Je vois d’ici vos yeux s’écarquiller : « Quoi ? Louboutin sur BonneGueule ? ». Pour beaucoup, les chaussures Louboutin se résument effectivement à deux possibilités :
- Des escarpins aux courbes vertigineuses pour femme,
- Des sneakers excentriques pour homme.
Disclaimer de Benoit : je ne vous cache pas que je fus perplexe quand Rafik est venu vers moi avec la ferme intention de faire un article sur Louboutin, car c'est évidemment le genre de marque qu'on ne traite jamais chez BonneGueule. La faute à des prix très élevés qui frôlent l'entrée de gamme de chez Berlutti, Corthay ou Aubercy... mais qui s'adressent à des clientèles bien différentes. Trop chère, trop clinquante, trop médiatisée, c'est une marque où il est facile de pointer ses défauts.
Sauf que je n'ai jamais trouvé de contenus/d'articles qui décryptaient le produit, et uniquement le produit. Personne ne semble s'être penché sur la qualité intrinsèque des chaussures Louboutin pour hommes. Elles ne sont nulle part analysées et observées. J'en fis part à Rafik :
" Rafik, je n'ai aucune affinité avec la marque, mais tu as piqué ma curiosité. Tout le monde en parle, mais finalement, personne ne dissèque le produit. Je veux comprendre son offre, ses chaussures et leur montage. Montre-moi ce qu'il y a sous le capot !"
Mais je me suis également aperçu d'autre chose... Il voulait aller plus loin qu'un simple "test" produit.
Rafik a vite montré un lien particulier avec cette marque, qui allait bien au-delà du prisme "rapport qualité/prix". Et ça m'a intrigué, j'ai donc voulu qu'il développe sa réflexion sur cette marque aussi décriée qu'adulée, qui divise les foules, mêmes chez les femmes (témoignage pris au hasard).
Un grand merci à Louboutin qui a totalement joué le jeu, en nous prêtant des paires neuves, et en nous laissant une totale liberté de ton. Pour une marque de calibre, c'est suffisamment rare pour qu'on le souligne.
Je laisse donc la parole à Rafik, et vous allez voir qu'il a donné de sa personne 😉
Pour ma part, j’ai découvert la marque au début de l’adolescence grâce à la série Sex & The City (K-2000 n’était pas vraiment mon truc), où j’avais été particulièrement frappé par la créativité que l’on retrouvait dans chaque paire portée par l’héroïne. Il existe aujourd’hui une gamme complète pour l’homme, et l’on voit de plus en plus de personnes chausser des semelles rouges.
Louboutin fait également partie de ses marques dont la renommée s’est beaucoup construite à travers quelques clients bénéficiant d’une forte exposition, en faisant de facto profiter la griffe (Jennifer Lopez, si tu nous lis). C'est vraiment un cas d'école en matière de marketing à base de celebrity wear (j'y reviendrai plus bas).
Son côté hype, la multiplicité des styles proposés (parfois largement critiqués) et ses prix élevés peuvent rendre l'offre difficile à décrypter. L'univers Louboutin peut parfois sembler opaque, composé de tellement d'éléments qu'on ne sait plus par où commencer.
Pourtant, les arguments des détracteurs sont nombreux. D'après eux, les modèles portés par des célébrités en tout genre ternissent le côté "luxe" de la marque, qui donnerait dans le vulgaire à grands renforts de talons de 16 cm. Sa semelle rouge ne serait qu'un signe d'appartenance, un gage extérieur de richesse. Probablement le revers de la médaille pour avoir une image aussi médiatisée.
À côté de cela, je connaissais de Christian Louboutin son travail d'exception sur certaines productions. Un exemple : en 2002, Yves Saint Laurent prend sa retraite et organise le plus grand défilé Haute-Couture de l'histoire de sa Maison. C'est à Christian Louboutin qu'il fera appel pour créer les chaussures qui compléteront ses robes.
