Les secrets de « Peaky Blinders » dévoilés par sa costumière

Les secrets de « Peaky Blinders » dévoilés par sa costumière
Il fut un temps où l'on pouvait mettre la chanson « Red Right Hand » de Nick Cave sur sa platine sans avoir des images de costumes charbonneux en tête. Mais ça, c'était avant. Car depuis 2013, la chanson est devenue le générique d'une série anglaise phénomène baptisée « Peaky Blinders ». Vous êtes nombreux à être tombés sous le charme des costumes de Cillian Murphy et de ses acolytes. On a d'ailleurs rarement vu le vêtement devenir un tel sujet de passion sur le petit écran ! Alors que la sixième et dernière saison de « Peaky Blinders » se dévoile enfin sur Netflix, retour sur le style inimitable de la famille Shelby dans le Birmingham des années 20. Et une fois n'est pas coutume, c'est Stephanie Collie, la créatrice des costumes de la première saison, qui nous en parle.

Il fut un temps où l'on pouvait mettre la chanson « Red Right Hand » de Nick Cave sur sa platine sans avoir des images de costumes charbonneux en tête. Mais ça, c'était avant. Car depuis 2013, la chanson est devenue le générique d'une série anglaise phénomène baptisée « Peaky Blinders ». Vous êtes nombreux à être tombés sous le charme des costumes de Cillian Murphy et de ses acolytes. On a d'ailleurs rarement vu le vêtement devenir un tel sujet de passion sur le petit écran ! Alors que la sixième et dernière saison de « Peaky Blinders » se dévoile enfin sur Netflix, retour sur le style inimitable de la famille Shelby dans le Birmingham des années 20. Et une fois n'est pas coutume, c'est Stephanie Collie, la créatrice des costumes de la première saison, qui nous en parle.

(Crédit photo couverture : Cillian Murphy et Samuel Edward Cook dans la première saison de « Peaky Blinders », 2013. - IMAGO / Everett Collection)

Le regard des costumières dans les séries vous intéresse ? Deux autres épisodes sont disponibles : l'un avec la costumière de la série « Pistol » et l'autre avec la costumière de « Better Call Saul ».

costumière anglaise Stephanie Collie

© Capture d'écran

La costumière anglaise Stephanie Collie, Février 2022 via Skype

Stephanie Collie nous accueille depuis chez elle. Merci Skype. La première chose qui me saute aux yeux, c'est la gestion des couleurs dans son salon, et aussi dans sa tenue. Col roulé noir, veste de travail d'un bleu particulier. C'est subtil. Si la personne que je suis en train de découvrir est costumière depuis si longtemps, ce n'est probablement pas un hasard.

Si vous n'avez encore jamais pris le temps de regarder la série « Peaky Blinders », cet article vous donnera peut-être envie de la découvrir à travers ses vêtements.

Et si jamais vous connaissez cette histoire par cœur, vous apprendrez j'espère quelques petites choses inédites et/ou intéressantes sur ces costumes qui en ont fait fantasmer plus d'un : casquettes de type Gavroche, longs manteaux, costumes trois pièces, boots en cuir, montres à gousset, cravates et autres chemises à col blanc ET détachable.

LA RENCONTRE AVEC KENNETH BRANAGH ET LES PREMIERS COSTUMES À L'ÉCRAN

Si vous jetez un œil à la filmographie de Stephanie Collie, vous verrez qu'elle a déjà une longue carrière derrière elle, et qu'elle a entre autres habillé un homme que Benoit affectionne tout particulièrement : Daniel Craig. Son entrée dans le cinéma est née d'une rencontre avec le metteur en scène et futur réalisateur Kenneth Branagh.

« Je suis costumière depuis un bon moment maintenant » m'explique-t-elle d'entrée. « Je viens du théâtre. J’y réalisais des costumes pour des spectacles et j’ai eu la chance de travailler avec la compagnie Renaissance de Kenneth Branagh. Lorsqu’il a commencé à faire des films, j’ai suivi l’aventure et le premier film sur lequel j’ai travaillé c’était « Peter’s Friends » en 1992, avec mon amie Susan Coates. C’était très intéressant car nous n’avions jamais travaillé sur un film auparavant. J’ai adoré cette expérience, et à partir de là, j’ai continué à créer des costumes pour le cinéma et la télévision ».

