Pourquoi je ne porte plus de souliers – Carte blanche à Jérôme

Pourquoi je ne porte plus de souliers – Carte blanche à Jérôme
Comment transformer un mauvais tour du destin en opportunité stylistique ? J'expérimente depuis peu un tout nouveau type de chaussures : les runnings. Vous êtes peut-être des habitués. Moi pas du tout. Et il faut bien avouer que ça change beaucoup de choses dans un quotidien. Pourquoi ai-je rangé soudainement ma collection de souliers en cuir ? Je vous raconte.

Comment transformer un mauvais tour du destin en opportunité stylistique ? J'expérimente depuis peu un tout nouveau type de chaussures : les runnings. Vous êtes peut-être des habitués. Moi pas du tout. Et il faut bien avouer que ça change beaucoup de choses dans un quotidien. Pourquoi ai-je rangé soudainement ma collection de souliers en cuir ? Je vous raconte.

(Crédit photo couverture : Sneaker District)

1. UNE HISTOIRE DE GENOUX QUI FLANCHENT

D'abord, poser le contexte. Depuis fin 2017, je souffre d'une pathologie qui me contraint fortement dans mes déplacements. Les deux genoux sont touchés, et plus précisément la zone rotulienne. C'est un truc assez complexe, que j'ai moi-même du mal à expliquer. Chaque cas est évidemment différent et non, la musculation ne résout pas tous les problèmes.

Aussi, je ne peux que vous inviter à être prudent vis-à-vis des multiples histoires, légendes et remèdes plus ou moins scientifiques que vous trouverez sur les maux de genoux sur la toile. Rien ne vaut un bon accompagnement médical, même si je vous l'accorde, cela peut parfois être compliqué à trouver.

Le corps est une « machine fascinante », étudiée depuis des siècles et toujours connectée d'une manière ou d'une autre à notre état psychologique. Comment ce mal se manifeste-t-il chez moi ?

Par des douleurs plus ou moins aiguës à l'effort ou en station debout prolongée. Dans les phases inflammatoires, c'est un peu comme si mes cuisses étaient montées sur pics, ce qui rend la marche au mieux compliquée, au pire impossible. Et ça prend des semaines à soigner…

J'ai donc désormais des limites, que je peux difficilement repousser davantage mais qui peuvent redescendre à vitesse grand V si je ne fais pas attention. Ceci dit, cette remontada est déjà une surprise et un petit exploit en soi.

Voilà pour l'héritage de mon précédent emploi, qui m'aura donné l'occasion d'expérimenter le confinement strict bien avant l'apparition du Covid 19 et d'en apprendre plus sur moi et sur un nouveau monde : la mode masculine. C'est-à-dire que je suis tout de même parvenu à rebondir, malgré les difficultés inhérentes au handicap.

Mieux : après des mois de soins et de rééducation, j'ai retrouvé une vie et une marche presque normales. Ce n'est pas tout à fait un miracle. Mais il y a un peu de cela quand même. On n'imagine jamais très bien la chance que l'on a de pouvoir marcher.

La première fois que j'ai pu remettre un pied devant l'autre en extérieur, c'était à peu près comme dans un film de Terence Malick ou, dans le même genre, ce qu'on entend dans cette chanson :

J'en ai pleuré. Mais le retour progressif à la vie sociale, c'est aussi le retour à une vie active, la reconversion, les formations, les démarches pour l'emploi, etc. C'est un véritable chemin de croix, une double peine même parfois. Car il faut non seulement se battre contre la « maladie » mais aussi contre les préjugés et les lourdeurs administratives de toutes sortes.

Si on a la chance de retrouver un peu la lumière, ce n'est pas seulement soi qu'on illumine mais aussi toutes les personnes qui nous accompagnent : l'entourage, les professionnels de santé et toutes celles et ceux qui travaillent dans l'ombre pour aider les personnes en situation de handicap. Ce n'est pas rien.

De mon côté, je suis reconnu travailleur handicapé depuis 2018. C'est un truc qu'il faut apprendre à accepter. Le handicap, ça change beaucoup de choses dans une vie, à commencer par la manière dont les autres vous regardent si toutefois il est su et/ou visible. Le style a donc assez naturellement pris sa part dans ma reconstruction.

