Symbole de la ringardise pour beaucoup, la chemise hawaïenne est magique : elle a le pouvoir de vous transformer en touriste pour l’éternité, d’incarner le soleil les jours de grisailles.
Et s’il y a bien un vêtement que j’ai boudé longtemps, c’est la chemise hawaïenne ou aloha shirt. Après tout, c’est juste une chemise pour touriste avec un imprimé floral comme on en voit partout, non ? Bien sûr, j’avais repéré certains looks intéressants, décalés, mais rien de bien sérieux à mes yeux. Jusqu’au jour où l’on m’en a offert une tout à fait différente de ce que l’on trouve habituellement sur le marché, avec des motifs bien plus complexes et détaillés. Depuis, j’ai découvert un monde à part.
Pour vous partager cet amour, je voudrais vous montrer que derrière l’apparente superficialité de ces tissus, s’y cache, à l’aube de la mondialisation, une histoire aussi riche que ses motifs : celle d’un héritage workwear issu des plantations de sucres, des influences des surfeurs de Waikiki en passant par l’héritage d’Hollywood.
Avant la chemise, il y avait…
Pour que vous compreniez mieux l’origine de cette chemise, je dois prendre le temps de vous expliquer brièvement l’histoire d’Hawaï. Les Polynésiens de Tahiti, originaires des îles Marquises, furent certainement le premier peuple à découvrir et à vivre sur les îles d’Hawaï, grâce à leur emblématique pirogue bi-coque. Ils apportent avec eux une langue, une religion, des traditions et une culture vestimentaire propre sur lesquels je reviendrai plus tard. Ils resteront relativement isolés jusqu’à l’arrivée des Européens, en 1778.
Après la découverte de ces îles par le capitaine Cook, la présence des occidentaux est quasiment immédiate. Les missionnaires protestants débarquent dès 1820. Ils sont horrifiés par la nudité apparente des Hawaïens et leur imposent progressivement les normes de la pudeur occidentale. Vers 1822, les effets sont visibles et les vêtements occidentaux effacent peu à peu les tenues plus traditionnelles. Les premières machines à coudre arrivent en 1853.
En parallèle, vers 1835, apparaissent les premières plantations de sucre. Pour que l'industrie sucrière soit commercialement rentable, il faut des travailleurs étrangers. En effet, la population indigène a été décimée par les maladies introduites par les étrangers et contre lesquelles les autochtones ne sont pas immunisés.
C’est donc en 1868 que les Gannenmono arrivent à Hawaï pour y travailler dans des conditions difficiles et malhonnêtes, aux côtés des immigrés chinois et d’autres encore.
C’est dans ce contexte, loin de la plage et des cocotiers, plus proche des champs de sucre et d’ananas que l’histoire de la chemise va commencer.
Tout d’abord, revenons sur sa « préhistoire » : les habits qui l’ont précédé et qui sont à la source de la chemise d’aujourd’hui. On y trouvera les trois principales inspirations de la chemise hawaïenne.
1. Le kapa
Le kapa est une étoffe non tissée qui a habillé les premiers Hawaïens pendant des siècles. Fait à partir d’écorce d’arbre , il permet la création de nombreux vêtements et objets du quotidien. C’est une méthode que l’on retrouve dans toute la Polynésie sous différents noms et variantes techniques
De manière simplifiée, il faut d’abord extraire l’écorce intérieure. Les bandes récupérées sont mises à tremper plusieurs jours pour être assouplies avant d’être battues et aplaties.
Pour décorer ces étoffes, des tampons en bois sont couverts de teintures, principalement végétales, avec une dominante jaune et rouge, qui sont les couleurs les plus simples à obtenir. Celles-ci sont souvent géométriques. Elles permettent alors notamment l’élaboration de pagnes Malo et de sarongs.
Si la méthode est relativement simple à comprendre, elle exige des prouesses physiques et de la patience. Les femmes qui officiaient étaient honorées pour leur talent. Ces motifs seront une des grandes inspirations de la chemise hawaïenne.
