Tout ce que vous devez savoir sur les vêtements recyclés

Tout ce que vous devez savoir sur les vêtements recyclés

« Adieu le flambant neuf, bonjour le flambant vieux ! » annonçait Jean-Paul Gaultier lors de la présentation de son (tout) dernier défilé en janvier 2020, qui faisait la part belle aux vêtements « upcyclés ». Partant de là, si même Jean-Paul s’y met, je me suis dit qu’il était temps de me plonger un peu dans le sujet pour BonneGueule.

Pour commencer, quelques chiffres (un peu déprimants il faut le reconnaître) :
- L’industrie de la mode est la 2e plus polluante du monde après l’industrie du pétrole.
- Elle dégage 1,2 milliard de tonnes de gaz à effet de serre chaque année. C’est plus que les vols internationaux et le trafic maritime réunis.
- La fabrication d’un jean nécessite 11 000 litres d’eau, l’équivalent de 285 douches, et celle d’un tee-shirt 2 700 litres d’eau, l’équivalent de 70 douches. Donc au final, le combo jean/tee-shirt équivaut à presque toutes vos douches quotidiennes sur un an.
- 48 millions de tonnes de vêtements sont jetés chaque année dans le monde et nous achetons aussi en moyenne 60 % de vêtements de plus qu’il y a 15 ans.
- 38% des textiles usagés sont collectés en France.

Allez, encore un dernier chiffre, le textile recyclé ne représente aujourd’hui qu’environ 1 % du flux de matières textiles utilisées dans la production de vêtement .

 

Textiles incinérés dans la zone industrielle de Shaoxing Binhai en Chine

Textiles incinérés dans la zone industrielle de Shaoxing Binhai en Chine. © Greenpeace

Après les chiffres, et pour les plus littéraires, débutons comme toute bonne dissertation par la définition du sujet : qu’est-ce qu’un vêtement recyclé ?

Comme le définit la marque de chemises engagée Les Optimistes sur son site, « un vêtement recyclé est un vêtement qui a été fabriqué entièrement ou partiellement avec une matière déjà existante. Cette matière peut avoir été simplement récupérée et utilisée comme telle ou bien broyée pour être transformée en fibre puis retissée par la suite ».

Là, j'ai comme l'impression que le recyclage des textiles est plus compliqué qu'il en a l'air et que je me suis lancé dans un truc qui se rapproche plus de l'école d'ingénieur que d'un tuto de couture de ses vieux habits.

Les chiffres mentionnés plus haut le prouvent, si les gens se lancent là-dedans, c'est pour une bonne et simple raison : pour la planète voyons !

Car aujourd’hui, le recyclage constitue un levier unique pour parvenir à une mode durable. « L'industrie de la mode est extrêmement polluante. Elle surproduit, gaspille, détruit des écosystèmes, nous souhaitons montrer que ce n'est pas une fatalité et que l'on peut s'y prendre autrement » me dit Florent Liénard, fondateur de la marque de vêtement Hero, lancée en 2018.

Un engagement pour l’environnement partagé par l’ensemble des acteurs du vêtement recyclé, même ceux qui font du synthétique. Pour Romain Trebuil, fondateur de la marque de sport CircleSportswear, plusieurs règles de l’économie circulaire doivent être respectées, « utiliser des matériaux recyclés, s’appuyer sur une fabrication locale, développer un business model qui évite la surproduction, avoir une logistique « clean » avec du packaging recyclé. Un vêtement de sport traditionnel va faire 60 000 km pour être acheminé puisque principalement produit en Asie, avec nous il fera moins de 1500 km ».

Les mille et une vies de nos vêtements

tas de vêtements

Les mélanges coton-polyester, que l’on retrouve dans près d’un vêtement sur trois, sont particulièrement difficiles à recycler — © Bicanski/Pixnio - FAL

Lorsqu’on met son pantalon, jadis préféré, dans la benne en bas de chez soi, celui-ci peut avoir des destinées variables.

