Faut connaître ses forces et ses faiblesses. Et je ne peux pas dire que ma connaissance de l'art horloger soit une force.
En fait, elle est assez rudimentaire. Je ne suis pas du genre à regarder sous le capot pour voir comment fonctionne la mécanique.
Pourtant, je suis bien le genre à m'extasier devant l'esthétique d'une belle montre comme devant celle d'une belle voiture. Et d'exprimer ce qui fait la beauté de tel modèle comparé à un autre. Ah ça oui !
Et justement, voyant cette Serica passer sur Instagram, j'ai senti une petite vibration au niveau de mon cerveau droit. Ecoutant cette vibration, j'ai contacté Jérôme Burgert, cofondateur et directeur créatif de Serica Watches.
Nous nous sommes vus en février 2020 et nous avons parlé de Martini-au-shaker-pas-à-la-cuillère, de pilotes britanniques de la Première et Seconde Guerre mondiale, de proportions, de cohérence et de Mel Gibson.
Pas forcément dans cet ordre-là. Mais ce qui est sûr, c'est que notre discussion commence par une question.
“Alors... t’as vu de belles choses à Genève ?”
C’est la question qu’on lui pose le plus souvent quand il revient du Salon International de la Haute Horlogerie à Genève. Et sa réponse à lui c’est : “oui j’ai vu de belles choses mais les belles choses que j’ai vues, elles valent 20 ou 30 000€.”
Là, je comprends que l’univers de la montre peut frustrer. Et ça me parle : c’est comme quand je bave devant un trench Coherence à 1950€, un costume en grande mesure Cifonelli, des chaussures Edward Green… Quand on est passionné, on nourrit une frustration qui s'atténue avec le temps mais qui ne meurt jamais vraiment.
“La vraie réflexion est partie de là. Les montres qu'on aime porter au quotidien qui sont les vieilles montres militaires, les vieilles Omega Speedmaster, une vieille Sub, un vieux chrono militaire des années 60, des trucs qui ont une émotion, c’est beau, y’a un design, un équilibre, des trucs qui nous font rêver en fait. Aujourd’hui ces montres-là, elles n’existent plus vraiment.”
F.R.U.S.T.R.A.T.I.O.N. J'écris ton nom.
C’est vrai que, comme Jérôme le dit, aujourd’hui une Rolex Submariner ou une Oméga Speedmaster coûte respectivement 5000 et 7000 euros. Se faire plaisir avec une belle montre n’est pas donné à tout le monde.
Et, entre 500 et 1000 euros qui est selon lui un segment de prix accessible pour une montre plaisir, il ne voit plus de montres pour lesquelles “la magie opère” comme elle opère pour les deux classiques cités plus haut.
D’ailleurs, il ne prend pas ces deux exemples au hasard : “ces montres-là étaient faites pour une certaine fonction. La Speedmaster a été créée pour être au poignet de pilotes automobiles. La Submariner a été créée pour être au poignet de plongeurs. C’était des montres qui étaient faites pour vivre et qui avaient une fonction précise. Je te dis ça parce que c’est toute la différence avec des montres qui sont créées pour être vendues. Des montres créées pour plaire à un segment, pour plaire à un marché.”
Difficile de ne pas faire le parallèle avec le vêtement. Je pense à la naissance du sweatshirt, de la chemise oxford à col boutonné, aux premières sneakers. Je pense au vestiaire militaire aussi : le cargo, les fatigue pants, les vestes militaires type M-51, M-65. Je pense au trench ! Je pense aussi aux vêtements de travail : la veste française de travailleur, le jean, etc.
C’est une réflexion qui a effleuré l’esprit de tous les passionnés, peu importe le domaine. Les choses qui restent sont celles qui naissent d’un besoin. Celles qui naissent pour remplir une fonction. Les choix esthétiques ne sont d’abord que des choix utilitaires qui deviennent esthétiques par la force des choses.
Le “V” du col des sweatshirts, la modestie, apparaît dans le but de renforcer le col que les étudiants américains maltraitent à force de mettre et retirer leur sweat et de les laver fréquemment.
Mais il y a une autre chose qui fait qu’une esthétique est intemporelle : les proportions.
“Modifie d’un dixième la longueur d’une aiguille et ça change toute la montre !”
A mon tour : modifie d’un centimètre la hauteur de ton pantalon et ça change toute la silhouette ! Reçu 5 sur 5, Jérôme. Les proportions, c’est le nerf de la guerre.