Bien d'autres films suivront, jusqu'à ce qu'un jour, une nouvelle proposition arrive : c'est une série en projet à la BBC créée par Steven Knight, un réalisateur et scénariste anglais qui a entre autres travaillé sur « Les promesses de l'ombre » de David Cronenberg.

LA DÉCOUVERTE DU SCRIPT DE « PEAKY BLINDERS »

Stephanie est alors bien plus qu'intriguée par ce qu'elle découvre :« J’ai vraiment été inspirée par la lecture du script de « Peaky Blinders ». J’ai tout de suite pensé qu’il y avait là une grande opportunité d’habiller les hommes et de leur donner un look incroyable. J’adore habiller les hommes. C’est quelque chose que j’avais déjà fait avec « Arnaques, crimes et botanique » de Guy Richie. J’ai donc rencontré le réalisateur Otto Bathurst et la productrice Katie Swinden. Je suis allé à ce rendez-vous avec une présentation complète. Ils ont aimé mes idées de costumes pour la série et c’est devenu le look de « Peaky Blinders ». C’est ainsi que j’ai eu le job auprès de la BBC ».

Quel est le sujet de la série ? Elle narre le quotidien troublé d'une famille issue de la communauté des Travellers. Les Shelby sont menés par trois frères : John, Arthur et Thomas. L'action se déroule à Birmingham, dans les Midlands anglais et c'est plus ou moins librement inspiré d'un gang qui sévissait dans la région depuis la fin du 19ème siècle. On est en 1919 lorsque la première saison démarre, et la Première Guerre Mondiale vient tout juste de s'achever.

En tête du casting : Cillian Murphy, qu'on ne présente plus vraiment depuis ses rôles dans « Inception » ou la trilogie « Batman » de Christopher Nolan. Vous l'avez peut-être également croisé en tant que mannequin chezPrivate White V.C.Dans « Peaky Blinders », il incarne le personnage central de l'histoire : Thomas Shelby.

LES PREMIÈRES IDÉES

Les créateurs de la série ne le savent pas encore, mais lorsque Stephanie Collie découvre cette histoire, le futur look des Peaky Blinders est en train de naître dans son esprit :

« Lorsque tu as un script entre les mains, tu as des images qui se forment et des idées qui te viennent en tête. À ce stade, on imagine les personnages sans nécessairement savoir qui seront les acteurs qui interpréteront chaque rôle. On essaie de les visualiser mentalement. J’ai fait beaucoup de recherches pour ce travail. Je me suis énormément intéressée aux photographies de cette période, à la manière dont les hommes et les femmes s’habillaient. C’était fascinant.

En ce temps-là, on sortait tout juste d’une guerre mondiale, les gens étaient rationnés et essayaient malgré tout de regarder vers l’avenir. Les hommes n’avaient peut-être qu’un seul et unique costume. L’idée, c’était donc que ce costume soit le plus beau qu’ils puissent posséder ou être en mesure d’acheter. Il y avait des pénuries de matériaux à cette époque et de plein d’autres choses. Les pantalons étaient un peu plus courts et les choses un peu plus ajustées aussi. Tout cela donnait une excellente silhouette, qui a très bien fonctionné sur les acteurs de la série. »

DES VÊTEMENTS... ET DES HOMMES

Oui je sais, c'est la formule du site BonneGueule. Et d'ailleurs, s'il fallait chercher une pièce de notre collection qui pourrait s'intégrer dans cet univers, ce serait peut-être nos brogues boots présentées ici :

« Peaky Blinders » est une série au style fondamentalement anglais. Mais pour en revenir à notre formule, elle fonctionne tout aussi bien avec ce que Stephanie a souhaité faire sur les costumes de la série. Car figurez-vous qu'elle n'aime pas seulement les vêtements : elle aime aussi les voir portés, en particulier par la gent masculine.

