Les 1001 facettes du débardeur

Les 1001 facettes du débardeur
À la fois vêtement de travail et de vacances, symbole de virilité et de féminisme, star du rock et du hip-hop, le débardeur en a vu de toutes les couleurs avant d'arriver sur nos épaules. Pour comprendre comment un vêtement peut être aussi cool et controversé en même temps, voici son histoire.

Il n'avait pourtant rien demandé

Bienvenue aux Halles de Paris, au début des années 1860.

Bonne gueule

Une illustration publiée en janvier 1862.

Elles ont été bâties tout récemment, sous le règne de Napoléon III. C'est un des plus grands marchés au monde. Qui dit marché dit marchandise et qui dit marchandise, dit manutentionnaires pour les transporter (ça fuse là-dedans, n'est-ce pas ?). On les appelle les forts des halles, parce qu'ils sont forts et qu'ils travaillent aux halles (décidément).

Bonne gueule
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Ils y déchargent les caisses. Ou plutôt : ils les débardent (oui, vous l'avez). Et ils le font souvent en portant des pulls épais, pratiques face au vent mais moins pour soulever du bois. L'idée d'en couper les manches vient donc assez naturellement et trouve son succès dans le monde ouvrier.

Le débardeur n'est donc à la base qu'un vêtement improvisé pour être pratique. Si pratique que sa réputation arrive aux oreilles d'un certain Marcel Eisenberg, propriétaire des "Établissements Marcel", une bonneterie à Roanne dans la Loire.

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Il se lance dans la production en masse de débardeurs en jersey de coton, auxquels on attribuera son nom plus tard. Si vous vous questionniez sur la différence, le Marcel est donc au débardeur ce que le Jacuzzi est au bain à bulles, le Frigidaire au réfrigérateur et le Kleenex au mouchoir.

Le succès du débardeur ne se limite plus aux ouvriers. Les agriculteurs, pêcheurs et transporteurs maritimes en portent aussi. Les poilus de la Première Guerre Mondiale le trouvent dans leur attirail. Une version plus aérée en filet de pêche aurait même vu le jour pour eux en 1933.

Porté seul, il garde les bras aux frais. Sous un pull, il garde les torses au chaud. Son jersey permet de bouger librement. Son coton est peu coûteux et facile à entretenir. Alors dès 1936, il ne convainc plus seulement les travailleurs et soldats, mais aussi les vacanciers qui découvrent les joies des congés payés.

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Des campeurs en 1938.

Porté comme un vêtement aux allures de sous-vêtement, il commence déjà à récolter quelques connotations et n'est pas le bienvenu dans une tenue de ville.

Évidemment, les français ne sont pas les seuls à avoir eu l'idée de faire tomber les manches. En Suisse, le débardeur s'appelle camisole. En Belgique, c'est une chemisette. Aux États-Unis, on dit "singlet".

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Ouvrier d’une usine textile en Caroline du Nord, photographié par Lewis Hine en 1937 (crédit : Wikipedia).

En Angleterre, on parle de "tank top" en référence aux "tank suits", des maillots de bain féminins dont le haut en rappelle la forme. Elles portaient ces maillots dans les "swimming tanks" (avant qu'on ne parle de "swimming pool" plus tard, "tank" voulant dire réservoir).

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L'équipe britannique de natation aux jeux olympiques de 1912 (Wikipédia).

Avec une telle étymologie, le débardeur aurait donc pu nous évoquer la combativité et la réussite féminine. Mais sur décision d'Hollywood, ce n'est pas ce qu'on en retiendra.

Après les ports, les podiums

Dès les années 1950, le débardeur n'est plus seulement le vêtement du travailleur et du campeur. Au cinéma, il devient aussi celui du séducteur aux côtés de Marlon Brando et, plus tard, de Patrick Swayze.

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Marlon Brando dans A Streetcar Named Desire.

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Patrick Swayze et Jennifer Grey dans Dirty Dancing.

Il devient le vêtement du combattant avec Bruce Lee et, plus tard, Hugh Jackman.

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Bruce Lee dans La Fureur du Dragon.

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Hugh Jackman dans X-Men.

Le vêtement du héros avec Bruce Willis dans Die Hard.

zoom jean salata sarah
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Celui du guerrier patriote avec Sylvester Stallone dans Rambo.

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Déjà star de cinéma, le débardeur fait aussi carrière la musique en devenant partie intégrante de la culture hip-hop. Tupac, Eminem ou encore 50 Cents, pour ne citer que des grands noms.

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Tupac Shakur.

Il devient aussi Rock’n’Roll, libérant les bras de Johnny Hallyday en 1995 à Bercy et, bien avant, permettant à Freddie Mercury de s'exprimer dans toute sa splendeur.

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Freddie Mercury en concert avec Queen au Live Aid de 1985.

Après avoir servi à immortaliser le cliché de l'homme hétéro hautement testostéroné, le débardeur devient ainsi un symbole d'émancipation du corps auprès de la communauté LGBTQ+, et pas que.

Du côté des femmes

D'abord porté pour sa praticité également, par les joueuses de tennis par exemple, le débardeur libère aussi les épaules des femmes. Comme celles de Jane Birkin, qui en profitera pour se délier de son soutien-gorge et sera suivie par bien d'autres.

