Les jours raccourcissent et les manteaux s'allongent : aucun doute, l'automne arrive très bientôt. Comme chez BonneGueule, on aime bien être au chaud et qu'on apprécie les belles matières, on a décidé de se pencher sur le cas de la laine bouillie, une matière qui gagne à être connue. Petit tour du sujet.
"On part d'une maille tricotée, et pas d'une chaine et trame classique. On utilise une machine pour le tricot, qui donnera moins d'armure que le chaine et trame", détaille Stefania, responsable du marché français pour la MTT, la Manifattura Tessile Toscana, une entreprise italienne spécialisée dans la production de laine bouillie.
"Les machines à tricoter ne sont pas les mêmes, en fonction de la finesse du fil et du résultat final que l'on veut obtenir", il y a donc plusieurs types de laines bouillies !
Une machine à tricoter circulaire, comme celles utilisées par MTT. Crédits : Exapro.
La laine tricotée sort de la machine sous forme de tubes. Le tricot ne doit donc pas être trop épais, afin d’obtenir une maille souple. Seule la laine vierge est utilisée. Pour rappel, la laine vierge est la laine issue de la toute première tonte d'un animal. Le tricot est réalisé à la machine, Il y a plusieurs techniques de tricot, qui permettent de rendre le tissu plus ou moins extensible : on retrouve évidemment le jersey, mais aussi le double tricot, ou le tricot “en V”. Le tricot initial doit être assez serré pour un résultat optimal.
L'étape suivante, c'est le feutrage : c'est ce qui va donner cet aspect feutré à la laine.
Les pans de laine tricotés sont plongés dans l'eau, afin de resserrer la maille du tricot et de feutrer la fibre de laine maillée : "La laine passe dans l'eau, c'est ce qui va draper, et "ouvrir" la laine tricotée, pour donner cet aspect", détaille la responsable de MTT.
"Selon le type de laine bouillie attendue, le feutrage peut durer 2 minutes, 10 minutes, 15 minutes, ça va beaucoup jouer sur l'aspect final de la laine". Plus la laine "feutre" longtemps, plus la maille aura l'air serrée avec un aspect feutré.
Pendant le procédé, la maille rétrécit et emmagasine des bulles d’air qui vont s’intégrer à la fibre. Ce procédé rend la laine plus légère, plus douce, plus élastique et plus solide. Avant l'étape de la finition, la laine feutrée a "un aspect d'éponge, un peu sec".
Dernière étape : les finitions. Afin d'être considérée comme de la laine bouillie, la laine doit subir quelques transformations. Première finition sur la liste : la teinture, réalisée avant les dernières finitions.
Ensuite, il y a plusieurs choix : si l'on veut un tissu très élastique, la laine est pressée à l'aide d'une machine. Si l'on cherche un tissu plus ferme et robuste, la laine subit un décatissage. Selon Stefania, "c'est là que la laine bouillie rencontre enfin son aspect final". Petite anecdote, c'est le deuxième choix que l'on a fait pour notre propre approvisionnement en laine bouillie.
Après ces transformations, la laine n'a plus du tout le même aspect.
Aux origines de la transformation
Avant cette petite démonstration, n’hésitez pas à réviser vos cours de chimie et à vous replonger dans la théorie !
La fibre de laine, peu importe son origine animale, est faite de kératine. Tout comme nos cheveux. Voyez plutôt la proximité entre les deux :
Lorsque la laine est mélangée avec de l’eau chaude et qu’elle est battue (mélangée énergiquement), ses fibres se ramollissent, puis se soudent entre elles.
Cette agglomération est favorisée par la forme ondulée des fibres, et par leur surface écailleuse (les écailles s’accrochent les unes aux autres).
Ainsi, la laine tricotée se resserre grâce à l'humidité. On obtient un tissu solide, uni, élastique. Esthétiquement parlant, le foulonnage donne de la texture à la matière, qui prend du grain et de l'épaisseur.
De plus, lors du feutrage, la laine va emmagasiner de l'air qui va "se glisser entre les fibres" : c'est ce qui va donner ce côté isolant à la laine bouillie.
