la matière, parce qu’elle vit.
C’est comme les feuilles qui tombent d’un arbre, comme vos cheveux qui poussent, comme Chuck Norris qui gagne à la fin : vous ne l’empêcherez pas.
Au sein de cette maille, il y a des fibres plus courtes que d’autres. Ce sont ces dernières qui, au fil des frottements, finissent par ressortir et s’entremêler joyeusement pour s’installer à la surface du tissu.
Et, comme ces petits fils restent en partie entremêlés avec les autres fibres restantes dans le pull, ils sont donc accrochés à la trame de votre vêtement. Sinon, ça ne serait pas drôle.
© Ici, on peut distinguer les fibres courtes qui semblent vouloir sortir faire un tour.
Comme ce sont souvent les frottements qui vont les faire sortir, les peluches apparaîtront majoritairement aux endroits qui y sont sujets : sous les aisselles d’un pull, au niveau des coudes, à l’entre-cuisses d’un pantalon en flanelle...
A l’issue de ce phénomène d’évacuation, ce sont les fibres plus longues de laine, de cachemire, ou d’autres matières qui resteront pour constituer l’armure de votre pull. Ce sont sur ces fibres que reposera la responsabilité de vous aider à combattre le froid sur le long terme.
D’ailleurs, parmi les étapes de confection d’un tissu de laine, on retrouve le cardage et le peignage qui ont, entre autres, pour but d’aligner les fibres, mais aussi de retirer les impuretés… et les fibres courtes restantes !
L’étape du peignage étant dispensable 3, les laines qui ne l’auront pas subi auront donc une tendance à boulocher de manière plus importante puisqu’il y restera plus de fibres courtes.
Au-delà de la longueur des fibres, un autre élément déterminant sera décisif pour la tendance d’une maille à boulocher : l’épaisseur des fils.
Des fils plus fins seront plus doux mais pourront casser plus facilement en cas d’abrasion.
Et s'ils cassent, que deviendront-ils ? Allez, je sais que vous suivez.
Des fibres plus courtes !
C’est pour ça qu’une maille plus douce peut aussi avoir plus facilement tendance à pelucher.
Mais cela veut-il dire nécessairement qu’elle est mal confectionnée ?
MON PULL EST-IL DE MAUVAISE QUALITÉ ?
Vous l’avez lu plus haut : il est normal que votre pull bouloche. Mais quel type de pull boulochera le plus ?
Combien de temps verrez-vous ces boulettes de laine se balader sur votre pièce d’hiver favorite ?
Si une maille plus douce comme le cachemire, une maille au tricotage plus lâche ou un mélange de fibres boulochera légèrement plus, un autre élément influera sur ce processus : la qualité de la pièce.
D'ailleurs, pour ce qui est du rapport entre boulochage et serrage du tricot, c'estAlexandre, fondateur de la marque Paris Yorker,qui a pris le temps de me faire part de son expérience en tant que fabricant. En effet, serrer au maximum le tricotage peut être une solution pour limiter les bouloches. On peut aussi limiter les traitements (qui apportent du gonflant et de la douceur).Il en résulte donc une maille moins sujette au boulochage, mais également moins douce :dans le cas du cachemire, Alexandre a même vu des personnes remettre en cause l'authenticité de la matière car elle était plus rêche.
Pour une marque, il peut donc être difficile de trouver le bon compromis entre douceur et résistance au boulochage. Puisqu'on trouvera un inconvénient de chaque côté de la force. Ce compromis peut aussi être stylistique : pour obtenir un style de maille précis, on doit parfois recourir à un tricotage plus lâche et accepter ses petites boules de poils. C'est là qu'on retrouve la nuance entre "qualité" et "solidité" : une maille au tricotage exceptionnellement beau aura souvent ses conséquences en termes de peluchage, d'entretien et de fragilité.
© À chaque pull sa façon de pelucher.
Pour faire une maille de qualité sommaire, une marque sera très peu regardante sur la provenance de la laine. Il s’agira donc souvent d’animaux tondus fréquemment, de mélanges de fibres dont la proportion de fils courts et fragiles sera importante.
Vous l’aurez compris : si votre pull est de mauvaise qualité, il aura tendance à boulocher davantage.
C’est là qu’interviennent les ingrédients magiques des fabricants de maille jetable : des traitements et agents chimiques, qui souvent en plus de donner un semblant de douceur et de gonflant, empêcheront les bouloches de sortir aux premiers ports.
Sur ce point, je remercie l'association Ateliers Laines d'Europe qui m'a permis d'avoir la contribution de Daniel Palet, ingénieur et professeur en textile à la retraite. Mr. Palet a pu nous préciser la nature exacte des traitements fréquemment utilisés dans l'industrie textile : des résines et silicones, qui "enveloppent" les fibres pour limiter le rétrécissement, et donc aussi les premiers boulochages en influençant les propriétés de friction. Actuellement, pour limiter les dégâts environnementaux, des traitements enzymatiques sont utilisés. Les adoucissants peuvent aussi réduire le boulochage de la maille.
Mais comme pour une coupe de cheveux maintenue au gel coiffant, l’effet ne tient pas indéfiniment.
Et une fois que les petites bêtes pelucheuses seront sorties, elles ne rentreront plus.
Elles continueront même à sortir jusqu’à ce qu’il n’y ait plus assez de fils longs restants pour assurer la solidité de la trame.
En bref, ça se finira souvent par un trou sur une zone à frottements.