Comme chez l'homme, il se démocratise massivement dans la culture populaire au fil des décennies.

(Jennifer Anniston dans Friends).

Il sera aussi porté par des figures féminines héroïques, telles que Sigourney Weaver en tant que Ripley dans Alien et Angelina Jolie, en tant que Lara Croft dans Tomb Raider.

Dans les années 80, le débardeur est à son apogée et vit sa consécration par les grandes marques du moment, dont Calvin Klein.

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Une campagne photographiée par Bruce Weber en 1985.

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Et une autre en 1989.

Et souvent, après l'ascension, il y a la chute.

Controverse, connotations, abandon

Le débardeur n'a pas été une star aux yeux de tous, notamment dans les années 1990 et 2000. Son jersey moulant colle à la peau des clichés du beauf et de l'alcoolique des ports. Des personnages légendaires, caricaturés par les médias, qui ne le porteraient plus que pour son confort et sa praticité, sacrifiant l'esthétique par négligence ou mauvais goût. Même dilemme que pour les claquettes-chaussettes, finalement.

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Franck Dubosc dans Camping.

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Jean-Paul Rouve dans les Tuche.

Il colle d'autant plus fort à la peau du cliché du culturiste excessif, ce monsieur énorme et sec qui cherche à minimiser la quantité de tissu cachant le résultat de ses efforts. Le soutien-gorge pour homme n'existant pas encore, ce personnage-là se tourne vers le débardeur et devient une caricature médiatisée à son tour.

Et il y a une réciproque à cela : on attribue au débardeur une cruelle intransigeance avec la morphologie humaine. Beaucoup pensent qu'il ne met en valeur que les carrures musclées du cinéma, dévoilant toute caractéristique ne correspondant pas à ces codes esthétiques. Embonpoint, bras fins... même la pilosité qu'il laissera dépasser sera prise pour cible.

Le débardeur perd donc en popularité. Chez l'homme, ce sera sous une chemise tout au plus et encore, si celle-ci ne le laisse pas transparaître. Car il ne faut pas oublier qu'à cette époque, le vestiaire de l'homme est encore majoritairement timide, pudique et peu aventureux. Ce qui va heureusement changer.

La revanche

Vous l'avez peut-être remarqué : le débardeur est de nouveau omniprésent dans la mode masculine avec, en prime, une consécration par la mode podium ces dernières années.

Lemaire, Prada, Bottega Veneta, Jacquemus, Versace, Balenciaga et bien d'autres lui donnent un rôle de plus en plus important dans leurs collections et tenues de défilés.

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Hermes, Printemps/Été 2024.

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Dior, Printemps/Été 2024.

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Officine Générale, Printemps/Éte 2024.

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Diesel.

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Givenchy.

Du côté de notre équipe, cela fait aussi quelques années qu'on le croise de plus en plus en scrollant les lookbooks de marques et ootds sur Instagram. Nous sommes nous-même nombreux à en porter, ne serait-ce qu'en tant que base layer alors qu'il y a cinq ans, le t-shirt blanc était roi dans ce domaine.

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À gauche, Lemaire. À droite, Scott Fraser Collection.

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Casatlantic.

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Le seul, l'unique @sideadjuster sur Instagram.

Depuis notre petit observatoire de la mode masculine, en tant que média et marque de vêtements, nous avons vu le marché évoluer et voyons plusieurs raisons à ce retour en force.

La première, c'est que notre vestiaire s'est libéré d'une partie de ses chaînes liées aux a priori et manques de confiance. Pour l'homme, le vêtement est de moins en moins un refuge et de plus en plus un terrain de jeu. Nous osons plus de variété dans les formes et couleurs. Voyez par exemple du côté des pantalons : hier, c'était les jeans et les chinos. Aujourd'hui, ce sont aussi les jogpants, pantalons cargos, fatigue pants, gurkhas, carpenters et autres déclinaisons. Le costume a pris des formes également, décliné en soft tailoring, workwear et streetwear. Et le débardeur a profité de cette libération.

La seconde, c'est le gain en décontraction et en confort. Les coupes sont plus amples, les matières plus texturées. Et quoi de plus décontracté et confortable qu'un t-shirt qui n'a pas de manches ?

Ajoutez à cela le retour nostalgique de la mode rétro et l'émergence du marché vintage, qui font qu'un débardeur blanc rentré dans un jean droit délavé n'a jamais été aussi cool à nos yeux.

Les hommes ont à nouveau montré que le débardeur pouvait être porté avec brio, le déliant de la plupart des connotations constatées dans cet article pour en faire ce que tout vêtement devrait être : un vêtement, ni plus, ni moins, qu'on prend plaisir à associer sans s'imposer des barrières imaginaires.

Notre premier débardeur Halles est à découvrir ici :

Michel Bojarun Michel Bojarun
Michel Bojarun,

Geek du vêtement à plein temps chez BonneGueule et geek des platines en intérim au Berghain (un jour). Amateur de pantalons droits, de débardeurs, de chaînes dorées, de ceintures western (2cm de largeur max, évidemment) et de *insérer n'importe quel vêtement rétro-kitch*.

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