“Ces montres [ndlr Speedmaster, Submariner et vieilles montres militaires] étaient travaillées dans des proportions qui en faisaient des objets polyvalents et élégants, en-dehors de leur environnement principal. C’est pour ça que tu peux prendre une vieille sub et la mettre avec un costume.
Exemple que tout le monde connaît : James Bond avec sa 6538 dans Goldfinger… ça passe hyper bien. Tu le vois en Jamaïque sur la plage avec Ursula Andress sur bracelet tropique : “Waah”. Tu vois la montre portée avec sa veste de smoking blanche : “Waah”.
Aujourd’hui, tu veux faire ça avec une montre de plongée moderne, ça ne marche pas. Parce qu’elle a une ouverture de boîte de 44mm.”
Deux choses qui me viennent à l’esprit :
- D’abord, porter une montre parce qu’elle est ostentatoire n’a rien de classe. Une montre vous donne l’heure, elle n’est pas une indication de la taille de votre sexe. Personne n’est dupe.
- Ensuite, la taille de la montre dépend de la taille de votre poignet et de votre morphologie.
Je laisse Jérôme continuer sur l’esthétique et les proportions :
“Quand on est une marque qui obéit à des logiques de grands groupes, y’a certains choix esthétiques qui doivent répondre à une logique de marché, davantage que nous parce que nous on vient de nulle part, personne ne nous attend, on se fait plaisir en faisant le produit dont on a envie, c’est beaucoup plus niche. Une approche différente."
"Avec Serica, on a essayé de faire un bel objet que tu as envie de porter au quotidien. Une vraie belle montre mécanique. Parce que si c’est pas bien fait, si c’est pas de la qualité, si ça dure pas, l’ambition de faire quelque chose d’intemporel meurt dans l’œuf.”
Du coup, j'ai une question.
1. Comment fabrique-t-on une montre intemporelle ?
Pour Jérôme, la recette de l’intemporalité se résume en une phrase : “L'idée n'a pas été de réinventer la montre. L'idée a été de faire quelque chose de beau, qu'on a envie de porter.”
Simple la recette de l’intemporalité. En fin d’article, Jérôme nous livrera aussi celle de l’immortalité.
J’aime beaucoup cette idée de s’entourer d’objets qui soient beaux, qui nous procurent du plaisir quand on les utilise. Ça peut aller de la moka pour vous servir un café le matin, la chaise sur laquelle vous vous asseyez dont le bois sur la peau est doux et légèrement froid. Bien sûr, ça peut être des chaussures qui claquent joliment sur le sol. Et ça peut être une montre évidemment.
Faire en sorte d’avoir peu d’objets autour de soi mais qu’ils soient de qualité et beaux, c’est une bonne manière de vivre à mon avis.
Là on se rapproche du courant artistique du Bauhaus dont la philosophie est “l’union du beau et de la raison” comme le dit Walter Gropius l’architecte et fondateur de l’école éponyme.
Jérôme nous raconte plus en détail ce qui fait la beauté d’une montre selon lui.
“Tout sur cette montre a été dessiné, réalisé sur-mesure. On aurait pu prendre des composants off the shelf comme on dit. Là, il n'y a rien. C'est-à-dire que même la police des chiffres, je l'ai redessinée à la main. Tu vois, c'est bête à dire, mais si tu prends une police existante qui est trop parfaite, t'auras pas cette chaleur-là."
"Pourquoi les montres de cette époque étaient belles ? Pourquoi elles avaient une âme, en fait. Parce que les mecs dessinaient à main levée. Et c'est peut-être cette imperfection au niveau du trait, ces choix, qui faisaient vivre un cadran, et là, regarde le 6, regarde le 4. Tu vois, j'ai mis des rayons partout, il n'y a pas d'angle vraiment droit. Il n'y a pas de choses cassées, il y a des différences de graisse entre les traits parfois.
On s'est un peu emmerdé, oui. On a passé du temps.”
Là, je pense qu’il met le doigt sur ce qui m’a plu d'emblée dans cette montre. Un certain charme à l’ancienne. Et je comprends du coup un peu plus d’où ça vient.
S'inspirer oui d'accord, mais jusqu'où peut-on aller ?
2. Comment s'inspirer sans copier ?
Sur l’inspiration, Jérôme nous dit :
“On est forcément tous inspirés par ce qu'on aime, c'est logique. Demain, si tu dois dessiner des vêtements… Enfin, je vois un petit peu ton style. Si tu dois sortir une tenue, tu vas sûrement t'inspirer du workwear, du military. Tu vas ressortir les carnets de croquis, l'armée suédoise, l'armée anglaise. On est tous influencés par ce qu'on aime.”
