Chinos, cargos, patte d’éléphant, fuseau, slim, jeans, baggies … le pantalon, quelle que soit sa forme, est aujourd’hui un incontournable de la garde-robe masculine.
Pourtant, ce statut est très récent à l’échelle de l’histoire des modes : ce vêtement, tel qu’on le connaît aujourd’hui, a à peine deux cents ans. Cela pourrait paraître vieux mais cette ancienneté est toute relative lorsque l’on pense que les hommes ont caché leurs cuisses, voire leurs jambes, sous des tuniques et des robes de l’Antiquité au XIVe siècle, avant de porter la culotte durant plus de quatre cents ans.
Comme tous les articles de nos armoires, le pantalon a une histoire et sa quasi-universalité ne s’est pas imposée en un jour. En l’enfilant machinalement tous les jours, on ne pense pas aux barrières qu’il lui a fallu abattre pour parader sur nos jambes du matin au soir.
1. Braies antiques et culottes d'Ancien Régime : le pantalon en gestation
Ses ancêtres les plus lointains sont les braies, que notre imaginaire collectif associe aujourd’hui aux Gaulois, comme le faisaient déjà les Romains en leur temps .
Elles dérivaient de l’habillement des peuples celtes et germaniques qui les trouvaient pratiques pour isoler leurs jambes du froid, notamment lors de leurs déplacements à cheval. Si les ecclésiastiques et les gens de pouvoir adoptèrent la toge et ses avatars, les braies lui survécurent et résistèrent à la romanisation de la société. Elles se composaient de deux jambes réunies par une simple couture et c’est dans celles-ci que nos pantalons contemporains ont trouvé la première de leurs caractéristiques : leur allure bifide.
Néanmoins, contrairement à ceux-ci, on n’en voyait que la partie inférieure. Elles étaient en effet portées avec une tunique tombant sur les cuisses, laquelle aboutit au bliaud médiéval, robe portée par les hommes et les femmes du XIe au XIIIe siècle, puis à la cotte et au surcot, encore plus longs.
Ce n’est qu’au milieu du XIVe siècle que le vêtement, en se raccourcissant, révéla la jonction entre les jambes et le buste, donnant à la silhouette masculine l’allure générale qu’on lui connaît aujourd’hui.
Vers 1330 de jeunes hommes aisés adoptèrent le pourpoint, sorte de gilet montant à manches longues, descendant sur les hanches et dévoilant les chausses. Celles-ci, courtes sous les Gaulois, se sont allongées à mesure que les braies se raccourcissaient et se transformaient en simple vêtement de dessous. Collantes, elles dévoilent la forme des cuisses et, scandale, moulent les fesses et l’entrejambe.
Au XVe siècle apparaissent des prémices de hauts de chausse couvrant cette zone. Portés sous différentes formes au XVIe et au XVIIe siècle (culots, grègues, rhingraves…), on peut y voir des avatars de la culotte caractéristique de l’Ancien Régime.
2. De dessous à vêtement de dessus : l'apparition du pantalon moderne
En 1789 le vêtement incontournable pour couvrir ses jambes est ainsi bien bifide, serré à la taille, mais il est court : il lui restait à retrouver la longueur des braies originelles, de culotte à se faire pantalon. Si on ne parle plus de braies pour désigner ce vêtement long à deux jambes, c’est que celui-ci a été (ré)introduit en France par les Vénitiens et leur théâtre accompagné d’un autre nom.
Dans la Commedia dell’arte le personnage du vieux barbon, Pantalone, était toujours vêtu d’un caleçon long, lequel prit son nom de notre côté des Alpes. Le pantalon resta longtemps associé pour les gens du monde à ce vêtement à l’origine porté dessous. En 1768, Louis-Antoine de Caraccioli, dans son Dictionnaire critique, pittoresque et sentencieux le décrit ainsi comme une « espèce de caleçon qui tient avec les bas », et l’on peut comprendre qu’il se portait sous la culotte.
Les gens du peuple l’arborent eux comme vêtement de dessus. Les culottes ajustées demandent le savoir-faire d’un artisan alors que le pantalon est d’une forme assez primitive pour être facilement cousu chez soi. Sa longueur le rend plus protecteur et lui vaut d’être encore souvent désigné sous le nom de « culotte longue », le terme pantalon ne s’imposant véritablement qu’au XIXe.
Dans les classes supérieures, ce sont les petits garçons qui, à la fin du XVIIIe siècle, furent les premiers à adopter le pantalon comme vêtement de dessus. Celui-ci faisait partie d’un costume dit « à la matelote », alors très en vogue et, comme son nom l’indique, inspiré par le costume des marins. À une époque où des penseurs, tel Rousseau, s’intéressaient au bon développement et à la singularité de l’enfant, sans doute a-t-on vu dans cet habit un moyen de libérer les mouvements de la jeunesse .
Ce pantalon enfantin est aussi à rapprocher de la notion anglaise de « comfort », laquelle se répand alors en France, touchée par une véritable anglomanie qui influence aussi le costume des adultes. Avant la Révolution, certains élégants arborent déjà des pantalons, moulants en revanche, plus confortables pour monter à cheval que la culotte.