« J’aime que les hommes soient beaux dans leurs vêtements. Ce n’est pas toujours le cas donc c’est plutôt agréable d’avoir la chance de pouvoir les rendre aussi élégants et stylés que possible ! J’aime aussi habiller les femmes mais ce que j’aime surtout, c’est quand les hommes aiment les vêtements. Les acteurs de « Peaky Blinders » adoraient vraiment porter ces vêtements et je pense que cela se perçoit à l’écran. Cela nous a aidés à rendre ces tenues crédibles et à faire que le public les apprécie. »

Lorsqu'on lui demande ses meilleures anecdotes de tournage, Stephanie semble avoir du mal à en choisir une. C'est une expérience dont elle garde de nombreux bons souvenirs :

« Nous nous sommes beaucoup amusés sur le tournage. Parmi les anecdotes amusantes dont je me rappelle, il y a par exemple ce jour où nous faisions des essayages dans l’une des maisons de costumes avec lesquelles nous avons travaillé. On riait beaucoup, c’était peut-être avec Paul ou bien avec l’une des actrices, mais toujours est-il qu’il y avait un autre essayage dans la pièce à côté de la nôtre, avec un très grand acteur hollywoodien. Nos rires ont dû rendre son travail pénible parce qu’il a fini par déménager dans une autre pièce !

C’est le truc avec les acteurs : de notre côté, tout le monde s’entendait tellement bien. On était tous impatients de travailler sur la série. Il y avait beaucoup de gentillesse dans l’équipe, un vrai lien entre tous. C’était fantastique. C’est tellement plus agréable d’aller travailler avec des gens qui sont à la fois de bons acteurs et des personnes humainement formidables. »

La série est diffusée le 12 Septembre 2013 sur la chaîne BBC Two. Il faudra attendre près de deux ans pour la découvrir sur Arte. Entre-temps, Peaky Blinders est devenu un véritable phénomène, notamment auprès des magazines et du monde de la mode. Personne ne l'avait vraiment vu venir.

ET PUIS SOUDAIN, LE SUCCÈS

Stephanie se souvient bien de cet engouement pour les costumes de la série : il est survenu très rapidement. Si le public répond présent, son travail sera également récompensé par la profession en 2014 à travers un prix de la Royal Television Society britannique.

« Cela m’est déjà arrivé avant « Peaky Blinders », et c’est un phénomène très intéressant. Lorsque la série a été diffusée pour la première fois, elle n’a pas nécessairement reçu de très grandes critiques. Puis tout à coup, on a commencé à voir les garçons dans les magazines de mode. On les retrouvait en photo, on parlait de leur style et de leurs vêtements, avec des focus de type « comment s’habiller comme un Peaky Blinder ? ». C’est très intéressant de voir comment tout cela s’est développé et s’est retrouvé d’une certaine manière « dans la rue ». Je suis contente que nous ayons remis la casquette de baker boy au goût du jour car c’est vraiment une magnifique casquette. »

Pour les curieux et les amateurs de casquettes en tweed ou en laine, vous pouvez jeter un œil chez Tonton et FilsThomas Farthing, ou bien encore A Piece Of Chic. Ceci étant, vous allez découvrir que l'univers vestimentaire des Peaky Blinders est surtout lié au vintage.

LES INSPIRATIONS ET L'ORIGINE DU VESTIAIRE DE LA SÉRIE

Cillian Murphy et Samuel Edward Cook dans la première saison de «Peaky Blinders», 2013.

© Cillian Murphy et Samuel Edward Cook dans la première saison de «Peaky Blinders», 2013 - IMAGO / Everett Collection

Cillian Murphy et Samuel Edward Cook dans la première saison de « Peaky Blinders », 2013.

L'heure est venue de couper court aux fantasmes en tout genre qui circulent sur l'imaginaire stylistique de « Peaky Blinders ». Depuis que la série est devenue phénomène, on a bien évidemment vu apparaître des répliques plus ou moins réussies sur des e-shops parfois improvisés et/ou opportunistes.