2. Le paréo
Vers 1810, un tissu arrive de Tahiti plus léger et facile à fabriquer que le tapa . Il est confectionné en Angleterre.
Dans un souci de mission “civilisatrice”, il viendra progressivement remplacer les habitudes des locaux, au gré des routes commerciales et sous la pression des occidentaux. Il est souvent composé d’imprimés floraux blancs, d’hibiscus et d’arbres à pain. Ces tissus légers sont rapidement importés à Hawaï.
L’autre grande influence est celle des Japonais qui apportent avec eux leur propre culture, notamment celle des tissus.
Dans un premier temps, les différentes diasporas continuent de porter leurs vêtements traditionnels. Dans leurs valises, les Japonais ne font pas exception et apportent des yukatas. Ce sont des kimonos légers, sans doublure, portés tant par les hommes que les femmes.
Traditionnellement fait de coton indigo, leurs motifs et leurs couleurs sont variés et dépendent du genre et de l’âge. Pendant la période d’occidentalisation du Japon, à l’ère Meiji, le yukata devient le seul vêtement traditionnel populaire porté en public par les hommes. Ce sont ces motifs qui inspireront les premières chemises hawaïennes. Mais avant de développer ce point, je dois vous raconter vous raconter l’histoire moins connue de la première chemise hawaïenne, loin de l’image de carte postale.
3. La première chemise
Pour répondre aux conditions de travail difficiles, il faut un tissu bon marché et robuste. Le Palaka, importé d’Angleterre et utilisé initialement par les marins, s'impose. Il s’agit d’un tissage sergé de coton épais, très résistant et qui sèche rapidement, en plus d’être facile à réparer. Au début, il est disponible uniquement en bleu, sous la forme d’abord d’une veste et ensuite d’une chemise.
Dans les années 30, l’industrie change. Hawaï passe progressivement d’une industrie agricole à une économie de services, nous sommes à l’aube du tourisme de masse.
L’histoire a montré à maintes reprises que les vêtements sont d’abord créés pour répondre à une fonction, avant d’en être détournés à l’image du jeans. La Palaka ne fait pas exception et sort alors du vestiaire purement workwear pour être portée en toutes occasions par la jeunesse.
En conséquence, l’industrie s’adapte et commence à utiliser des tissus plus légers, à raccourcir les manches et utiliser des teintes plus colorées. Elle partagera son existence avec la chemise hawaïenne, jusqu’à s’effacer dans les années 60. Aujourd’hui, la Palaka est devenue plus confidentielle.
Naissance d’une chemise
L’origine exacte de la « aloha shirt » reste un sujet de débat. On en trouve les premières traces dès 1920, avec des productions anecdotiques portées par des étudiants de l’université de Hawaï.
Elle est dès le début un vêtement décontracté, moins longue que les chemises habituelles et portée en dehors du pantalon, chose peu commune alors. En effet, les étudiants se sont inspirés de l’usage du Tagalog Barong, vêtement traditionnel importé par les immigrés philippins.
Dans les années 30, les migrants japonais représentent plus de 40% de la population hawaïenne. A cette époque, il est encore dans les habitudes de faire confectionner ses chemises chez un tailleur.
Ces tailleurs étaient souvent des Japonais et des Chinois ayant quitté les rudes conditions de travail des champs pour ouvrir leur propre commerce. Les tissus japonais, en particulier celui des Yukatas, sont alors détournés spontanément de leurs usages d’origine pour la confection de chemises légères et colorées. C’est la naissance de la chemise hawaïenne.
Si à la même période, plusieurs tailleurs commencent à créer leur propre interprétation de la chemise hawaïenne et à en revendiquer la paternité, l’histoire retient souvent Ellery Chun.