Je ne me rappelle plus trop comment j’étais habillé ce jour-là mais je parierais sur mon chino camel de l’armée française et peut-être une chemise en chambray comme base. Mais je ne m’en souviens pas. Je ne me rappelle déjà pas ce que j’ai mangé hier alors…
Mais ce n’est pas faux, si je devais créer des vêtements y’aurait de ça. Bien vu.
Un pad thaï ! Ça me revient. C'est ce que j'ai mangé hier. Hum… on continue.
“Si tu ouvres ma boîte à montres, qu'est-ce que tu vas trouver ? Des vieux diver. Des vieux chronographes, des montres militaires. Toutes ces montres-là, ce ne sont pas des montres qui essayent d'être belles. Tu vois ? Ce sont des outils."
"L'esthétique suit la fonction, point barre."
"Donc effectivement, le cahier des charges qu'on s'est imposé dès le début : celui d'avoir une montre qui soit étanche, qui soit robuste, qui soit lisible, qui soit fiable. Tout ça, oui, ça ressemble à un cahier des charges militaire, évidemment.
Et les réponses que ces mecs-là avaient trouvé à cette problématique justement de lisibilité, d'étanchéité sont toujours d'actualité aujourd'hui.
Donc oui, tu veux de la lisibilité ? Qu'est-ce qu'il te faut ? Un cadran avec un contraste fort blanc sur noir ou noir sur blanc. Il te faut des aiguilles fortes. Parce que ça t'indique une information. Il faut des échelles claires.
Tu vois, tout ça ce n'est pas par hasard. On part des points faibles de la montre pour aller vers les points les moins fragiles. C'est-à-dire que cette couronne-là, elle est vissée pour l'étanchéité.
Elle est aussi vissée parce que tu te prends un coup et la couronne est morte en 2 secondes si elle ne l’est pas. La bande de carrure, là. Elle est plus large que la lunette, parce que si tu te prends un coup, tu vas d'abord mettre dans la bande de carrure. Qui est moins fragile que la lunette. La lunette est large, elle est présente. Ça te permet de régler l'ouverture de cadran. Et si tu prends un coup, tu prends la lunette et tu vas pas tuer le cadran. Tout ça, ça a une logique.
Ça donne une esthétique et tant mieux on a tous envie de faire une belle montre. Mais l'esthétisme sans raison, sans fonction, ça tombe à plat.
Après se pose un autre problème. Si tu veux une montre qui a une vraie personnalité, ça devient compliqué. Parce qu'en fait, t'as envie d'intégrer des concepts. Il y a certains codes, certaines choses qui marchent, que j'aime profondément et que j'ai envie de retrouver dans ma montre. J'ai envie de ressentir un peu la même chose quand je mets cette montre-là au poignet. Mais je ne veux pas que ce soit un clone de ça, ça ou ça, et c'est là que ça devient vraiment compliqué.
Et tu changes, tu fais des dessins, tu fais 1000 dessins, tu fais un proto, deux protos, trois protos, tu tombes sur une boîte que tu aimes un petit peu. Et après tu te rends compte que finalement ta bande de carrure est trop fine. Tu l’épaissis. Tu tombes sur une proportion au niveau de la boîte qui a de la gueule, qui est très bien.
Tu fais un premier cadran, un 2e cadran. Une forme d'aiguilles, ça commence à te plaire. Tu mets ça au poignet. Finalement, ça marche pas. T'as pas cette élégance souhaitée, tu te vois avec un petit hamburger au poignet. Donc, qu'est-ce que tu fais ? Tu changes la courbure du verre. Et la courbure du verre qu'est-ce que ça change ? Ça change la perception du cadran. Donc tu modifies les éléments sur le cadran. Et après, tu dois redessiner les aiguilles. La longueur, le truc, les proportions, tu vois ?
Et tout ça, ça se joue à vraiment au 10e de millimètre. C'est le minimum. Parfois ça se joue à moins. Donc, c'est un exercice qui est hyper fin. Et il n'y a pas de recette miracle, bien sûr, sinon, tout le monde ferait des montres géniales.
Cette montre-là, je la porte depuis 6 mois. Et c'est sans doute l'une de mes grandes fiertés. Avec les rêves que j'ai dans la tête et dans ma boîte à montres, je mets celle-là à côté et j'ai pas honte, je crache pas dessus…”
C’est plus sage en effet, surtout en cette période de COVID-19.