Autant d'éléments qui rendent la compréhension de l'univers Louboutin encore plus difficile ! Je me suis alors mis en tête de le décrypter : d'où vient l'homme derrière la marque ? Que propose Louboutin ? L'offre se limite-t-elle aux sneakers bling surexposées ? La confection des chaussures est-elle à la hauteur du prix ? Et d'ailleurs, comment expliquer ce prix ?
Vous verrez aussi que les porteurs de Louboutin ont un rapport très particulier à leurs chaussures, assez différent de ce qu'on peut voir habituellement. Je suis allé à leur rencontre pour comprendre ce qui les séduisait tant. Est-ce uniquement une affaire de qualité ou de style ? Ou y a-t-il une explication plus psychologique à cet attachement ?
J’ai mené mon enquête, on est partis pour le test vérité.
Histoire de Christian Louboutin, l’homme derrière l’or rouge
Ses premières armes : les souliers pour femme
Tout commence quand un Christian Louboutin encore adolescent visite le Musée National des Arts d’Afrique et d’Océanie, où un panneau indiquait aux touristes de faire attention à ne pas rayer le parquet avec leurs talons aiguilles. Celui-ci l’a véritablement intrigué – « comment peut-on priver une femme de talons ? » – si bien qu’à partir de ce moment, il s’est mis à dessiner des souliers.
Il intègre ensuite un lycée professionnel spécialisé dans la couture, mais il décrochera rapidement : Louboutin fréquente les nuits décadentes du Paris des 80’s, ce qui l’empêche d’être assidu. Viendra en 1982 un stage chez Charles Jourdan, un des pères de l’escarpin d’aujourd’hui, suivi de plusieurs missions en free-lance pour différentes Maisons.
Une rencontre décisive
La rencontre charnière du créateur sera celle de Roger Vivier en 1988, l’un des plus grands chausseurs de notre époque. Ce dernier a pris Louboutin sous son aile, lui enseignant ainsi son savoir, notamment le sens de la forme.
N’ayant pas encore l’ambition de créer sa propre marque, Louboutin traverse ensuite l’Atlantique pour devenir… paysagiste. « Rien à voir avec la mode », me direz-vous, sauf qu’il en tire une vision particulière de la couleur qu’il réutilisera plus tard dans son travail.
C’est en 1991 que l’aventure Louboutin prend un nouveau tournant, lorsqu’il crée sa société éponyme et ouvre sa première boutique à Paris.
À l'origine de la marque de fabrique, Christian Louboutin vient de recevoir l'un de ses premiers modèles. Il trouve que la semelle noire fait l'effet d'une masse, qu'il casse en s'emparant du vernis rouge Chanel de son assistante. On est en 1992.
Note de Benoit : les plus curieux d'entre vous sauront que le rouge Louboutin est la couleur Pantone 18-1663 TPX... Et certaines collections privées de fans de Louboutin sont impressionnantes !
Louboutin et les souliers pour homme
Les premiers souliers pour homme de la Maison sont créés à la demande du chanteur Mika, souhaitant des chaussures pour sa tournée. Trouvant l’exercice amusant, Louboutin décide de créer une première ligne en 2012. À ce sujet, il dira d’ailleurs :
J’aime les détails, j’ai toujours aimé les objets. Donc je considère les souliers pour homme comme quelque chose où il doit y avoir du détail. Et c’est rigolo, car ça vient aussi du fait que je voyais les hommes, qui accompagnaient leur femme, acheter des souliers… Et ils regardaient, ils étaient attentifs aux détails.
L’homme est donc une page encore récente pour Louboutin, mais l’offre proposée n’en est pas moins large pour autant.
Qu’importe le type de chaussures, des sneakers aux mocassins, vous trouverez à la fois des modèles sobres et d’autres plus forts, dont les emblématiques "pics cloutés" ("spikes" en anglais) qu'il va abondamment utiliser pour les modèles masculins... et qui déclencheront les premières critiques.
