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Leur communauté comporte des gens très pointus, des écrivains sur le sujet, des "insiders" dans les grandes maisons ou en horlogers indépendants, ils ont donc accès à des informations solides et vérifiées.
Vous aimez vous renseigner avant d’acheter un costume entoilé à 1000 euros ? Alors quand vous envisagez d’acquérir une montre à plusieurs milliers d’euros, vous serez intéressé de comprendre un secteur à la fois riche – dans tous les sens du terme – et passionnant et pas seulement sur le terrain de la seule mécanique. Sa devise : « Le secret des affaires est de savoir quelque chose que personne d'autre ne sait » - Aristote Onassis.
Ce dossier a pour but de vous donner les clés pour comprendre le secteur horloger et d'être mieux armé pour l'achat de votre première "grande" montre. C'est ambitieux, mais Don a fait un travail de synthèse remarquable. Comme d'habitude, vos commentaires pour enrichir cet article sont les bienvenus ! Et pour connaître l'avis de Don sur 50 marques de montres, c'est ici.
Bonne lecture !
Les deux faces du secteur horloger
Côté pile : le luxe, les belles montres, la fabrication en Suisse, les beaux événements, les coupes de champagne, les jolies photos sur Instagram, l’image d’un film, vous êtes pilote, vous êtes cosmonaute, vous êtes agent secret…
Côté face : les chiffres, les prix, la domination des grands groupes, le marketing omniprésent…
Le secteur horloger et son ambiance feutrée fixent les projecteurs sur les montres mais, pour le reste, il garde jalousement ses secrets. Cela tombe bien, chez Bonne Gueule, nous adorons les dévoiler.
S’offrir et porter de belles choses doivent être un plaisir, mais le plaisir en est doublé quand on les comprend. Alors, cherchons à comprendre le fonctionnement du secteur horloger.
L’horlogerie en chiffres
Nous sommes plus de 7,55 milliards d’êtres humains mais savez-vous que ça n’est pas moins de 1,2 milliard de montres qui sont écoulées chaque année ? Autrement dit : à chaque seconde, 38 montres sont produites. Avec autant de montres, vous devez vous dire que les gens sont de plus en plus à l’heure mais ce n’est pas vraiment le cas.
La Suisse occupe largement la première place en termes d’exportations horlogères avec 20,2 milliards de dollars en 2017, Hong Kong occupant la seconde place avec 8,4 milliards de dollars d’exportations (*attention, Hong Kong est tourné massivement vers la réexportation de produits importés), la Chine exportant à hauteur de 5 milliards de dollars. La France exporte pour 2,8 milliards de dollars et elle se situe devant l’Allemagne.
Maintenant, attention, ces exportations sont en chiffre d'affaires. En termes de quantités, la première place est occupée indéniablement par la Chine avec 688,3 millions de pièces écoulées en 2017, le prix moyen étant d’environ 4 dollars. La Suisse écoule quant à elle 24,3 millions de montres pour un prix unitaire moyen de 827 dollars.
Ce secteur présente ainsi de très grandes disparités. De la montre à quartz en plastique à la montre mécanique en platine, le marché de la montre-bracelet reste largement dominé en valeur par la Suisse alors que la Chine le domine nettement en quantité.
Si on s’intéresse davantage aux exportations suisses, on s’aperçoit qu’il n’y a pas que des disparités observables à l’échelle mondiale mais que le secteur horloger présente des gammes très différentes et qui évoluent – à l’image du secteur du prêt-à-porter d’ailleurs – séparément :
Si on rentre dans le détail en prenant l’exemple des exportations suisses, on s’aperçoit que les plus grands débouchés pour les montres évoluent sur le plan mondial de cette manière :
Attention, les habitants de la région administrative spéciale de Hong Kong de la République populaire de Chine (*oui, c’est un peu long) et du Royaume-Uni ne sont pas nécessairement des amateurs compulsifs d’horlogerie, mais pour le premier il s’agit d’un grand marché d’import-export alors que le second tend à devenir une plateforme pour capter les achats horlogers des touristes et des voyageurs d’affaires en quête… de bonnes affaires et particulièrement dans les montres mécaniques.
