Interview : Guillaume Bo, entre hip-hop et style tailleur

Interview : Guillaume Bo, entre hip-hop et style tailleur

Disclaimer : Aujourd'hui, c'est Guillaume Bo que nous avons eu le plaisir d'interviewer. Féru de mode, et de bien d'autres choses d'ailleurs, il anime, non pas un blog, mais la page Facebook Men Need More Style. Ce format permet une consultation du contenu très rapide et simple. Il donne de nombreux bons plans, commente des lookbooks et distille quelques conseils sur des assemblages.

Je n'en dirai pas plus, et vous laisse découvrir cet homme au parcours assez atypique aussi impliqué dans la culture sartoriale que dans le monde du hip-hop.

Peux-tu te présenter aux lecteurs de BonneGueule qui ne te connaissent pas ? Je crois savoir que tu as eu un parcours atypique…

Atypique, je ne sais pas... Il est vrai que, comme les chats, j'ai eu - et ai toujours - plusieurs vies. J'ai 44 ans, je vis désormais dans le sud de la France (vers Montpellier), après avoir passé 2 ans à Montréal (j'ai aussi la nationalité canadienne), avant cela New-York, et avant cela encore, San Francisco...

J'ai aussi bossé dans des univers différents, mais toujours liés à mes passions : musique, fringues, ou management / communication / marketing. J'ai joué au foot, donné des cours de tennis et de scratch, fait aussi pas mal de radio et de télé, des séances photo, etc.

Désormais, je me consacre au sartorial via ma page MNM's. Parallèlement, j'ai aussi un rôle de community manager et de consultant pour quelques marques ou sociétés.

Guillaume Bo

Le style pointu de Guillaume laisse présager de multiples influences.

Tu as été très actif dans le milieu du rap / hip-hop. En quoi ce milieu a pu t’influencer dans ta vision du style sartorial ? Sont-ce deux mondes véritablement opposés, qui ne peuvent jamais se croiser ?

Je le suis toujours, le hip-hop Phat Farm par exemple (la marque de Russel Simmons), qui faisait dans le streetwear classique, mais sharp, avec de jolis polos ou pantalons cargo qui avaient de la gueule. Je dirais que même dans ce monde-là, j'ai toujours été sobre.

Attention, j'ai aussi porté des Jojo, des Timb ou des casquettes (je continue de temps en temps, d'ailleurs), mais j'étais plutôt celui qu'on appelait déjà "papy". Je ne portais pas de jeans, mais des corduroy, pas de Timberland classiques, mais des modèles particuliers, des "bateaux" montantes en cuir et toile burgundy / vert. Je faisais toujours très attention aux couleurs, aux assortiments. Et puis il m'arrivait déjà de mixer en costume, en cardigan, ou en gilet avec ascott.

Pour en revenir à ta question, ils peuvent se croiser, j'en suis la preuve. Dans un registre plus vintage, tu as également Baron Dxl, ou Brooklyn Circus et Armstrong and Wilson aux USA, mais c'est plutôt rare. Sean "Puff Daddy" Combs a essayé un peu aussi...

Autre exemple : celui des Little au début des 90's qui, un peu à la EPMD, faisaient leurs concerts en costume. Mais ça participait davantage à la posture "Je veux faire du business, je veux qu'on me prenne au sérieux", et ne témoignait pas d'une réelle connaissance du vêtement.

EPDM

Le groupe EPMD, pionnier du port du costume dans le milieu hip-hop.

C'est d'ailleurs normal, et légitime. Le hip-hop vient de la rue, son berceau est le Bronx et les ghettos US. Le style vestimentaire qui allait avec a été une vraie révolution en lui-même, bien loin des codes propres à Savile Row ou Naples.

Aujourd'hui, des Jay-Z ou des Puff, voire même The Roots, n'hésitent plus à porter des costumes, parce que c'est aussi une façon de prouver qu'ils sont "en place", qu'ils ont réussi, et qu'ils sont capables d'adopter les usages et les attributs des plus riches.

Dans la new jack hip-hop, ou la soul / R'n'B, c'est déjà un petit peu différent. Leurs référents stylistiques lorgnaient Prince, Marvin, James, ou le funk / jazz et autres variantes. Du coup, les New Edition, R Kelly ou Jodeci, entre autres, aimaient se la jouer costume, bien sapés. Mais bon, ils sont américains, donc flashy, large, et pas toujours du meilleur goût...

