Disclaimer : Alexandra et Pierre sont les fondateurs de Sauver le Monde des Hommes, une jeune enseigne basée à Paris. Leur but ? Proposer aux hommes amateurs de belles choses un véritable bastion, dans lequel ils trouveront aussi bien des vêtements, que des livres et des accessoires.
Après avoir déniché certaines marques, et développé leurs propres lignes, les deux créateurs nous proposent un panorama des principes de construction des matières textiles. La parole est à eux !
Les principes de base du textile
Lorsque l’on veut briller en société, on aime montrer notre savoir, et l'attention portée aux détails de notre garde-robe. Du jean selvedge, aux boutons cousus en croix, en passant par les bandes de propreté, les lecteurs de BonneGueule sont déjà bien armés pour en imposer.
Cependant, le tissu reste souvent un sujet méconnu. On peut sentir qu’un tissu italien est une belle étoffe, qu’il a une belle « main » (pour faire comme si on s’y connaissait) mais en fin de compte, on a souvent du mal à comprendre comment on passe d’un mouton, d’une chèvre, ou d’un ballot de coton, à la toile de ce jean qu’on n’a pas quitté de la semaine.
La filière textile, c’est quatre pôles incontournables :
- les matières premières et leur extraction, avec d’une part les matières naturelles (les plantes et les animaux), d’autre part les matières artificielles (= en général à base de molécules naturelles recyclées) et synthétiques (= à base d'hydrocarbures),
- la filature,
- le tissage (et le tricotage de la maille, qui ne sera pas traité ici),
- l’ennoblissement (qui n’est, en fait, pas une cérémonie féodale).
Les matières premières dans l'habillement
Pour les matières premières, BonneGueule nous a déjà bien mâché le travail. Nous ne pouvons que vous conseiller de vous référer à la comparaison matières naturelles / synthétiques.
La filature des fibres textiles
La filature des matières naturelles, c’est tout un programme. Il s’agit de nettoyer, paralléliser, étirer et retordre des fibres pour former un fil.
Sans trop entrer dans le détail, les opérations successives sont les suivantes (malgré ces noms barbares, aucun animal n’a été blessé durant le processus) :
- l’ouvraison, qui consiste à ouvrir les flocons de fibres de coton, de laine, de soie,
- le battage (pour le coton), ou le lavage (pour la laine), qui visent à débarrasser la matière première de ses impuretés en lui faisant passer un sale quart d’heure (par exemple des graines dans le coton),
- le cardage, qui permet, à l’aide d’une brosse, de démêler et d’aérer les fibres textiles. C’est d’ailleurs au moment du cardage que certains mélanges se produisent, comme le mélange laine/mohair ou laine/cachemire, parmi les plus célèbres,
- le banc à broche, sur lequel va passer le ruban formé lors du cardage, va étirer les fibres et leur donner une légère torsion avant de les placer sur des bobines.
- C’est lors de l’étape finale, le bobinage, sur une machine que l’on appelle continu à filer, que la bobine de grand-mère est créée. Cette machine tord les fils ensemble, afin de leur procurer solidité et régularité.
Une étape supplémentaire est souvent ajoutée : le peignage. Il s’agit d’éliminer encore plus de fibres courtes pour un aspect plus uniforme. Ainsi, on trouvera par exemple du coton ou de la laine peignée, pour un effet propre sur soi ; ou, à l’inverse, du coton ou de la laine cardée, pour une pièce rustique à souhait.
Pour les fibres chimiques (comme le polyester ou la viscose), le procédé est différent : une sorte de pâte formée par un procédé chimique passe à travers les trous d’une filière (une passoire, avec de plus petits trous) pour obtenir des filaments auxquels on donne la longueur ou la forme que l’on veut.
On le voit dans ce recyclage de bouteilles en polyester :
Arrivés à ce point, votre laine ou votre coton ont déjà fait un joli tour du monde, en plus d’un certain nombre de tours sur eux-mêmes. On obtient donc un fil, qui peut prendre un grand nombre de formes, peser plus ou moins lourd, et être plus ou moins large.
Le tissage et les différents types de tissus
Les bobines de fils prêtes, il s’agit maintenant de confectionner le tissu.