Il est tout d’abord trié afin de vérifier si sa réutilisation en l’état est possible. C’est le cas de 58,6% des textiles triés en France qui sont réparés si besoin puis rejoignent la friperie afin d’être revendus au grand public, donnés aux personnes dans le besoin ou envoyés dans des pays en voie de développement.  C’est l’activité première du Relais, leader français bien connu de la collecte, tri et valorisation des textiles, linge de maison et chaussures (TLC).

On peut inclure dans cette case l’upcycling (ou surcyclage en français) qui consiste à récupérer des vêtements ou des tissus et à les réutiliser sans avoir besoin de les retransformer en fibres. L’upcycling peut par exemple être réalisé en récupérant d’anciens rouleaux de tissus non utilisés par les usines ou en utilisant et customisant des vieux vêtements.

J'avoue, les principales photos que j'ai trouvées sur le web sur l'upcycling concernaient des chemises découpées et recousues pour devenir des robes d'enfants...  Ça n'a cependant pas empêché un bon nombre de nouvelles marques écoresponsables (Ornement, Polère, Entre2retros) de se baser sur cette technique de réutilisation.

Le reste des vêtements collectés, soit 41%, sont recyclés ou valorisés, 22,6% transformés en fibres textiles pour être retissés, 10% en chiffons, 8% en combustibles et 0,4% éliminé.

Un processus de transformation pas si simple

Les vêtements au tissu recyclé sont issus de matières récupérées qui sont retransformées en fibre puis en fil  pour ensuite être de nouveau tissées. Pour qu’un vêtement soit facilement recyclable, il est nécessaire de prendre en compte un certain nombre de paramètres, notamment le choix du fil.

Un textile composé de fibres d’une seule matière sera plus facilement recyclable que des textiles composés de fibres multimatières , qui rendent le recyclage plus complexe. Une vidéo sera plus claire, et ça rend les choses vraiment plus simples, limite apaisant de voir ces fils qui tournent et se transforment.

 

Ensuite, les choix de confection et d’embellissement peuvent aussi rendre le recyclage plus délicat, les boutons, fermetures éclair et autres incrustations de strass devant être retirés pour que le textile soit recyclable. Par ailleurs, les vêtements sont souvent tissés de couleurs différentes.

Troisième difficulté, les fibres issues obtenues, notamment dans le coton, sont souvent trop courtes et fragiles, ce qui nécessite de les mélanger avec des fibres vierges pour assurer leur solidité. Le 100% recyclé est donc un objectif plus qu’une réalité mais des avancées R&D ont eu lieu ces dernières années avec des procédés industriels permettant d’intégrer 70% de coton recyclé, alors que le mélange habituel est de 45%.  On retrouve aussi des matières synthétiques, utilisées pour renforcer les fibres naturelles qui ont été fragilisées par le recyclage d'où une composition 50% naturelle (coton, laine, lin etc.) et 50% synthétique (polyester, polyamide etc.) souvent affichée sur les étiquettes.

L’utilisation de fibres mélangées et l’absence de technologie de recyclage à grande échelle font que seulement 1 % est transformé en vêtements neufs. On va donc dire que la marge de progression est plutôt grande...

Combattre les idées reçues

1. Les vêtements recyclés sont de mauvaise qualité.

FAUX, mais faut faire gaffe quand même. Au-delà de la question de la transformation des fibres, c'est le résultat final qui compte et le chemin semble long pour changer les mentalités.

« Notre premier défi est de faire comprendre que le vêtement recyclé peut rimer avec qualité » souligne Florent Liénard, de Hero.

Donc non, les vêtements recyclés, s’il faut encore le répéter, ce n’est plus pas ça :

Quand Thierry découvre son cadeau dans le film Le Père Noël est une ordure.