Certaines marques ont surfé sur la vague, d'autres ont construit un univers qui rappelle par certains côtés le look très caractéristique de « Peaky Blinders ». On pense en particulier à Thomas Farthing, une marque créée à peu près en même temps et dont Stephanie n'a semble-t-il jamais entendu parler jusqu'à notre rencontre. Alors, quelles étaient donc ses inspirations et où a-t-elle déniché les costumes de « Peaky Blinders » ?

« Il y a un film que j’adore et que j’ai entre autres pris comme référence, c’est « Il était une fois dans l’Ouest » de Sergio Leone. ». Je sais que l'action des Peaky Blinders se situe à Birmingham en Angleterre mais j'avais de mon côté l'impression qu'il s'agissait presque de cow-boys. C'est pour cette raison que nous avons opté pour de longs manteaux qui convenaient à cette période, en 1919. Mais nous avons essayé de les rendre plus légers, afin que les manteaux puissent flotter d'une certaine manière derrière eux lorsqu'ils se déplacent. Un peu comme dans cette scène fantastique du film de Sergio Leone, avec ces hommes plantés là, debout avec leurs manteaux. C'était définitivement une de mes inspirations.

L'idée, c'était surtout de rendre ces costumes réels, vraisemblables. Ces manteaux étaient tout à fait en phase d'un point de vue historique avec l'époque de la série. Il n'y avait que des petits ajustements à faire, des petits détails qui rendent au final ces vêtements plus appréciables pour la mode et le public contemporain.

C'était une production de la BBC, ils n'avaient pas les moyens actuels d'une production Netflix ou Amazon. Nous étions donc assez limités en termes de budget. Certains costumes de Cillian ont été faits sur mesure, mais d'une manière générale, les costumes ont été loués dans diverses maisons de costumes pour le reste de la distribution, notamment pour les hommes qui incarnent les Peaky Blinders. Nous les avons adaptés et retouchés selon la taille de chacun afin d'obtenir le look que l'on souhaitait.

Pour les femmes, j'ai fait faire certaines choses pour Helen. Mais à l'image des autres pièces, j'ai surtout essayé d'utiliser autant que possible des robes et des vêtements authentiques.

Cette période de l'histoire étant particulière, on peut parfois trop facilement discerner une robe moderne, savoir quand elle a été fabriquée, etc. Nous avons donc chiné dans les foires vintage. J'y cherchais tout le temps des boutons de manchettes ou des boutons pour les cols de chemises +.

Il n'y a pas de marques particulières pour les vêtements des Peaky Blinders. En fait, c'est intéressant de savoir qu'il y a des gens qui s'intéressent aux marques des vêtements de la série. Car lorsque j'ai obtenu ce travail et que j'ai parlé avec le réalisateur et les producteurs de la série, nous pensions dans un premier temps que ce serait vraiment une excellente opportunité pour un créateur de mode masculine de participer.

J'ai donc fait plusieurs livrets de présentation pour plusieurs créateurs, on les a envoyés mais personne n'était intéressé. C'est vraiment dommage. Cela m'est déjà arrivé auparavant d'approcher certaines personnes, qui n'étaient pas intéressées sur le coup et puis qui ont soudain changé d'avis une fois le film ou la série devenus célèbres et populaires.

Ceci étant, quand vous n'avez pas beaucoup d'argent, que vous venez avec un projet que personne ne connaît, c'est une chose tout à fait compréhensible. Ils sont occupés avec leurs propres marques, ils ont peu de temps disponible... Travailler sur toute une série de costumes pour la télévision n'est alors peut-être pas la meilleure chose à faire. J'ai ressorti mes livrets l'autre jour et ils étaient vraiment très bien. Je suis surprise que personne n'ait eu envie de nous aider ! »

En bref, si vous souhaitez vraiment vous constituer un look à la Peaky Blinders, ce n'est pas sur les e-shops contemporains qu'il faudra chercher. L'astuce, c'est plutôt de partir à la chasse aux trésors vintage. C'est même l'une des clés des costumes de la série : leur authenticité, ou du moins la volonté de proposer un vestiaire qui soit aussi réaliste et d'époque que possible.

