Note de Benoît : "Grand amateur du luxe, Romain nous plonge dans l'univers (souvent incompréhensible) de la fashion week ; avec son franc-parler habituel."
Ah, la fashion week... Cet événement étrange déchaînant les passions sur les réseaux sociaux, apparaissant à la une du JT de David Pujadas, cité en référence ultime du style dans certains magazines. En parallèle, la fashion week c'est aussi :
- Sous les flash crépitants des streetstylers, un jeune homme vêtu d'une jupe en plastique, d'un sweat en carton et d'un chapeau de lunettes de soudure qui semble n'avoir jamais su faire la différence entre une décharge publique et une boutique de vêtements,
- Posée au premier rang, une vieille dame ayant abusé de la chirurgie esthétique,
- À l'entrée, d'étranges personnes qui se font la bise de façon exubérante, sans se toucher, s'exprimant dans une langue difficile à identifier : "Oh honey, comment s'est passée la prez de ta cruise à L.A ?!"
Tout ceci, à la lettre près, est bien sûr du vécu. Pourtant, au-delà de toutes les futilités d'usage dans le entre-guillemets-fabuleux monde de la mode, la fashion week est vraiment un événement inspirant, fascinant et passionnant pour tous les amateurs de belles choses.
Force est de constater que les défilés ont, dans l'imaginaire collectif, une dimension mystique irréfutable, bien intégrée par les marketeurs... C'est, en effet, un moment censé générer du rêve, où la mode prend vie, exposée au milieu de scénographies impressionnantes. Il s'agit, pour les marques, de proposer un spectacle qui va "conditionner" le spectateur pour percevoir la collection d'une certaine manière. Impressionner, choquer, interroger, captiver : les marques dépensent des centaines de milliers (voire des millions) d'euros pour ces présentations dont les répercussions médiatiques et commerciales sont immenses.
L'objectif de cet article ? Dire ce qu'est vraiment la fashion week et comment elle s'organise. : on va revivre les semaines de la mode comme si vous y étiez !
Quand ont lieu les fashion weeks ?
Les collections Homme sont présentées deux fois par an.
- Au mois de Janvier est présentée la collection Automne Hiver pour la fin de cette même année. Donc en janvier 2015, nous connaissons la collection pour l'Automne Hiver 2015-2016.
- Au mois de Juin est présentée la collection Printemps Été pour l'année suivante.
Cela commence par Londres, puis Milan et enfin Paris, le tout enchainé sans interruption. Une fashion week masculine dure environ 5 jours, ce qui fait que l'on s'étale sur un peu moins de trois semaines de défilés. Il y a environ une quinzaine de défilés par jour : les fédérations de la mode de chaque pays hôte organisent le calendrier de façon à éviter que les défilés se chevauchent, et que cela soit l'anarchie. À Paris, par exemple, le premier défilé a souvent lieu à 10h, puis il y en a un par heure jusqu'à 21h.
Pour info, le planning Femme est plus chargé, car il y a 4 collections à présenter par an :
- Janvier : collection Haute Couture pour la saison Printemps Été qui suit. Uniquement à Paris, car la Haute Couture est une AOC pour une production sur demande en pièce unique.
- Mars : collection prêt-à-porter (ce que l'on trouve dans les boutiques et qui n'est pas produit sur commande spéciale) pour l'Automne Hiver à suivre.
- Juin : collection Haute Couture pour l'hiver qui suit en fin d'année.
- Septembre : collection prêt-à-porter Printemps Été pour l'année suivante.
Pas de Haute Couture pour Homme alors ?
Question épineuse, que TOUTES les marques disposant de l'appellation "Haute Couture" se posent - même en secret. À un moment où la part du chiffre d'affaires réalisée auprès des hommes rejoint celle réalisée auprès des femmes, on comprend la légitimité de cette interrogation.
À l'heure actuelle, il n'y a pas de fashion week dédiée à la Haute Couture pour homme. Cela étant, on peut noter deux exceptions majeures à cette affirmation.
Certaines marques défilant au calendrier Haute Couture intègrent lors de leurs shows des modèles masculins, ce qui est le cas de Eric Tibusch, Atelier Gustavo Lins ou, de façon plus anecdotique, Chanel et Jean Paul Gaultier.
Est-il possible "d'acheter" ces modèles censés être produits en pièces uniques ? Oui pour les deux premiers noms cités, alors que cela est moins évident chez Chanel.
