"Putain, le con !"
C'est en ces termes que s'est exprimé Benoît Wojtenka, président de BonneGueule, quand je lui ai annoncé que je comptais porter des Birkenstock Boston dans la rue.
Intrigué par le choix cocasse de ses mots pour exprimer l'étonnement, je lui fais part à mon tour du mien de manière plus conventionnelle : "pourquoi ?", je lui demande.
Un débat naît. Dont je ne me rappelle plus très bien ni le début ni la fin et le milieu est confus je dois dire. Mais il me semble qu'on en vient rapidement à un match Birkenstock vs espadrilles.
Peut-être qu'à ce moment-là, la seule raison qui justifie ce débat, c'est que Benoît est basque. Et, alors que me vient la somptueuse idée de faire entrer la charentaise dans la partie parce que y'a pas de raison que j'y aille pas moi aussi de mon origine, le rédacteur en chef coupe court à cette joute verbale illicite.
Illicite, selon les lois du bon sens évidemment. La réunion se passe mais je pense et repense à son "putain, le con". "Putain, le con !". Et si, "putain", j'étais vraiment ce "con" qu'il apostrophait !
Enquête.
Dans mon intimité.
Mes premières Birkenstock
Birkenstock est une marque de sandales née en Allemagne en 1774. Oui. En 1774. 15 ans après se passait la Révolution française. Louis XVI décapité, tout ça.
Les modèles sont réputés orthopédiques. Et, vous savez quoi ? Ce n'est pas du tout pour ça qu'elles me plaisent. J'ai 99 problèmes, mais mes pieds n'en sont pas un.
En fait, ça me fait même ni chaud ni froid. Un peu comme un pull marine en coton Jules. On en reparlera quand je serai plus vieux vous me direz et vous avez raison. Mais c'est une autre histoire.
Ma première paire de Birk (c'est comme ça que les appelle leurs intimes !) a été des Arizona couleur mocca trouvée sur Sarenza si je me souviens bien, ou Zalando, ou bien Yoox, pour pas cher alors que je cherchais une paire de chaussures à traîner sur les pistes poussiéreuses du Cambodge.
Et je n'aurais jamais pensé les porter une fois de retour en France !
Et j'avais raison. Je ne les ai pas portées.
J'ai d'ailleurs écrit un billet que j'ai intitulé Pourquoi je refuse de montrer mes pieds en ville. Et après avoir encaissé des commentaires comme celui de dimitri (sans majuscule)…
… je ne pouvais pas faire marche arrière et subitement me mettre à porter des sandales ouvertes aux yeux de tous. D'ailleurs, rien n'a changé, je sais que je ne serais pas à l'aise.
En fait, je ne les porte qu'à l'étranger, dans un pays chaud, quand mon statut de touriste légitime une mise un peu nonchalante voire négligée. Et aussi car elles sont légères et je n'ai pas besoin d'en prendre grand soin.
Bon j'ai dit un mensonge.
Je ne les portais pas qu'à l'étranger mais dans mon appartement également. Mais pour peu qu'il fasse froid, elles restaient au placard. D'ailleurs, elles y sont toujours.
Mais ça, c'était avant de découvrir les Boston.
Pourquoi j'adore mes Boston
Je crois que la première fois que j'ai vu ces chaussures, c'était aux pieds de Ramdane Touhami qui en porte énormément.
La première impression que cette paire de chaussures m'a faite, c'est : "ok, ce sont juste des sabots rendus cool par des gens de la mode, aucun intérêt."
Et en même temps, j'avais une certaine fascination pour elles car c'était une paire de chaussures d'intérieur (à mes yeux) que des personnes portaient sans complexes à l'extérieur. Ce qui était enviable et dans ma quête du style ludique, ça collait !
En fait, je crois que j'enviais Ramdane Touhami et tous ces gens du milieu de la mode parisienne qui les portaient. Ils étaient libres de porter ce qu'ils voulaient et moi, je me mettais des barrières.
Cependant je persistais à ne pas y céder. J'étais un gars de la campagne après tout, j'appartenais pas au microcosme parisien modeux.
Et puis, à force de les voir, mon regard a changé.
