« Salut Romain,
On reçoit pas mal de mails à ce sujet : est-ce que tu pourrais nous faire un article pour définir ce qu’est la hype ? »
Évidemment, j’accepte. Même que ça va être super facile : on a tous une petite idée de ce qu’est la hype finalement ! Mais une « petite idée », est-ce suffisant ? Assurément, non. C’est la conclusion à laquelle j’en suis venu en commençant la rédaction de cet article, bien plus complexe qu’il n’y paraissait.
La hype fait partie de ces mots que l’on voit beaucoup, mais que l’on peine à définir avec la clarté d’un Larousse, en alignant quelques adjectifs éloquents. Me voilà donc parti pour une "tempête de cerveau" en solo afin de mettre en ordre tout ce qui s'y rapporte de près ou de loin.
Peu à peu, il m’apparaît clairement que la « hype » nous est familière. Enfants, avez-vous déjà porté des chaussures qui s’allument quand vous marchez ? J’ai eu l’honneur d’en être et de me balader dans la cour de récré, prêt à dégainer la boîte à BN rouge au premier signe de goûter général, avec aux pieds cette chose encore inconnue à l’époque.
Grâce à cela, j’ai été – en toute humilité - hype quelques jours, soit le temps qu’il aura fallu aux piles pour tomber dramatiquement à plat et, surtout, à d’autres pour s’enticher du même sésame.
Bien sûr, je n’avais aucun mérite : ces souliers mirifiques étaient portés par un « camarade » de mon club de ping-pong – dernier endroit au monde où l’on s’attend à trouver quoique ce soit de hype - qui ne fréquentait pas la même école que moi. En bref, de quoi passer pour un précurseur au même titre qu’un usurpateur, quoique ce dernier élément ne soit connu que de moi à l’époque, et heureusement.
L'objectif de cette digression : mettre en lumière - haha - la connivence entre hype et avant-gardisme. Sans plus attendre, je vous propose donc de partir sur une première tentative de définition du terme, qui nous permettra de voir un peu comment la hype « naît » et se diffuse. Puis, un cas concret avec l’exemple de la marque VETEMENTS.
Qu’est-ce que la hype ?
Un concept éphémère
Tout d’abord, la hype ne doit pas être confondue avec le « swag ». Si l’on veut faire très simple, on pourrait dire que ce dernier se rapproche du sens de "avoir du style". La hype est, elle, quelque chose de moins palpable, de plus flou.
En fait, désigner quelque chose comme étant hype revient à le qualifier de « branché », « dans le coup » ou même « dans le vent ». Ces termes vous apparaissent complètement has been ? Normal, c’est le cas 😉 . Ils permettent de montrer que la notion de hype a foncièrement toujours existé, quoiqu’elle ait pu avoir des noms et surtout des formes différentes selon les époques. Ce qui est hype aujourd’hui ne naît pas, ni n’est véhiculé, comme cela pouvait être le cas au début des années 2000.
Comment naît la hype ?
Au sens littéral, le mot "hype", d’origine anglo-saxonne, fait référence au racolage, au « battage ». Par extension, cela nous amène directement à la définition première du mot "hype" en matière de mode : le tapage médiatique.
Une marque ou un style hype est avant tout quelque chose qui a fait l’objet d’une attention particulière de certains médias, à un moment ou à un autre. Articles, éditos illustrés, photos de tapis rouge : la hype provient d’une diffusion massive sur tout type de support.
On notera cependant que tapage médiatique ne signifie pas consensus. Ce serait même plutôt le contraire : le rejet - du moins une certaine marginalité - est quasi inhérent à la naissance du phénomène hype, ce qui nous amène à le rapprocher de la notion d’avant-garde. On peut prendre l’exemple de Margiela, très critiqué à ses débuts pour sa mode déconstruite et iconoclaste, puis qui a commencé à être porté par des icônes de cette génération, finissant même par remporter l’adhésion de la presse.
J’insiste sur le fait que rien n’est absolu ici, l’objectif étant de prendre quelques exemples pour illustrer au mieux le propos. Pour résumer, la hype est une mode, une marque, un style cool dont tout le monde parle, mais qui ne plaît pas forcément – loin de là.
Voyons justement comment se crée le buzz.
Comment la hype se diffuse-t-elle ?