Le tissage, comme les lecteurs réguliers le savent peut-être déjà, est une opération qui permet d’entrecroiser de façon perpendiculaire deux ensembles de fils : les fils de chaîne (dans le sens de la longueur), et les fils de trame (dans le sens transversal).
Vous l’avez compris, on ne veut pas passer pour des blaireaux. Pour en être sûrs, il peut être intéressant de revoir quelques basiques :
On parle de duite (yourself) pour qualifier un fil de trame, et l’ensemble de ces duites constitue la trame du tissu. Lorsque l’on décrit un tissu, on parle de laize pour qualifier la largeur, et de lisière pour qualifier le bord. Jusque là tout va bien.
L’entrelacement des fils de chaîne et de trame (des duites, donc) forme ce que l’on appelle une armure.
L’armure correspond donc simplement à la manière dont ces fils sont superposés pour former un tissu. Elle va définir, en plus de la composition même du fil de départ, la rigidité, la main, la luminosité et les motifs du tissu final.
Toutefois, avant de passer au tissage, le fil doit encore subir trois opérations importantes :
- l’ourdissage, qui consiste à dérouler les bobines de fils sur ce que l’on appelle une ensouple (un long rouleau de métal) afin de les aligner de manière parallèle,
- l’encollage, durant lequel les fils de chaîne trempent (puis sont séchés) dans un mélange d’amidon, d’eau et de cire afin d’éviter qu’il ne casse durant le tissage. Le tissu subira par la suite un désencollage afin de se débarrasser de ce mélange,
- le rentrage, qui consiste à relier chaque fil de chaîne à une lame dans un ordre bien précis, selon l’armure et la contexture souhaitées.
À l’origine, le tissage s’effectuait à l’aide de métiers à tisser manuels. Bien que ces métiers soient désormais de grosses machines automatisées pour la grande majorité, sauf pour quelques irréductibles nippons, le principe reste toujours le même :
- Le fil de trame est enroulé sur une bobine, et inséré dans une navette qui va être projetée de droite à gauche et inversement (selon différents procédés plus ou moins modernes, mais malheureusement pas encore de réacteurs nucléaires) afin de s’insérer entre les fils de chaîne.
- Les lames (dans lesquelles sont insérés les fils de chaîne) se soulèvent pour laisser passer le fil de trame.
- Une fois que le fil est passé, elles s’abaissent, et c’est un autre jeu de lames qui se soulève, pour laisser passer le fil de trame dans l’autre sens.
- À chaque mouvement de lame, un peigne vient resserrer les fils pour assurer la régularité et le maintien du tissu.
Ce mouvement alternatif, qui s’effectue à la vitesse de l’éclair (ou presque) fait que les fils s’entrecroisent et que le tissu obtient sa forme.
Les machines sont programmées pour faire bouger les lames selon une armure prédéfinie. Bien qu’il existe des milliers de variations d’armures, on reconnaît toujours trois armures fondamentales.
La toile
Connue de tous, elle est l’armure la plus ancienne, la plus simple et la plus utilisée. L’endroit et l’envers du tissu ont le même aspect. Des tissus très différents peuvent toutefois être réalisés en armure toile, en fonction de la matière employée, du titrage, et de la torsion des fils.
Par exemple, la popeline - tissu de chemise par excellence, bien connu des lecteurs BonneGueule - est un dérivé de la toile.
Le sergé
Le sergé est un tissage à diagonales en relief, séparées par des sillons. La trame est déposée sur deux, trois ou quatre fils de chaîne, puis sous un fil de chaîne, avec un décalage à chaque duite.
On trouve souvent le sergé sur les pantalons ou les manteaux ; il est facilement reconnaissable grâce aux diagonales que l’on peut observer à la surface du tissu. Le denim, notamment, est un dérivé du sergé, ainsi que les chevrons.
Le satin
Il renvoie à une armure présentant une surface plus ou moins brillante, produite par des flottés de chaîne ou de trame, plus ou moins longs. L’endroit est brillant, l’envers est mat. Il est par exemple utilisé dans la confection des cravates.