À force de les voir aux pieds de ce microcosme, j'ai commencé à vraiment les apprécier. Parce que c'est me leurrer que de croire que je ne fais pas partie de ce microcosme… La majorité des Français ne portent pas les fringues que je porte, ni ne bossent dans la mode comme moi.
Alors un jour, sans envisager de les acheter, j'ai voulu les voir de plus près. Et j'ai construit une tenue de Panache en les y intégrant :
J'étais charmé, mais 110€ me paraissaient trop.
Pourtant, j'ai construit une deuxième tenue dans mon Panache sur la veste militaire. Après ça, elles ne m'ont plus quitté.
Pour le moment, je les porte à la maison. Je voulais sortir dans la rue avec mais la pluie m'en a empêché.
Ce que j'aime dans ce modèle :
1. La forme
Oui vraiment ! Certains disent que ce sont les sandales les plus moches du monde ! J'aime cette forme sabot, comme taillée dans du bois.
J'aime qu'elle ne soit pas raffinée. Car, pour le reste de mes chaussures, je cherche plutôt l'inverse. Là, ce sont mes savates, que j'enfile d'un coup de pied.
Je trouve d'ailleurs que, de profil, elles sont très équilibrées et belles avec cette attache sur le haut du pied.
2. Le confort
Cela va sans dire. Mettez les pieds dedans et vous me direz. Et puis, la manière de les enfiler me rappelle aussi le mocassin. J'aime l'épure de ces mules !
3. Faire partie d'un microcosme de modeux connaisseurs
Je sais c'est un peu nul mais c'est comme ça. Sentir son appartenance à un groupe, de temps en temps, fait du bien. Non pas pour en exclure les autres, mais pour se sentir inclus dans un délire, aussi futile soit-il.
Dans notre équipe, Giovanni et Antoine (si je ne dis pas de bêtises) en portent assez souvent. Ce sont des gars branchés, à l'écoute de la mode, de ce qui se fait en terme de style à Paris et à l'international, notamment au Japon.
Portez des Birk, c'est partagé le même goût bizarre qu'un type à des milliers de kilomètres de soi mine de rien.
Ce qui m'amène à mon dernier point.
On est tous influencés
Je comprends totalement qu'on déteste ces chaussures orthopédique qui font l'objet d'une hype. Et peut-être que cette tendance fait écho à celle des sneakers moches qui s'est installée depuis un moment, notamment avec les Triple S de Balenciaga.
Ce sont des sabots. Ni plus ni moins. Avec une semelle orthopédique.
Et d'ailleurs, ça me revient : Benoît que je citais en introduction m'avait même confié qu'il préfèrerait porter de Crocs que ces Birk. Je ne sais pas bien pourquoi. Je suppose que chacun se laisse atteindre par la hype qu'il juge la plus acceptable.
Et justement cela pose la question de la tendance et de son emprise sur nous.
Nous qui sommes des consommateurs éclairés. Nous qui favorisons le style au détriment de la mode. Nous qui écrivons des articles sur le mieux consommer. Est-on vraiment hermétique à la mode, comme on a pu le dire ?
Non ! La preuve avec cet article.
Les Birkenstocks sont à la mode, indéniablement. Tellement cool que la marque a refusé une collaboration avec Supreme en 2018.
ce n'est pas un basique du vestiaire classique comme le chino ou le jean et sûrement qu'un jour, la tendance s'essoufflera. C'est sûr même, maintenant que LVMH possède une participation majoritaire dans l'entreprise.
Pour le moment, comme on les trouve aux pieds des branchés, elles sont considérées comme cool. Et puis, quand la mode les aura exhibées aux yeux de tous et que tout le monde en aura une paire, la tendance mourra car elles seront devenues ringardes.
Bref !
OUI, je suis moi-même influencé par la mode. Simplement, je sais quand je suis sous son influence. D'une certaine manière, je me laisse capturé quand ça me chante, comme un poisson qui saurait exactement où se trouve le trou dans le filet. J'en joue, je joue avec elle alors qu'elle croit se jouer de moi.
La ceinture western, les semelles commando, le fleece, les lunettes à verres teintés sont autant de micro-tendances qu'il me plaît de suivre. Et alors ? Allez-vous appeler la fashion police ?
Je vous préviens je recommencerai ! Et à nouveau, j'entendrai : "Putain, le con !"