Note de Benoit : entendons-nous bien, considérez ces souliers comme des chaussures de soirées, au même titre que des escarpins pour femmes. Elle s'adresse à une clientèle qui a besoin de se démarquer en soirée, face à une débauche de paillettes et de célébrités. Cette nuance est importante.
Même constat côté sneakers. On note cependant une vraie pluralité des matières et un certain effort sur les couleurs. Cela dit, elles déchaînent les passions. Si bon nombre de célébrités US les portent (note de Benoit : David Guetta pose d'ailleurs avec des sneakers Louboutin pour l'image de son mythique album Nothing But The Beat), elles sont souvent mises au pilori pour leur côté bling-bling.
Note Benoit : pour vous situer un peu dans cette gamme de prix, sachez vous avez du Lanvin, du Balenciaga ou, si vous aimez ce qui brille, du Buscemi.
Par ailleurs, a été créée au sein de la gamme la Ligne Classique. Celle-ci ne regroupe que les modèles sans excentricité, au design simple et intemporel.
Note de Benoit : on est sur des prix entre 875 € et 1 200 €. À ce prix-là, la concurrence est 1) très qualitative et 2) très rude. Il faudrait que Louboutin explique plus longuement quelles sont les spécificités de ses modèles.
Enfin, comme bon nombre de marques de luxe, la marque a développé une gamme de maroquinerie. Je ne peux vous en dire davantage, ne l’ayant pas testée, si ce n’est qu’elle oscille entre formel et casual, de 900 à 1.700 €.
Note : Je précise que les photos utilisées ci-dessus sont des aperçus de chaque catégorie et n’en représentent pas la totalité.
Test des souliers pour homme Louboutin
Afin de réaliser ce test, la marque m’a prêté deux paires. La première demeure classique, tandis que la seconde a un design plus marqué : je souhaitais pouvoir examiner les deux aspects de la marque
Avant d’entrer plus amplement dans le détail, sachez que chaque modèle est fabriqué dans un atelier napolitain.
Test des chaussures Louboutin homme – modèle City Bro (875 €)
La première chose m’ayant séduit sur cette paire de Richelieu est leur forme, qui n’est pas sans rappeler celles de nos amis d’outre-Manche.
Note de Benoit : et voilà l'étonnant paradoxe d'une paire de souliers Louboutin homme. Alors que pour les femmes, il créé des paires sexy, féminines, audacieuses, comment se fait-il qu'on ait une forme aussi banale et consensuelle pour l'homme ? Qui aurait pu penser que c'était du Louboutin en voyant la photo ? Qu'on ne me dise pas que c'est parce qu'il s'agit d'une paire classique qui se doit d'être sobre !
Car dans ces prix-là, on trouve des chaussures classiques avec une vraie signature dans la forme (Corthay, Aubercy, pour ne citer qu'eux). Même Saint Laurent, qui n'est pas chausseur, mais qui est très mode, propose du footwear classique beaucoup plus racé. La seule explication possible est qu'il a voulu réinterpréter les formes des chaussures de marques anglaises comme Grenson ou Joseph Cheaney. Mais là aussi, de la part de Louboutin, pourquoi rester aussi sage dans la création ? Honnêtement, c'est le genre de forme qu'on voit partout (dans le jargon, on appelle ça une "forme haricot" en raison de ce côté très rond).
Vous le savez, le premier élément à inspecter sur une paire de chaussures est évidemment le cuir utilisé. Il s’agit ici d’une belle peau de veau, couleur « Havane ».
Note de Benoit : je reconnais que la couleur est très jolie et peu commune.
En revanche, le cuir est creux sur un endroit, au niveau du flanc arrière de la chaussure droite. Certes, cela peut arriver, mais sur une telle gamme de prix, le contrôle qualité en sortie d'usine doit être absolument intransigeant.
