Comment concilier la mode, la musique et le cinéma en un seul film ? L’accord parfait se trouve peut-être chez le réalisateur hongkongais Wong Kar-Wai. Porté par Maggie Cheung et Tony Leung, son film « In The Mood for Love » n’est pas seulement une claque esthétique : il raconte aussi par le vêtement les secrets et les émotions de ses personnages. Décryptage.
(Crédit photo de couverture : Maggie Cheung et Tony Leung dans « In The Mood for Love », 2000 - photo IMAGO / Zuma Wire)
Le pitch : Du sublime, du mystère et de la sensualité
Hong Kong, début des années 60. M. Chow est journaliste, Mme Chan est secrétaire. L'un comme l'autre sont mariés, ils sont voisins de palier. Ils ont d'autres points communs : des partenaires absents, une solitude extrême et un goût prononcé pour le style et le temps qui passe. Ils vont peu à peu se rapprocher... C'est une histoire mille fois racontée, ce qui rend « In The Mood for Love » d'autant plus singulier : Wong Kar-Wai insuffle en effet du sublime, du mystère et de la sensualité à une aventure à la fois banale et impossible.
Au casting : Maggie Cheung, Tony Leung, les costumes et décors de William Chang, la musique de Shigeru Umebayashi. C'est peu dire qu'« In The Mood for Love » est une claque esthétique. Mais pour celles et ceux qui se sont entichés du cinéma asiatique, ce n'est en rien une surprise. Dès ses premiers films comme « As tears go by » ou « Nos années sauvages » , Wong Kar-Wai impose en effet une patte de style qui se révèle au grand public avec « In The Mood for Love ».
Hormis quelques mentions ici et là, on a relativement peu évoqué le cinéma asiatique jusqu'ici. Mais le fait est que ça s'est chaque fois soldé par une vision stylistique ou une pièce marquante. Souvenez-vous par exemple de la chemisette de Leslie Cheung dans « Nos années sauvages ».
© MICHAEL TSUI/South China Morning Post via Getty Images
Leslie Cheung dans « Nos années sauvages », 1990.
Le cinéma asiatique regorge d'inspirations stylistiques puissantes. Il peut vous donner goût à la chemisette, aux costumes, au streetwear et même au débardeur homme. Il peut aussi être à l'origine d'un crush inattendu pour la doudoune avec du denim dedans, à l'image de celle que porte le charismatique Yu Zhang dans le diamant brut et très noir qu'est « An Elephant sitting still » de Hu Bo.
© IMAGO / Everett Collection
Yu Zhang dans « An Elephant sitting still », 2018.
« In The Mood for Love » joue précisément dans cette catégorie. C'est un film qui a le style chevillé au corps, qu'il soit cinématographique, musical ou vestimentaire. C'est aussi, typiquement, le genre de film qui prend tout son sens dans une salle de cinéma : c'est une expérience visuelle et sensorielle, qui vous donnera par ailleurs peut-être envie de réécouter Nat King Cole.
Le paysage d'« In The Mood for Love », ce sont des corps d'homme et de femme qui se frôlent, des décors et des vêtements qui se font écho. Le travail de William Chang sur les costumes, et plus généralement la couleur, la photographie et l'univers esthétique du film sont d'une beauté à couper le souffle.
De mon côté, j'avais vu ce film à sa sortie en salles et je n'étais jamais retourné dans cet univers depuis. Vingt ans ont passé, ce qui pourrait pourquoi pas rendre nostalgique. Sauf que ma passion pour le vêtement me permet aujourd'hui de redécouvrir des choses qui m'expliquent encore un peu plus ce que j'aime dans « In The Mood for Love ».
1. Les vêtements parlent pour les personnages
C'est une des premières choses qui frappent : le style et le vêtement en particulier occupent une place centrale dans « In The Mood for Love ». Le titre du film au Québec résume d'ailleurs assez bien l'histoire sous-tendue du film : « Les silences du désir ». Ici, ça s'exprime entre autres par les tenues des personnages principaux, et notamment par l'incroyable garde-robe de Maggie Cheung.
Chaque motif, chaque couleur, chaque morceau de tissu veut ainsi dire quelque chose d'une pensée ou d'une émotion. Si les personnages ne sont guère démonstratifs, c'est par le biais du vêtement que l'on en apprendra un peu plus sur leurs secrets les plus intimes. L'air de rien, c'est une technique souvent utilisée au cinéma qui prend ici plus qu'ailleurs tout son sens : Wong Kar-Wai est un obsédé du style.
Comme souvent, tout est dans les détails : les accessoires par exemple. On peut ainsi noter quelques liens entre les couples à travers les sacs à main des femmes et les cravates des hommes - similaires d'un couple à l'autre, ils trahissent une histoire secrète. Délaissés par leurs partenaires respectifs, M. Chow et Mme Chan se rejoignent à travers le style et la solitude. De fait, ils prennent chacun soin de (bien) s'habiller. Or vous le savez certainement comme moi : le vêtement peut être un signe de reconnaissance.