Pour Violaine Lablancherie, la co-créatrice de la marque de pulls en matière recyclée Au Juste la question de la qualité du vêtement reste centrale : « En termes d'usage et d'avis client, nous recevons de très bonnes nouvelles, il ne bouge pas, ne peluche pas ou très peu, ne gratte pas, facile à entretenir. Nous avons un faible taux de retours de nos produits. Cependant, ce sont des matières qui présentent des contraintes techniques assez fortes : on ne peut pas attendre la même chose d'une matière recyclée que d'une matière naturelle ou neuve. Par exemple, il est compliqué d'obtenir quelque chose de vraiment fin et régulier. Certaines couleurs réagissent différemment aux étapes de recyclage ».

2. Mes vêtements sont facilement recyclables pour fabriquer de nouveaux vêtements.

FAUX, seule une très faible partie des vêtements se recycle en fils qui pourront servir à fabriquer de nouveaux vêtements et des techniques complexes doivent être utilisées pour produire ces fils. Si l’on prend l’exemple d’un jean, il faut utiliser des procédés industriels pour retirer automatiquement l’élasthanne qu’il contient, supprimer les coutures, éliminer les surfaces avec des points durs (rivets, fermetures …) afin de conserver uniquement des surfaces de matière potentiellement recyclables.

Cela demande des techniques de délissage (découpe) et ensuite de défibrage et d’effilochage pour extraire des fibres coton. Ces procédés ont tendance à casser les fibres et génèrent d’importantes quantités de déchets de production. L’enjeu est donc d’obtenir des fibres suffisamment longues, sans trop de perte matière, pour pouvoir produire un fil de coton recyclé.

3. Le recyclage protège l'environnement.

VRAI, mais la diversité des modes de transformation en fibres textiles, avec ou sans ajout de matières synthétiques, de fibres vierges, pousse à nuancer l’analyse sur l’impact environnemental du recyclage. Tout n’est pas rose. Les matières synthétiques permettent de solidifier les vêtements et d’augmenter leur durabilité, mais leur impact environnemental est par exemple loin d’être neutre.

Par ailleurs, l’envoi de vêtements collectés aux pays en voie de développement a lui aussi ses effets pervers puisque, d’une certaine manière, il permet aux pays développés de se débarrasser de la question de la fin de vie des vêtements. Le Ghana reçoit ainsi des tonnes et des tonnes de jeans usagés.

Pour le petit frisson, je suis tombé sur un site de dingue qui traite de ce sujet et prend pour titre la croyance que ces millions de jeans qui arrivent sur les marchés d'Accra appartenaient à des blancs aujourd'hui morts.

Une face obscure du recyclage que tempèrent cependant les propos de Violaine Lablancherie « nos matières recyclées sont peu gourmandes en énergie : un pull au Juste est jusqu’à 98% moins impactant qu’un pull confectionné de manière classique.

Certaines de nos matières recyclées sont fabriquées en recyclant des bouteilles plastiques, d’autres des vêtements en fin de vie. Nous n’utilisons ni teintures ni produits chimiques pour nos couleurs  et notre processus de recyclage demande beaucoup moins d’eau qu’une production normale ».

À quand le recyclage à grande échelle ?

La clé réside sûrement aujourd'hui dans les technologies de tri optique et de reconnaissance des matières textiles. Afin de séparer les matières textiles, il est nécessaire de disposer d’un système de reconnaissance des matières qui soit fiable, rapide, non destructif pour le textile, économique.

Le tri exclusivement manuel des matières ne répond pas à ces critères. La plupart des équipements permettant la reconnaissance des matières sont basés sur le principe de la spectroscopie.

Je sais pas vous, mais moi quand j'entends parler de spectroscopie, j'imagine ça.


Focus sur la spectroscopie

Un spectromètre est un équipement permettant l’analyse de la composition par l’envoi d’une onde électromagnétique sur l’échantillon à analyser. Une multitude de projets existent pour améliorer le développement de cette technologie mais il n’existe pas encore d’unités de tri matière à l’échelle industrielle en Europe.