Vous nous connaissez, chez BonneGueule, on aime ces matières là. Voyez plutôt :
Bon à savoir, les surchemises Milo navy et vert seront réassorties au début du mois d'octobre. Et on a aussi prévu un nouveau coloris. Idéal pour rester au chaud.
Un procédé qui ne date pas d'hier
Dès l’époque romaine, l’homme a cherché à travailler davantage la laine, afin de la rendre plus solide et confortable. Les Romains travaillaient dans un fullonicae, des ateliers dédiés, où les travailleurs battent avec les pieds la laine qui trempe dans un petit bassin rempli d’eau : c’est le saltus fullonicus, le foulonnage.
Après s’être fait marcher dessus, le tissu est nettoyé, séché, brossé puis pressé. Résultat : une laine plus facile à découper, plus chaude, plus résistante.
La technique évolue avec les années. Au Moyen-Âge, les moulins remplacent peu à peu les travailleurs manuels. Un peu partout en Europe, on trouve des moulins à fouler, ou foulons, dès le XIIème siècle.
L’engin consiste à remplacer les pieds des fouleurs par des cames mécaniques fixées sur l’arbre rotatif du moulin, situé juste au-dessus du bac d’eau où baigne la laine.
Un progrès technique qui va faire augmenter le rendement ainsi que la qualité de la production de laine. La période de la révolution industrielle va donner un sérieux coup de fouet au secteur : avec l’apparition de nouvelles machines (métiers à tisser, foulons mécaniques …).
De la révolution industrielle à maintenant, certaines régions du monde se sont spécialisées dans la technique de la laine bouillie. On peut citer la Cordillère des Andes en Amérique du Sud, les Alpes Tyroliennes en Autriche et la région du Prato, en Italie. C'est dans cette province que se situe la Mannifatura Tessile Toscana (MTT) !
De nos jours, la laine bouillie est également appréciée car selon Stefania, c'est "une laine éthique, qui est en accord avec les demandes d'aujourd'hui, c'est un produit qui a une durabilité"
Les avantages de la laine bouillie
Après le processus de feutrage, la laine bouillie est un produit transformé, comprenant de nombreux atouts. Petite liste exhaustive des caractéristiques de cette noble matière.
- Au toucher, la matière dispose de petites aspérités. Julien, le chef du pôle produit de BonneGueule, nous raconte que "les italiens parlent de “tridimensionnalité”, c’est un tissu en relief, avec sa texture et ses aspérités très recherchées. C’est difficile de trouver ces caractéristiques sur du chaine et trame classique”.
-
C'est une matière durable, qui ne s’effiloche pas, qui ne se dégrade pas. “C’est résistant, c’est une matière à la fois solide et souple, qui est parfaitement adaptée pour des couches supérieures”, explique Emilie, responsable contrôle qualité des vêtements BonneGueule.
Grâce à cette robustesse, la laine bouillie se découpe facilement, ce qui ouvre le champ des possibilités. Par exemple, on peut faire des coupes bord franc, ce qui est plus difficile à faire pour d’autres textiles.
Selon MTT, la laine bouillie est un bon atout pour les créateurs et petites marques : "Un créateur peut faire un manteau en laine bouillie sans avoir à faire de doublure, et cela ne nécessite pas trop de couture. C'est une matière difficile à maîtriser, mais les créateurs peuvent faire beaucoup de choses".
- Par contre, selon Stefania, la laine bouillie a ses particularités : "Au contraire des tissus en chaine et trame qui ont une armure, la laine bouillie est un article qui bouge. Selon les paramètres de l'endroit où l'on se trouve, la laine va changer". En effet, la laine bouillie peut changer de taille : dans un endroit humide, le tricot peut absorber 50% de son poids en humidité, et réduire en taille.
Pour pouvoir travailler la laine bouillie, il faut donc un peu d'expérience, et surtout un endroit sec. "Si l'on concevoir des vêtements en laine bouillie, il faut une usine adaptée, sinon c'est un problème", annonce Stefania.