Chun est diplômé de l'Université de Yale avant de reprendre la boutique de son père, King-Smith Clothiers. Chun utilise la chemise pour promouvoir un style local en direction des touristes et pour jouer sur leur désir de ramener un bout de vacances chez eux. Et si la paternité de la chemise hawaïenne est source de polémiques , c’est lui qui déposera en 1937 le nom « aloha shirt ». Aloha est un mot signifiant à la fois bonjour et au revoir. Il est également apparenté à l’esprit « aloha », une forme de considération pour autrui qui s’articule autour du respect et de l’amour de l’autre.
Les imprimés évoluent et font de plus en plus référence à Hawaï même. Les motifs japonais, chrysanthèmes, Mont Fuji et libellules s’estompent pour laisser place aux paysages hawaïens avec le mont Mauna Kea, la plage et les cocotiers. Les chemises qui deviennent des cartes postales ambulantes, offrent une vision édulcorée d’Hawaï.
Les premiers dessins, en effet, sont créés par des artistes japonais n'ayant jamais mis les pieds à Hawaï. Pour créer leurs imprimés, ils utilisent alors tous les documents à leur disposition pour imaginer la vie sur place : photos, publicités, articles de magazines…
Ce n'est qu'au milieu des année 1930 que le magasin East India de Watumull a ouvert la voie en demandant à l'artiste Elsie Das des motifs floraux reflétant des paradis tropicaux et laissant présager le début des imprimés actuels.
L’industrie continue de se développer. C’est le début de l’aviation de tourisme qui permet, depuis la côte ouest des Etats-Unis, de passer d’un voyage de six jours en bateau à un vol de 18h.
Il y a alors plus de 275 tailleurs à Honolulu. C’est dans le même temps que se développe la culture du prêt-à-porter. Dès 1936, deux marques sont capables de produire des séries en grande quantité avec leurs propres imprimés. Dont Kamehameha, pionnier dans les chemises en soie, qui exporte et fait de la vente en gros.
Dans les années 40, plus de 450 personnes sont employées dans la conception de chemises Aloha et environ 600.000 dollars de vêtements sont exportés dans le reste du monde chaque année.
Tout va pour le mieux, du moins jusqu’au 7 décembre 1941, jour où l’attaque surprise des japonais à Pearl Harbor entraînera l’entrée en guerre des États-Unis. D’un coup, c’est toute l’économie du tourisme qui s’arrête pour laisser place à l’arrivée des soldats prêts à partir au combat dans les îles du Pacifique.
Si la situation est difficile, la demande existe encore, que ce soit auprès des locaux mais aussi des GI's qui visitent l’île à la recherche de souvenirs, en somme, de trophées à rapporter.
Après la guerre et le retour des soldats au pays, l’intérêt pour la petite chemise légère continue de croître au-delà des océans, au point de pouvoir retrouver les premières boutiques dédiées en Californie et les premières chemises inspirées mais fabriquées en dehors de l’île. Et avant de parler de toutes les célébrités qui la populariseront, je dois vous parler du sport national, le surf.
Bien avant d’être le sport le plus "Instagramable" qui soit et bien avant l’arrivée des planches connectées, le surf était déjà une pratique courante sur les îles. Loin de l’image sportive d’aujourd’hui, qui serait totalement anachronique, le surf s’intégrait pleinement dans la tradition hawaïenne en tant que pratique sociale.
Celle-ci se perd progressivement avec l’arrivée des occidentaux, les missionnaires considérant le surf comme un acte de dépravation.
Il ne reviendra sur le devant de la scène qu’au 20ème siècle. Un jeune homme va ainsi redonner toute sa place au surf et avec lui, médiatiser la chemise hawaïenne. C’est Duke Paoa Kahanamoku, alias Duke.
Champion olympique au 100m nage libre à deux reprises, considéré comme l’un des pères du surf contemporain, il en généralise la pratique, entre deux compétitions, sur les côtes américaines et australiennes.
En 1937, il signe avec George Brangier co-créateur de Branfleet un contrat de cinq ans pour utiliser son nom de champion et dont les chemises portent l’inscription suivante : “conçue par Duke Kahanamoku, nageur champion du monde et fabriqué dans les îles hawaïennes”.
