Pendant presque trois ans, chaque dimanche midi vous aviez rendez-vous avec les Pépites de la rédaction. Jusqu'aux centièmes publiées par David début février.
À compter de maintenant, nous publierons un nouveau format indéfinissable baptisé "Carte Blanche" parce que nous ne savons pas ce que nous allons vous donner à lire. Il pourra s'agir d'un point de vue particulier, un coup de cœur pour une pièce, un coup de gueule contre une tendance, une inspiration étonnante, une idée saugrenue…
L'idée est de permettre à chaque rédacteur du pôle édito d'écrire sur un sujet qui lui tient à cœur, avec assez peu de contraintes. Au point même de s'éloigner du vêtement. Tout est possible.
Une forme de carte blanche qui a vocation à vous surprendre, à être un peu la surprise du dimanche. N'hésitez pas à faire part de vos commentaires et remarques. Bonne lecture. Christophe.
Paris, rentrée 2017. Deux mois plus tard, ma cravate à pois sera remisée au placard. C'est une cravate de marque Monoprix tout ce qu'il y a de classique, quoique un peu moche soyons honnêtes. Je la porte uniquement pour le travail, et encore seulement le soir, pour les nocturnes.
A cette époque qui parait étrangement lointaine, sans masque ni Covid, je suis comme coupé en deux. J'ai un vestiaire de travail proche de l'uniforme et un vestiaire personnel ultra minimaliste : deux paires de chaussures, deux-trois pantalons, une poignée de hauts, et une ou deux vestes.
Rien qui ne tienne particulièrement chaud au passage, à croire que le froid ne commence à se faire sentir qu'avec l'âge. Les deux vestiaires n'ont que peu en commun, et pour tout vous dire, il est même possible que ça me conduise à être non pas une mais deux personnes à la fois.
D'une certaine manière, ce qui va se jouer dans les mois qui viennent est une étape importante dans mon cheminement vers le style mais à ce moment-là je n'en sais encore trop rien.
Outre cette cravate moche, j'ai aussi quelques autres modèles plus jolis, plus ou moins vintage, rien d'extraordinaire si ce n'est que ce sont des cravates détachées de toute contingence professionnelle. C'est mon petit plaisir, vous voyez ? Je crois que je tiens ça de quelques groupes de musique que j'adorais alors.
Dans mon entourage, personne ne s'habillait vraiment de manière formelle. Je n'ai d'ailleurs aucun souvenir attaché à la cravate plus jeune, hormis ce que je pouvais voir à la télévision - c'était la tenue des grands ou des gens sérieux pour l'enfant que j'étais.
C'est sans doute pour tout cela que je ne relie pas particulièrement la cravate au costume. Plutôt avec un blazer en velours usé, des blousons en cuir vintage voire même avec une veste en denim de couleur bleu nuit , dans l'esprit de ce que j'ai pu décrire chez d'autres ici.
En attendant, pour revenir à l'automne 2017, la cravate disparaît assez brutalement de mon quotidien, comme un peu tout le reste cette année-là. C'est le point zéro de ma nouvelle vie.
Les jours, les semaines et les mois passent. Je ne marche plus, je n'ai plus vraiment l'occasion de m'habiller mais j'entame en revanche une grande série d'actions bénéfiques : je regarde mille films, je reprends la «Recherche» de Proust et je me mets également à faire du tri dans mon vestiaire. Je revends ou je donne au recyclage. Toutes mes cravates y passent, à commencer par celle du travail à pois à laquelle je réserve un traitement évidemment spécial et quasi mystique.
Dans mon vestiaire, il n'y a alors plus grand chose une fois passée l'épreuve du tri, en tout cas plus de distinction entre l'uniforme et les tenues plaisir. Mais les deux personnes qui s'habillaient avec ne se sont pas encore tout à fait réconciliées. Patience.
Un jour, sans trop savoir pourquoi, je me mets à rêver devant les collections de Drake's ou Shibumi Firenze. J'y vois comme une sorte d'appel à devenir collectionneur : ça a sans doute à voir avec la matière, les textures ou les couleurs, ça me donne en tout cas envie de pinceaux et de tubes de peinture.
Quelques mois plus tard, me voilà en possession de plusieurs cravates des deux marques - mais pas que. Ce sont des achats en soldes ou d'occasion, uniquement motivés par la beauté du vêtement. Il y a du motif, des rayures, des couleurs classiques et un peu d'inattendu : bleu, bordeaux, gris, et aussi du vert. Celle que je préfère est une cravate club un peu ancienne de chez Drake's.
A ce stade, je pense même me mettre au costume. Je suis en tout cas persuadé que je vais réellement mettre ces cravates dans mes futures tenues à travers le soft tailoring pourquoi pas, ou plus simplement à travers mes petites astuces glanées ici et là sur les pochettes de mes disques préférés.
Vous avez probablement déjà expérimenté ce phénomène : c'est l'histoire d'une pièce qu'on adore regarder mais qui reste pour x raisons au fin fond de l'armoire. On en a tous au moins une. De mon coté, j'en ai plusieurs.
C'est ainsi qu'une nouvelle fois : les jours, les semaines et les mois passent. Les cravates sont là, bien rangées, comme en attente d'un signe du ciel. Entre-temps, je fais mes débuts chez BonneGueule en novembre 2019, les conversations au pôle édito fusent joyeusement et on aborde le sujet de temps à autre, comme par exemple à travers le pull en col V. Pas encore l'éclair escompté, mais l'idée commence petit à petit à refaire son chemin. Alors, que s'est-il finalement passé ?
De 2017 à 2021, on peut dire que j'ai pris le temps de reconstituer mon puzzle, d'unifier mon vestiaire tout en le diversifiant. Je me suis réinventé en partie grâce à Proust , aux films et à tout ce que j'ai réappris à aimer du vêtement.
De là peut-être mon envie de sortir petit à petit de ma zone de confort, d'aller chercher de la couleur ailleurs qu'en peinture. D'essayer en somme, sans doute plus que je ne l'ai jamais fait auparavant. C'est ainsi qu'éventuellement, à force d'appréhender de nouvelles pièces ou de nouveaux styles, on finit par se retrouver.
Après tout, la recherche ne conduit-elle pas aussi à interroger sa mémoire ? Alors oui : je me souviens très bien de la cravate à pois moche, et de toutes les autres aussi. Elles font partie de mon histoire avec le vêtement. Et c'est précisément pour cette raison que je me suis remis récemment à en porter, sans costume ni trompette, mais avec de plus belles matières : pour conjuguer la nouveauté avec mon style passé.
Ce qu'il y a de foncièrement magique dans tout cela, c'est que la réconciliation annoncée dans le titre de cette chronique ne s'arrête pas à la cravate. A travers le vêtement, on peut également se réconcilier avec soi-même.
Alors bien sûr, pour revenir au port de la cravate, il faut un peu plus que du recul, des films, des livres ou de la psychologie : il faut trouver son équilibre, composer des tenues qui nous font du bien et acquérir quelques nouvelles pièces qui appelleront qui sait le retour de la cravate. Ce ne sera pas nécessairement le costume deux ou trois pièces.
Pour moi, par exemple : un blazer en velours olive Officine Générale, un Perfecto Schott, une veste kaki d'inspiration militaire Engineered Garments et deux-trois chemises en Oxford ou en flanelle chinées chez Drake's ou Editions Mr.
Comme autrefois, la cravate est revenue chez moi par une autre porte que l'univers formel. La boucle étant désormais bouclée, rassurez-vous : si jamais cette question de la cravate vous taraude, vous trouverez vous aussi la clé.