Cependant, cette tendance existait bel et bien, surtout chez les danseurs. Aujourd'hui, Justin Timberlake, Robin Thicke, ou même Pharell viennent en partie de cette école.

Justin Timberlake costume

Pour vous dire, l'un des tubes de Justin Timberlake s'appelle "Suit & Tie", soit costume & cravate.

J’aimerais aussi rebondir sur tes influences montréalaises / américaines… Qu’as-tu gardé de leur conception du style ?

Montréal est très proche du no man's land stylistique, donc j'en parlerai peu, si ce n'est pour dire que certains s'emploient à changer tout ça (mais ce n'est pas facile). Bien s'habiller est presque suspect là-bas, mais ça évolue peu à peu...

Quant à NY, Philadelphie ou SF, c'est tout ou rien. Tu vois un gars et ses potes qui font vraiment des efforts - tu sens du moins que l'envie est là - et puis la seconde d'après, tu ne vois que des trucs ignobles. Il y a quand même des endroits clés, comme des soirées ou certains blocks / quartiers, où tu rencontres des gens stylés. En outre, l'élégance, les costumes et les accessoires sont en plein boom dans les grandes villes. Les plus jeunes, de 15 à 35 ans, cherchent clairement à mieux s'habiller.

Mon ami Manolo Costa, à NY, fait un fabuleux travail, tout comme Beckett and Robb à SF. Dans l'ensemble, je vois désormais peu de grandes différences entre leur conception et la nôtre. Certaines tendances certes, comme les barbus à tattoos ou les skateurs à chemises à carreaux, sont nées là-bas. Je les y ai donc vues d'abord, mais bon... Mad Men et Boardwalk Empire ont aussi été diffusés outre-Atlantique dans un premier temps, mais là encore, tout va désormais beaucoup plus vite, web et câble obligent...

Michael Pitt - Broadwalk Empire

L'acteur Michael Pitt dans Broadwalk Empire, une série déjà ancrée dans la culture sartoriale.

Je suis beaucoup plus marqué par les Coréens ou les Japonais qui, eux, ont désormais une vraie culture sartoriale. Elle transpire dans les rues, les marques, les boutiques, les artisans, les créateurs, c'est impressionnant ! Ils sont à des années-lumière de notre vieille Europe et des US.

Revenons maintenant à la France : quel est ton point de vue sur le style des Français, au regard de tes influences et de ta culture tailleur ?

Je ne crois pas vraiment à un style français pour homme. Pour les femmes du monde entier, le mythe de la Parisienne perdure, mais je ne vais pas m'étendre là-dessus : il y aurait aussi BEAUCOUP à dire et à corriger. Tant mieux pour nos industries du luxe, mais croyez-moi, allez voir les Italiennes à Milan ou Florence, et vous comprendrez ce que je veux dire...

Bref, revenons à nos moutons et au style, à l'élégance des hommes français. Je pense qu'il n'existe pas vraiment de style français. Or, il existe un vrai savoir-faire français, celui que défendent très bien Hugo et Dirnelli de Parisian Gentleman, par exemple.

Nous sommes historiquement coincés entre les deux grandes écoles que sont la Britannique originelle et sa petite sœur italienne. Certaines de nos icônes se sont vraiment bien sapées : je pense notamment à Gabin, ou à Delon pendant une période, Noiret, Montand ou encore Rossi.

Yves Montand costume

Son style n'était peut-être pas typiquement français, mais l'élégance d'Yves Montand en a séduit plus d'une.

Mais de là à dire que leur style était français, je ne crois pas. Ils étaient soit très inspirés par le style anglais, soit encore par le style italien. Ils étaient aussi le produit de leur époque, qui était nettement plus habitée par "l'habillé".

Quels conseils donnerais-tu aux Français en matière de vêtements ?

Déjà, cesser de faire confiance à sa nana ou de se reposer sur elle, par confort, conformisme, ou sous prétexte qu'elle aurait du goût. Attention, rien de misogyne là-dedans ! Néanmoins, 70 à 80 % des hommes seraient habillés par leur compagne / femme... Quand on voit le résultat !

Pull homme moche

C'est votre copine, certes vous l'aimez, mais il faut savoir dire "non" parfois !