Mais, comme toute application récente, il se pose encore des défis :

  • Matières pures et mélanges : il existe des milliers de mélanges différents dans les textiles mis en marché. Les systèmes qui ne visent à trier que des matières pures ne doivent pas identifier un mélange comme l’une des matières dominantes du mélange.
  • Matières en faible proportion : le fait qu’une matière soit présente en très faible proportion (quelques pour cent) dans un mélange complexifie son identification. Ce cas est très fréquent avec l’élasthanne dans les textiles (jeans notamment). Certains systèmes semblent capables de distinguer une matière pure d’une matière contenant une faible quantité d’élasthanne (au-dessus de 3-5 %). Cela peut toutefois être impossible dans certains cas. Par exemple, si le fil d’élasthanne est guipé par du fil de coton.
  • Matières proches : certaines matières sont très proches chimiquement. Un exemple classique est celui du coton et de la viscose, toutes les deux à base de cellulose.
  • Les vêtements « double couche » : la spectroscopie n’analyse que la surface de la matière. Les pièces présentant une structure 3D non homogène risquent donc d’être mal identifiées.
  • Les couleurs sombres : au niveau des couleurs, certains pigments sombres (ex. du noir de carbone) peuvent gêner ou rendre impossible la détection de la matière en absorbant toutes les ondes.
  • Traitements divers : certains traitements que les matières textiles ont pu subir au cours de leur fabrication (ex. : enduction, imperméabilisant)  peuvent potentiellement avoir un impact sur leur identification.

Le tri des matières textiles en est aujourd’hui encore au stade de développement puisqu’il n’est pas encore réalisé de manière opérationnelle à grande échelle en Europe. On observe toutefois des avancées significatives depuis deux ans et une volonté de certains opérateurs de s’engager dans des investissements, notamment dans le domaine de l’intelligence artificielle.


L’interdiction, à compter de 2022 en France, de détruire les stocks d’invendus de vêtements va pousser au développement de la seconde main et du recyclage et peut-être à de gros investissements pour parvenir à de meilleures solutions de recyclage à grande échelle.

Ils devront obligatoirement être donnés, réemployés, réutilisés ou recyclés pour leur donner une nouvelle vie, sinon l'Etat tapera aux porte-monnaies.  Cela peut en pousser certains à se bouger.

Par ailleurs, de plus en plus de vêtements recyclés apparaissent aussi sur le marché du textile grâce à des marques spécialisées dans la production de vêtements recyclés ou bien de marques déjà implantées essayant de se renouveler. H&M, Uniqlo (oui vous avez bien lu) ou Cyrillus ont, entre autres, mis en place des stratégies affirmées (bons de réduction notamment) de revalorisation de leurs vêtements.

Et détrompez-vous, pousser à la seconde main sur ses propres vêtements n’est pas contradictoire avec l’augmentation des ventes. WornWear à faire les réparations nécessaires gratuitement pour les clients qui les rapporteraient en magasin et a vu ses ventes augmenter de 30% l’année suivante. Alors, pourquoi se priver ?


Covid-19 : confinement et recyclage textile ont-ils fait bon ménage ?

La filière du recyclage textile a été profondément perturbée par la fermeture des frontières. En cause : la saturation des centres de collecte et de tri faute d'exutoire qui a conduit à l’interruption des collectes durant l’été 2020. La gestion des stocks a été une épineuse question, qui a permis dans le même temps de mettre au cœur des discussions l’enjeu de la revalorisation des vêtements.

Par ailleurs, les approvisionnements en tissus recyclés transformés dans d’autres pays ont été fortement affectés mais « paradoxalement, la demande a augmenté et les carnets de commandes se sont bien remplis » durant le confinement, affirme Florent Liénard de Hero.

Pour Au Juste, ce fut plus compliqué : « l'un de nos revendeurs a fermé ses portes, emportant avec lui une présence physique. Nous avons cependant vendu l'intégralité de notre collection rapidement (les clients se rabattant sur l'e-commerce). Nos temps forts en physique ont été annulés, ce qui pour nous représentait à chaque fois un moment commercial fort ainsi que des échanges privilégiés avec nos clients et une publicité importante ».

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