Il est essentiel, ce « buzz » : la hype est un phénomène qui apparaît de façon assez soudaine et a donc un rapport important à la nouveauté. Au-delà du coup de projecteur porté à l’occasion d’un défilé ou d’une présentation, le rôle des médias et des réseaux sociaux est essentiel. Même si la frontière entre les deux s’amincit.
Une photo sur Instagram, une vidéo de défilé sur Snapchat, postées par des « influenceurs » est un des vecteurs idéaux pour créer ce buzz, cette hystérie.
On peut par exemple penser à Bryanboy, pseudo trendsetter, qui ne porte que ce qui se fait de plus hype à un instant T. Cela ne donne pas forcément envie d’acheter, mais attire l’attention et va même jusqu’à générer des expressions assez violentes de rejet ou d’adhésion.
Diffusion et démocratisation : quand la hype devient tendance
Puisque la hype est une forme aigüe de mode mais qui supporte mal le consensus, elle va s’éteindre à partir du moment où elle commence à devenir populaire. La marginalité, la différence, l’incompréhension laissent place à l’adhésion, c’est alors la fin de l’originalité.
Un exemple tout bête concernant cette phase : le courant hipster. Au début, ils étaient assez peu à porter des tricots à flocons de neige et des moustaches bien fournies. Raillés, admirés, en tout cas identifiables, les hipsters et leur passion pour le vintage ostentatoire ont fini par emballer l’industrie textile qui s’est plongée frénétiquement dans ses archives.
Jeans mal taillés, chaussettes blanches et les fameuses - insupportables - Stan Smith reparaissent dans les rayons. Chez les filles, ce sont les jeans tailles hautes, tee-shirts larges au-dessus du nombril et - Ô surprise - les Stan Smith. Désormais partout, le hipster n’est plus hype : panique générale dans les rédactions, car il faut alors trouver ce que personne ne porte encore pour faire des éditos qui montreront qu’ils sont les premiers à en avoir parlé.
Afin d’illustrer tout cela, petites études de cas produit et marque !
Marque hype : l'exemple VETEMENTS
La marque VETEMENTS a été créée en janvier 2014. C’est en fait un collectif de créateurs dont le but est de « casser les règles », de représenter une nouvelle génération dans laquelle la classe sociale n’a plus de sens, qui prend ses propres décisions, n’a pas peur d’être elle-même et d’affirmer sa différence. Bla, bla, bla.
Ses collections sont présentées dans des sex-clubs glauques, des restos chinois super kitsch, avec une musique braillarde. En bref, un univers assez répugnant, ce que l’on retrouve dans leurs vêtements : tabliers cirés à fleurs, bottes de latex, logos de transporteurs, jeans Levi’s des années 90.
Ajoutez à cela la nomination d’un des créateurs à la tête de la marque Balenciaga et c’est parti pour le buzz. Instagram devient fou, alors que plus personne n’arrive à mettre la main sur le site de la marque au début : un site mal référencé qui s’appelle "vêtements", c’est compliqué.
Puis la presse traditionnelle arrive avec ses gros sabots, crie au génie et essaie de glorifier le moche. D’autres - dont je fais partie - estiment que faire du moche pour du moche et le vendre super cher pour se donner une contenance, c’est le summum du ridicule et de ce que la mode a de pire et ne devrait pas faire.
Une précision très importante à ce stade : je comprends et suis très respectueux de la démarche qui consiste à casser, déstructurer, à repenser la mode comme ont pu le faire des créateurs comme Margiela, Herlmut Lang, Comme des Garçons etc. La seule chose, c'est que je ne crois pas que VETEMENTS se situe sincèrement dans cette démarche, et s'en sert plus comme un enrobage marketing.
Pourtant, force est de constater que le label est au centre de l'attention, porté par des célébrités, et véritablement intriguant... Même s’il me semble important de préciser qu'une fois retiré le tapage autour du « produit » (la com, le buzz, etc.) la valeur intrinsèque de leurs "création" est quasi-nulle. Mais chacun se fera son avis.
L'avis de Rafik sur VETEMENTS
VETEMENTS a littéralement créé un ouragan sur la planète mode. La marque fait beaucoup débat - même au sein de l'équipe d'ailleurs - et mon avis est justement moins tranché.