Les coupes étaient certes différentes, mais il n'y a rien qui ne puisse être adapté ou retouché par la suite pour convenir à nos yeux contemporains. C'est en substance ce que nous raconte Stephanie. Quant aux créateurs de mode qui ont été approchés pour la série, on ne connaît pas leurs noms, mais qui sait, peut-être qu'ils s'en mordent un peu les doigts aujourd'hui.

LES ACTEURS ET LEURS VÊTEMENTS

Sam Neil et Annabelle Wallis première saison  Peaky Blinders

© (IMAGO / Everett Collection)

Sam Neil et Annabelle Wallis dans la première saison de « Peaky Blinders », 2013.

Évidemment, le style qu'on imagine sur le papier se confronte toujours à la réalité. Pour Stéphanie, le processus créatif autour des costumes de la série aura donc aussi été un échange avec les acteurs et les actrices. Pour autant, pas de concours d'ego déplacés ici : le vêtement est toujours au service du personnage et de l'ambiance du Birmingham des années 20.

« Les acteurs sont dans la construction de leurs personnages. Ils ont donc leur mot à dire sur les costumes. C’est un échange en réalité. Avec le réalisateur, les acteurs, jusqu’à ce que tout le monde soit satisfait du résultat. Les garçons étaient toujours partants pour ce que je suggérais, ce qui était vraiment super. Mais un acteur peut dire qu’il n’aime pas, alors il faut tenter autre chose. Il ne faut pas avoir d’idées trop arrêtées. On ne peut pas forcer quelqu’un à porter quelque chose qu’il pense ne pas être bon pour son personnage.

La vision de la personne en charge des costumes doit être la même que celle des acteurs. Par chance, c’est généralement le cas. Parfois, l’idée initiale que je peux avoir en lisant un script peut changer en fonction des personnes qui figurent au casting. Si je lis un script, que j’imagine quelqu’un d’assez musclé et costaud, et que le rôle est finalement attribué à quelqu’un d’assez mince, cela change évidemment mon idée de départ car ce que j’avais imaginé pour un physique précis ne fonctionnera peut-être pas aussi bien sur un autre. Donc ça tourne toujours autour de l’acteur, de sa morphologie et de sa manière de voir son personnage. Mon rôle, c’est de guider les acteurs, en espérant qu’ils adhèrent à mes idées.

HISTOIRES DE TWEED ET DE MORPHOLOGIES

Cillian Murphy Peaky Blinders

© (IMAGO / Everett Collection)

Cillian Murphy dans « Peaky Blinders », 2013.

Quand on évoque avec Stephanie le retour de matières comme la moleskine, le velours ou le tweed, des matières que l'on travaille d'ailleurs aussi chez BonneGueule, elle ne peut s'empêcher de nous raconter sonamour plus particulier du tweed.Vous en retrouverez bien sûr dans les costumes et les casquettes de la série. On a déjà tenté de notre côté d'élucider le mystère de cette matière incroyable ici :

À cette époque, il n’y avait pas de chauffage et les gens n’avaient peut-être qu’un costume, donc il fallait que les vêtements puissent tenir de l’hiver à l’été. Dans la mode masculine, je pense que les tissus sont en général assez légers.

Le tweed, son tissage et ses textures sont incroyables pour les costumes. Il apporte vraiment quelque chose en plus, et pas seulement parce qu’il offre un peu plus de caractère qu’un tissu morne, sans aspérités, un peu gris. Il y a d’excellentes fabriques en Ecosse. On a trouvé du tissu là-bas, qu’on a ensuite entre autres utilisé pour les costumes.  