À l’inverse, si votre pull adoré est de bonne qualité, il a été confectionné à partir d’un lainage régulier aux fils continus. Car ce dernier est dans ce cas souvent issus de la première tonte de l’animal, dans le cadre d’un élevage qui a fait attention à la plupart des étapes de confection pour préserver cet avantage.
Qui dit fils continus et réguliers, dit fils majoritairement longs.
Qui dit fils majoritairement longs, dit moins de fils courts.
Qui dit moins de fils courts, dit moins de bouloches.
Qui dit moins de bouloches... dit moins de bouloches.
Et comme il n’a dans ce cas probablement pas été traité au gel fixation forte 3000 avant la vente, ces peluches apparaîtront naturellement au cours des premiers ports.
Elles disparaîtront progressivement par la suite, laissant derrière elles une belle armure de laine qui aura toujours assez de fils longs pour vous maintenir au chaud.
© Après la tempête, votre maille redeviendra un bel océan calme de fibres longues.
CONTRE LES BOULOCHES, JE FAIS QUOI ?
Ne paniquez pas, ne le jetez pas, ne le brûlez pas : votre pull mérite une seconde chance.
Il existe des solutions au boulochage. D’ailleurs, il ne s’agit pas vraiment d’un problème en soi.
On dit qu’en une dizaine de lavages, un pull de qualité perdra ses derniers amas de bouloches dans ses pirouettes à l’intérieur du tambour de votre machine à laver.
De plus, sachez qu’au lavage, les fibres auront tendance à durcir. Les plus courtes d’entre elles s’entremêleront donc généralement moins.
Ce n’est cependant pas une excuse pour passer un dimanche en caleçon devant son lave-linge, à relancer des sessions de lavage en boucle. La durée de vie de votre vêtement, ainsi que votre facture de consommation d’eau, vous remercieront.
© Vous pourrez même en faire des boulettes, et les offrir à vos proches.
Il existe cependant quelques bonnes pratiques envisageables.
Sur les vastes étendues d’Internet, vous trouverez des solutions qui vous diront de passer votre temps à arracher indéfiniment toutes les peluches une par une à la pince, jusqu’à ce que mort s’en suive.
Je ne me limiterais pas à cette solution à votre place. Vous pourriez, avec le même temps, utiliser une autre méthode et lire un bon livre.
De plus, en arrachant chaque bouloche de la sorte, vous ne ferez que tirer indirectement sur d’autres fils courts de l’armure de votre maille.
On vous dira aussi parfois de rouler dessus avec une brosse adhésive. Cette dernière étant, ni plus ni moins, un rouleau de papier collant. Peu efficace : votre pull n’étant pas de la pâte à pizza, je vous dirais bien de passer votre chemin.
J’ai même eu vent de recommandations consistant à vous faire ranger votre pull au congélateur avec vos Mr. Freeze. Abordons plutôt des solutions simples, ayant toujours fait leurs preuves.
© Même s'il sort de l'industrie de la fast fashion, votre pull n'a pas mérité ça.
VOUS POUVEZ PRÉVENIR
Généralement, pour la plupart des pulls, vous pouvez limiter en amont l’arrivée des bouloches :
- Limitez les frottements au lavage, en évitant de surcharger votre machine ou de laver votre maille avec vos jeans.
- Pensez à retourner le pull. Simple, mais efficace. Mieux encore, glissez le dans un sac ou un filet.
- Beaucoup de produits lavant chimiques fragilisent les fils, qui peuvent se casser et former de nouvelles bouloches. Limitez-en l’utilisation.
En cas de besoin, notre bible de l'entretien du vêtement est là pour vous guider.
Concernant les peluches qui peuvent apparaître à l’entre-cuisses d’un pantalon en laine, sachez qu’il est souvent difficile d’y remédier efficacement si vous avez des cuisses fortes. Les frottements, et donc les bouloches, seront fréquents quoi qu’il arrive.
PARFOIS, IL FAUT GUÉRIR
Si l’invasion de peluches commence à se faire problématique ou qu’elle vous dérange visuellement, les rasoirs à bouloche sont vos amis.
Pour une quinzaine d’euros, leurs lames seront à vos côtés pour découper les bouloches efficacement, tandis que la présence d’une grille par dessus empêchera ces lames de toucher à la trame. Adieu les risques de trous.
© Bac récupérateur, hauteur de découpage réglable, la Rolls Royce du rasoir à bouloches.
Si vous savez manier le sabre laser ou que vous êtes chirurgien de profession,vous pouvez prendre un rasoir à barbe classique pour trancher les bouloches par vous-même.Dans ce cas, mieux vaut un rasoir aux lames usées. Effleurez votre pull en faisant attention à ne pas l’endommager.
© Pour ce qui est des peignes à bouloches, ça fonctionne plutôt bien aussi.
POUR FINIR : RESPIREZ, LA VIE DE VOTRE STYLE N’EST PAS JOUÉE
La solution anti-bouloches la plus importante : relativisez.
Certaines personnes se prennent systématiquement la tête à l’apparition des premières peluches, regrettant amèrement la régularité parfaite qu’avait leur pull à l’achat.
Mais la beauté se trouve parfois dans l’irrégularité : vous avez la preuve que votre vêtement est vivant et qu’il n’est pas en plastique.
De la même manière que tous vos vêtements ne tomberont jamais pile poil sur vous au centimètre près, les matières ne seront jamais parfaitement régulières. Et c’est ce qu’on aime.
Bien entendu, si votre maille a plus de bouloches que d’étoffe et que ça ne part pas pendant des mois, vous êtes en droit de vous poser des questions sur la qualité de votre pièce. Je comprendrais que le phénomène vous pose problème.