On est à la table de ce café dont j'ai oublié le nom depuis une demi-heure maintenant. Et puis je regarde le cadran de la Serica que je porte au poignet et, dans une sorte de révélation semi-christique, semi-la-caféine-commence-à-faire-effet, je dis :
3. “Je remarque que le cadran ne mentionne pas le nom de la marque, pourquoi ?”
Parfois j’ai des éclairs, je ne peux pas l’expliquer. Il me regarde du coin de l’œil et m’explique.
“Tu as bien remarqué. Ce qui est une chose qui ne se fait plus du tout. C'est contre-intuitif. Aujourd'hui, quand quelqu'un remarque ta montre et dit, "waah, elle est belle ta montre". Il fait quoi ? Il cherche un nom sur le cadran. Tu réponds ? Rolex, Oméga, j'en sais rien, Panerai…”
Là je me dis : “tiens c’est bizarre personne ne m’avait jamais demandé la marque de ma Louis Pion.” Bref, on continue.
“Il entend le nom d'une marque qui pour lui a une valeur ajoutée, qui le positionne socialement. Il va être content, ça lui suffit. Il ne va pas regarder l'objet. Et ça, c'est une démarche qui me qui fait chier en fait. Je te le dis sincèrement."
"C'est-à-dire, comme en habillement, encore une fois. Le mec ne se pose plus les bonnes questions.
Les mecs se demandent pas si ce pantalon, cette veste va correspondre à sa morphologie. Le mec se demande pas si la montre est à la bonne taille pour son poignet. Comment est-ce que je la sens ? Est-ce qu'elle est lisible ? Est-ce que c'est bien fait ?"
"Nous on a carrément enlevé le nom. Si tu veux savoir ce que c'est, regarde.
Il y a un 2e truc qui est évident aussi, c'est que, aujourd'hui, quand tu veux créer une marque à partir de rien, eh bien t'es personne. Et pour moi, tant qu'un nom de marque ne transmet pas de valeurs dans la tête des gens, eh bien, tu te tires une balle dans le pied plus qu'autre chose. Tu peux faire un super design, un super costume, une super chemise, une super montre. Si tu mets sur le cadran ta marque que personne connaît, ben… je vais pas avoir envie de la porter.”
Je partage cet avis. Avec du recul, je suis habitué, sur le cadran des montres à voir la marque. Comme je suis habitué du contraire sur les vêtements. Et je ne porte pas de vêtements à logo. Sauf si vraiment je me sens proche de la marque. Ou que le logo est très discret.
Bon après, un petit “Serica” dans une belle typographie ne m’aurait pas dérangé. Mais je comprends la démarche qui me semble sage et bien pensée, surtout quand on veut construire quelque chose de pérenne :
“L'idée, c'est de construire une image de marque doucement. Je ne dis pas qu'il n'y aura jamais la marque sur le cadran mais j’aime bien cette absence de marque."
Le cadran, support publicitaire
Transformer un cadran en panneau publicitaire, en horlogerie c’est hyper récent. En fait, ça date du début du siècle dernier. Dans les années 1920. Avant ça, les montres à gousset et cetera, les montres de poignet, les mouvements étaient signés, on était fiers. L'intérieur des boîtes était signé. Le revers du cadran était signé. Mais jamais le cadran. Pour une raison très simple, en fait, c'est qu'une montre se travaille déjà à une échelle qui est très réduite. Et en plus, si tu utilises tout le centre du cadran pour mettre des informations marketing, eh bien, toutes les informations importantes de ta montre et de ton cadran vont être propulsées à l'extérieur, sur la périphérie du cadran.
Je demande : “C'est pour ça que, au fil du temps, les cadrans se sont élargis ?”
“Peut-être aussi. Après, c'est une évolution. Pour moi, c'est davantage lié au fait que la montre est devenue un objet de reconnaissance sociale. Plus qu'un instrument destiné à lire l'heure. Donc il fallait être vu. Donc on l'a fait de plus en plus brillante, de plus en plus épaisse, de plus en plus grosse.
"Chez nous, il n'y a pas de logo, il n'y a pas de texte, mais le cadre ne fait pas vide. Alors oui, le positionnement assez central de l'échelle 24h aide évidemment."
"Aujourd'hui, il y a un défaut majeur de beaucoup de montres modernes : la boîte grossit, mais au niveau du cadran, on conserve la taille et on balance tout vers l'extérieur."