Une autre dimension à laquelle on ne pense pas toujours : les acteurs et les actrices de cinéma ou de télévision ne sont pas tous calés sur les silhouettes photogéniques de Brad Pitt et Angelina Jolie. Paradoxalement, les gens les plus beaux ne sont pas toujours les plus simples à habiller, à plus forte raison dans le contexte gris et "workwear" de « Peaky Blinders ».

Autre information intéressante : lorsqu'une série emploie un grand nombre de personnages, il existe quelques petites astuces de style pour les reconnaître. Stephanie nous explique :

Je pense que le personnage qui a été le plus difficile à habiller, c’est celui de Grace. Il fallait trouver le bon équilibre pour son look, que sa tenue puisse être crédible, qu’elle puisse arriver dans ce monde sans pour autant se démarquer plus que les autres, qu’elle puisse être acceptée. C’était un défi intéressant.

Il fallait aussi pouvoir « épingler » le look final des garçons. Nous voulions que chaque groupe, les Gitans, les Shelby, aient quelque chose d’un poil différent dans leurs tenues. Quand vous regardez une série, cette astuce permet au public d'identifier plus facilement les personnages et les groupes auxquels ils appartiennent.

Ceci dit, Annabelle Wallis est toujours superbe, quoi qu’elle porte. C’est un plaisir de l’habiller. La beauté ne rend pas une vie plus facile, mais elle peut rendre le travail plus simple pour moi. D’un autre côté, les personnes qui ont des formes, qui n’ont pas une taille mannequin sont aussi plus intéressantes à habiller. Helen McCrory était par exemple plus voluptueuse. C’est génial pour moi de travailler sur différentes morphologies. Cela rend aussi les choses plus réalistes. 

UN TRAVAIL D'ÉQUIPE, AU SERVICE DU STYLE ET D'UN UNIVERS

Les fans l'ont peut-être remarqué : chaque saison a sa costumière. Si Stephanie a initié le style des Peaky Blinders, d'autres ont repris le flambeau par la suite. Ce qui frappe cependant, c'est la continuité du style, d'une saison à l'autre.

Dans le cas de la première saison, on découvre à travers l'histoire de Stephanie un esprit presque familial et particulièrement soudé, notamment entre les costumes, le maquillage et les coiffures : d'où une approche du style totale, où chaque petite chose à son importance :

« Loz Schiavo a fait le maquillage et les coiffures, c’était aussi important que les vêtements. Nous avons travaillé très étroitement tous ensemble pour obtenir un look complet. Je pense que les projets ne fonctionnent bien que lorsqu’on travaille en équipe. On ne peut pas juste se dire « je ne m’occupe que des costumes et je me moque du reste, des décors, etc. ». C’est tellement important de savoir ce qui se passe pour pouvoir travailler tous ensemble.

Je n’ai pas travaillé sur la saison suivante, bien que l’on me l’ait proposé. Nous ne savions pas exactement quand cela sortirait et j’avais accepté de travailler sur un film. J’ai malheureusement dû décliner. J’aurais peut-être pu faire les deux en même temps. D’un autre côté, c’est très difficile de se donner entièrement à un travail lorsqu’on doit faire l’équilibriste entre deux projets.

De mon côté, ce que j’aime, c’est être impliquée dans l’ensemble d’un projet. Je ne me dis pas « je vais faire les personnages principaux et laisser quelqu’un d’autre s’occuper de la foule ». Sur « Peaky Blinders », c’était une petite équipe, il n’y avait pas beaucoup d’argent. Nous avons donc travaillé les costumes des figurants également. J’ai été triste de ne pas pouvoir faire la suite, mais c’est compliqué de faire deux projets en même temps.

Helen McCrory  Peaky Blinders

© IMAGO / Everett Collection

Helen McCrory dans « Peaky Blinders », 2013.

Ce qui est triste également, c’est qu’Helen ne soit plus là. C’était une personne tellement formidable. J’ai vraiment de très très beaux souvenirs de cette période... Ceci étant, il semble qu’un film soit en préparation donc j’espère que j’en ferai partie. 