On poursuit avec l’inspection des coutures, à commencer par la semelle. Le point est épais et bien régulier, on est à ce propos sur un cousu Goodyear.
Comme vous pouvez le voir, une bande blanche à la texture souple a été ajoutée entre les deux parties de la semelle : elle amortit le pas et augmente sensiblement la sensation de confort.
Note de Benoit : J'ai vu mieux, même si la paire est globalement bien faite.
Sur le reste des coutures, on retrouve la même régularité. On note également la présence d’un point d’arrêt entre les deux volets des lacets.
À l’intérieur, vous trouverez une première de propreté, cousue dans un fil et entourée d’un liseré rappelant la couleur emblématique de la marque. J’aime ces petits détails que seul le porteur peut connaître, et qui renforcent la cohérence de la paire.
Note de Benoit : une paire "mignonne", mais dont le prix me laisse vraiment perplexe. Si on m'avait montré la paire sans la semelle rouge, je dirais qu'elle aurait été vendue entre 300 € et 400 €, avec 500 € en grand maximum.
Pour une paire qui approche ici les 900 €, je n'arrive pas à comprendre la paire d'un point de vue produit, et j'ai l'impression que le prix fait partie intégrante du positionnement de la chaussure ("vu le prix, elles doivent être haut de gamme" vs "vu le produit, elles doivent être haut de gamme"). Difficile de parler d'un bon rapport qualité / prix, quand on voit ce à quoi on peut accéder chez d'autres marques. Pour 100 € de plus, vous avez une paire d'Aubercy personnalisée !
Avec quoi les porter ?
La couleur Havane des City Bro s’intègre facilement à bon nombre de looks, aucune difficulté particulière à ce niveau.
Une fois encore, c’est le côté british de la forme des chaussures qui m’a séduit avant tout. Voulant poursuivre sur cette lignée, je me suis orienté vers un macintosh (veste imperméable non croisée, avec un col chemise, avec uniquement le premier bouton apparent en règle générale).
J’aime particulièrement le rendu du Havane couplé au bordeaux du chino, et m’impose une chemise blanche pour tempérer le tout.
La paire reste somme toute polyvalente, elle serait tout aussi intéressante avec un jean brut et un tee-shirt travaillé, par exemple. N’étant pas aussi fine qu’une Richelieu classique, elle se prête facilement à des looks casual.
Test des bottines Louboutin homme - modèle Orion (1245 €)
Comme je vous le disais, j’ai choisi de partir sur un modèle plus audacieux pour la deuxième paire, puisqu’il s’agit de chelsea boots cloutées.
De nouveau, on commence par regarder la peau utilisée, toujours du cuir de veau. Là où certains cuirs noirs ont tendance à avoir un rendu trop opaque, celui-ci est brossé et prend donc bien la lumière. Par ailleurs, la forme a de la tenue, et les contreforts sont bien rigides.
Intéressons-nous à présent à l’élément central de la paire, les ornements autour de la semelle. Ils se divisent en trois éléments, chacun d’entre eux apposé à la main et nécessitant un travail conséquent :
- Un liseré métallique en « maille serpent » entoure toute la trépointe de la chaussure,
- De petits clous qui complètent le liseré,
- De grands clous sur tout le tour de la semelle.
Sur le corps de la bottine, chaque rangée de coutures est double et régulière. Les points rapprochés confèrent un certain raffinement à la paire. Normalement, à ce prix-là, les chelsea boots sont façonnées à partir d'une seule pièce de cuir (on les nomme "one-cut"). Ce n'est pas le cas ici, mais c'est une finition de plus en plus rare (je ne l'ai vue que chez JM Weston et Aubercy).
On retrouve également une première de propreté, dotée d’un coussinet pour plus de confort.
Enfin, dernier petit détail au niveau de la semelle que j’apprécie beaucoup : la forme du talon, très incurvée vers l’intérieur. En revanche, les ornements sont très proches de la bordure du talon, ce qui peut prématurer leur usure.