Ayant eu l'occasion de m'entretenir de cela avec une conseillère de la Maison, j'ai pu apprendre que les "clins d'oeil" masculins n'étaient pas destinés à être vendus et ne sont autres que des modèles féminins adaptés à l'homme. Donc à priori, pas de possibilité d'achat, sauf demande exceptionnelle, auquel cas une pièce passerait par l'atelier pour y être ajustée aux désirs de monsieur... Il vous faudra braquer une banque si vous n'en possédez pas une.
*le tweed dévoré est un tweed tissé, poncé, puis retravaillé pour lui donner plusieurs textures.
Le pure bespoke ou grande mesure, par ses exigences techniques, peut être considéré comme de la Haute Couture. Des dizaines de mesures seront prises sur le client pour créer de toute part un patronage totalement adapté à lui. Dans la plupart des cas, le costume sera réalisé à la main, mobilisant des savoir-faire tailleurs ancestraux. Néanmoins, sans vouloir minimiser le savoir-faire caractérisant la grande mesure pour homme, on trouve quand même pour la Haute Couture femme des pièces d'une virtuosité renversante... Là où il faut une centaine d'heures pour un costume homme, certaines robes nécessitent plus de mille heures de travail impliquant des dizaines de techniques de broderies différentes.
Le Haute Couture pour femme innove : Chanel dépose plusieurs brevets par collection, ses sous-traitants créant littéralement de nouvelles matières ou de nouveaux tissages, de nouvelles techniques de broderie, et même la création de...faïence textile ! Aussi magnifique et noble cet "art" soit-il, le bespoke demeure plus conservateur et moins virtuose.
Fashion weeks Paris, Milan, Londres, etc : quelle différence ?
On dit que Paris est la capitale mondiale de la mode car, pendant longtemps, elle était la seule ville du monde à accueillir les défilés de marques venues du monde entier. Aujourd'hui, plusieurs capitales à travers le monde (New York, Tokyo ou encore Dakar...) proposent leur fashion week, sauf pour la Haute Couture qui demeure encore une spécificité française. Mais quelles spécificités pour chacune ?
Londres
Elle occupe une place un peu semblable qu'il s'agisse de mode ou de musique. Elle est un laboratoire dans lequel de jeunes créateurs font leurs expériences : on y trouve pléthore de nouveaux talents, même si quelques anciennes marques comme Burberry y défilent pour revendiquer leur culture british. Cela fonctionne bien pour l'Homme, mais pour la Femme le résultat est beaucoup moins concluant.
Milan
À l'opposé de Londres, elle ne comporte presque exclusivement que des grandes Maisons italiennes. On trouve à Milan une mode parfaite pour sortir le soir (mais pas que), reposant beaucoup sur le travail de matières luxueuses, et sur des styles opulents. Dolce & Gabbana, Versace, Giorgio Armani, Gucci... Toutes ces marques sont réputées pour incarner le style italien, particulièrement représenté sur les tapis rouges.
Paris
Elle joue son rôle de fashion week historique en accueillant de très anciennes Maisons comme Chanel, Dior, Lanvin... Ses styles y sont encore très hétéroclites et demeure la plus cosmopolite des fashion weeks européennes. Elle a gardé les traces d'un passé très expérimental avec des créateurs toujours présents comme Yohji Yamamoto, Issey Miyake ou encore Ann Demeulemeester : ils ont révolutionné la mode en proposant, justement, des défilés "antifashion" rejetant le glamour, déconstruisant les silhouettes et concevant le vêtement comme le moyen d'exprimer des opinions parfois politiques.
Dans le reste du monde
Il y a New York, véritable "mass fashion week" contenant des centaines de défilés, Copenhague qui fait concurrence à Londres en proposant une nouvelle mode ibérique, mais aussi Berlin, Sao Polo, Barcelone, Johannesburg, Tokyo... Il faudra quelques années pour que ces nouveaux rendez-vous viennent s'insérer véritablement dans le paysage mondial de la mode.
Comment assister à un défilé ?
À moins de travailler pour un très grand média, d'être une star, un acheteur de grand magasin ou un super bon client, il faudra "solliciter" une invitation. Il est impossible d'acheter une invitation, de négocier ou quoique ce soit : les chargé(e)s de relations publiques décident si vous êtes suffisamment important pour recevoir une invitation. Ainsi vont les choses dans le cruel monde de la mode !