Après ce contrat, c’est avec la marque Cisco, diffusée en Californie et à New-York, que l’aventure de Duke continue, 12 ans de suite. Il utilise sa notoriété pour faire directement la promotion de la chemise sur le continent américain. C’est un véritable succès, avec environ 150 boutiques qui vendent la ligne “The Duke” en Californie.
Il est de nouveau associé en 1961 avec Kahala pour produire des chemises signées de son nom “Duke Kahanamoku” qui sera sa ligne la plus connue.
Il décède en 1968 et laissera derrière lui un héritage sans pareil à la culture surf. Une statue en bronze à Honolulu atteste encore aujourd’hui de sa notoriété.
Si Duke est un peu le David Beckham du co-branding avant l’heure, d’autres ont bien sûr participé à la notoriété de la chemise, en particulier sur le grand écran.
Le cinéma hollywoodien a ainsi grandement participé à bâtir la légende.
Par exemple, “From here to eternity” , est le premier film à montrer au (très) grand public les chemises hawaïennes, en noir et blanc. La majorité des chemises du film sont issues de la gamme Kahanamoku de Cisco.
Dans cette même période plusieurs films associent Hawaï à sa chemise. “Naked in Paradise” de Richard Denning, “On an Island with you” de Richard Thorpet ou encore “Hawaï Call” de Edward Cline.
L’exemple le plus emblématique est “Blue Hawaï". Connu pour la présence de Elvis Presley comme acteur principal, le film est une successions de clichés de cartes postales, la meilleure incarnation cinématographique de l’Aloha Shirt, d’une vision idéalisée d’Hawaï.
Plus proche de nous, citons l’emblématique série Magnum qui raconte les aventures d’un vétéran de la guerre du Vietnam, devenu détective privé, arpentant les paysages paradisiaques de l'archipel au volant de sa Ferrari, accompagné de sa légendaire moustache et bien sûr de ses chemises !
Bien loin des partenariats officiels, c’est seulement après le début du succès de la série que Pacific Clothing a commencé à fournir les chemises pour Tom Selleck. Dans un premier temps, les chemises avaient été achetées sans en informer la marque. Par la suite, la production achètera directement le tissu afin de les faire sur-mesure.
A contrario, dans le film "Once upon a time…in Hollywood" de Quentin Tarantino, rien n’a été laissé au hasard. Dans ce thriller, Brad Pitt incarne Cliff Booth, cascadeur et doubleur d'un acteur has-been, un magnifique loser dont on retiendra la superbe chemise hawaïenne .
C’est à Arianne Phillips, costumière du film que l’on doit le choix de la chemise hawaïenne. La grande majorité des tenues ont été créées pour l’occasion à partir d’archives réelles, afin d’avoir une parfaite maîtrise du message vestimentaire, maîtrise récompensée par un Oscar des meilleurs costumes.
Aujourd’hui la chemise hawaïenne continue d’influencer nos habitudes vestimentaires et parfois de manière beaucoup plus subtile que vous ne l’imaginez.
Par exemple, c’est à Hawaï que le casual friday est né. A l’origine, les locaux s’habillaient très formellement. Et personne n’avait la climatisation pour aider à supporter même la plus légère des vestes. Si les tenues étaient déjà beaucoup moins formelles que sur le continent, vous pouvez remercier le "Hawaï fashion guide" qui promeut l’usage de la chemise hawaïenne le vendredi.
Et c’est avec les influences du surf sur les côtes californiennes que la tendance se développe, avant de transformer ce jour en casual day.
Si les chemises multicolores restent l’apanage des touristes et sont perçues par les habitants de l’île avec le même regard que ceux portant une marinière “I love Paris” chez nous, les chemises hawaïennes dites formelles sont autorisées dans la sphère professionnelle. Et vous pouvez même, dans certains tribunaux, être avocat et plaider avec votre plus bel imprimé. Sobre bien évidemment.
