Après avoir planté le décor et présenté l'histoire, le style et les petites péripéties de l'entreprise Versace, il est plus que temps de rentrer dans le vif du sujet. Qu'est-ce qui fait de Versace une maison si unique ? Mais surtout, puisqu'on parle de luxe et de virtuosité, sur quoi cela repose-t-il ? Je vous propose de le découvrir maintenant.
Comment Gianni Versace a bâti sa Maison sur un artisanat d'exception ?
Une approche jusqu’au-boutiste du luxe et de la Haute-Couture
Les Versace ont une conception extrêmement exigeante du luxe. Pour Gianni, comme pour Donatella aujourd’hui, un défilé doit être une démonstration de force, un moment où l’on en prend plein les mirettes.
Mais attention, pas question de se contenter de détails dorés et d’imprimés massifs : pour se faire remarquer, la famille de créateurs ne mise que sur des constructions virtuoses et exceptionnelles.
Ici, le glamour et la sensualité se portent avec fierté et assurance, que l'on soit un homme ou une femme. Les amateurs de belles façons s'émerveillent de cette faculté à sculpter le corps dans des asymétries d'une complexité insondable, témoins d'un travail prodigieux par sa subtilité et sa minutie.
Luigi Massi, à la tête de l'atelier de la Maison, est convoité depuis des années par toutes les grandes marques de couture. Formé par Gianni himself, il a la réputation de pouvoir simplement tout faire ! Et chaque collection Haute-Couture semble le prouver.
Ne m’en voulez pas : il sera question, parfois, de pièces femme dans cette section. C’est en effet pour ces dames que les ateliers de la Maison milanaise furent les plus extraordinaires. D'un point de vue technique et "culture mode", je pense qu'il est vraiment intéressant de s'arrêter dessus. Et je vous ai mis en toute fin de l'article beaucoup de références pour retrouver les collections récentes, à voir ou revoir.
Le costume masculin : un art parfaitement maîtrisé par Versace
Versace a, très tôt, couplé les lignes femme avec les lignes homme. Il était de ces précurseurs qui ont plébiscité des coupes de costumes extrêmement massives, avec des épaules droites surdimensionnées.
La maison a longtemps été très réputée pour son savoir-faire tailleur, incarnant à merveille les excès de la mode italienne. Couleurs extrêmement vives, détails en métal doré et imprimés massifs honorent cette empreinte opulente ! L'atelier compte de nombreux maîtres tailleurs, lesquels réalisèrent certaines des pièces les plus emblématiques des années 80.
Cependant, nous l'avons vu, la Medusa company a aussi évolué vers d'autres pièces plus "neutres", mais dont la réalisation est toujours aussi exceptionnelle ; à l'image de ces deux costumes noirs.
Le premier mêle style smoking et queue-de-pie, le second joue sur un col démesuré vraiment très italien. Au passage, je trouve que les imprimés baroques ultra colorés du premier modèle subliment le noir, et vice versa...
La dernière pièce, plus récente, incarne l'esprit de cette nouvelle décennie. Le costume est réalisé dans un drap de cachemire, avec une coupe croisée 2 boutons et des poches à rabat. Il est surtout paré d'un gilet en cuir gaufré (jamais vu ailleurs).
Une réalisation irréprochable : la technicité est au service de l'innovation dans le travail du cuir, le tout formant une tenue remarquable sans superflu. Ce n'est pas donné à tout le monde !
Une invention révolutionnaire : la maille de métal Oroton
Gianni Versace a toujours eu un attrait particulier pour le cristal, l'or et le métal. Pour tout ce qui brille en somme, fidèle au style de la Calabre. Cependant, s'il a réalisé une collection pour homme incluant de la côte de maille en 1982, ce type de matériau s'avère bien trop rigide et difficilement compatible avec sa conception sculpturale de la mode femme.
Il va donc, avec un artisan allemand, travailler à développer une matière couplant la souplesse de la soie et la texture unique du métal, afin de concevoir les pièces si sensuelles dont il a le secret. Voici comment en 1982 est née la "maille de métal" baptisée Oroton.
La technique consiste à assembler sans les relier de petits disques de métal entre eux, en les attachants en 4 points à une maille de métal. La fluidité de la matière donne ce sentiment très spécial que le corps est paré d'un métal liquide.
En plus d'avoir créé une matière absolument unique, Versace ira encore plus loin en la travaillant comme n'importe quel autre tissu, faisant fi des difficultés de montage et démontrant un sens de l'artisanat d'exception.
Petite explication sur ce que vous voyez. Cela commence avec une robe hautement sculpturale, adulée par la presse du monde entier : c'est la première fois que Gianni Versace est allé aussi loin dans la découpe de l'Oroton.