J’ai bien sûr vu toutes les saisons de la série. Ce n’est pas à moi de commenter le travail des autres, mais je pense simplement que c’est une série fantastique, qui a beaucoup de style. Chaque personne a son propre sens de l’esthétique donc si j’avais continué à travailler sur la série, j’imagine que j’aurais potentiellement fait quelque chose de différent, je ne saurais dire quoi bien sûr. Chaque costumier à son style et sa manière de travailler.

Costume, bijoux homme, nœud papillon et col bien serré chez Paul Anderson dans « Peaky Blinders », 2013.

© (IMAGO / Everett Collection)

Costume, bijoux homme, nœud papillon et col bien serré chez Paul Anderson dans « Peaky Blinders », 2013.

Mon obsession par exemple, c’est les cols de chemises. Je voulais qu’ils soient toujours correctement mis. J’ai horreur qu’ils ne soient pas près du cou. Je les aime serrés, ce qui rendait les acteurs fous parce qu’ils étaient comme étranglés par leurs cols. « Mais c’est trop serré ! » « Non, c’est juste parfait ! ».

Les personnes qui ont continué à travailler sur les costumes les saisons suivantes ont fait un travail fantastique. L’idée pour moi, c’était de définir le look initial en sachant que quelqu’un d’autre reprendrait peut-être le flambeau par la suite. Avec le recul, il était peu probable que je travaille sur l’ensemble de la série, ne serait-ce que parce que j’avais d’autres projets et qu’il est difficile aussi de rester sur une même série sur le long terme. Toutes les personnes qui ont travaillé sur « Peaky Blinders » par la suite ont fait du beau travail et ont permis à ce que ce monde puisse continuer à vivre. »

DU GRIS, DU GRIS ET QUELQUES COULEURS AUSSI PARFOIS

Vous nous posez régulièrement des questions sur les associations de couleurs et c'est vrai, c'est un paramètre essentiel à prendre en compte dans la construction d'une tenue. Pour vous aider, Nicolò s'est penché sur le sujet ici :

Mais ça, c'est dans la vraie vie. Qu'en est-il des couleurs dans « Peaky Blinders » ? Sans surprise, Stephanie s'est surtout attachée à rendre ses costumes crédibles, en phase avec l'atmosphère chagrine de la série. Pour autant, elle partage avec Jordan une même passion pour les couleurs qui font "pop" - un violet ou un rouge par ci, un vert éclatant par là :

« Il y a quelques couleurs dans les vêtements de la série, mais c’est assez discret et on l’a plutôt fait avec les femmes. Annabelle était en vert lorsqu’elle arrive au pub The Garrison. Je lui ai également donné une robe rouge pour la fête. J’aime les couleurs qui contrastent de temps à autre, qui font d’une certaine manière irruption dans le paysage mais d’un autre côté, les Peaky Blinders étaient dans un monde plutôt gris. C’était tout aussi agréable d’embrasser leur monde à travers les costumes, afin que le vêtement puisse s’intégrer au mieux à l'environnement des personnages. »

LE MÉTIER DE COSTUMIER

À quoi reconnaît-on un bon film ou une bonne série ? Ce n'est pas systématique mais le vêtement joue parfois un rôle prépondérant dans l'équation. Il ne s'agit pas tant d'en mettre plein la vue que de proposer un style et des tenues qui servent l'histoire et ses personnages.

Assurément, les costumes de « Peaky Blinders » contribuent à l'immersion du spectateur. Certes, la série est d'une manière générale très stylisée : regardez par exemple son approche de la photographie ou l'omniprésence de la musique. Que Nick Cave, The White Stripes ou Tom Waits squattent ainsi la bande sonore de la saison 1 est déjà un marqueur de style en soi.

Mais « Peaky Blinders » ne serait pas tout à fait « Peaky Blinders » sans le look si singulier de ses personnages. Bref, ne jamais sous-estimer l'apport du costumier ou de la costumière. C'est un métier de l'ombre, avec lui aussi ses stars d'hier et d'aujourd’hui :

« J’aime énormément les costumiers du cinéma hollywoodien comme Adrian ou Edith Head. Il y a aussi beaucoup de personnes talentueuses de nos jours. Sandy Powell par exemple. La liste est longue et c’est vraiment intéressant de regarder un film et d’apprécier ses costumes, surtout quand vous savez la masse de travail que cela représente pour que cela fonctionne.