Plus sérieusement, je dirais tout simplement de recommencer à considérer le fait de se vêtir comme un vrai plaisir, comme une force et un vrai plus. Cela vaut pour tous les domaines : professionnel, rencontres, estime de soi, rapports aux autres, et j'en passe.

Ensuite, constater que le vestiaire masculin est un formidable terreau de culture, d'histoires, d'anecdotes, de codes, d'usages qui enrichissent un homme ; tout en ayant des ramifications dans plein de domaines : l'histoire, bien sûr, mais aussi l'art, la musique, la peinture ou, dans un registre différent, la publicité, le cinéma, la littérature... et même la bouffe !

Enfin, et parce que c'est le nerf de la guerre, apprendre par le biais de tous les éléments précités à acheter mieux au plus bas prix. C'est maintenant possible grâce aux blogs, aux sites, à ses propres recherches sur le web, ou en se baladant dans les rues.

J'oubliais... Trouver au plus vite l'adresse d'un vrai ou d'une vraie bonne retoucheuse.

Personnellement, où t’habilles-tu ? Comment est ta garde-robe ? Es-tu du genre à avoir 7 très belles chemises, ou 30 plus lambda ?

Où je m'habille ?! Ouh la... ça dépend, des 3 Suisses à du sur-mesure en Corée ou en Italie ! Je suis aussi capable de rentrer dans une boutique pour femme dans un bled, parce que j'y ai vu en vitrine un foulard ou une écharpe qui me plait. Quelques fois, il m'arrive de faire de vraies folies pour certaines chaussures...

A présent, j'ai aussi l'avantage de recevoir pas mal de trucs, comme dernièrement de la part d'Ingram ; puisque tu me parlais de chemises. C'est une marque italienne que j'aime beaucoup et depuis peu, ils me fournissent en chemises. Dans l'absolu, je suis plutôt 7 très belles chemises, ou ça a été le cas pendant très longtemps du moins.

Je suis un peu vieille école là-dessus, considérant qu'un beau vêtement doit durer, se patiner, et que c'est la force des vraies jolies choses. Elles n'ont pas besoin d'être chères, juste jolies. Je suis aussi un peu maniaque, donc je les range précieusement. Mais attention, je ne suis pas un collectionneur : je porte mes vêtements ou mes chaussures, mais j'y fais gaffe.

Tu crois fermement qu’on peut tout à fait être élégant dans n’importe quelle gamme de budgets. Peux-tu développer ?

Oui, en effet ! Je considère que c'est avant tout une histoire de coupes, de textures et de couleurs / assortiments. Les notions de choix, de discipline, et d'allure interviennent également. Crois-tu que tous ces nouveaux riches, sous prétexte qu'ils ont eu leur Rolex avant 40 ans, soient élégants ?!

Guillaume Bo - street style

Notez comment la veste croisée rigoureuse contraste avec cette étonnante cravate.

D’ailleurs, pourquoi cette préférence pour le style élégant / tailleur (et non pour le streetwear, ou workwear par exemple) ?

Parce que je considère que le style dit "classique" flatte, et c'est le cas pour tout le monde quand c'est bien maîtrisé. C'est aussi un langage, une ouverture, une porte sur le lien social.

Je m'explique. Il est toujours bon de revenir aux fondamentaux : un vrai savoir-faire, une histoire, un patrimoine commun ; à l'image des codes et des règles de ce vestiaire classique que je défends sur MNM's. Ils sont un socle sur lequel nous pouvons tous nous appuyer, et nous reposer.

Nous pouvons aussi le faire évoluer, nous amuser avec, mais cette histoire existe et nous donne une vraie colonne vertébrale. En outre, chez moi perdure cette idée que l'habit fait le moine, donc j'ai toujours cultivé ce côté-là... C'est un sésame pour bien des choses.

Pour l'avoir vécu, et pour le vivre encore, l'élégance classique, mais affirmée ouvre des portes, et permet d'établir un dialogue avec TOUS les milieux et toute sorte de gens.

J'aime aussi beaucoup l'idée que - et ça rejoint mon point de vue sur l'élégance et l'argent - quiconque puisse être beau et à la hauteur, pour peu qu'il ait du goût et de la prestance. C'est peut-être là que perdurent mes vraies réminiscences hip-hop, le fameux hold-up mental cher à IAM...