Le second modèle - un autre cas d'école - présente le "metal mesh" brodé (!!!) pour former ces croix byzantines.
Enfin, la dernière robe joue sur les couleurs pour dessiner un motif géométrique un peu psyché mais, une de fois de plus, la technicité d'un tel travail est exemplaire : il a tout de même fallu imprimer, pour ainsi dire, le motif...
Le designer italien emploiera souvent les cristaux, parfaits pour dessiner des motifs arlequin ou baroques extrêmement colorés, comme on a pu en voir plus haut. Le style Versace n'est pas vraiment ce que l'on appelle un exemple de sobriété ou de modestie, vous l'aurez compris.
Pourtant, lorsque l'on voit le travail qu'il y a derrière, on est clairement à des années-lumières du bling bling facile. Il y aura quelques déclinaisons pour homme de l'Oroton, de façon très anecdotique car ce n'est pas une matière vraiment... masculine !
Pour l'hiver 2014-2015, la collection Haute-Couture de la ligne Atelier Versace (différente des collections de prêt-à-porter) a donné naissance à une nouvelle matière, dérivée de l'Oroton.
Cette fois-ci, il n'est plus question de métal, mais de cristal : développée avec Swarowski, il s'agit d'une matière ultra fluide, sur laquelle sont projetés de très fins éclats de cristal, nommés "poussières" dans le descriptif technique que j'ai pu me procurer. Ainsi, on retrouve une nouvelle fois cette alliance entre la brillance de la pierre et la légèreté voluptueuse du tissu.
Découpe en biais et constructions asymétriques : la signature unique de Versace
Commençons par un modèle réalisé en denim japonais, très finement brodé d'or en rayures. De la structure est apportée par une "ceinture" de perle et de cuir métallisé (laminé), avec un drapé de soie pour dessiner l'asymétrie.
On note à peine quelques plis, malgré de nombreuses découpes en biais, et un superbe jeu de texture entre le mat du denim, l'effet satiné de la soie et la brillance de l'or.
Le second s'inspire de l'univers tailoring et du corsetage. Les attaches incrustées de cristaux sont dégrafées pour dévoiler un bustier comparable à de la lingerie brodé...
On est tout à fait dans l'esprit "femme fatale" sexy de Versace, et il faut bien reconnaître qu'une femme vêtue de la sorte - bien que la probabilité que l'on en croise une au détour d'un coin de rue demeure infime - doit effectivement provoquer quelques "émotions" ! Notez au passage les épaules tailleur superbement exécutées.
Cette troisième pièce est un chef-d’œuvre. Au bas, des milliers de perles dessinent des motifs géométriques tout en respectant la légèreté du tissu.
Le buste est, lui, presque essentiellement composé de fines chaînettes d'argent : tantôt tressées puis cousues pour rigidifier l'ensemble, tantôt relâchées afin d'évoquer le mouvement d'un drapé. Cela mériterait de finir dans un musée, le travail réalisé est colossal.
Enfin, la dernière réalisation est sans doute la plus stupéfiante, parcourant le corps de courbes faites de résilles brodées, de perles et de caddy de soie.Imaginez la maîtrise qu'il faut avoir pour dessiner de telles pièces, ajourées ci et là, et utilisant pour certaines des matières créées juste pour une collection.
À savoir : le dos est tout aussi travaillé : les habitués le savent, il faut TOUJOURS regarder l'arrière d'une pièce Versace !
Les modèles présentés proviennent tous la ligne Haute-Couture, mais Versace décline aussi ses talents pour l'asymétrie sculpturale en prêt-à-porter ! Petite illustration avant d'évoquer le travail des cuirs.
Un sens ultra pointu pour la confection des peaux
Très tôt (dès ses débuts), Gianni Versace a manifesté un intérêt pour le cuir. Il a toujours cherché à travailler cette matière comme un tissu, et donc à contourner les difficultés liées à l'épaisseur de la peau.
Avec de bons fournisseurs et un atelier extrêmement doué, le couturier italien a fini par réussir son pari, confectionnant d'audacieuses vestes et autres combinaisons en cuir très fluides, jouant même sur des effets de drapé comme s'il s'agissait d'une toile.
Voyez cette veste bleue dont les volumes généreux, bien que maîtrisés, font réagir le cuir à la manière d'un tissu ; impression comparable à celle que l'on a en observant les combinaisons du second cliché.
Regardez bien la combinaison de l'homme tout à gauche, sur l'image de droite : vous noterez que le cuir est plissé à la ceinture comme une matière élastique, ce qui n'existait pas à l'époque.