Note de Benoit : pour moi, c'est LE problème de cette chaussure. Les picots sont très bas sur le talon, et dès que celui-ci va s'user un peu (et ça va vite), ce sont les picots qui vont s'user. À mon sens, ce ne sont clairement pas des chaussures pour la vie de tous les jours, mais bel et bien des chaussures de soirées, pour ceux qui se font amener en taxi et qui ne marchent pas tellement en soirée, ou sur des sols sans risques, car il est impossible de faire des kilomètres sur le goudron sans user les picots du talon.
Aparté : Comment construire un look en noir ?
Je suis resté sur la dimension très rock des bottines pour construire mon look. Grand classique du style : la chemise blanche et le perfecto noir, que je complète d’un chino noir.
Je souhaiterais m’attarder un peu sur cet assemblage riche en pièces noires. Très clairement, les Orion ne sont pas un modèle polyvalent (et n’ont d’ailleurs pas vocation à l’être). De manière générale, lorsqu’un item présente un design foncièrement ancré dans un style, il sera difficile de le transposer dans un autre univers.
Si le style rock avait un drapeau officiel, il serait probablement sur fond noir ; le choix de cette couleur pour définir ma tenue est logique. Je m’assure cependant de respecter quelques règles de bases, d’autant plus vraies sur du noir :
- Varier les textures / matières : de toutes les pièces noires, aucune n’a le même aspect. Mon perfecto est patiné par l’usure ; la toile de mon chino un peu rugueuse ; le cuir des bottines est rehaussé par le cloutage.
- Jouer sur les coupes / volumes : pour éviter de ressembler à un bâton de fusain uniforme, je casse la verticalité de ma tenue. Une première fois avec le perfecto qui tombe pile sur les hanches, et une seconde avec l’ourlet de mon chino, évitant que ma jambe et la bottine ne fusionnent. La chemise blanche contribue à cet effet de cassure et illumine l’ensemble.
Un peu dogmatique par moment, j’ai tendance à dire que le noir aime toujours le noir, souvent le gris, et parfois le blanc. Comprenez-moi bien, l’harmonie du blanc est du noir n’est pas la vérité générale qu’on entend fréquemment : ici, l’ensemble fonctionne aussi parce qu’il renvoie à un fort imaginaire culturel.
Note : Si vous souhaitez aller plus loin à ce sujet, je vous invite à (re)lire notre article sur comment porter du noir.
Quelques conseils d'entretien
Je ne peux que vous conseiller de protéger vos semelles, autant pour augmenter leur adhérence que leur durée de vie. Les semelles en cuir sont peu résistantes, et les Louboutin n’échappent pas à la règle.
La cordonnerie Minuit moins 7, basée à Paris mais proposant un service à distance, est partenaire de la marque. Elle dispose de patins du même rouge (35 €), ou à pouvoir ressemeler vos chaussures avec la semelle en cuir rouge griffée (env. 200 €).
L’usage d’embauchoirs est indispensable, de même que les classiques règles d’entretien du cuir.
Mon avis sur les chaussures Louboutin homme
Quel est le rapport qualité / prix des chaussures Louboutin homme ?
Je suis satisfait des deux paires en termes de design. On retrouve une cohérence qui se distille via de petits détails qui ne sautent pas forcément aux yeux, mais qui se révèlent à mesure que le porteur les chausse. J'aime la forme des paires testées, inspirée du style anglais. Si elles sont bien exécutées, elles ne sont en revanche pas inédites, comme le souligne Benoît.
La confection est satisfaisante. Les couleurs des peaux utilisées sont profondes, le montage durable, les finitions bien amenées. Les chaussures sont aussi très confortables. Je n'ai ressenti aucune douleur, soulignons-le. On retient en revanche les picots sur la semelle des Orion : aucun doute quant à la minutie de leur pose (et de l'ensemble de l'ornement, plus globalement), mais ils demeurent trop proches de la semelle.