On connaît surtout sa version très brillante en soie ou polyester, mais le satin peut également apporter une légère touche de luminosité, sans toutefois être de mauvais goût. Parce nous ne saurions l’accepter.
Les armures factices
Dans le joli monde du textile, on parle également d’armures factices, soit des armures aux noms tarabiscotés.
Parmi ces dernières, les trois plus célèbres dans le vestiaire masculin sont le pied de poule, le pied de coq, ainsi que le Prince de Galles, qui forment des motifs que l’on retrouve essentiellement dans le tailoring.
Les armures complexes
Enfin, la dernière grande catégorie est celle des armures complexes, parce qu’on les comprend vite, mais il faut nous expliquer longtemps.
Les velours (côtelé ou uni)
Si vous vous êtes - comme moi - longtemps demandé comment était réalisé le velours côtelé, il s’agit d’un tissu réalisé avec une chaîne et deux trames : une pour la base du tissu, et une autre pour former les poils du velours.
Le poil qui dépasse est alors rasé pour donner ce fameux aspect velours. Nous vous conseillons de le noter quelque part pour le ressortir à votre ami prof de lettres, qui raffole de cette matière raffinée qui donne l’air si intelligent.
Le nid d’abeille
On le connaît surtout pour son utilisation dans les torchons et serviettes (que l’on ne mélangera pas), et forme de petites alvéoles. C'est une texture permettant d'apporter beaucoup de relief, ce qui explique qu'elle est sortie des cuisines pour se retrouver sur certains de nos vêtements.
Le jacquard
Du nom de l’inventeur du métier Jacquard (originaire de Lyon, pour les plus chauvins d’entre vous), il s'agit d'un tissu à motifs. À la différence d’un tissu brodé, les motifs sont réalisés dans le tissage, et non pas par au-dessus de l'étoffe.
L’ennoblissement du tissu
L’ennoblissement correspond à l’étape finale de la production du tissu. Après son tissage, le tissu doit encore subir un certain nombre d’opérations avant de pouvoir être utilisé dans la confection du vêtement (son couronnement, en quelque sorte).
Au sein de l’ennoblissement, on distingue quatre grandes catégories : les pré-traitements, la teinture, l’impression et les apprêts.
Les pré-traitements consistent à préparer l’étoffe fraîchement tissée à être teinte, imprimée ou recevoir des apprêts.
La teinture
Pour commencer, un point important à savoir : une teinture peut être réalisée sur fil, sur étoffe, voire même sur vêtement déjà confectionné (ce qu’on appelle le prêt-à-teindre ou PAT).
Pour chacune de ces options, le rendu sera différent. Un fil teint aura souvent une couleur plus foncée qu’une étoffe teinte, et un vêtement en PAT aura une couleur plus effacée.
Cela ne veut toutefois pas dire que les couleurs tiendront moins bien, elles sont simplement réparties différemment sur le tissu ; cela correspond plutôt à un choix stylistique.
La teinture doit être solide, résister à l’action de l’air, de la lumière, de la chaleur, aux frottements, à la sueur, ainsi qu’aux produits employés au cours des opérations de lavage et de nettoyage (tout un programme).
L’impression dans le textile
Cette technique aura pour but de créer des motifs, en relief ou non, qu’un métier Jacquard ou de la broderie ne pourraient pas créer.
Les méthodes d’impression étant nombreuses, il n’existe pas de tissu qui ne soit pas imprimable. Cependant, il est préférable que les étoffes soient bien serrées et lisses pour plus de régularité (sauf choix stylistique contraire).
Les apprêts sur les tissus
Les apprêts regroupent toutes les opérations effectuées sur le tissu après teinture et impression. Il s’agira de modifier ses propriétés techniques (imperméabilité, respirabilité...) ainsi que son aspect visuel et son toucher (le tissu sera gratté pour un toucher peau de pêche, par exemple).
Alors, sauvés ?
Merci à Pierre et Alexandra de Sauver Le Monde des Hommes pour leur article tout à fait dans le ton de BonneGueule. De votre côté, n'hésitez pas à visiter leur site Internet, car ils ont de très bonnes sélections sur le milieu de gamme de qualité.