Même dans la "nouvelle ère" Versace, le cuir conserve une place de choix, surtout dans les collections masculines. Pour ce modèle, on l'a finement surpiqué de façon à évoquer une calandre de voiture : j'ai eu cette pièce entre les mains, impressionné par la précision du travail de broderie et d'assemblage, notamment au niveau des emmanchures.
Malgré une rigidité attendue, je fus extrêmement surpris du confort et de l'aisance permise par cette pièce exceptionnelle.
Observons maintenant ce perfecto. On a une texture très lisse - alors que le modèle est en mouvement - et un grain d'une grande finesse. La courbe extrêmement nette des épaules, pourtant matelassées, est stupéfiante.
En dessous, le pantalon de cuir rouge reprend les savoir-faire développés aux débuts de la marque, pour se permettre une légèreté et une finesse encore une fois semblable à celles d'un tissu. Effet que vous pouvez voir de plus près sur le pantalon à pinces juste à côté. Oui oui, c'est bien du cuir...
Voici maintenant la robe la plus casse-tête de la collection prêt-à-porter présentée en février 2010. Elle a été reprisée un nombre incalculable de fois all'ultimo secondo, et les petites mains ont eu un mal fou à l'ajuster au mannequin (changée au dernier moment) pour un effet près du corps...
La raison ? Ces empiècements brillants que vous voyez sont des morceaux de cuir laminé, rappelant effectivement le métal. Enchevêtrés entre du tissu strié et des anneaux de métal, ils composent un superbe motif géométrique.
Enfin, dernier exemple probant avec un blouson très structuré. Les épaules sont constituées d'empiècements angulaires d'agneau assemblés par des poinçons.
Au niveau des flancs et de l'arrière de la veste, nous trouvons des dizaines de fines lanières de peau tendues entre de petites chaînes de métal dont vous devinez la brillance... Sans parler du col officier et des deux fermetures superposées.
Et finalement, ces pièces sont loin d'être importables. Audacieuses et impressionnantes, oui, elles se remarquent, mais de la meilleure des façons.
Le résultat en boutique : des produits très bien fabriqués, aux détails et finitions luxueuses... mais souvent fragiles
Pour terminer, bref passage en revue de quelques articles de la marque, histoire de passer de la théorie à la pratique ! Il s'agit aussi de montrer ce qui fait le luxe de la marque évoquée dans cet article, et son sens très poussé du détail.
En effet, Versace fabrique toute sa première ligne en Italie depuis toujours, ce qui lui permet de rester proche d'une main d’œuvre très qualifiée, et habituée aux pires excentricités techniques.
Le personnel en boutique a toujours été vraiment agréable... il faut dire que, contrairement à d'autres marques reines du turn-over, Versace a de nombreux conseillers de vente très fidèles, présent pour certains depuis plus de 20 ans.
Blouson "biker" en agneau plongé Versace - Printemps/Été 2010
J'ai vraiment craqué sur une coupe sobre mais sophistiquée, marquée par de beaux détails : nombreuses poches, col officier, empiècements aux épaules... La réalisation est absolument irréprochable : coutures extrêmement régulières, zip YKK et pressions Fiocchi increvables, plongé du cuir toujours extrêmement doux et agréable...
Après 5 ans, cette peau d'excellente qualité (comme toutes les peausseries de cette ligne) se patine merveilleusement bien : voyez sur le premier cliché les nuances de couleurs, de reflets et de texture au soleil, marquant le vécu de cette belle peau.
Toutes les poches - zippées ou à rabat, intérieures ou extérieures - sont doublées d'une bande de cuir ou gansées, mais avec la même peau que celle utilisée pour confectionner le blouson : chercher sa carte dans sa poche est extrêmement agréable...
Pour terminer sur cette pièce, on notera les pressions ciselées de la frise greca, d'une finesse subtile et raffinée. La boucle du col représente elle aussi la clé grecque, motif phare de la Maison, mais d'une façon très discrète là aussi. Qui a dit que Versace ne faisait que du bling-bling ?
J'ai vu, pour la collection femme, un travail encore plus poussé que les vendeurs appellent des "fermetures bijoux", parfois dorées et incrustée de cristaux.
Seul bémol : la fragilité de la peau, liée à sa couleur. Le thème de la collection Printemps / Été 2010 reprenait en effet une palette de couleurs tirées du désert, d'où cette teinte sable assez unique par ailleurs.
Le plongé est la finition la plus noble du cuir, sublimant la texture et la qualité de la peau. En pratique, cela me contraint d'être extrêmement vigilant dès que je porte cette pièce. Une goutte d'eau, une main pas fraîchement lavée ou un contact avec une plante peuvent vite laisser une trace. Fort heureusement, la patine du cuir lui fait perdre son homogénéité et estompe de potentielles tâches.