Mais avec ces chaussures, la vérité est ailleurs...
La semelle, partie intégrante de la chaussure, est d'une beauté assez unique. Cette nuance a un côté incandescent, passionné. C'est le rouge des femmes fatales hollywoodiennes, de la colère, de l'ardeur... C'est une couleur pénétrante, qui ajoute du caractère à la chaussure. Si seulement on ne l'abîmait pas si vite en marchant ! Toutes les semelles en cuir s'érodent rapidement, mais c'est d'autant plus visible lorsque le revêtement rouge s'escarpe. Et pour le coup, c'est assez frustrant.
Une belle forme et une bonne confection, certes, mais ce serait faire abstraction du prix. Pour le dire sans encombre, oui, elles sont trop chères niveau rapport qualité / prix. À l'approche du millier d'euros pour une paire, elle doit être impeccable en tout point, autant à l'intérieur qu'à l'extérieur. Le contrôle qualité en sortie d'usine doit être intransigeant, la paire ne doit présenter aucun défaut.
Vous conseillerais-je d’aller chez Louboutin pour une paire « neutre », sans spécificité dans le design, que vous porteriez au quotidien ? À moins que vous ne soyez séduit par l’imaginaire autour de la marque, probablement pas.
Mais lorsque l'on va chez Louboutin et qu'on est prêt à débourser autant, vient-on uniquement pour la qualité intrinsèque et les belles finitions ? Et si celles-ci ne sont pas pleinement en phase avec le prix, pourquoi autant de clients récidivent-ils ? La logique est-elle aussi terre-à-terre ?
Je prends volontairement ce modèle très tranché comme exemple. L'une des raisons motivant l'achat d'une paire de Louboutin - ou d'une pièce de créateur plus globalement - est l'existence d'une patte, d'un style qu'on ne retrouverait pas ailleurs. On peut tout à fait ne pas aimer ce type de conception, qui n'a d'ailleurs pas vocation à faire l'unanimité ! On est ici dans une démarche artistique, qui ne cherche ni le consensus, ni à s'inscrire dans un style donné.
Le soulier provient d'une recherche propre à l'artiste. Il a eu l'idée d'utiliser des cristaux de tailles irrégulières, de les placer ainsi sur des slippers, de jouer sur la brillance et le mat ; comme pour conjuguer rébellion et élégance, douceur et violence.
Ou peut-être ne voulait-il pas du tout dire ça ! Et c'est là la beauté du travail des créateurs, produire et évoquer différentes choses chez différentes personnes, alimenter différents univers, nourrir notre imagination ou notre réflexion. C'est ce qui peut nous motiver à nous procurer une de leurs pièces, parce qu'à travers leur design et leur aura, ils parlent à notre sensibilité personnelle et contribuent à une expérience unique.
Note de Benoit : on est ici sur un modèle de souliers totalement (et littéralement) provocant, au design très agressif, qui interpelle, et qui presque là pour effrayer. Même si ce n'est évidemment pas mon genre, je reconnais quand même un travail de créativité plutôt unique, polarisant et largement identifiable. Le coup des cristaux irréguliers donne un aspect presque animal à ces chaussures.
Comment expliquer le prix des chaussures Louboutin ?
Si l'on décortique le prix, il ne s'appuie pas uniquement sur la fabrication et le confort. Comme pour toutes les marques du genre, une partie correspond évidemment au nom en lui-même et joue sur le niveau psychologique, impliquant une confection sans faille. On ne refera pas le système, c'est une chose dont il faut être conscient quand on s'oriente vers du luxe "mainstream".
En outre, le prix s'explique également par le travail de recherche du créateur, les partis-pris stylistiques qu'il choisit. Cela se vérifie très bien sur les sneakers par exemple ; qu'on aime ou non, elles ont un design très particulier, propre à la marque. Dans ce cas, l'aspect esthétique prend le dessus sur l'aspect utilitaire, la démarche est moins rationnelle.