Le retour en grâce
Depuis quelques années déjà, après être tombée en désuétude, elle est revenue, comme si de rien n’était, pour remplacer la tendance liberty avec ses imprimés plus généreux. Aujourd’hui au sommet de sa gloire, vous la trouverez partout, dans toutes les collections. Regardons ensemble comment reconnaître les codes de la chemise hawaïenne.
1. Le tissu
S’il existe des exceptions contemporaines, l’industrie s’est articulée autour de deux textiles : le coton mais aussi très souvent la viscose produite à partir de cellulose, une alternative à la soie apparue pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle est respirante et parfaitement adaptée aux hautes températures.
Il existe des variantes en crêpe qui permettent d’avoir un toucher ondulé qu’on retrouve fréquemment sur les tissus de kimonos. L’armée ayant rationné la production de soie pour les parachutes, elle permettait de manière économique de retrouver un aspect soyeux et de se rapprocher du même tombé.
Encore aujourd’hui, l’usage de soie a perduré mais elle demeure un marché de niche. Enfin, le polyester est plutôt à déconseiller pour plus de confort.
2. Le col
On trouve fréquemment des cols fins et des cols cubains sur les chemises hawaïennes. C’est le second qui nous intéresse le plus. En effet, le col évasé a l’avantage de minimiser le contact avec la peau et donc d’être plus confortable en période de forte chaleur.
Les modèles anciens ont souvent des cols beaucoup plus généreux. Aujourd’hui, beaucoup trouveront bien plus simple de porter les modèles plus récents, avec un col plus étroit. Il est aussi possible de trouver une boucle pour fermer le haut du cou mais elle est purement décorative.
3. La poche
Une des signatures de la chemise hawaïenne est la présence d’une poche poitrine. Pour des raisons esthétiques, la grande majorité des chemises ont une poche ton sur ton pour ne pas interrompre l’imprimé. Si c’est un détail souvent perçu comme un gage de qualité, on trouve parfois des poches non alignées dans des marques vintage respectables.
4. Les boutons
S’il est courant maintenant d’en trouver en plastique, les plus prisés sont souvent en coco. Autrefois, la fabrication de boutons en coco était un passe-temps, bien avant l’arrivée de la chemise hawaïenne. C'est un souvenir à part entière puisqu'ils sont produits sur l'île même. Avec une noix de coco, il est possible de réaliser environ 20 boutons.
C’était une des rares matières premières qui ne nécessitait pas d’import. Les productions se sont développées rapidement avant l’arrivée, à partir des années 50, d’une concurrence étrangère et l’utilisation du bambou issu du Japon, beaucoup moins cher. Le bambou est encore beaucoup utilisé aujourd’hui.
En pratique, on trouve d’autre matériaux plus exotiques comme par exemple le métal, mis en avant par Alfred Shaheen ou encore des boutons nacrés.
Il n’est pas rare de trouver moins de boutons que sur une chemise plus ordinaire .
5. Les imprimés
Élément central de la chemise, les motifs ont évolué au fil des époques.
Les impressions intégrales
Ce sont les plus classiques, sans emplacement du motif spécifique. L’imprimé couvre uniformément la chemise.
Il existe une variante avec des imprimés unidimensionnels afin de rendre l’imprimé plus lisible et esthétique.
Les impressions avec un emplacement dédié
C’est une méthode mise au point dans les années 40. Ce sont des motifs que l’on vient placer à un endroit particulier sur la chemise. Souvent pour jouer sur une symétrie ou un imprimé qui joue sur les bords de la chemise
Dans ces cas on trouve aussi des chemises avec des impressions bordure. Ce sont des chemises où l’imprimé s’arrête sur les extrémités des manches et parfois du bas de chemise.
Les impressions inversées
Ce sont les plus populaires à Hawaï. C’est un procédé imaginé par Reyn Spooner, qui consiste à utiliser l’envers de l’imprimé pour avoir un rendu délavé et ainsi avoir des couleurs moins criardes. Elle reste la plus utilisée dans les milieux professionnels et s’inscrit parfaitement dans la logique de l’Aloha "formelle".