Vous le savez, l'expression consacrée, c'est « personne à mobilité réduite ». Mais je n'utilise jamais cette formule atténuante. De fait, les premiers temps qui ont suivi le diagnostic ont été d'une violence terrible. On n'est jamais préparé à ça.

En revanche, cette formule décrit assez bien une partie de mon quotidien et des problématiques plus ou moins grandes auxquelles je suis confronté. Et qui dit marche, dit évidemment chaussures...

2. LE VÊTEMENT, BIEN PLUS QU'UNE PASSION

On dit souvent que chercher son style est une quête de soi. J'aurai pu choisir de ne pas changer, de m'arranger avec l'existant. Mais figurez-vous que la première chose que j'ai faite une fois l'information handicap acceptée, ça a été de bazarder le vestiaire de ma vie d'avant et d'en construire petit à petit un nouveau.

Que je sois désormais chez BonneGueule n'est presque pas un hasard : le vêtement chez moi est bien plus qu'une passion, il m'a ouvert une nouvelle voie.

Inventaire du placard à chaussures – Jérôme

Ma collection de chaussures en 2020, légèrement modifiée depuis.

Il y a bientôt deux ans, je m'étais amusé à répertorier mes paires de chaussures. Il n'était par encore question de restrictions : je pouvais globalement porter ce que je voulais. Cette collection, je l'ai constituée en grande partie alors que je pouvais à peine marcher. Ça ressemble à une mauvaise blague et pourtant c'est vrai. Il est même possible que cela m'ait aidé à trouver la force nécessaire de me remettre sur pied.

C'était avant BonneGueule, dans cet entre-deux où les examens défilent, où l'on ne sait pas très bien ce qu'on va devenir professionnellement, ni même si le futur s'écrira ou non en fauteuil roulant. Outre l'invalidité et le choc émotionnel, j'ai aussi composé avec la précarité financière.

J'aurais pu sombrer à ce moment-là et d'ailleurs tout le monde n'a pas la chance de pouvoir « battre » un handicap. Sauf que j'ai commencé à m'intéresser de plus près aux vêtements au même moment et que ça m'a d'une certaine manière sauvé la vie.

Parmi mes passions de l'époque : les chaussures. J'ai revendu absolument tout ce que je possédais. Faute de budget, j'ai commencé à développer un talent assez étonnant pour dénicher des paires neuves ou quasi à tout petit prix. Aujourd'hui, il me reste six paires des neuf présentées ici :

Quelques autres sont arrivées depuis : une nouvelle paire de sneakers blanches, des boots en cuir grainé et trois paires de mocassins dont des Alden - le Saint Graal pour les amateurs. Jusqu'ici, je parvenais à alterner mes paires au gré des envies et des saisons.

Quand on a un handicap, que tout va à peu près bien et qu'on est entouré de personnes valides, on a cependant tendance à oublier qu'on est un peu différent des autres.

C'est précisément ce qui m'est arrivé en mars dernier. La rechute brutale qui a suivi l'expérience enneigée racontée dans l'article ci-dessus a fait office de rappel. Nouveau confinement forcé, retour aux bases de la rééducation. Un pied l'un après l'autre. Toujours la même histoire.

C'était donc reparti pour un tour et encore aujourd'hui, je n'en suis toujours pas sorti. Mais quelque chose a changé depuis la première fois : je dois aussi apprendre à dire adieu aux souliers. Pour un temps, seulement ?

3. LA DÉCOUVERTE DES RUNNINGS

Avouez que ce serait un comble d'avoir de belles paires de souliers en cuir et de ne plus pouvoir les porter. Pour autant, ça ne veut pas dire que je n'en porte plus jamais. Juste que je ne peux plus les utiliser pour la marche active.

La raison scientifique, c'est que mes semelles en cuir ou même Margom n'épousent pas suffisamment le mouvement et qu'elles absorbent aussi beaucoup moins les chocs que des semelles plus souples. Ça n'aide pas, chez moi, au retour à la normale.

En bref, c'est tout simplement le moment de se mettre aux runnings. Pour moi, c'est une véritable révolution. Ça fait en effet des décennies que je résiste à ces chaussures typées sport.