Cela suffit-il pour autant à en expliquer le prix ? Je suis parti interroger plusieurs possesseurs de Louboutin dans mon entourage, et il en est très clairement ressorti que la dernière fraction du prix correspond à la part de rêve que l'on s'offre, et au sentiment que l'on a en les portant. Vous allez comprendre...
Les Louboutinizers, quand portent-ils leurs Louboutin ?
Pour comprendre davantage la Loubies mania, je me suis adressé aux premiers concernés. Je connais cinq possesseurs de Louboutin, trois femmes et deux hommes :
- Yasmine et ses Daffodile, ses Miss Clichy et ses Feticha en cuir lisse noir - première paire achetée il y a 3 ans,
- Julie et ses Feticha noires - reçues il y a 3 ans pour ses 18 ans,
- Besma et ses Pigalle - son propre cadeau pour ses 25 ans,
- Jimmy et ses slippers Rollerboy spikes - achetés il y a 1 an,
- Sylvain et ses sneakers Louis spikes - achetées il y a 1 an.
Tous ont pour projet d'en acheter d'autres et appellent leurs paires de leur nom. Je les ai questionnés sur plusieurs points.
- L'entretien : Tous chérissent leurs petites chaussures. Côté hommes, les embauchoirs et le cirage sont de rigueur (pour les parties non cloutées des sneakers). Ce sont leurs "paires préférées", ils connaissent toutes les règles d'entretien. Les femmes sont moins précautionneuses, mais ont de la bonne volonté : les trois les rangent systématiquement dans leur dustbag, une les bourre en plus de papier. De tout leur dressing, ce sont quoi qu'il en soit les Louboutin qui reçoivent le plus d'attention.
- Le vieillissement de la paire : Le résultat est unanime, la semelle est fragile et le rouge commence déjà à s'effacer au bout de 5 à 6 ports, résultat que mon expérience confirme. "Toujours faire attention à là où tu les portes", m'a-t-on dit, ou même "le parquet d'un appartement en soirée, c'est l'idéal." Certains poussent même jusqu'à ne les enfiler qu'une fois arrivés à destination. Autrement, elles tiennent bien le coup, même si tous affirment ne les porter qu'occasionnellement.
Les cinq copains qui me donnent un coup de main en répondant à mes questions sont finalement très lucides, aucun ne considère ses Louboutin comme des chaussures de tous les jours. Et lorsqu'on leur demande quand ils les portent, le mot qui revient systématiquement est évidemment "en soirée".
Tu te démarques un peu des autres, elles te donnent un côté "mode". Ça devient la pièce principale de ton look, et tu es à l'aise dans tes pompes parce que tu sais qu'elles feront forcément leur effet. - Jimmy, 23 ans, commercial.
Deuxième place du podium : les rendez-vous galants, chez les garçons comme les filles. Eux veulent paraître soignés, leur prouver qu'ils ont fait un effort ; elles jouent du potentiel érotique du talon-aiguille et se sentent séduisantes.
Dernier lieu : le bureau. À ce propos, l'un des témoignages les plus parlants est celui de ma copine Besma, qui occupe un poste à responsabilités dans une grande banque.
Je les porte si je sors entre copines ou avec mon chéri, mais surtout au bureau. Quand tu dois défendre un projet devant une assemblée, tu ne peux pas t'empêcher d'être stressée. Avant d'entrer dans la salle, je mets mes Pigalle (modèle emblématique d'escarpin, ndlr) et, je ne sais pas, c'est comme si j'avais une cape rouge de Superman. Elles me donnent confiance en moi, c'est bizarre mais elles me donnent de l'assurance. - Besma, 27 ans, chef de projet.
J'exagère peut-être un peu, mais ces témoignages traduisent presque d'un lien qui se crée entre une personne et ses Louboutin. Elle en connaît le manque de robustesse, ne pourra pas la porter souvent, mais fait son achat en connaissance de cause : ce qu'elle recherche, c'est le style et l'émotion que la paire lui procurera.