Néanmoins, j’insiste sur le fait que tous les locaux ne la portent pas, de même que nous ne portons pas tous une marinière avec un petit béret pour acheter notre baguette, tous les matins.
6. Les styles d’imprimé.
Ils sont évidemment très nombreux mais voici une sélection des plus courants.
Le Pareau
Peut-être le plus emblématique, il fut popularisé par Alfred Shaheen avec le motif « Tapa Tiaré » issu d’un modèle haïtien.
Tapa ou Paka
Lié à l’histoire des natif hawaïens et des étoffes traditionnelles. Beaucoup de marques ont utilisé des imprimés issus des Samoa en les présentant, à tort, comme typiques de la culture locale. Aujourd’hui certaines marques réhabilitent spécifiquement l’histoire de l’imprimé kapa. Le kapa désigne uniquement les étoffes hawaïennes.
Style oriental
Issu de la culture des kimonos, on trouve, encore aujourd’hui, à la fois des tissus détournés mais aussi des imprimés inspirés de la culture nippone, tels que des estampes japonaises qui laissent souvent la place au mont Fuji, au temple, ainsi qu’à la faune et à la flore japonaise, comme les tigres et les chrysanthèmes.
Scénique
Ce sont des représentations idéalisées d’Hawaï. On y retrouve sans surprise les îles, la plage ou encore le mont Black Diamond, mais aussi les éléments propres à l’univers des vacances, qu’il s’agisse de paquebots, de transats, ou encore des premiers hydravions, symboles du début du tourisme de masse.
Enfin, des images de la vie avant l’arrivée des Européens y sont fréquemment représentées avec les pirogues bi-coques, les scènes de pêche, les maisons traditionnelles… Ainsi qu’une certaine sexualisation de « l’exotisme » avec la vahiné hawaïenne dansant en tenue traditionnelle. Sur ce dernier point, étant pour ma part sensible à la question des représentations de la femme, je suis plus réservé pour porter ce type de motif.
Quoi qu’il en soit, si les scènes sont souvent des répétitions de motifs, on retrouve parfois de véritables tableaux montrant un instant de vie, une histoire.
La qualité d’une chemise hawaïenne va essentiellement dépendre de la qualité de l’imprimé. Pour étayer ce propos, voici un exemple avec deux modèles représentant la chemise emblématique portée par Leonard DiCaprio dans Romeo+Juliette .
D’un côté ASOS, de l’autre Senshi
La différence saute aux yeux.
La chemise ASOS, pour des raisons évidentes de coût, ne propose qu’un nombre de détails très limité, elle n’est que l’ombre de l’originale.
Tout un monde avec la Senshi qui a fait l’objet des meilleures techniques d’impression. Les détails sont riches, l’imprimé bien plus complexe et les couleurs beaucoup plus profondes.
Dans l'intervalle, la version Farafield ci-dessous est aussi intéressante, avec pour mérite d'offrir une proposition atypique sur le marché.
Comment la choisir
Si vous êtes encore ici, c’est peut-être que je vous ai convaincu que non seulement l’histoire de la chemise hawaïenne est passionnante, mais que vous aussi vous avez une terrible envie d’en porter une. Je vous comprends. Vous êtes peut-être, comme moi, à l’aube du nouvelle addiction.
Sur le marché du vintage, plusieurs aspects vont déterminer la valeur d’une chemise.
Néanmoins, la tâche n’est pas si facile qu’il y paraît. De manière générale, si on en trouve par millions dans les friperies, quantité sont de mauvaise qualité, en polyester, avec des imprimés sans intérêt.
Il faut donc faire un gros tri.
- Le graal est ce qu’on appelle du « dead stock », c’est-à-dire des chemises jamais portées.
- L’imprimé va avoir une place particulière. Les imprimés les plus recherchés sont en général ceux qui ont été médiatisés (films, séries…). Mais certaines, plus pointues, intéressent les connaisseurs pour l’histoire qu’elles véhiculent .