Gamin, j'étais interdit de sport à l'école : problème de croissance os/muscles. Vous voyez peut-être comment sont les enfants au collège ? Je me suis assez naturellement dirigé vers des activités plus intellectuelles, pour survivre. Depuis, je n'aime pas trop les sportifs, ni le style qui va avec. Mais j'ai fini par craquer, pour retrouver mes jambes, et un peu à contrecœur il va sans dire. Car ça ne correspond ni à mon style ni à mes aspirations personnelles.

sneakers homme bonnegueule runnings blanc gris

© BonneGueule

Pantalon et runnings BonneGueule, première piste envisagée.

Je n'ai pas cherché longtemps LA paire de runnings qu'il me fallait. J'avais tout au plus deux noms de marques en tête. Si elles avaient été disponibles à ma taille, je me serais ainsi laissé tenter par nos propres runnings, suffisamment sobres pour que je puisse les intégrer facilement dans mes tenues.

Mais le sort en ayant décidé autrement, je me suis tourné vers une marque réputée dans ce style de baskets : New Balance. Ma toute première paire. Et puisque c'est autant une première qu'un concours de circonstances, j'ai pensé un peu idéalistement qu'il fallait y aller à fond.

Je suis donc l'heureux propriétaire d'une paire de New Balance 1500 made in UK rose et grise. Benoît possède les mêmes en gris. Et comme vous pourrez l'écouter dans notre podcast, on n'a pas exactement la même manière de les porter :

Qu'importe : maintenant que j'ai choisi ces chaussures, il s'agit désormais de les intégrer à mes tenues quotidiennes et de les porter. Vous allez me dire : mais enfin, pourquoi les prendre en ROSE ?!!

Principalement pour marquer le coup et ne pas oublier ce qui se passe, si je baisse la garde. C'est aussi un moment important de mon parcours stylistique, presque une transgression. Et puis, elles sont tout simplement très belles à regarder. Et ça aussi, c'est important.

Pour aller plus loin sur le rose, si jamais :

4. VERS UN NOUVEAU STYLE ?

Je débute avec les runnings. Premier constat : c'est assez proche du chausson et ça modifie sensiblement ma démarche. Mais après quelques ports, je commence déjà à voir certains bénéfices. Ma marche par exemple est plus souple, et je souffre moins sur les pavés.

Si le confort est indéniable, cette nouvelle paire de chaussures m'oblige en revanche à repenser ma manière de construire mes tenues. C'est-à-dire que les chaussures en sont désormais le point de départ, et qu'il me faut par ailleurs composer avec le rose. Alors, suis-je désormais en partance vers le sportswear, un peu à l'image de Paul Binam ci-dessous ?

Ce n'est pas un secret : l'univers stylistique du sport et moi, ça fait deux. Je m'efforce donc de trouver un équilibre. Celui que j'ai pour le moment tient dans un mariage de style rétro et contemporain que vous découvrirez plus en détail dans une de nos prochaines newsletters. Eh oui, il faut savoir tenir le suspense !

EN ATTENDANT, MES ENSEIGNEMENTS :

  • Les runnings s'accordent plus facilement avec des pantalons larges (à mon goût), et ils peuvent même être subtilement habillés (avec des pinces, par exemple)
  • La couleur rose et gris des chaussures permet de jongler avec le bleu foncé, le vert olive, l'écru et bien sûr le gris
  • Les hauts sont les plus difficiles à composer, notamment parce qu'il faut trouver le bon équilibre entre le décontracté et l'habillé (si vous ne voulez pas comme moi verser totalement du côté streetwear de la force)

Bref, je découvre. La frustration s'est transformée en jeu et en essayages divers. Mais je n'oublie pas mes souliers pour autant.

Et vous, avez-vous déjà été « contraint » de porter quelque chose qui ne vous ressemblait pas tout à fait ? Et que feriez-vous si vous deviez subitement vous passer de souliers en cuir pour une durée indéterminée ?

Pour nos conseils sur les souliers, si besoin :

Jérôme Olivier Jérôme Olivier
Jérôme Olivier, ciné, velours et rock'n'roll

Ex-caviste et rock critic de poche, grand amateur de films et de chats sibériens, je crée des e-mails et je m'intéresse aux petites histoires qui vont avec les vêtements.

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