Nous avions déjà conseillé Repair Jeans notamment dans cet article sur les de très bons échos que nous avons eu). Le moins que l'on puisse dire, c'est que nous n'avons pas été déçus.
C'est pourquoi Geoffrey et moi sommes allés à la rencontre de ce véritable passionné du jean comme il en reste peu (ou plus) aujourd'hui, avec une quarantaine d'années de métier. Georges Cohen est l'artisan qui redonne une seconde vie à vos jeans. Il a créé Repair Jeans il y a quelques années au Sud de Paris (Métro Porte d'Italie). L'endroit complètement atypique vaut à lui seul le détour : un véritable temple du jean.
Depuis 40 ans, Georges baigne dans le jean. Il connaît sur le bout des doigts toutes les étapes de fabrication, de la conception jusqu'à la production en passant par les différentes techniques de tissage (j'y reviendrai). Bref, c'est une véritable encyclopédie vivante du jean. Et en plus, il ne demande qu'à partager son savoir : c'est un vrai provider comme on les aime.
Georges, bienfaiteur de vos jeans
Nous avons confié à Georges deux jeans à réparer et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il ne se contente pas de "rafistoler" vulgairement le jean avec un patch par ici et un peu de fil par là. Georges redonne (vraiment) une seconde vie à la toile en recomposant l'armure du jean : la chaîne et la trame. Et c'est du costaud, je vous le garantie !
Pour rappel : l'armure du jean, c'est la façon dont est tissée la toile. Cette armure est composée de fils de chaîne et de fils de trame. C'est le croisement (= tissage) des fils qui fait le tissu. Les fils horizontaux sont appelés la trame : ils passent au-dessus et en-dessous des fils horizontaux (la chaîne).
Comment procède-t-il ?
Une fois que vous avez montré à Georges les bobos de votre jean, Doc' Georges franchit la porte du bloc opératoire et s'attèle à la tâche.
Georges prend un bout de toile de jean et le glisse sous l'endroit à réparer. Il sélectionne le fil adéquat par rapport à la couleur du jean, règle sa machine et c'est parti !
Sur les 2 jeans de Geoffrey (trous à l'entrejambe car il porte ses jeans assez fittés et qu'il a de bonnes jambes), la réparation coûte 30 euros par jeans : prix particulièrement intéressant lorsqu'on a acheté un jean de grosse qualité et qu'on veut lui redonner une seconde jeunesse. Georges peut vous réparer votre jean, peu importe sa dégradation. Tous les prix sont disponibles sur le site internet, qui est assez bien fait.
Et vous pouvez lui envoyer vos jeans depuis toute la France via ce formulaire.
Vous pouvez voir que la chaîne et la trame (l'armure de la toile de jean) sont parfaitement "densifiées". Au toucher, l'endroit réparé est plus rigide que le reste du jean, un peu comme comme si la toile était dans l'état initial à l'achat. Bien évidement, le fil bleu que vous voyez à l'image va se délaver (comme le fait votre jean au fil du temps) et celui-ci ne sera pratiquement plus visible. La zone de la réparation va également s'assouplir.
Le point-chaînette
Une fois ces réparations effectuées, Georges nous propose spontanément de faire l'ourlet en point-chaînette d'un des jeans de Geoffrey pour nous faire partager encore un peu plus sa passion.
Pour rappel : l'ourlet point-chaînette est un détail que l'on retrouve au bas de la jambe d’un jean. Sur un jean haut-de-gamme, on retrouve souvent ce fameux point-chaînette, au lieu du point classique tout simple. C'est une sorte de couture plus épaisse et solide. Du plus bel effet lorsque vous faites un ourlet.
Quelques réglages et discussions plus tard, Georges commence l'opération "point-chaînette".
En moins de temps qu'il en faut pour le dire, Georges enlève le point-chaînette : le jean est maintenant prêt. C'est parti !
Tour d'horizon sur le jean
Durant ces quelques heures passées avec Georges, nous avons longuement échangé autour du jean. La fameuse toile japonaise (le selvedge) a été un des sujets de discussion. Et si vous suivez le site depuis quelques mois, vous n'êtes pas sans savoir que c'est la toile de jean de référence, reconnue pour sa solidité et son bon vieillissement (avec de jolis délavages). Si vous souhaitez un rappel sur la toile selvedge, c'est par ici.
Le jean selvedge, la toile du samouraï
Le jean selvedge, se distingue par l'épaisseur de sa toile. L'unité de mesure pour quantifier l'épaisseur du denim est l'oz/m² (1 oz = 28,4g), mais dans l'usage courant on dit juste oz, car on se réfère toujours au poids pour 1 m² de toile. Il tourne en général autour de 14 oz, démarre vers les 11 oz, et peut taper dans les 20 ou 22 oz sur les toiles les plus épaisses (hors cas particuliers, comme chez les doux dingues de Naked&Famous).
Lorsque le jean est devenu un vêtement lifestyle de grande consommation dans les années 60 (et de moins en moins un vêtement professionnel), le denim a pris un poids relativement léger : 9 ou 10 oz. En effet les métiers à tisser traditionnels furent délaissés par les américains après la seconde guerre mondiale, au profit du Japon en pleine reconstruction.