Bien évidemment, je ne peux pas crier au génie artistique. On est loin des vrais standards du luxe, le sweat du dessus en est la preuve. Rarement une marque qui défile aura atteint un tel niveau de hype. Alors oui, il y a énormément de marketing là-dessous mais pour moi, ce n'est pas tout.
On a beau dire, il y a bien une idée derrière VETEMENTS. Pour la petite histoire, il s'agit de stylistes qui étaient tous déjà en contrat avec des marques lors de la création de leur label. Cela leur imposait de rester anonyme, d'où le nom si "impersonnel".
Je ne suis pas plus choqué par un tee-shirt DHL chez eux que Bambi chez Givenchy, Coca chez Dolce ou McDo chez Moschino. Certains designers nourrissent leurs créations par la mondialisation, c'est un fait récurrent. Quelques pièces présentaient aussi volontairement des fautes d'orthographe : scandale ou clin d'oeil à la contrefaçon qu'il portait en URSS ?
Loin d'être fan, pourquoi pas dans le fond ? Cela ne vaut pas une dentelle brodée de McQueen ou un cuir Alaïa - pour rester dans l'univers podium - mais on ne craque pas tous pour les mêmes choses. Parce que leurs clients savent très bien ce qu'ils achètent...
Plus tard, on leur a beaucoup reproché un manque de créativité à la collection P/É 17, développée en collaboration avec 18 marques. C'est un point qui se défend, surtout quand on sait que le défilé a été présenté en juin plutôt que septembre. Cela étant, VETEMENTS permet ainsi à de véritables savoir-faire de se maintenir. Au milieu des sacs Eastpack, on pouvait trouver des bottes Lucchese et des vestes Brioni. Des pépites de la création que la cible dopée à Instagram de VETEMENTS ne connaît pas forcément.
Je n'achèterai pas de VETEMENTS mais aime son côté subversif, savant cocktail d'inspiration et de marketing. Si vous voulez mon avis, Demna est un peu à la mode ce que Warhol était à l'art. Tee-shirt DHL vs. boîtes de soupe Campbell's.
L'avis de Benoit sur VETEMENTS
Même si je reconnais quelques fulgurances créatives et travaillées (le travail sur les jeans à 1190 € fabriqués en France, par exemple) et la fascination du collectif pour les vêtements d'un quotidien des années 90 (le tee-shirt DHL, les sweats de métalleux), je déplore une mode hors de prix, souvent totalement déconnecté du produit, et qui n'a plus grand chose à faire dans la vie de tous les jours.
En apogée, cette hype désolante autour du fameux tee-shirt DHL : celui de VETEMENTS coûtait $281, celui de DHL coûtait 6 €. La différence entre les deux ? Une simple bande rouge en plus dans le dos, et une coupe (un peu) différente. C'est tout. Pas de matière tricotée au Japon, pas de coton Supima, rien de tout ça. Et ça contribue à donner une image de la mode incompréhensible et inaccessible pour les néophytes, au lieu de faire la promotion des savoir-faire. C'est ça le plus triste.
Je suis également d'accord avec certaines critiques affirmant que VETEMENTS n'a strictement rien inventé, en se contentant juste de prendre des vêtements des années 90 et d'en faire des pastiches :
- La chemise trop grande de votre papa allant travailler : eh bien là, ils la font vraiment trop... grande. À 540 €,
- Le blouson de moto qu'on imagine très cintré : sous le collectif, il devient trop petit de manière assumée. À 4750 €, prenez du Balmain ou du Versace tant qu'à faire,
- Quant au tee-shirt délavé des années 90 aux épaules trop larges, qu'on a vu dans nombre de séries américaines qui ont mal vieilli, c'est pareil : ils vont créer un tee-shirt aux épaules littéralement trop larges, grâce à des empiècements rembourrés amovibles. On a là aussi un prix totalement déconnecté de son inspiration : 690 €.
Et des exemples comme ça, il y en a à la pelle (je vous ai parlé du peignoir en 100% polyester de votre grand père à 1.250 € ?). Mais il y a un truc qu'on ne peut pas leur retirer, c'est que leurs collections ont beaucoup d'humour et d'autodérision. On prend vite goût à voir comment ils vont se moquer de cette funeste période pour la mode que furent les 90's.
Le seul problème, c'est que finalement, on ne sait plus trop s'ils se moquent du vêtement ou de son porteur, surtout à des prix aussi élevés.