Certaines grandes Maisons disposent de leur propre service presse bien organisé (Dior, Lanvin, Maison Margiela, Issey Miyake...), qui vous font parvenir votre invitation plusieurs jours avant le show. Mais beaucoup de marques font appel à des agences et là, croyez-moi, c'est l'anarchie (Benoit pourra témoigner !). C'est à dire que vous ne recevez pas toujours de réponse, et que les invitations peuvent être envoyées tellement à la dernière minute que vous les recevez une heure avant le défilé alors que vous êtes déjà parti de chez vous, bien sûr, voire même le lendemain du défilé. Super pratique.
Par contre, il faut bien l'avouer, certaines invitations sont absolument magnifiques, et c'est toujours un plaisir d'en recevoir. Elles sont parfois un premier aperçu de la collection, et savent donner envie d'assister au show ! Elles mentionnent votre placement, très hiérarchisé. Le premier rang, c'est bien sûr le must, mais déjà avoir un "sit", c'est-à-dire une place assise, est très bon signe quant à votre notoriété.
Enfin, il y a aussi le placement debout pour certains défilés avec une faible capacité d'accueil, ou pour ceux ultra demandés. Dans ce cas, il n'y a pas vraiment de règles, ce sera selon les affinités et stratégies de relations publiques de chacune. Les grandes Maisons comme Dior, Margiela ou Lanvin, malgré un nombre démentiel de demandes, reconnaissent et accueillent volontiers des blogueurs, lorsque, étonnamment, des marques plus jeunes (voire inconnues) vont presque ignorer leur existence !
Et une fois l'invitation en poche, comment cela se déroule ?
L'invitation mentionne le lieu et l'heure du défilé : beaucoup ont lieu au Palais de Tokyo. Quand un défilé a lieu à 14h, cela signifie en réalité que l'accès n'est possible qu'à partir de 14h. Il faut généralement compter une bonne demie heure pour que tous les invités et les photographes s'installent, ce qui permet par ailleurs de se mettre dans l'ambiance. Les sits sont souvent des bancs sur lesquels on peut vite être serrés. La plupart du temps, chaque invité trouvera à sa place un petit texte annonçant les inspirations de la collection, et parfois même un cadeau comme vu plus haut.
Il est 14h30, des "CHUUUUUUUUUT" se font entendre et les lumières s'éteignent... le défilé commence ! Le podium s'éclaire, et une musique - trop forte si tout va bien - rythme le pas des mannequins, parfois élégants et plutôt musclés, parfois juvéniles, rachitiques avec des coiffures bizarres. Et finalement, cela dure rarement plus de 10 minutes. À la fin, tous les modèles sortent en même temps pour un dernier passage "synthétique", et le créateur vient saluer l'assistance.
À peine les spots sont ils rallumés que tout le monde se lève et se rue vers le backstage ou la sortie, où des dizaines de photographes pros ou amateurs attendent de "streetstyler" les individus stylés, ou prendre certains détails comme les souliers... Rémi et Rafik confirmeront !
Ce qui était sur le podium se retrouve en boutique, right ?
Oui et non...
Oui, parce que le but d'un défilé est toujours la présentation de ce que l'on retrouvera en boutique quelques mois plus tard, et ainsi susciter l'intérêt -et l'envie- du client. Les lookbooks des défilés sont disponibles, mais il y a quelques nuances à apporter.
Non, d'abord parce que les vêtements utilisés pour le défilé -stricto sensu- ne seront pas reconditionnés pour arriver en boutique, mais feront le tour du monde pour des présentations presse ou des shootings. Enfin, le défilé est un moment particulier durant lequel le créateur va pouvoir pousser loin ses inspirations, ce qui attire l'attention médiatique mais peut rebuter le client. Donc certaines pièces (seulement) podium "trop fortes" sont légèrement restylées pour assurer une vente plus facile derrière. Cela étant, nombre de créateurs "alternatifs" (Demeulemeester, Iris Van Herpen, Astrid Andersen...) ont fidélisé une clientèle avide de sensations vestimentaires fortes, et ne cherchent pas à faire consensus : leurs produits resteront toujours difficilement intégrables à un vestiaire classique.
Vous savez tout, désormais, sur les Fashion Weeks. N'hésitez pas à me poser toutes les questions que vous voulez en commentaire, je me ferai un plaisir d'y répondre. On se retrouve très bientôt pour s'intéresser à ce qu'il se passe non plus autour, mais SUR les podiums !