On a parlé proportions de la montre, esthétique au sens large, si on entrait dans le boîter maintenant ? Qu’est-ce que tu peux nous dire du mouvement ?
“Un vrai tracteur”
Ah les tracteurs je connais, mon grand-père était agriculteur. Ça vous fait une belle jambe ? Ok, je laisse parler Jérôme alors.
“L’idée c’était d’allier une certaine émotion dans le design pour donner envie de porter cette montre et une vraie robustesse. Parce que là t’es sur quelque chose d’étanche, une couronne vissée, un mouvement suisse ETA…”
Je l’interromps : “ETA ? Les basques terroristes là ?” Il calme mes ardeurs, non non c’est pas ça.
1. ETA ? C'est quoi ?
Pour vous expliquer si vous en savez autant que moi sur le sujet, “ETA” est un acronyme signifiant Elegance, Technology, Accuracy. Elégance, technologie, précision. Rien que ça. Mais c’est d’abord une manufacture horlogère suisse qui conçoit des mouvements mécaniques ou à quartz. Elle fournit donc Serica, comme de nombreuses autres marques.
Ok, je pige. Pour tout savoir des coulisses de l'industrie horlogère suisse, deux articles à lire, acte 1, acte 2.
Il me dit, justifiant l’image du tracteur : “c’est un mouvement qui est incassable, facilement réparable, qui se révise pour pas cher et que tout le monde sait réparer.”
Ça me parle. A ce moment-là, si j’avais eu plus de connaissances sur le sujet, j’aurais posé la question suivante : ça ne vous a pas tenté de fabriquer votre propre mouvement comme certaines grandes marques comme Rolex, Patek Philippe et d’autres ?
Ce qui est bien avec Jérôme c’est qu’il répond à mes questions futures. J’en ai profité pour lui demander l'âge de ma mort à 1 an près mais il a éludé la question. Voici sa réponse sur la fabrication du mouvement :
“Tout le monde a essayé de se différencier avec cette notion de manufacture. De faire tout, tout seul jusqu'au mouvement, fabriqué en interne. Eh bien y’a tout et n’importe quoi, c’est comme tous les labels d’origine certifiée tu vois. C’est comme une chemise faite en France mais seuls les boutons ont été cousus en France, c’est la même chose.
Mais le problème c’est pas ça, c’est que les mecs ont oublié que toutes les plus belles montres, les montres vintage qui se vendent des millions, quasiment aucune n’était une montre de manufacture.
Chaque composant faisait appel à un métier, un savoir-faire avec des spécialistes derrière. T’as un fabricant de boîte, de cadran, d’aiguille, de mouvement évidemment, t’as un mec qui va faire un balancier, l’autre qui fait les spiro, t’as un cadranier qui va faire l’émail. Et tous ces mecs-là vont bosser ensemble, main dans la main, pour réaliser un projet plus grand plus intéressant, qui s’appelle une montre.
Tu prends l’Omega Speedmaster, une montre que tout le monde connaît aujourd’hui qui est allée sur la lune. Une montre outil. Exemple typique. Eh bien, non seulement c’est un calibre Lemania qui a été un peu retravaillé par Oméga, le fameux calibre 321. Le fabricant de boîte c'était Centrale Boîte ou autre et il mettait son nom à l’intérieur des boîtiers.
C’était pas l’hégémonie d’une seule marque, c’était tout ensemble."
"On a tous des savoir-faire, tous des métiers, on fait notre taff et on présente quelque chose qui est plus grand que chacun de nous tous pris individuellement."
Pour illustrer ça, il prend l'exemple d'un film. Projet pour lequel tout une équipe s'organise : le cadreur, le chef décor, la lumière, le réalisateur, les acteurs etc. Tout un tas de métier différents au service d'une cause commune. Difficile de faire un film tout seul. Il ajoute :
Tout le monde n’est pas Clint Eastwood quoi. Ou Mel Gibson sur Brave Heart.”
Ajout personnel : ou Lenny Kravitz qui a sorti un album où il avait presque tout fait. Baptism, c’est le titre.
Ok, il coûte combien ce tracteur ?
Si vous prenez l’article à ce moment-là, ne prenez pas peur on parle bien de montre pas de tracteur. Cela dit pour l’achat de tracteur je conseille Agriaffaires, leader de l'achat et de la vente de matériel agricole et de tracteur d'occasion en France. Mais passons.
