(Crédit photo de couverture : « Dernier domicile connu » de José Giovanni, 1970 - Photo FilmPublicityArchive/United Archives via Getty Images)
« Dernier domicile connu » de José Giovanni est un film policier de 1970 porté par Lino Ventura et Marlène Jobert. Vous devriez y retrouver un petit quelque chose de familier, ne serait-ce qu'à travers la musique de François de Roubaix. C'est aussi un film transitionnel assez passionnant, qui raconte entre autres le passage de la mode des années 60 à celle des années 70.
LE PITCH : UN HOMME, UNE FEMME, UNE ENQUÊTE ET DU TEMPS QUI PASSE
Dit comme ça, ça ne vous fait peut-être pas rêver. Mais le fait est que « Dernier domicile connu » a son rythme à lui. C'est un film de terrain, avec ses longues recherches d'indices. Dans le même temps, c'est aussi une sorte de course contre la montre, enclenchée d'entrée.
Lino Ventura y incarne un policier intègre et volontiers bourru, relégué aux petites affaires de quartier. Il sera bien vite remis sur les rails d'une enquête presque impossible : retrouver le témoin capital et introuvable d'une affaire de meurtre dont le procès arrive à grands pas.
Il travaille sur ce coup avec une jeune femme qui débute dans le métier. C'est Marlène Jobert, actrice et icône de style à redécouvrir, par exemple dans le très beau « Nous ne vieillirons pas ensemble » de Maurice Pialat en 1972 :
L'auteur de « Dernier domicile connu » s'appelle José Giovanni. Son histoire est atypique.
Écrivain, scénariste et cinéaste, il est entre autres l'auteur du roman qui donnera naissance au « Deuxième Souffle » de Jean-Pierre Melville. Ce dernier affectionne tout particulièrement Lorenzo Cifonelli nous raconte la relation qui liait l'acteur à sa famille et à son travail :
« Lino Ventura était client historique de la maison. Il a commencé en 1964-1965, jusqu'à la fin de sa vie. La problématique que j'ai par rapport à ce film, c'est que je n'avais qu'un an en 1970.
C'est mon grand-père qui a commencé à habiller Lino Ventura, puis mon père et nous à la fin avec mon père. Il venait vraiment tous les jours, il passait rue Marbeuf, il était là comme un ami de la famille. Quels que soient ses films, et dans sa vie privée, il ne s'habillait qu'en Cifonelli. Il avait une vraie passion pour le costume, une vraie connaissance aussi du costume et de ce qu'il voulait. Il aimait les couleurs beiges, les vestes de sport grises et les flanelles. Il avait vraiment un look à lui, qui s'exprimait bien sûr à travers le costume. »
On y reviendra plus en détail plus tard. En attendant, ce que vous pouvez retenir, c'est que malgré le poids des années, le style développé ici a quelque chose d'évident, d'instinctif et de farouchement intemporel : les vêtements de Lino Ventura sont taillés pour lui.
Cette aisance dans le vêtement se ressent encore aujourd'hui à l'écran. Et ça, croyez-moi : c'est fascinant à regarder ! En prime, pour les plus observateurs, vous découvrirez une jolie montre Seastar de Tissot à son poignet. Pour aller plus loin sur le costume et le sur-mesure :
2. LES CLASSIQUES VESTIMENTAIRES DU POLAR : CHAPEAUX ET TRENCHS
Comme tout bon polar qui se respecte, « Dernier domicile connu » ne manque ni de chapeaux ni de trenchs et autres imperméables. Vous en trouverez un chez Lino Ventura, porté sur un costume.
© FilmPublicityArchive/United Archives via Getty Images
Marlène Jobert et Lino Ventura, dans « Dernier domicile connu », 1970.
Vous en trouverez aussi un chez Marlène Jobert : très stylisé, dans une matière qui semble proche du daim, le plus souvent porté avec des bottes marron et de la couleur en dessous : bleu ou orange, par exemple. Qu'est-ce que cela nous raconte des personnages ?
Qu'ils sont alors à la page. C'est que les macs et les trenchs traditionnels n'ont pas encore été supplantés par les parkas techniques à capuche. Très populaires, ils sont aussi très prisés du genre policier. En ce sens, José Giovanni inscrit assez logiquement son film dans la tradition vestimentaire du film noir, tout en prenant le pouls des changements de son époque. Vous voulez plus d'imperméables au cinéma ? C'est par ici :
3. UNE CERTAINE IDÉE DE LA MODE FÉMININE
Si le style imprimé par Lino Ventura en impose, on aurait tort de ne pas jeter un œil aux tenues de sa partenaire Marlène Jobert. Pour celles et ceux d'entre vous qui ne la connaissent pas ou peu, c'est la mère de l'actrice et mannequin Eva Green.
Elle débute au cinéma chez Jean-Luc Godard, dans « Masculin Féminin ». Puis elle tourne avec des cinéastes comme Louis Malle, Jean-Paul Rappeneau, Claude Chabrol ou comme on l'a signalé plus haut avec Maurice Pialat.
Dans « Dernier domicile connu », elle porte des mailles de couleurs, des jupes courtes à carreaux, des souliers à boucles ou des bottes marron, des écharpes moelleuses, des foulards, de belles ceintures et même le béret.