Mécanique Vs. Quartz
Le match, s’il y en a eu un véritablement, s’est déroulé d’abord dans les années 70 quand l’arrivée massive des mouvements à quartz a failli mettre KO tout le secteur de l’horlogerie mécanique. Précision : c’est le « a failli » qui est important. Le marché horloger a considérablement évolué depuis.
Si en quantité le quartz règne sans partage – pensez à la Casio-calculette de votre enfance qui a retrouvé quelques faveurs récemment lors d’un retour de mode éphémère dans sa version en PVD couleur or – en valeur, la montre mécanique triomphe.
En termes d’évolution, aujourd’hui, le quartz cède du terrain par rapport à l’horlogerie mécanique : concernant les exportations suisses de montres entre 2016 et 2017, les montres à quartz reculent de 7,4% en volume (*et de plus de 42% en 20 ans) alors que les montres mécaniques continuent d’augmenter de 3,9% en volume (*et de plus de 191% en 20 ans). Cette tendance est nette depuis des années (en valeur, c’est en 2001 que la Suisse a réexporté davantage de montres mécaniques que de montres électroniques).
Quels que soient les arguments techniques du côté de la précision pure ou de la supériorité de la durée de vie d’une pile sur la réserve de marche d’une montre mécanique, les atouts qui jouent en faveur des montres mécaniques sont nombreux : le goût de l’histoire, de l’authenticité et le charme d’un mouvement mécanique à remontage manuel ou automatique demeurent sans équivalent par rapport à une montre animée par une simple pile.
Même Seiko, qui a incarné à un moment avec Citizen le tsunami du quartz, revient massivement vers la montre mécanique et continue d’innover pour proposer notamment des technologies hybrides.
Certains diront qu’une montre ne se résume pas qu’à son mouvement. C’est vrai mais le mouvement reste le cœur de la montre. Et pour habiller ce cœur, il lui faut un excellent boitier et, justement, si le secteur horloger dégage une rentabilité en or, ses boitiers ne sont pas faits que dans ce métal.
Du plastique aux métaux précieux en passant par l’acier – en grande majorité du 316L mais il existe d’autres aciers comme le 904L utilisé par Rolex – le titane et d’autres alliages comme le bronze.
Il existe évidemment un grand nombre de matières susceptibles d’être utilisées pour les montres et il n’importe pas d’en faire une liste exhaustive. En revanche, il est à noter que si le nombre de montres exportées en métaux précieux est très faible (2%), en valeur ces exportations de montres représentent 34% du total des montres suisses écoulées sur les marchés internationaux (la Chine en est particulièrement adepte) !
Plus de la moitié des montres suisses sont faites en acier, mais il ne faut pas croire que seul l’acier et les métaux nobles comme le platine et l’or dominent sans partage le secteur.
En réalité, il existe une certaine effervescence dans le secteur : l’industrie s’essaie à de nouvelles matières (pour les boitiers) :
- La céramique : elle présente l’immense avantage de ne pas pouvoir être rayée contrairement aux autres métaux (*même le titane est susceptible d’être rayé, plus difficilement certes) et aussi d’être amagnétique. Désavantage : la céramique peut casser en cas de choc. La technologie évoluant, les nouvelles générations de céramiques en cours d’élaboration visent à corriger cet inconvénient.
- Les polymères : utilisés pour les matrices des matières composites, ils peuvent présenter certains avantages mais, souvent, les détails les concernant ne sont pas fournis par les marques. Breitling utilise sur certains modèles le « Breitlight », certaines (bonne ou mauvaises) langues diront qu’il peut s’agir de plastique 2.0 à l’intérêt limité. Et d’autres répéteront -en chantant- le communiqué de la marque selon lequel s’agit d’un polymère renforcé de fibres de carbone… autrement dit, pour traduire ce charabia technique : du plastique renforcé.