Émilie confirme : "c’est une matière qui se détend. Lorsque l’on travaille la laine bouillie, il faut la laisser reposer au sec après la coupe, car tu peux avoir de mauvaises surprises".
Pour épiloguer, "il faut une certaine expérience pour travailler la laine bouillie" prévient Stefania.
- La laine bouillie, ça tient chaud. Pour Julien, "l'avantage, c’est que tu as à la fois de l'élasticité, qui permet au vêtement de gagner en confort et en même temps, tu as ce côté isolant et gonflant. Peu de matières ont ces propriétés. Par contre, ça n’est pas la matière la plus respirante".
Stefania confirme : "la laine bouillie, c'est à la fois plus chaud et plus confortable qu'avoir de la polyamide ou du polyester". - Enfin, la laine bouillie ne froisse pas, et ne se salit pas. En effet, la laine dispose d'une faible électricité statique qui repousse la saleté. Pratique !
Et côté mode femme ? - Le point de vue de Nawal
La laine bouillie est selon moi l’une des matières incontournables du vestiaire féminin pour la saison automne-hiver. Je ne reviendrai pas sur ses avantages et inconvénients, ces points techniques ayant déjà été abordés par Yann dans le reste de l’article. Je vais donc plutôt me pencher sur le style. De par son aspect, la laine bouillie ajoute aussitôt une touche de haut-de-gamme et d’élégance à un look. Elle permet également de jouer sur les textures d’une tenue pour lui donner du relief, sans l’épaisseur et le volume d’une laine traditionnelle.
Elle est aussi un bon élément à adopter pour adoucir un look qu’on juge trop brut. Par exemple, elle peut se mélanger à merveille avec un pantalon ou une jupe en cuir - des pièces avec un propos fort qui peuvent être difficiles à assumer.
La laine bouillie se retrouve sur un grand nombre de manteaux pour femme, auxquels elle vient donner une belle tenue, tout en restant confortable et en protégeant du froid. Elle se décline aussi sur les jupes, et tout particulièrement celles à la coupe droite, à qui elle vient donner de la structure.
Une jupe droite en laine bouillie de chez Marc O'Polo. On peut voir les bords franc de la coupe. Crédits : Marc O'Polo.
On retrouve également la laine bouillie sur l’un de mes accessoires préférés pour la saison automne-hiver… le béret ! Encore une fois, elle vient aider à maintenir la forme si typique de ce couvre-chef. Sa texture vient, en plus de cela, apporter une touche authentique, presque rustique, au béret.
Faire la différence
À l'œil nu, différencier la laine bouillie du feutre ou du loden n'est pas forcément une chose aisée. Voyons comment les distinguer :
La laine bouillie se distingue au toucher : elle est plus fine que le feutre, et dispose d’une meilleure élasticité que ce dernier. La principale différence se situe au niveau de la transformation : la laine est tricotée avant foulonnage, ce qui n'est pas le cas pour le feutre et le loden.
Le feutre est plus solide que la laine bouillie et le loden, mais aussi moins confortable. Le feutre est fabriqué à partir de laine non-tissée, contrairement à la laine bouillie et au loden. Il existe deux techniques de feutrage : le feutrage à sec, où les fibres sont mélangées avec une aiguille harponnée, et le feutrage à l'eau, où les fibres sont bouillies, frottées et mélangées au savon, ce qui va "amalgamer" la laine.
Le loden est très ressemblant à la laine bouillie, mais les deux sont à distinguer. Contrairement à la laine bouillie où la laine est tricotée, le loden nécessité le tissage de la laine, avant foulonnage. Le loden est également moins élastique et résistant que la laine bouillie.
Vous en savez désormais un peu plus sur la question. Le temps de l'abondance étant révolu, la laine bouillie est à coup sûr l'une des matières qui nous tiendra au chaud cet hiver. On parie ?
Comment fait-on de la laine bouillie ?
Première étape : le fil est sélectionné et la laine est tricotée à la machine.