Guillaume Bo (2)

Un look simple, mais bien réalisé pour l'été.

Tu m’as dit que tu étais très soucieux des marques accessibles pour les petits budgets.

Quelles sont justement les petites pépites peu connues en la matière (chemise, costume et éventuellement souliers) que tu recommandes à tour de bras ? (dans le même genre que Trashness dont tu as parlé récemment)…

Il y a Herrings ou Meermin pour les chaussures, par exemple. Mistigriff est aussi une chaîne de magasins à surveiller de près en France. Ils ont souvent des articles de marque vraiment intéressants, mais qu'ils connaissent mal, comme Harmont and Blaine qu'ils vendent à des prix ridicules. Toujours pour les chemises, Café Coton et leurs magasins d'usine sont de bonnes alternatives : vous pouvez trouver des chemises à 30 / 35 €, et là, ça vaut le coup.

Pour les accessoires, pensez à Altéa ou Gran Sasso, un SUPER rapport qualité / prix. En France, pour les pantalons, allez jeter un oeil chez Dany Berd, ce n'est vraiment pas mal : 60 €, de mémoire, pour une flanelle Barberis Canonico Super 120s qui a de la gueule, c'est franchement bien.

Je ne vais en revanche pas tout vous dévoiler ici, puisque j'ai mis un point d'honneur à soumettre assez régulièrement des bons plans de ce genre sur ma page.

Tu portes très bien le canotier, un accessoire que je ne connais pas du tout. Quels sont tes conseils pour bien le porter ?

Merci ! Alors, sache tout d'abord que toutes ces photos prises au Pitti Uomo 86 (ndlr : la 86ème édition) à Florence où je porte ces canotiers, aussi appelés boaters (deux différents en fait, le premier est beige, alors que le second possède un liseret bleu) sont un peu le fruit du hasard...

Guillaume Bo au Pitti

Guillaume Bo portant l'un de ses canotiers, c'est pas l'accessoire le plus simple, mais il fait son petit effet...

J'étais invité le matin même par Lardini et Wooster à la présentation de leur nouvelle collection, et c'est là que ces canotiers m'ont été offerts. J'ai donc décidé d'en porter ce jour-là. La forme et la couleur ajoutaient une petite touche supplémentaire, plus personnelle encore, à ma tenue du jour. Ce qui prouve, puisque ça a tellement plu, que l'élégance passe aussi par de petits détails peu calculés, des petites choses qui changent tout. Je suis très chapeaux, je suis un vrai addict des bérets, fedora, Borsalino et autres.

Pour revenir à ta question, le principe fondamental pour le port d'un chapeau est de choisir la bonne taille. Tout simplement. Beaucoup trop d'hommes le prennent trop petit ou trop grand, donc prenez le temps de vraiment vous regarder dans une glace, de sentir qu'il tombe bien sur vos tempes et votre front. Ensuite, aidez-vous de votre deuxième main pour le soulever correctement lorsque vous le mettez. J'appelle ça la méthode Sinatra.

Toujours à propos d’accessoires, je te vois porter des bracelets très colorés. As-tu quelques conseils ou marques à recommander ?

En fait, j'associe et j'assortis toujours mes bracelets à ce que je porte, et à ce que je fais. Si c'est business, je fais très sobre, mais si c'est casual, je m'amuse un peu. Pour les marques, je m'oriente vers Cabo de Mar ou A Cool Gentleman. Mais je n'hésite pas à aller dans les petites échoppes tenues par des chinois, ou à en trouver sur les marchés.

(Note : Guillaume aime vraiment accorder ces bracelets à sa tenue, mais il n'y a rien d'obligatoire à ce propos. D'ailleurs, les accessoires sont un bon moyen de personnaliser son style sans prise de tête !).

Un petite pépite de rap français à conseiller aux lecteurs BG ?

Némir. Un "petit" gars de Perpignan qui a beaucoup de talent. C'est frais, c'est bon et varié. Écoutez son morceau "Ailleurs" en guise d'introduction, vous verrez !

Un grand merci à Guillaume pour son interview ! Pour ceux qui veulent aller plus loin, il a déjà écrit des articles invités chez Milanese Special Selection :

  • un échange avec Fabio, du blog The Bespoke Dudes (blog anglophone de référence sur la culture tailleur)
  • un article sur les chaussures à lacets
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