Polo "sport" en jersey de coton rouge Versace - Printemps / Été 2011
J'aime porter le polo, ce n'est pas nouveau, et j'ai beaucoup apprécié la matière légèrement soyeuse de ce modèle. Il se porte près du corps et dessine une jolie carrure. La couleur est particulièrement adaptée à l'été, et les bandes gris béton du col et des manches lui donnent ce côté un peu sport.
La Medusa présente l'avantage de ne pas vraiment être un logo et peu de gens l'associent à Versace, à moins de bien connaître la marque.
En premier lieu, le col a une tenue absolument parfaite grâce à un côtelé de bonne facture, cela se voit. Les boutons sont 100 % métal palladium, gravés Versace mais cela ne se voit pas : c'est la seule fois que j'ai eu l'occasion de croiser des boutons dans cette matière, ce qui anoblit le produit à mon sens.
Enfin, la Medusa sur la poitrine est "ombré" pour lui donner un côté légèrement flou. Pas d'imprimé ici, ni même de logo pré-cousu puis collé. On a là un travail très fin, réalisé en deux étapes :
- D'abord, la trame du jersey est travaillée, non plus seulement avec du fil rouge, mais avec du fil gris anthracite. C'est ce qui permet cet effet d'ombre très fine,
- Puis la Medusa est brodée par-dessus. Là encore, une haute technicité que je n'ai pas revue ailleurs sur un "simple" polo...
Bémol : la matière est agréable à porter, très fine... mais très fragile. Même en lavant à la main, je sens bien que le jersey a tendance à rétrécir, et le moindre accroc ne pardonnera pas.
Portefeuille format continental en cuir d'anguille Versace - Modèle classique sans saison acheté en été 2012
Comme beaucoup d'entre vous, j'ai le petit portefeuille pratique que l'on glisse dans la poche arrière, celui à qui l'on fait vivre des moments difficiles et improbables ! Pour rien au monde je ne m'en séparerai, mais j'ai aussi souhaité, il y a quelques temps, avoir un autre portefeuille plus noble et raffiné, adapté à un vestiaire plus élégant (surtout les costumes).
Je ne m'attendais pas à trouver cela chez Versace mais, comme vous le voyez, on est sur un modèle extrêmement sobre et raffiné grâce à l'emploi du cuir d'anguille, anobli d'une fine ligne de métal gravé.
À l'intérieur, on retrouve un cuir d'agneau très doux et souple, parfait pour s'adapter aux cartes, au toucher vraiment très agréable. Lui aussi se patine, se plie et se raye même parfois, ce qui lui donne du caractère. Notez les coutures bien solides et régulières.
La fermeture de la poche à monnaie s'ouvre en tirant sur une fine languette de cuir rabattue, cousue et cirée sur la tranche. Si vous regardez bien "sous" la fermeture, vous pourrez apercevoir une bande de cuir cousue de façon à "rigidifier" le zip pour en faciliter l'ouverture.
Enfin, vu de près, le cuir d'anguille révèle sa texture unique, toujours légèrement plissé en son centre. Et toujours des points de couture très fins, presque invisibles, témoins d'un travail soigné et rigoureux.
Bémol : le cuir d'anguille, par sa finesse, est sujet aux rayures et aux marques. J'ai donc dû me trouver une housse en tissu doux, à utiliser lorsqu'il est rangé avec d'autres objets dans un sac bandoulière ou un attaché-case.
Cette fois-ci, je pense qu'on a fait le tour. J'espère vraiment que cet article vous aura plu ! Il était long, mais comme je le disais en intro, la Maison Versace est bien plus riche, noble et respectueuse qu'on ne peut le penser. Surtout en France. Et si j'ai pu ne serait-ce que vous faire changer légèrement votre perception de la marque, alors mission accomplie 😉
Pour ceux qui souhaitent en voir un peu plus, je vous mets quelques liens vers des vidéos ou des shootings de collections que j'ai évoquées, et qui "valent le coup" d'être vus :
Homme
Automne-Hiver 2010-11 (à voir, travail du cuir et du noir) : en image / en vidéo
Automne-Hiver 2011-12 (tailoring moderne) : en image / en vidéo
Printemps - Été 2015 (travail de broderie) : en image / en vidéo
Automne - Hiver 2015-16 (cachemire à gogo) : en image / en vidéo
Femmes
Automne-Hiver 2012-13 PAP (robes en cote de maille): en vidéo
Automne-Hiver 2013-14 PAP (travail du vinyl, matière d'habitude ingérable) : en vidéo
Automne Hiver 2014-2015 HC (tailoring féminin exceptionnel) : en vidéo
Printemps-Été 2015 HC (asymétries sculpturales) : en vidéo
Questions, remarques en commentaires, n'hésitez pas ! Cheers