- Les tailles L et XL sont la plus demandées. Sachant que pour les plus anciennes, les vintage, taillent en moyenne une taille de moins que les actuelles.
La difficulté, c’est que beaucoup de propriétaires de chemises anciennes ne réalisent ni la valeur réelle, ni la fragilité du tissu. De nombreuses chemises n’ont pas résisté au temps et il n’est donc pas aisé d’en trouver en bon état.
Où les acheter ?
Vous en trouverez dans toutes les friperies, notamment Kiliwatch et Épisode pour les Parisiens.
Si vous désirez une (petite) sélection vous pouvez également en trouver à la Boutique Le vif et Brut Clothing .
Sur internet, c’est une autre histoire. On y trouve de bonnes références mais les prix peuvent s’envoler.
Malgré tout, voici quelques pistes :
- Broadway&Sons. La friperie suédoise propose une petite sélection intéressante.
- Sur Etsy, vous avez aussi quelques revendeurs intéressants. La méthode la plus simple est de rechercher des marques vintage : celle-ci permettront de trouver les boutiques proposant une sélection plus pointue. Vous pouvez bien évidemment chercher en tapant « Aloha shirt » mais le marché est saturé de chemise cheap, ce qui nécessitera de faire le tri.
- Enfin, il existe LE site de référence, Hanashirt Co, dédié à la vente de chemises Aloha vintage. Comme d’habitude dans les boutiques vintage où une grande place est accordée à la curation, vous trouverez les plus belles chemises au prix fort. En contrepartie, la sélection est de très bonne qualité et le site propose un tri par périodes.
Enfin, si vous avez la chance d'être sur place, l’idéal est d’aller faire un tour chez le pape de la fripe hawaïenne : David Bailey's. Après avoir lancé son petit business dans les années 80, il a aujourd’hui plus de 15 000 références, de la petite chemise à 10 dollars à la chemise vendue plusieurs milliers d’euros.
Le seul e-shop français : Couleur tropique.
C’est l’histoire d’un projet né en 2007. Après avoir constaté la difficulté de trouver des produits de qualité en France, Valérie Vincent décide de créer un site dédié à la vente de chemises authentiques.
La sélection est limitée et principalement florale, compréhensible, compte tenu de la demande. Néanmoins, des petites perles existent. Vous trouverez ainsi une sélection des emblématiques Paradise Found ainsi que quelques pièces Two Palms.
C’est l’occasion d’avoir une chemise made in Hawaï sans les risques inhérents à l’import. A noter, sur leur site : un petit comparatif intéressant entre la chemise originale et sa copie.
Ma sélection de marques
J'ai hésité à faire une liste exhaustive, mais à la place j'ai préféré faire une sélection plus personnelle, plus lisible pour vous inviter à en découvrir plus par vous-mêmes.
Percival Clothing. Souvent citée sur BonneGueule, force est de constater que la marque britannique jouit d’un excellent rapport qualité/prix. Elle a édité cette année des chemises hawaïennes sophistiquées, dont la composition est intéressante, de bonne qualité et avec des boutons en coco : un excellent rapport qualité/prix. Nous avions consacré un article à l'une d'elles ici.
Gitman Vintage. Cette marque propose de temps à autre des chemises intéressantes et de qualité. Il y a d’ailleurs un bon plan sur Yoox avec un imprimé clairement copié d’un modèle de Cisco Champion des années 40.
Paradise Found. Créée en 1978, elle est à ses débuts une petite marque comme il en existe beaucoup. C’est seulement avec la série Magnum qu’elle devient l’une des plus populaires. Ses chemises sont de qualité. C’est aussi une des seules marques que l’on peut facilement acheter en France. Attention, elles taillent grand.
Two Palms. Une « jeune » marque qui produit des chemises depuis seulement 20 ans. C’est l’une de mes marques préférées, avec des imprimés faciles à porter au quotidien.