Quelqu’un qui ne connaît pas mon métier n’imagine pas forcément les heures passées pour faire telle robe sur telle actrice, etc.… C’est un métier assez difficile en réalité, qui représente de longues heures de travail. Ceci étant, pourquoi les gens devraient-ils s’en rendre compte ? Ils devraient simplement regarder et apprécier le spectacle. »

HUSBANDS ET LES ANNÉES 70

Si vous nous lisez régulièrement, vous avez probablement déjà entendu parler de la marque Husbands. Vous trouverez dans nos archives un entretien avec son fondateur Nicolas Gabard :

Quel rapport entre Stephanie Collie et la marque parisienne ? Eh bien figurez-vous que c'est la première marque qui lui vient en tête lorsqu'on lui demande ce qu'elle aime dans le vêtement aujourd'hui. C'est-à-dire que si les Peaky Blinders devaient se transmettre leurs secrets de style de génération en génération, ils afficheraient peut-être des costumes Husbands aujourd'hui, si jamais Stephanie était en charge de leur vestiaire :

« Une marque française que j’adore, c’est Husbands. J’adore leurs costumes. Ils ont un côté seventies et il se trouve que j’adore les années 70. L'acteur Chris Pine, avec qui j’ai travaillé pour un costume, adore également cette marque. Nous avons eu un costume Husbands pour lui, tellement beau.

Les années 70, c’est une autre époque formidable pour le style masculin. Ça devrait être la prochaine tendance pour les hommes. Parmi les autres créateurs que j’apprécie : Allessandra Rich, Richard Quinn, Lanvin, Yves Saint Laurent, beaucoup de créateurs français. »

HOLLYWOOD, L'ÉLÉGANCE ET L'HISTOIRE DU VÊTEMENT

Vous vous souvenez peut-être de Grace Kelly et de Cary Grant, deux exemples de ce que pouvait être l'élégance au cinéma dans les années 50 ? C'est une petite musique qu'on entend souvent : les costumes du cinéma d'hier sont bien plus passionnants que ceux d'aujourd'hui. On évoquait justement des histoires de films et de costumiers dans notre interview avec Romain Biette d'Ardentes Clipei :

Quand on aborde ce sujet avec Stephanie, elle a soudain une pensée pour ses parents puis nous explique qu'elle regarde les films de l'âge d'or hollywoodien comme on ouvrirait un livre d'histoire :

« Quand je regarde les photos de ma mère ou de mon père dans les années 50, ils étaient tellement élégants. Je revois aussi les costumes de mon père dans les années 60, il avait toujours une pochette à la poche de son blazer. Nous sommes tellement plus casual aujourd’hui.

C’est aussi ce que j’aime dans le look des Peaky Blinders et celui des gens qui s’en inspirent : ce sens de l’habillement, c’est aussi ce qui rendait les gens beaux et élégants. On apprend tellement en regardant les vieux films hollywoodiens. Ce sont de bonnes références : si vous avez un film à faire qui se passe dans les années 50, il suffit de regarder ces vieux films pour voir ce que les gens portaient. Ces films sont tellement utiles et justes. »


La transmission des savoirs, de la culture et de l'élégance : voilà peut-être là une nouvelle preuve de ce qu'il nous faut tous continuer à partager nos inspirations pour que toutes ces histoires de style puissent perdurer. Et qui sait, peut-être que vous porterez vous aussi, demain, une casquette en laine ou en tweed à la « Peaky Blinders » ?

Jérôme Olivier Jérôme Olivier
Jérôme Olivier, ciné, velours et rock'n'roll

Ex-caviste et rock critic de poche, grand amateur de films et de chats sibériens, je crée des e-mails et je m'intéresse aux petites histoires qui vont avec les vêtements.

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