“La montre reste accessible, possible. Cette montre est vendue 580€ même si on monte un peu plus demain, ce qui sera sans doute nécessaire parce qu’il y a une réalité économique qui fait que c’est compliqué. Mais c’est possible. C’est la moitié du prix d’un iPhone. Quand on me dit : c’est cher. Attends t’as acheté ton iPhone 1200€ et là pour 580€ t’as une montre que tu peux garder toute ta vie, qui a une belle histoire, qui est un bel objet.”
J’ai vérifié, un iPhone Pro Max 6,5 pouces, c’est 1259€. Wah ce que c’est cher. A ce prix-là, je m’achète un costume chez Ardentes Clipei. Arf, ou sinon je les mets de côté pour les études de mes enfants. Attends Jordan, tu n’as pas d’enfants. OK, Ardentes Clipei me revoilà !
Pour être sérieux, je suis d’accord avec lui. 580€ pour une montre à l’esthétique soignée, fabriquée avec soin et des matériaux de qualité, un mouvement robuste, ça me paraît honnête. En économisant un peu, on peut se l’offrir.
Test de la Serica W.W.W. 2019 par un néophyte
Sept mois que je porte cette montre.
D'ailleurs, vous l'avez vue dans le Panache consacré aux sneakers à 3:04. Ou dans le Journal d'un Confiné où j'ai conseillé à Denis Brogniart de s'en offrir un modèle. Et de temps en temps dans les autres Panache.
Sept mois que je la porte, donc. La première des choses sur lesquelles je voudrais m'exprimer, c'est l'aspect esthétique.
1. L'esthétique de la Serica
Je suis difficile en montre. Enfin, je sais où sont mes goûts et mes dégoûts. Je sais quand une montre ne me va pas au poignet. Je sais quand les matériaux font cheap. Quand il y a quelque chose d'un peu forcé dans l'esthétique.
Cette montre paraît naturelle à mon poignet. Le diamètre du boîtier est idéal pour moi. Il ne faudrait pas plus gros cependant.
De plus, elle dégage une sorte d'élégance simple, pas prétentieuse. Comme Jérôme le dit dans l'interview, je ressens vraiment cette notion de montre outil plus que de montre bijou. Et c'est un gros point fort pour moi. C'est une montre modeste en somme car elle n'est pas spectaculaire. Mais quand on l'observe elle fait de l'effet.
En somme, je la porte toujours avec plaisir.
Le signe le plus flagrant de cela c'est qu'à aucun moment je me suis dit : "il faut que je porte ma Serica pour faire ce test". Jamais.
Et je dois dire qu'elle s'intègre parfaitement dans mes tenues. Qu'elles soient casual ou habillées. Bien que si je porte un costume je vais préférer le côté bijou de ma Lip automatique des années 50. Même si la Serica pourrait s'insérer dans un pareil contexte, surtout avec le bracelet Bonklip du nouveau modèle (j'en parle tout à l'heure).
Faites défiler pour la voir de plus près.
Et là, de loin mais avec le bracelet nato beige :
2. Les bracelets
Jérôme m'a remis plusieurs bracelets :
- un en cuir lisse marron-camel
- un en cuir lisse olive
- un en cuir grainé gris
- un nato beige
Celui que je porte le plus souvent est le premier, le camel. C'est celui que je mets le matin sans réfléchir. Ça marche à tous les coups pourvu que les chaussures ne soient pas noires.
L'olive est aussi assez polyvalent. Sa couleur est subtile : c'est un olive sombre tirant sur le marron. Je le porte généralement quand j'intègre du vert dans ma tenue. Ca fait un rappel pas trop téléphoné.
Le cuir grainé gris, je ne l'ai encore jamais utilisé. Mais j'ai un mariage en octobre et je vais voir si ça peut passer avec mon costume.
Le nato beige est très décontracté dans l'esprit. Il a quelque chose de particulier. Je l'aime beaucoup sans l'avoir trop mis. Parfois, j'avais un peu la flemme de changer de bracelet, bien que ce soit très simple.
Mon avis sur ces bracelets Joseph Bonnie
Le cuir lisse marron-camel s'est bien patiné. Il est léger et confortable à porter. C'est le même modèle que le vert olive.
Au premier abord, je trouvais qu'il avait l'air fragile. C'est peut-être le cas mais je ne vois pas vraiment de signe de faiblesse pour le moment. Il vieillit mais ne semble pas se fragiliser aux endroits de friction et de sollicitation. Ce qui est un bon point.