Note de Benoit : et mine de rien, quoique je pense de Louboutin pour homme, force est de constater que bien peu de marques de mode arrivent à créer autant de désir chez des clients, tout à fait lucides et conscients des faiblesses bien présentes de ce type de souliers.
Louboutin, des power shoes ?
À mon avis, on peut entièrement qualifier les Louboutin de power shoes. Je dirais même plus qu'il s'agit du premier critère quand on achète des Louboutin : l'émotion qu'elles font naître en nous.
Note de Benoit : Arnaud, du blog Very Good Lord, utilisera aussi l'expression "power shoes" dans son article sur sa paire de mocassins Louboutin modèle "Fes".
Pour les adeptes, porter des Louboutin, c'est se sentir bien habillé, séduisant et confiant. Et c'est déjà bien ancré culturellement, la marque a su se créer un univers très riche !
Côté femme, Christian Louboutin a été très fort pour assimiler ses chaussures à la sensualité, au pouvoir de séduction et à une féminité exacerbée. Grâce à de multiples apparitions dans des séries TV ou productions hollywoodiennes (je ne peux m'empêcher de penser à l'image de Carrie Bradshaw alors que j'écris ces lignes), les expositions dans le monde entier, la dimension presque onirique de certains designs, les collaborations avec l'envoûtante Dita von Teese... et la machine est lancée.
Pour aller plus loin encore, l'un des grands tours de force du créateur est d'avoir redonné à la chaussure son aspect sexuel. Elle est redevenue cet objet de fantasme, l'accessoire qui sublime une femme. Il joue beaucoup de cette connotation fétichiste qui, forcément, renvoie encore à la séduction et au sentiment de désirabilité chez celles qui les portent. Il a d'ailleurs monté une exposition avec David Lynch sur ce sujet, FETISH. Note de Benoit : attention, ce site est no safe at work, mais les chaussures sont complètement déjantées (et accessoirement, impossibles à utiliser pour marcher).
Cette image très forte s'est étendue aux hommes qui, s'ils ne se sentent pas plus sexy en Louboutin, se sentiront esthètes. Ils sont ceux qui sont sensibles à cette féminité extrême et à ce raffinement, et partagent cet esprit en chaussant eux-mêmes des Louboutin. C'est là qu'on retrouvera les preneurs de leur Ligne Classique.
Le celebrity wear aussi est indissociable de la griffe : dès l'ouverture de la première boutique, c'était un passage de Caroline de Monaco qui avait aidé à doper les ventes. Il n'y a pas un seul tapis rouge sans qu'une actrice ou une chanteuse ne porte des Louboutin, et de plus en plus de people sont repérés des semelles rouges aux pieds, hommes comme femmes. Sans compter les nombreux titres où on entend les artistes scander "Louboutin".
Cette assimilation au show-business, ainsi qu'à l'univers érotique de la marque, font que l'on projette de façon plus ou moins inconsciente ces caractéristiques sur nous (réussite, confiance, séduction...), d'où la notion de "pouvoir". Dans l'esprit, on ne porte pas de simples chaussures, on porte des Louboutin.
La symbolique de la couleur rouge y est enfin pour beaucoup. Outre la notion de désir, que nous avons largement abordée, c'est une couleur forte, qui traduit le courage et la puissance. Quand je repense au témoignage de mon amie Besma, je me dis que l'effet ne serait sans doute pas le même si la semelle était bleue ou même dorée : le rouge devient une source de pouvoir située juste sous nos pieds.
En ce qui me concerne, ai-je ressenti une certaine puissance en les testant ? En un sens, oui. Je ne me sentais pas plus beau, ni plus important, mais elles m'ont rappelé cette période où je découvrais la mode avec de grands yeux. Disons qu'elles ont joué sur la corde nostalgique.