Quand Antoine, lecteur comme vous, nous a montré comment il a rapiécié son jean et nous a proposé d'en faire un article, nous avons forcément dit oui. N'hésitez à nous faire partager vos propres travaux. Christophe.
Avez-vous dans votre armoire une relique ? Un vieux jean complètement défoncé, que vous ne portez plus pour cause de déchirure aux genoux, mais dont la coupe et la patine suffisent à vous redonner le sourire. Comme un vieux copain que vous n'osez plus sortir mais que vous n'allez pas jeter.
Je vous propose de vous amuser un peu en lui donnant une seconde vie , en vous inspirant des techniques japonaises du boro et du sashiko.
Quelques secondes d'histoire...
Je ne suis aucunement un expert en la matière, aussi mes définitions sont très brèves. Dans le Japon rural jusqu'au début du XX° siècle, le coton était rare. Aussi, les femmes rapiéçaient ou renforçaient régulièrement les vêtements abîmés.
Le boro, c'est la technique de rapiéçage, que l'on peut comparer à du patchwork.
Le sashiko, c'est une technique de broderie qui peut être utilisée pour simplement embellir les pièces mais aussi pour les réparer ou les renforcer.
L'intérêt esthétique est qu'un patchwork de pièces en coton teintes à l'indigo cousues ensemble avec des fils plus ou moins blancs va dégager une harmonie de couleurs évidente. Il est très facile à assortir avec d'autres pièces basiques, denim, chambray, tee-shirt et sneakers blanches ou écru.
On évite donc l'effet clown qui va souvent avec le patchwork, tout en ajoutant une grosse personnalité à une pièce. D'où l'intérêt de certains créateurs pour ces techniques, avec des produits assez inaccessibles chez Visvim, ou un concept décliné sur d'autres gammes de couleurs chez Maharishi.
Pour le plaisir des yeux, je vous recommande les thématiques « r/Sashiko » et « r/VisibleMending » sur Reddit.
… et quelques heures de travail
Voici une idée de ce qu'un parfait novice (votre serviteur) peut obtenir avec quelques heures de travail, moyennant la possession d'un jean bien usé et quelques euros de matériel.
Le résultat est imparfait, marqué par mes propres erreurs et expérimentations, mais j'ai plaisir à porter à nouveau ce jean, mon premier brut, acheté en 2013 juste après la lecture du livre BonneGueule, et patiné dans les règles de l'art. Et puis, j'avoue que j'ai trouvé ce temps de réparation particulièrement plaisant.
Comment s'y mettre ?
1. Au niveau matériel, vous avez besoin :
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Une aiguille à broder, donc une aiguille assez grosse et longue, avec un châs (le trou de l'aiguille) important car le fil est gros.
Certaines aiguilles sont super pointues, d'autres arrondies, j'ai essayé les deux, l'arrondie est plus difficile à piquer mais vous blessera moins les doigts. -
De fil à broder blanc, ou mieux, écru. Un coton mouliné va très bien.
Pour le coup j'ai testé deux fils différents avec des prix allant du simple au double, et je vous recommande de prendre le meilleur fil possible . La différence se voit vraiment, et une échevette de fil vaut à peu près deux euros donc ne radinez pas ici. Une échevette suffit pour une pièce ou deux. - De fil basique avec une aiguille fine pour faufiler.
- De pièces de tissu teint à l'indigo, si possible pas trop épais. Vous allez galérer si vous réparez une grosse toile selvedge avec une toile de la même épaisseur. Un chambray ou sergé fin suffira bien. Demandez en boutique ils ont parfois des petites pièces vendues à vil prix .
- D'épingles de couturier.
- D'une craie de tailleur si vous voulez des motifs bien réguliers
- De ciseaux crantés si vous en avez, pour éviter que les bords ne s'effilochent.
- Un dé à coudre
Bref, vous devriez vous en sortir pour moins de dix euros. Ou découvrir des ressources cachées dans la boîte à couture. Et de quoi occuper vos longues soirées d'hiver de confinement.
Tout est dans la préparation. Ça, c'est une leçon importante en couture. Une bonne préparation vous évite bien des galères. Elle commence par un peu de réflexion sur votre projet .
Voulez-vous voir les pièces rapportées apparentes devant le denim ou cachées (on ne verra donc que les coutures, sauf au niveau de la déchirure) ? Vous pouvez essayer différentes compositions et superpositions pour vos pièces, en sachant une chose : si votre jean s'est déchiré à un endroit, la toile est probablement affaiblie sur toute la zone. Donc réparez large.
J'avais commencé mon boulot sur mon jean par une réparation sur un genou. Après une heure de boulot, j'ai remis mon jean, me suis assis... et la toile a craqué à trois centimètres au dessus de la réparation. Sur le deuxième genou j'ai donc vu très large dès le début.