Au générique, vous apprendrez que Marlène Jobert est habillée par Réal et que les fourrures utilisées sont de Henri Stern. Une autre époque ? Certainement. Le film a d'ailleurs quelque chose du documentaire sur l'urbanisme, l'habillement et le métier de la police.
Dans un autre registre, si vous recherchez d'autres inspirations chapeaux, bérets et casquettes pour femme, vous pouvez jeter un œil sur le style d'Anne Wiazemsky dans « La Chinoise » de Jean-Luc Godard en 1967 :
Dans tous les cas, « Dernier domicile connu » vaut aussi le coup d'œil pour la présence de Marlène Jobert : elle incarne à la fois un certain héritage des sixties et les futurs contours de la mode des années suivantes. Si vous êtes en quête de plus de conseils, de style vintage et de mode féminine, vous pouvez jeter un œil ici :
… POUR EN ÉLABORER DES TENUES INSPIRANTES
POUR LE PLAISIR DES YEUX
Il n'y aura exceptionnellement qu'une tenue cette fois-ci, et ce n'est pas nécessairement la photographie du siècle. Mais l'essentiel est ailleurs : elle s'accompagne surtout d'un témoignage précieux ! Des tenues inspirantes, vous en trouverez rassurez-vous plusieurs dans « Dernier domicile connu », pour homme et femme.
© IMAGO / United Archives
Lino Ventura dans « Dernier domicile connu », 1970.
Mais bien sûr, comme vous l'avez compris, le patron du film, c'est assurément Lino Ventura. Il y a le style, les associations de couleur et tout cela est réuni avec brio dans le choix de ses tenues. Mais le plus remarquable et inspirant est peut-être à chercher ailleurs : dans la coupe, la silhouette et le rapport au corps.
Lorenzo Cifonelli nous explique ce qui faisait la particularité du style Ventura et son amour du vêtement :
« On reconnaît vraiment la ligne Cifonelli ici. C'est assez amusant d'ailleurs, car 50 ans plus tard, je fais des costumes qui sont très proches de ces lignes que pouvait porter Ventura dans ce film.
Il avait besoin de pouvoir bouger, d'avoir une grande liberté de mouvement. Ce qu'il aimait énormément dans nos coupes, c'est que c'était près du corps mais qu'il ne se sentait pas du tout étriqué. Comme il était tout de même assez trapu et costaud, c'était un ancien catcheur, il avait besoin de pouvoir bouger.
Notre coupe à nous, avec la petite poitrine, l'emmanchure très haute, tout le travail que nous que faisons dans le dos, dans le rendu des épaules etc., toute cette philosophie de coupe permet justement de pouvoir bouger. Il pouvait donc garder sa veste et malgré tout être en mouvement. Pouvoir conduire, pouvoir dîner, être bien dans ses vêtements. »
« C'est un peu la philosophie de Cifonelli. Dès qu'il a rencontré mon grand-père, il a tout de suite trouvé un vêtement qui correspondait à ce qu'il était et à ce qu'il voulait, une ligne qui affine et qui allonge.
Il avait chez nous l'aisance qu'il souhaitait. Dans les films, il ne voulait surtout pas se sentir gêné ou étriqué et en même temps avoir tout de même une ligne svelte. Il y a une ligne assez caractéristique avec notre épaule, qui est assez prononcée et qu'un connaisseur pourra arriver à reconnaître. Cette aisance était importante pour lui.
Après, avec le temps, il s'est développé une amitié avec mon grand-père puis avec mon père. Il était italien, mon père était italien. Il y avait vraiment ce côté italien des choses et puis il y avait chez lui une vraie volonté de vouloir être habillé dans la souplesse et dans le mouvement. Dans la ligne Cifonelli.
L'été, il était toujours en gabardine beige. C'était vraiment sa couleur d'été. Et il aimait beaucoup la flanelle en hiver, les flanelles grises, les vestes avec petits chevrons gris, etc. C'était vraiment son quotidien chez nous. Il s'habillait à la fois pour la scène ou les films mais aussi en privé. Il aimait ça, il avait une vraie connaissance du vêtement, ce n'était pas juste "je vais chez le tailleur parce que j'ai besoin d'aller chez le tailleur". Il avait le sentiment d'être bien, d'être bien habillé, et d'être plus élégant avec notre coupe. C'est ce qu'on lui apportait.
Il n'était pas évident à habiller. Les personnes qui ont fait du catch ou de la boxe développent beaucoup de muscles. C'est une chose de l'habiller devant la glace sans qu'il ne bouge et une autre de l'habiller en mouvement. C'est important de prendre ça en compte. C'est le côté tailleur qui doit parler, comprendre et savoir comment le client vit et développe son corps.
Bref, c'était un coup de foudre vestimentaire et amical. Il y avait une vraie relation, une vraie amitié. Et puis aussi un vrai besoin de costume et une vraie volonté de bien s'habiller, comme les hommes de cette génération qui aimaient toujours être élégants au cinéma ou dans la vie privée. Il trouvait ce qu'il souhaitait dans notre maison et nous arrivions à le satisfaire. Cela explique pourquoi il n'a pas bougé en 40 ans. »
Ce que Lorenzo Cifonelli nous raconte de Lino Ventura enfonce d'une certaine manière le clou. Cette passion pour le vêtement donne non seulement envie de mieux s'habiller mais aussi de redécouvrir la filmographie de l'acteur, à la découverte des fameuses lignes de ses costumes. « Dernier domicile connu » est assurément un bon début pour s'y atteler.