L'avis de Geoffrey sur VETEMENTS
Comme Benoît, c'est une mode qui me rebute totalement : peu portable, hors de prix, et sans vraie notion de qualité derrière. Pas persuadé non plus qu'il y ait une grande maîtrise des coupes.
Mais ce qui me gène vraiment, c'est la niche qu'elle occupe.
À mes yeux, VETEMENTS est la dernière trouvaille d'une intelligentsia de la mode, qui a décrété que c'était Hype, parce qu'elle-même y a accès (souvent en discounté ou en pièces récupérées en sortie de défilé).
Et vu qu'elle a le pouvoir de décréter que quelque chose est hype, et d'avoir un accès privilégié à cette hype, par ailleurs difficile à obtenir pour les autres, elle reste elle-même hype. La boucle est bouclée (et entre temps d'autres client ont acheté).
Ce qui est triste, c'est qu'on oublie totalement le consommateur, le produit, et le fait que la mode devrait être un pont entre les personnes (et non une boîte à BN rouge qui segmente ou exclue).
Ce qui est comique, c'est que les créateurs de VETEMENTS s'en rendent peut-être compte. Et qu'en cela ils font une bonne blague à une certaine clique branchouille.
Ce qui est sûr, c'est que la hype passe toujours. VETEMENTS occupe aujourd'hui la place que Pigalle Paris occupait il y a 2 ans, et le sweatshirt Rottweiler Givenchy encore avant.
De la même manière qu'en musique, ceux qui écoutaient Fauve sont passés à autre chose (PNL ?). Même genre de rotation dans le cinéma (Xavier Dolan ?), la nourriture (le kale ?), ou l'art contemporain (Romano Chucalescu ?).
Au final, la hype, c'est de la mode en accéléré, et ça finit toujours (au moins un peu) par passer.
Le cas des lunettes Dior SoReal
Autre cas très intéressant : les lunettes Dior SoReal. Cette fois, la hype s’est créée autour d’un article en particulier, mais le point de départ est plus « louable » que le cas précédent. Chez Safilo, le sous-traitant qui produit les lunettes de soleil pour Dior, la sensation est unanime à la vue de ces lunettes destinées à être présentées au défilé femme Printemps/Été 2014. L’absence de pont, le côté très techno mais surtout portable de ces lunettes va être un carton, c’est certain.
Pas loupé. Les critiques remarquent l’accessoire et, cette fois-ci, ce seront les magazines qui prendront de l’avance sur les réseaux sociaux. Ayant la possibilité de se procurer les fameuses lunettes avant leur commercialisation pour la réalisation d’éditos, les voilà qui envahissent les shootings destinés à garnir les pages des magazines de papier glacé.
Dès leur arrivée en boutique, carton pour les Dior SoReal, tout de même vendues au prix de base à 320 €. Sur Instagram, Rihanna, Jennifer Lawrence & co apparaissent avec leurs lunettes vissées sur le nez, puis tout le monde s’y met : c’est comme si chaque cliente ressentait le besoin de poster un selfie avec ses Dior SoReal. Finalement, la hype est très éphémère car l’adhésion est telle que la démocratisation se fait vite. Des imitations apparaissent très rapidement avec des répliques vendues chez de grandes enseignes ayant pignon sur rue au prix de… 20 €.
Même la gent masculine s’y met, et il faut bien avouer que ces solaires vont aussi bien aux hommes qu’aux femmes ! Un véritable coup de poker pour Dior, qui les ressort à chaque saison. Cela dit, je trouve beaucoup plus intéressant qu’une hype trouve ses fondations dans une innovation, dans la création de quelque chose d’inédit, plutôt que dans un concept fumeux où la transgression un brin puérile est une fin en soi !
Hype or not hype : la conclusion
À travers tout cela, j’espère avoir pu vous donner quelques billes pour vous faire votre propre définition/perception de ce qu’est la hype. Évidemment, je n’ai pas fait tout le tour de ce qu’il y a dire et il est bien évident que le propos n’est pas à 100% objectif.
Si jamais vous devez céder aux sirènes de la hype, faites-le pour vous. Parce que le message véhiculé par la marque vous correspond ou que la pièce vous plaît sincèrement en elle-même.
Évitez également la hype trop connotée : dès que le phénomène sera passé, vous êtes certains de ne plus pouvoir la porter. Sans oublier tout ce qui concerne la fabrication et son rapport qualité-prix !