Vous allez aussi choisir le motif de broderie, le plus simple étant un motif en croix. Avec vos ciseaux, découpez votre (ou vos) empiècement(s) au bon format. Si vous voulez marquer des repères pour un motif bien droit, faites un quadrillage de 5mm sur la pièce avec votre craie de tailleur.
Sur le jean, coupez net tous les fils qui pendouillent dans et autour de la déchirure. Puis repassez votre jean avec la pièce rapportée, ce qui facilite la mise en place. Si vous placez la pièce derrière le denim, retournez le pantalon. Sinon, laissez-le à l'endroit.
Vous pouvez poser votre pièce, en la maintenant d'abord avec des épingles. Commencez par la maintenir autour de la déchirure, ça évitera de faire « poche ». Une dizaine d'épingles devrait suffire, attention à ne pas piquer l'arrière de la jambe. Vérifiez que le résultat vous convient et reste aussi plat que possible.
Pour vous simplifier la vie et préserver vos doigts, vous allez remplacer ces épingles par un faufil. Il suffit de prendre votre fil polyester et de faire le tour de la pièce et celui du trou avec un point avant bien large. Le but du faufil est juste de maintenir la pièce en place, vous l'enlèverez à la fin.
Quand le résultat vous convient, vous pouvez commencer à broder.
2. C'est parti pour la broderie
La broderie décorative sashiko se fait habituellement dans un tissu fin, en poussant le fil sur l'aiguille. On réalise plusieurs points d'affilée.
Dans notre cas avec une toile de jean et un fil épais, c'est beaucoup plus difficile, aussi je vous recommande de ne faire qu'un point à la fois. Essayez d'être aussi régulier que possible.
Commencez avec une longueur de fil entre 1 mètre et 1 mètre 50. Passez votre fil dans le chas de l'aiguille en laissant ressortir 5 centimètres. Pour bloquer le fil au départ, vous allez commencer votre première ligne en allant vers l'arrière sur trois points (1,2,3 ci-dessous), puis vous revenez vers l'avant. Commencez par une ligne du milieu, suivez le tracé à la craie et c'est parti.
En cas d'erreur, restez calme : vous pouvez toujours revenir en arrière, en dégageant l'aiguille et retirant la partie de fil mal placée.
Avancez régulièrement, tant que vos points sont droits, alignés et régulièrement espacés, tout ira bien. Même si vos points peuvent avoir des longueurs différentes, c'est l'ordre de l'ensemble qui fera la beauté du travail, et non la perfection de chaque élément. Une philosophie toute japonaise, pas vrai ?
Vous vous en rendrez d'ailleurs compte au moment vous allez voir qu'à un moment quelque chose se passe : vos points, même irréguliers, font apparaître une trame, et c'est très gratifiant.
3. Les motifs
Il existe de nombreux motifs dans la tradition japonaise, souvent géométriques, parfois complexes.
Personnellement je trouve le motif en croix déjà très plaisant, commencez par là pour vous faire la main avant de vous attaquer à plus difficile.
Vous pouvez aussi alterner avec un fil bleu sur une horizontale sur deux si vous êtes taquin.
La délicate fleur de kaki
De mon côté, j'ai voulu faire le malin avec un motif « fleur de kaki » et je me suis un peu perdu dans mes comptes... d'où un motif incomplet sur ma jambe droite.
Voilà ce que çà aurait du donner en réalité.
Comme j'aime bien comprendre de mes erreurs j'ai disséqué ce fameux motif, voici un schéma récapitulatif avec en blanc les lignes qui s'alternent, en rouge celles qui se répètent. On a donc trois lignes alternées (en blanc) puis deux identiques (en rouge) et on recommence.
Le triple effet sashiko
Ce type de réparation visible va donner énormément de caractère à votre jean et en faire une pièce unique, que vous aurez plaisir à porter parce que vous l'aurez fait vous-même, prolongeant ainsi cette relation toute particulière que vous avez tissée au fil du temps et de la patine.
C'est évidemment une démarche vertueuse au niveau écologique et économique, mais aussi un apprentissage pour vous. Un savoir gagné qui interroge sur la nécessité de remplacer... et qui souligne votre propre potentiel pour réparer et redonner vie.
Enfin, et ça, vous ne le découvrirez qu'en le faisant : le sashiko est une activité qui prend du temps, et qui apporte un état de détente assez étonnant. Comme d'autres arts traditionnels japonais, il induit une forme de méditation active très agréable.
Vous aurez peut-être envie d'aller encore plus loin et d'ajouter pour le plaisir des pièces à vos vêtements, comme Max_vdau, qui a été une source de motivation pour mon modeste travail :
J'espère avoir allumé une flamme chez vous, et vous avoir donné envie, à partir d'un de vos vieux vêtements, de créer, de vous exprimer et surtout de vous amuser !