Pour les américains, ce fut une opération économiquement rentable puisque les machines modernes peuvent tisser plus de toile avec la même quantité de coton. Tout en diminuant les chutes de tissu grace à des métiers à tisser plus larges.
Ce n'est que dans les années 2000 que nous avons assisté à un vrai retour des toile selvedge, la plupart du temps du Japon (qui a perfectionné les processus traditionnels entre temps).
Si vous avez déjà acheté un jean selvedge, vous avez probablement été étonné de constater que au début la toile s'avère très cartonnée et que l'on met une semaine à le détendre, en raison de sa grande rigidité. Fabriquée sur des métiers à tisser traditionnels, cette armure sergée en coton est en effet plus rigide que les toiles industrielles américaines. Mais alors pourquoi ?
Quelques détails sur la confection
Eh bien la raison principale est que ces métiers à tisser font 70 cm de large (au contraire de ceux plus modernes qui font 140 cm de large).
Ce qui semblait économiquement aberrant est aujourd'hui une aubaine pour les japonais, qui en grand "geeks" et maîtres de la confection, ont continué à réaliser pendant des décennies des toiles avec une meilleure tension grâce à ces fameux métiers à tisser, que les machines contemporaines et industrielles ne peuvent pas égaler. Concrètement, l'armure de la toile est tissée plus serrée, ce qui apporte donc cette rigidité à l'ensemble de la toile.
Mais alors rigidité = solidité ?
Dans le cas présent, on peut dire que oui. L'autre atout du métier à tisser traditionnel, c'est qu'il tisse un fil continu de long en large (la trame). Il faut savoir que plus le fil est long et plus il sera solide. Et le fameux liseret, en général rouge (et qui permet de distinguer au premier coup d'oeil un jean selvedge : cf notre article sur le jean haut de gamme) est crée par cette trame qui fait une boucle de retour sur le bord de la toile. Car c'est aux jointures de la toile que se concentrent les tensions.
Voilà pourquoi le jean selvedge est plus solide qu'un jean classique : il résiste tout simplement mieux aux contraintes subies quand vous portez un jean en raison de son procédé spécifique de fabrication. Ce procédé est certes plus lent et donc plus coûteux mais la qualité s'en ressent. Vous garderez ainsi plus longtemps ce type de jean... avant qu'il ne passe dans les mains expertes de Georges.
Comment est tissée la toile d'un jean ?
Trois marques ont largement contribué à démocratiser le jean au 20ème siècle : Levis, Lee et Wrangler. Des marques que vous connaissez sans doute tous même si Levis vous apparaît comme la plus familière.
Avant de se différencier et d'étendre leurs gammes, ces marques proposaient à l'origine des jeans selvedge (et en proposent encore sur des lignes de collection spécifiques que l'on ne trouve pas souvent, type Levi's Made & Crafted). Cependant ils avaient tous une technique de confection différente...
Vous l'avez compris, l'armure de la toile d'un jean résulte d'un tissage très serré. Celui-ci est fabriqué à partir d'une chaîne teinte en bleu à l'origine et d'une trame écrue ou blanche. Les fils de trame sont entrelacés à un angle de 90 degrés avec les fils de chaîne, ce qui génère un dessin de lignes diagonales. C'est ce qu'on appelle l'armure en sergé coton.
La majorité des jeans est confectionnée à partir d'une toile "droitière" (right hand twill), c'est-à-dire dont la diagonale du tissu monte du coin inférieur gauche vers le coin supérieur droit, comme peut le faire Levis par exemple.
La marque Lee utilise au contraire un tissu gaucher (left hand twill). Ce n'est pas qu'une question d'orientation du fil, car le left hand twill demande également deux fils de chaîne au lieu d'un. Et le left hand twill que l'on obtient est réputé plus doux au toucher.
Quant à Wrangler, cette marque utilise la technique du... broken twill. Le tissage en diagonale du twill est volontairement inversé aux deux extrémités de la chaîne pour former un dessin aléatoire. L'entrecroisement naturel de tissus sergés réguliers est ainsi réduite, ce qui élimine l'effet de torsion de la toile au niveau de la jambe. Autrement dit, le jean a une meilleure tenue et la toile se déforme moins sous les contraintes que l'on fait subir à un jean lorsqu'on le porte : il y a une meilleure répartition des contraintes grâce son tissage spécifique.
C'était l'occasion pour nous de vous en dire un peu plus sur le jean, on n'en a appris encore plus grace à Georges.
De notre côté, nous sommes en général très attachés à nos jeans car ils nous accompagnent au quotidien (ou presque) et le délavage, ou devrai-je même dire la patine qui apparait, reflète nos habitudes pour un résultat unique. Comme dirait le philosophe allemand Ulrich Plenzdorf qu'on-vient-de-découvrir-pour-les-besoins-de-l'article : « Le jean, c'est un comportement, pas un vêtement. »
Il ne vous reste plus qu'à envoyer vos vieux jeans à Georges (ou mieux, à tailler un brin de causette avec lui). Vous ne le regretterez pas !