Ceux-ci ont de plus l’avantage d’apporter une solution aux craintes de plusieurs hygiénistes, dont le docteur Macquart qui alerte en 1798 ses contemporains au sujet des jarretières de la culotte ; selon lui, elles empêcheraient une bonne circulation du sang et les mouvements des muscles de la jambe.
C’est pour cette même raison que les fantassins européens voient dès le XVIIIe siècle, mais surtout au XIXe, leurs culottes être remplacées par des pantalons longs, lesquels influenceront ensuite les modes civiles, sensibles au prestige de l’uniforme.
3. Des jambes des Sans-Culottes à celles des aristocrates : les conquêtes du pantalon
On pense souvent que ce sont les « Sans-Culottes » de la Révolution française qui ont substitué à ce vêtement aristocratique le pantalon du peuple. Sans doute ont-ils eu un rôle à jouer dans cette histoire, mais pas aussi majeur qu’on a bien voulu le croire.
Leur image a été immortalisée par l’acteur Chenard, représenté par le peintre Boilly, costumé en Sans-Culotte idéal lors de la fête en l’honneur de la liberté de la Savoie, le 14 octobre 1792. À côté de cette image d’Epinal du révolutionnaire en sabots vêtu d’un pantalon et d’une carmagnole , les portraits des grands prêtres de la Révolution (Robespierre, Danton…), montrent qu’ils ne quittèrent ni la poudre ni les culottes, lesquelles étaient d’ailleurs portées par tous les députés du Tiers-Etat aux Etats-Généraux de 1789.
Et si, comme nous l’apprend Christine Bard dans son livre Une histoire politique du pantalon (Seuil, 2010), Saint-Just, « l’Ange de la Terreur », possédait à sa mort en 1794 deux culottes et deux pantalons, nous pouvons supposer que ceux-ci devaient bien plus ressembler aux pantalons collants anglais et donc à la mode, qu’à ceux des Sans-Culottes, informes et encore trop populaires, tout patriotiques qu’ils furent.
Ce n’est qu’au début du XIXe siècle, alors que s’ouvre une ère de liberté vestimentaire, que la culotte commence à être sérieusement concurrencée par le pantalon. La journée il est étroit, héritier des pantalons anglais du siècle précédent, ou bien large et droit comme se présentaient ceux des Sans-Culottes ; porté avec des souliers fins ou des bottes vernies il perd son côté populaire.
Le soir, il peut se porter moulant, avec des escarpins, chaussures plates et ouvertes. Néanmoins il ne fait pas de suite l’unanimité, comme nous le rappelle Horace-Napoléon Raisson en 1829 dans son Code de la Toilette : « La mode de la culotte, que depuis quelques années on tente vainement d’abolir, se maintiendra sans doute longtemps encore dans la bonne compagnie ; elle est en effet plus élégante, bien plus convenable que celle du pantalon que l’on veut lui substituer ».
L’auteur reconnaît toutefois que le pantalon, en plus d’être « favorable au maintien de la santé », est « commode et élégant en petite tenue » . Dès cette époque la culotte se fait de plus en plus rare. Au quotidien elle finit par être conservée uniquement par les messieurs assez âgés pour avoir pu jouer au trictrac avec Marie-Antoinette, et par les valets en livrée.
Elle reste portée à la cour par les hommes qui y sont reçus pour les cérémonies officielles jusqu’à la fin du règne de Napoléon III, en 1870, et demeure un élément essentiel du costume de fête de plusieurs « pays de France », en Bretagne et en Alsace par exemple.
À la Belle Epoque la culotte retrouve grâce aux yeux de quelques esthètes, à l’instar d’Oscar Wilde qui s’en pare au quotidien dans les années 1880, dans un esprit dandy. Son retour fut également soutenu par des hygiénistes qui estimaient que le pantalon, ouvert, n’isolait pas suffisamment les jambes de l’air froid.
4. Du XXe siècle à nos jours : le règne presque sans partage du pantalon
Dans la première moitié du XXe siècle, si certains sportifs en adoptent des dérivés, tel le knickerbocker, il n’y a alors plus que les petits garçons qui restent en culotte courte à la ville, jusqu’à leur entrée au collège voire au lycée. Le premier pantalon long, d’adulte, est depuis le XIXe siècle celui de la communion .
Aujourd’hui, elle se fait de plus en plus rare et seuls les boys scouts et quelques vieilles familles semblent continuer de défendre ce terrain sur lequel progresse irrémédiablement le pantalon qui n’a plus vraiment de concurrents.
On met certes des shorts et des bermudas mais, du point de vue de la coupe, ils n’en sont qu’une version raccourcie. Quant à la jupe pour homme, promue par de grands créateurs, tel Jean-Paul Gaultier, elle est un épiphénomène. Au terme de plus de mille ans d’évolution des modes et des mentalités, le pantalon a réussi à s’imposer dans la garde-robe masculine pour toutes les circonstances, et a même, en parallèle, su se frayer un chemin jusqu’au placard des dames.
Mais ceci est une autre histoire .