2. Le style est une manière de se fondre dans le décor
Autre point intéressant : l'usage très puissant de la couleur, des jeux de lumières et du décor. D'une certaine manière, on peut dire que les looks des personnages matchent avec leur environnement. Ainsi les robes de Maggie Cheung trouvent-elles souvent écho dans les rideaux, les murs ou le mobilier des appartements. Elles s'inscrivent aussi dans une tradition vestimentaire là ou le personnage de Tony Leung affiche un look plus occidental, à regarder par le prisme de son métier de journaliste.
S’il est possible de décorer une pièce comme on compose une tenue, il est tout aussi envisageable de composer les deux ensemble. C'est précisément ce que réalise « In The Mood for Love » à de nombreuses reprises.
Qu'est-ce que cela raconte des personnages ? Que leur style n'a rien hasardeux et qu'il s'inscrit dans une recherche permanente d'équilibre avec ce qui les entoure. Est-ce à dire que le style ne fait sens que s'il cohabite avec son environnement ? Je fais partie de ceux qui le pensent. Et vous ?
4. Ces pièces que le film va vous donner envie de porter
1. La robe qipao
C'est sans aucun doute le vêtement le plus marquant du film. Maggie Cheung présente d'ailleurs plus d'une vingtaine de robes différentes : c'est comme si elle changeait de tenue entre chaque scène. Ce n'est pas tout à fait un hasard : le vêtement est utilisé à dessein, pour traduire les émotions des personnages. Cela passe par le motif, la couleur, et le simple fait que Maggie Cheung possède plus d'une vingtaine de pièces en dit long sur ce qu'elle ressent tout au long du film.
La robe qipao est un vêtement emblématique chinois, très populaire à Shanghai dans les années 20-30 où elle prend la forme qu'on lui connaît encore aujourd'hui. Elle fut interdite en Chine par Mao Zedong car jugée décadente. C'est une robe à col haut, fendue et près du corps, souvent en soie, avec motif, fleurs ou rayures.
Dans « In The Mood for Love », Maggie Cheung ne jure que par ce type de robes et n'oublie jamais de soigner ses tenues, même pour les affaires courantes du quotidien. Ce qui ne laisse évidemment personne indifférent, à commencer par les gens qui partagent son immeuble.
« Elle est bien apprêtée pour aller chercher des nouilles ! »
Si vous êtes passionné de textile, la magnifique collection de robes présentée dans « In The Mood for Love » vaut à elle seule le visionnage. On peut cependant préférer d'autres modèles de robes au quotidien, moins historiquement connotés, et dans ce cas, on peut jeter un œil sur d'autres propositions de style ici :
2. Le costume gris
Dans « In The Mood for Love », le personnage de Tony Leung ne porte que des costumes, avec une pochette blanche glissée dans la poche poitrine de ses vestes. Ses costumes sont ajustés, le plus souvent porté avec des souliers noirs, des chemises à grand col et des cravates plutôt fines, plus ou moins fantaisie. C'est une élégance qui évoque l'art tailleur des sixties tel qu'on a pu le voir dans la série « Mad Men » par exemple, ou plus proche de chez nous, chez le personnage d'Alain Delon dans « Le Samouraï » de Jean-Pierre Melville - un autre esthète du cinéma.
Parmi les couleurs préférées de Tony Leung en termes de costumes ici : le gris. C'est, avec le bleu, la couleur la plus classique du registre formel. À noter que ses costumes sont de couleur tantôt claire tantôt assombrie, comme s'ils accompagnaient les mouvements d'humeur de leur porteur.
De nos jours, on peut bien sûr préférer à ce registre très codifié du costume une vision un peu plus contemporaine dans la coupe et les finitions. La tendance est à la décontraction, même si le costume a toujours quelque chose de très beau à raconter chez des marques comme Ardentes Clipei par exemple.
L'ouverture à la décontraction, c'est d'ailleurs globalement l'idée des modèles Breno chez BonneGueule, pour ceux d'entre vous qui souhaiteraient s'essayer au costume autrement :
Que vous soyez attirés par l'élégance classique de Tony Leung ou par une vision plus contemporaine du costume, le sujet reste plus ou moins le même. Le registre formel est en effet l'un des plus exigeants qui soit. Il nécessite donc de faire les bons choix au moment de choisir son costume. Matière, coupe, style : on vous donne tous nos conseils pratiques en vidéo si besoin.
3. La chemise blanche
Pour accompagner ses costumes, le personnage de Tony Leung opte évidemment pour la chemise. Elle est le plus souvent blanche, même s'il s'autorise parfois quelques rayures ou autres couleurs. Si sa mise est très stylisée, son univers vestimentaire n'en reste pas moins lié au dress-code professionnel du bureau tel qu'il était encore à l'œuvre dans les années 60.
La chemise blanche formelle est ici portée comme cela se faisait souvent à l'époque par-dessus un débardeur blanc. On peut redécouvrir une anecdote amusante à ce sujet dans cet article sur le film « New-York Miami » avec Clark Gable. Cet art si particulier de la chemise blanche, c'est précisément ce qu'on a essayé de raconter chez BonneGueule à travers la chemise Avellino.
Ceci étant, pour ceux d'entre vous qui souhaiteraient découvrir la chemise blanche autrement qu'à travers le costume, c'est bien évidemment possible. Si jamais, j'analyse justement quelques looks avec chemise blanche dans un épisode de Gimmick. On y retrouve des maîtres du style contemporain comme Yasuto Kamoshita ou Namha “Nami Man” Nguyen.