- Le saphir : oui, vous avez bien lu, il s’agit bien de la matière dans laquelle est souvent réalisé le verre des montres. . Cela donne des boitiers transparents avec des couleurs particulières. La marque Hublot commercialise plusieurs modèles avec ce type de boitier.
D’autres matières peuvent être utilisées comme le tungstène mais, encore une fois, nous n’allons pas faire de liste exhaustive. Il est important en revanche de comprendre que le secteur horloger cherche à innover et aussi à profiter de la moindre opportunité pour faire le buzz, et l'entretenir. La mode des montres en bronze continue (depuis quelques petites années), mais elle ne durera pas infiniment.
Le secteur horloger s’est depuis longtemps mis à l’heure de la mode et du marketing. Les cycles sont plus courts et le besoin en nouveautés est sans fin. Du fait des coûts associés au marketing, à la production, à la conception et à la recherche et au développement, les marques horlogères sont maintenant regroupées au sein de groupes qui dominent le marché.
Un groupe pour les contrôler tous…
L’œil exercé d’un horloger voit et contrôle tout depuis la Suisse jusqu’au Mordor !
Sauron aurait peut-être fait un excellent PDG de groupe horloger mais, dans la réalité, ce marché est dominé par un oligopole avec plusieurs groupes qui contrôlent une majorité de grandes marques horlogères. Pour comprendre la composition du panorama horloger actuel, il faut bien comprendre que ce secteur a connu une période de très grande remise en question : la FAMeuse crise du quartz.
Si les années 60 ont vu un âge d’or dans l’horlogerie, la décennie suivante, le secteur a connu la pire crise de son histoire. Cette crise a continué jusqu’au milieu des années 80 et a été fatale à un grand nombre de marques : Angélus, Büren, Difor, Gruen, Leonidas, Lip… certains noms de marque ont été repris pour atteindre le septième niveau des enfers. Puis revivre en s’efforçant de renouer très progressivement avec une petite partie de leurs traditions, comme Lip qui commence un peu à retrouver ses racines.
Il fut un temps plus ou moins reculé où Breguet, Blancpain, Jacquet Droz, Omega, Longines, Hamilton, Tissot, Rado, Mido, Certina étaient des marques indépendantes ou faisaient parties d’autres groupes. Certaines étaient d’ailleurs des concurrents sur la même gamme (en particulier Omega, Longines et Hamilton).
Toutes les marques précitées ont été rachetées et/ou regroupées au sein de Swatch Group, qui s’appelait alors la Société de Microélectronique et d'Horlogerie, lui-même issu de la fusion de deux autres groupes (*la Société Suisse pour l'Industrie Horlogère et l’Allgemeine Schweizerische Uhrenindustrie).
Evoqué ainsi, la constitution d’un immense groupe horloger comme le Swatch Group (*il s’agit actuellement du premier groupe horloger au monde en termes de ventes) peut donner l’impression de l’éclosion d’une hydre mais il faut bien comprendre que l’horlogerie mécanique était menacée dans son existence même.
L’arrivée du quartz a bouleversé cette industrie et elle a entrainé une consolidation nécessaire avec une industrialisation de la production encore plus développée, condition première pour sa survie.
Les plus grands groupes horlogers actuels sont :
Si ces groupes tendent à réunir la quasi-totalité des marques horlogères historiques, ils ne constituent pas les seuls acteurs du secteur.
Et pour quelques acteurs de plus….
Le secteur horloger fonctionne traditionnellement avec trois acteurs : les marques/les groupes horlogers, les distributeurs appelés communément AD (*Authorized Dealers) et les clients.
NB : Les horlogers dans les ateliers appartenant aux marques sont plutôt en blouse blanche (et leurs outils sont plus fins). Avec l’automatisation de la production, même dans le haut de gamme, l’intervention humaine tend à se réduire.
Contrairement au secteur du prêt-à-porter, la majorité des marques horlogères disposent de leurs propres usines/ateliers de production. À partir de là, les choses se corsent. Une partie des marques ont adopté un modèle d’intégration verticale – c’est le cas de Rolex – qui permet de disposer et de contrôler tous les aspects de la production.