Je l'ai porté par temps de canicule et alors que je prends le vélo. Je n'aurais peut-être pas dû. Des traces de transpiration sont apparues rapidement et ne semblent pas vouloir partir. J'aurais dû mettre le nato pour ces fois-là.
3. Le remontage manuel
C'est une montre mécanique. Pas de pile. Pas de mouvement automatique qui actionne le mécanisme à mesure que vous bougez votre poignet. C'est une machine qu'il faut mettre en route chaque matin ou jour et demi.
C'est une contrainte, c'est sûr. Et quelques fois on m'a fait remarquer : "ah tiens ta montre est cassée ?" Non, c'est simplement que j'ai oublié de la remonter ce matin ou qu'elle s'est arrêté dans la journée.
Ca ne conviendra pas à tout le monde. Surtout ceux qui portent des montres connectées, qui veulent de la technologie. Là, le temps s'arrête. Littéralement parfois. Mais surtout, il faut prendre le temps. Ce moment, le matin, vous sortez de la douche, en serviette, vous construisez votre tenue. Vient le moment de choisir la montre. C'est la Serica. Vous la prenez, puis vous assez sur le bord du lit.
- Avec la main droite vous dévissez la couronne. Hop, elle saute.
- Là, vous entamez le remontage de la montre. Vous tournez la couronne et, dans le calme du petit matin, vous entendez ce cliquetis que vous produisez en faisant tourner la couronne. Ah ! on est au bout. Ne surtout pas forcer.
- Tac ! Avec l'ongle vous tirez sur la couronne. La trotteuse stoppe.
- Vous réglez l'heure.
- Vous appuyez sur la couronne. La trotteuse repart.
- Vous revissez la couronne.
C'est un réel plaisir. On n'a plus ce genre de rapport avec les objets. On compte beaucoup trop sur l'électronique, parce que c'est la manière dont les objets sont fabriqués à présent.
Et quand on remonte la montre, je vous assure qu'on a conscience du mécanisme qui est à l'intérieur et cet effort que l'on fournit nous pousse à prendre encore plus soin de la montre. De plus, on se sent un peu plus liée à elle. Elle a quelque chose en plus.
En un mot, je crois que l'on respecte davantage un objet comme ça, car il a une certaine noblesse. La noblesse que l'on attache aux métiers artisanaux par exemple.
Vraiment ça fait quelque chose. Et même si parfois, j'ai un peu la flemme et qu'au milieu de la journée je me motive à la remonter, je considère tout de même le fait que la montre soit à remontage mécanique comme un atout.
On en reparlera la prochaine fois que vous serez en pleine montagne et que votre quartz vous lâchera. Ha !
Petit bémol à ajouter : parfois quand je remonte la montre, la peau de mon index râpe un peu contre le boîtier très légèrement anguleux. Ce n'est pas très agréable mais c'est un détail qui n'a que peu d'incidence sur le plaisir que j'ai à activer le mécanisme de la montre.
4. D'autres remarques en vrac
- Le poids de la montre est très raisonnable bien qu'elle soit considérée comme lourde. Le choix du bracelet est primordial pour ne pas trop alourdir la montre. J'aime quand même qu'on sente un certain poids car ça ancre la montre dans la réalité de votre quotidien.
- Une partie du cadran est fluorescente : les aiguilles et des repères. C'est très pratique quand on est au cinéma par exemple.
- J'aime la succession de parties brossées et brillantes qui donne un côté plus précieux que si c'était tout brossé.
- Ce qui fait beaucoup dans l'esthétique de la montre, selon moi, c'est cette typographie imparfaite. Le 4 et le 9 en sont de bons exemples. Je répète souvent que le style passe par le charme et que le charme est provoqué par le déséquilibre. Voilà, on y est.
Je reprends ici l'interview avec Jérôme qui m'a parlé, en cette froide journée de février 2020, du bracelet Bonklip dont il a équipé les nouveaux modèles. J'ai trouvé que l'histoire de ce bracelet était intéressante et, pour l'avoir essayé, il est aussi très confortable.
Jérôme explique l'idée derrière le développement de ce bracelet :
"On avait envie d'un bracelet acier mais pas de n'importe quel bracelet acier. C'est facile de trouver un bracelet standard. Tu es en Asie, t'appuies sur un bouton, il en tombe 500. Super. Ces bracelets vont être des répliques de bracelet jubilé, oyster etc. Gros et pas beaux. Est-ce qu'on avait envie de ça ?