Avanti. Depuis 1991, elle propose des reproductions de chemises des années 30 aux années 50. Attention, donc, à la générosité des cols de l’époque, qui les rendent plus difficiles à porter. Les prix sont très accessibles, en particulier les chemises soldées.
Attendez-vous néanmoins à une confection de qualité moyenne et à l’absence du précieux « made in Hawaï ». En contrepartie, c’est l’opportunité d’avoir des imprimés souvent inaccessibles dans cette gamme de prix.
Sun Surf. Marque japonaise unique, spécialisée dans la reproduction de chemises hawaïennes depuis plus de 40 ans. Ici, la reproduction est érigée au rang d’art. Les couleurs sont fidèlement reproduites, et le détail va jusqu’au choix des boutons et à la reproduction de l’étiquette. Les prix sont à la hauteur de cet impressionnant souci du détail. C’est aussi une des rares marques à proposer une gamme workwear en Palaka.
Pagong Kyoto. A l’origine une entreprise de teinture pour kimonos fondée en 1919. Alors que la demande baisse pour laisser place aux vêtements occidentaux, Kazuaki Kameda va, à partir de 2002, utiliser tout son savoir-faire traditionnel pour créer des chemises uniques en leur genre. En 2006, c’est la consécration : elle est considérée comme étant l’une des 100 entreprises emblématiques de l’industrie japonaise par le ministère de l’Economie du Japon.
Alfred Shaheen, 60 ans de chemises hawaïennes
Je me dois de lui dédier une place à part, tant il est considéré comme l’un des plus grands de l’industrie. En 1948, Alfred Shaheen crée son entreprise en internalisant non seulement la production mais aussi le processus créatif, grâce à une équipe qui crée et sélectionne les meilleurs motifs.
Ses créations sont inspirées d’Hawaï et du Pacifique Sud, ainsi que de l’Asie. Son vœu le plus cher est que chaque imprimé soit lié à une histoire et puisse traverser les années. Son imprimé le plus connu reste le Antic Tapa, porté par Elvis Presley dans une variante intitulé Tapa Tiaré.
Il est connu pour avoir aussi innové dans le domaine du textile avec des imprimés capables de supporter les conditions difficiles de l’eau salée et du chlore. Ses créations ont été présentées dans les plus grand magazines de mode comme Vogue et ont été vendues dans le monde entier. Plusieurs expositions lui ont été dédiées. Et si la marque n’existe plus depuis 1988, date de sa retraite, il fut unanimement considéré, à sa mort, en 2008, comme celui qui aura donné ses lettres de noblesse à la chemise hawaïenne.
Aujourd’hui ses chemises sont parmi celles les plus recherchées. Sa fille Camille Shaheen entretient à présent la mémoire de son père et s’efforce d’archiver l’ensemble du patrimoine légué par ce dernier, avant qu’il ne disparaisse définitivement.
Sources
Si vous désirez en savoir plus voici trois livres dont je recommande la lecture.
Japanese Immigrant Clothing in Hawaii, 1885-1941 de Barbara F. Kawakami
Immigrée japonaise à Hawaï avec sa famille à l'âge de trois mois. Apres une carrière de couturière À 53 ans, Barbara Kawakami entre à l'université en design de mode. Elle a réalisé un très grand travail sur les tenues traditionnelles des premières générations de Japonais à Hawaii.
The Aloha Shirt: Spirit of the Islands de Dale Hope
Dale Hope a passé sa vie dans l'industrie du vêtement à Hawaï où il a notamment occupé le poste de directeur créatif du légendaire label Kahala. Il a également travaillé avec Patagonia sur le label Pataloha et travaille aujourd’hui notamment sur le projet de western aloha. Il est considéré comme l’auteur du livre de référence.
Aloha Attire: Hawaiian Dress in the Twentieth Century de Linda Arthur
Professeure à l’université de Washington et conservatrice au département design et textiles. Elle est la référence universitaire sur les questions des chemises hawaïennes.