D’autres marques conservent l’assemblage et acquièrent auprès de fournisseurs les différents composants de leurs montres. La part de ce qui est produit effectivement par la marque et la part des composants achetés à des tiers varient d’une marque ou d’un groupe à l’autre. Jusqu’au tout début des années 2000, la société ETA (*Swatch Group) possédait le quasi-monopole de la fourniture de mouvements ou ébauches .
La situation a changé depuis : aujourd’hui, la majorité des mouvements suisses sont toujours produits par ETA, mais Sellita et Soprod sont devenus des concurrents directs. D’après les accords passés dans l’industrie, la fourniture des mouvements ETA devra se réduire progressivement jusqu’à ce qu’ETA ne fournisse plus que les marques de Swatch Group.
Certains groupes intégrés comme le Swatch Group produisent par le biais d’ETA les mouvements à destination de ses propres marques comme Omega, Longines, Hamilton et Tissot par exemple. Longines et Hamilton peuvent être équipés du même calibre 2824-2 (*l’un des calibres les plus courants dans l’industrie).
Omega ne produit plus ses propres mouvements mais la marque dispose d’une ligne de production spécifique chez ETA qui lui fournit exclusivement des mouvements comme le Master Co-Axial.
Les marques n’appartenant pas au Swatch Group ont dû s’adapter par rapport à cette nouvelle donne.
Tag Heuer (*LVMH) ou IWC (*Richemont) recourent pour leurs modèles les moins chers à des mouvements Sellita. Le calibre Sellita SW-200 est censé être un clone fidèle du calibre 2824-2 d’ETA… en théorie.
Dans la pratique, le degré de finition n’est pas le même et, de manière générale, l’original est souvent meilleur que la copie, même si elle est légale. Pour leurs modèles plus hauts de gamme, les marques recourent à des mouvements de manufacture qu’ils ont dû développer eux-mêmes ou acquérir auprès d’autres groupes pour ne plus dépendre d’un fournisseur (*ETA) qui a restreint ses livraisons.
Ainsi, Breitling équipe la très belle SuperOcean Heritage II d’un mouvement de manufacture fournit par Tudor. L’exemple de Tudor est intéressant car l’autre marque du groupe Rolex équipaient ses montres de mouvements ETA. Progressivement, la marque Tudor rééquipe ses modèles avec son propre mouvement dont l’architecture rappelle d’ailleurs ceux utilisés par la maison Rolex.
Traditionnellement, les marques passent par des distributeurs pour vendre leurs montres : en valeur, 90% des montres suisses sont vendues par les distributeurs (externes aux marques). Depuis une dizaine d’années, les marques ont commencé à développer leurs propres réseaux de boutiques.
Ainsi, vous trouverez à Paris plusieurs boutiques Omega qui sont la propriété de Swatch Group. Cette politique a tendance à envenimer les relations avec beaucoup de distributeurs qui se voient, pour certains, retirer leur licence de distribution. Le développement de l’e-commerce est également une autre source d’inquiétude pour les distributeurs.
Le cas du e-commerce
Si la majorité des clients (*60% d’après une étude de Deloitte) se renseignent sur internet à propos des caractéristiques, des retours d’expérience et des prix des montres, ils préfèrent en grande majorité les canaux traditionnels pour en acquérir une. Même si le facteur prix reste un frein à l’acquisition sur internet et la livraison d’une montre de plusieurs milliers d’euros, les marques préparent le terrain pour trouver dans l’e-commerce un relais pour leur croissance.
- Problème : les prix qui sont pratiqués en ligne sont les mêmes que ceux pratiqués par les distributeurs… Autrement dit, il s’agit d’une désintermédiation sans que les clients en tirent le moindre bénéfice… Un jeu qui peut sembler assez dangereux, d’autant plus que les prix pratiqués par le secteur ne sont pas des plus anodins.
Comme vous pouvez le voir, l’horlogerie est en pleine transformation, aussi bien du côté de l’offre que du côté de la demande et elle aboutira à terme à une recomposition du secteur.