Dans la continuité de cette boîte, on avait la volonté de créer quelque chose qui a une personnalité. On veut un bracelet acier qui ait aussi de la personnalité. Et une vraie fonction. Mais on voulait pas un bracelet acier qui double le poids de la montre. Parce qu'on veut quelque chose qui se glisse sous la manche facilement. Quelque chose qui soit léger fin. C'est bien. Ça c'est ce qu'on appelle un bracelet Bonklip.
Ce système a été inventé à la fin des années 20, début des années 30. Et c'était les premiers aciers que tu retrouvais sur les premières montres Rolex Viceroy, Bubbleback. Les premières montres Rolex à boîtes étanches. Le bracelet Bonklip a été popularisé notamment parce que les pilotes de l'armée anglaise les portaient sur leur Bubbleback pendant la Première Guerre mondiale et la Deuxième aussi.
Et ensuite c'est arrivé sur les fameuses montres “Dirty Dozen”. Les montres militaires anglaises de 45. Il a disparu quand les mecs ont inventé le bracelet nato, qui l'a remplacé techniquement dans les années 70.
Et depuis plus de 50 ans c'est un bracelet qui a complètement disparu. Des poignets et des boutiques, tu ne le vois plus nulle part. Parce que c'est fin et que les boîtes ont augmenté le volume peut-être aussi. Parce qu'il a été oublié parce que plus personne ne le fabrique parce que c'est chiant à faire. Ça paraît simple mais c'est chiant à faire.
Moi c'est un bracelet que j'ai depuis longtemps, j'en ai des vieux sur des vieilles militaire et je trouve ça hyper cool. Ce système est génial. En fait tu n'as pas de mise à taille pour un bracelet acier. La mise à taille est hyper fine. Et tu vas voir quand tu le mets au poignet ça va l'envelopper de façon hyper confortable. Tu mets juste la languette où tu veux. Ça n’alourdit pas.
C'est pas le bracelet métal de monsieur tout le monde.
Et ça continue à afficher la personnalité de la montre. Alors en voulant rééditer ça on a compris pourquoi personne ne le faisait. Parce qu'il faut repartir sur un développement de base. Là on a 3 entreprises différentes qui interviennent pour construire ce bracelet. D'abord tu as la personne qui va faire les moules et les différentes pièces. Après on va avoir la personne qui a le savoir-faire pour faire le pliage. Et ensuite il y a celui qui fait qui fait l'assemblage."
Pour l'avoir essayé, j'ai pu confirmer ce que disait Jérôme. Et c'est vrai que ce bracelet a de la gueule. Il est vendu seul sur le site et je vais peut-être compléter ma collection de bracelet par ce Bonklip.
Dans les nouveautés, il y a le cadran California que je trouve assez intriguant, avec cette alternance de chiffres arabes et romains. Je pense que c'est toujours pour cette histoire de lisibilité. Que, de cette manière, il devient impossible de confondre des chiffres quand on fait un looping en avion et qu'on a la tête à l'envers.
On remarque que le prix de ces nouveaux modèles est de 690€. Pas délirant quand on inclut dans ce prix le nouveau bracelet Bonklip, le verre double dôme saphir très coûteux, la nouvelle construction de boîte pour permettre l'étanchéité à 200m avec la pose d'un joint supplémentaire caché au niveau du verre et d'un double-joint au niveau de la couronne vissée.
Bref, pas délirant comme je vous le disais.
Pour tous les aspects techniques, je vous donne rendez-vous sur leur eshop et vous pouvez contacter le service client pour leur demander des précisions.
Conclusion
Après 7 mois de port intensif, je peux témoigner que la Serica est devenue ma montre à tout faire. De plus, elle est complémentaire à ma vieille Lip en or à bracelet noir. Avec ces deux montres-là je suis paré à toute éventualité vestimentaire.
Et puis, je dois bien avouer que j'ai plaisir à la porter et à la regarder, pas toujours que pour regarder l'heure.
Bien sûr, le gros point clivant est le remontage manuel. Mais comme je l'ai écrit, ça a le mérite de connecter davantage le porteur et la montre. Ça ancre l'expérience dans une réalité physique et ça me plaît. J'aime aussi pouvoir me dire que comme c'est mécanique, ça ne tombera pas en rade et que c'est du solide.
Je sais bien que ce remontage manuel ne correspondra pas à d'autres. Mais rien de grave. Il paraît qu'il faut de tout pour faire un monde.