Historiquement spécialiste des chaussures et de la botte en caoutchouc, la marque Aigle propose aujourd'hui une ligne de vêtements complète pour hommes, femmes, enfants (et ours, si on en croit leurs pubs).
De notre côté, on a croisé l'équipe Aigle par hasard, dans le cadre du lancement d'une ligne premium. En effet, cette marque est en pleine mutation, et passe progressivement de la parka très classique, à un retour à ses origines workwear, et à un ADN très technique.
Aigle fait notamment des collaborations, ici avec Nigel Cabourn,
qui est une marque de workwear assez géniale
dont on aura sans doute l'occasion de vous reparler.
On s'est donc pas mal penchés sur la question pour voir si on allait revoir ou non notre avis. Voici donc nos conclusions dans cet article !
La vulcanisation : un procédé révolutionnaire
Pour comprendre l'évolution de la marque Aigle, nous allons retracer l'histoire de la marque.
Petit rappel historique : à l'origine de la marque Aigle, il y a la rencontre entre deux hommes visionnaires : Hiram Hutchinson, un entrepreneur américain, et Charles Goodyear, chimiste et inventeur de la vulcanisation du caoutchouc...
Jusqu'à cette découverte, le caoutchouc était une matière inutilisable à l'état naturel. En effet, celui-ci est cassant à basse température, fond quand il fait chaud, et colle lorsqu'il est exposé au soleil (tout comme le chocolat).
En 1842, après plusieurs années de recherche, Charles Goodyear trouve la solution et invente le processus révolutionnaire de la vulcanisation : en mélangeant le caoutchouc avec du soufre, et en le chauffant dans une atmosphère sous pression, il réussit à stabiliser définitivement le produit. C'est-à-dire que le caoutchouc vulcanisé est plus élastique, beaucoup moins cassant, et ne fond plus à haute température.
Le procédé est fiable, et de nombreuses applications vont voir le jour. Une industrie tout entière va ainsi se créer : pneumatique, vêtements, préservatifs... Les débouchés sont dingues et concernent de très nombreux secteurs.
Hiram Hutchinson (à l'époque, Florian n'était pas là pour lui apprendre à nouer son noeud papillon 🙂 )
Le chimiste Charles Goodyear dédia sa vie à la recherche, et fut l'auteur de nombreuses inventions.
Attention : la compagnie américaine de pneumatiques Goodyear, fondée en 1898, n'a aucun lien familial avec Charles Goodyear. Le nom de l'entreprise avait simplement été choisi pour rendre hommage à Charles Goodyear, pour l'ensemble de son travail sur le caoutchouc.
La Compagnie du Caoutchouc Souple et les produits "à l'Aigle"
En 1850, Hiram Hutchinson fait la rencontre de l'américain Charles Goodyear. Très vite, l'entrepreneur américain détecte l'énorme potentiel du procédé de vulcanisation. En effet, le caoutchouc est un matériau qui assure une excellente protection contre la pluie.
A l'époque, plus de 90% de la population française est rurale. Hiram considère alors la France comme un marché avec un énorme potentiel pour ses produits.
Vieille réclame de la marque À l'Aigle, devenue Aigle par la suite.
En 1853, Hiram Hutchinson s'installe donc à Paris et rachète à Charles Goodyear son brevet de vulcanisation du caoutchouc. Dans la foulée, il crée l'entreprise "La Compagnie du Caoutchouc Souple", destinée à produire et commercialiser des chaussures et des bottes imperméables. Il installe son site de production à Montargis, où sont fabriquées 5 000 paires par jour, et où travaillent 600 employés. Les produits sont commercialisés sous le nom de marque "à L'Aigle".
Publicité pour les bottes "à l'Aigle" (1956)
Dès 1854, Hiram Hutchinson confie les rênes de son entreprise à son fils Alcander, âgé seulement de 23 ans. En 1867, ce dernier simplifie la raison sociale de l'entreprise et la rebaptise "Hutchinson". Idem pour le nom de la marque « à l’Aigle » qui devient "Aigle". Le succès est grandissant et les produits sont vendus dans toute l'Europe, et même en Australie ! En 1860, une usine à Manheim (Allemagne) ouvre ses portes, pour mieux alimenter les marchés d'Europe centrale.
En 1898, les enfants d'Alcander décident de revendre leurs parts. Les nouveaux actionnaires vont progressivement diversifier l'offre du groupe Hutchinson : pneus pour vélos et automobiles, tentes, tapis de sol... La marque Aigle élargit aussi son offre en proposant des bottes pour la chasse, pour l'équitation, pour le nautisme, et ira même jusqu'à proposer des chaussures de basket et de tennis !
Pneu vélo Hutchinson : plus solide que l'acier !
Bien plus tard, en 1967, le site de production déménage à Ingrandes près de Châtellerault, sur le terrain d'une ancienne base américaine de 30 ha. À cette époque, l'usine tourne à plein régime et produit plus de 10 millions de paires de chaussures par an.
C'est en 1989 qu'Aigle se lance dans le textile, et commence ainsi à proposer une ligne de vêtements pour la ville et la campagne. Cette même année, la marque ouvre sa première boutique à Saint-Germain-des-Prés (Paris). Aujourd'hui encore, cette boutique est le flagship (= magasin référence) de la marque.
La boutique Aigle de Saint-Germain-des-Prés
En 1974, Hutchinson, alors en grande difficulté financière, est racheté par le pétrolier Total (sur injonction de l'Etat). Petit à petit, Total va revendre les activités dites "grand public" pour se recentrer sur celles qui sont industrielles. Ainsi, en 1994, Total se sépare de la marque Aigle, qui est revendue au fond d'investissements Apax Partners (qui possède d'autres marques dans le textile, comme New Look).
Ce fond hérite alors d'un groupe qui opère un virage stratégique très important depuis plusieurs années déjà, se désolidarisant petit à petit de son produit emblématique (la botte), pour se concentrer sur les vêtements outerwear. Le groupe Apax va donc aller dans ce sens, et accentuer cette politique de diversification de l'offre vers les vêtements. Il va imposer "Aigle" dans le paysage du textile.
La botte vulcanisée : produit emblématique de la marque Aigle
La collaboration Aigle x Kitsuné : un poncho et des bottes...
Aigle a aussi réussi à s'imposer dans le secteur de la mode.
En 2003, Aigle est une nouvelle fois revendu. Cette fois-ci, c'est le fond d'investissement suisse Maus (propriétaire de la marque Lacoste) qui en fait l'acquistion, et qui en est encore propriétaire. La marque a fêté ses 160 ans en 2013. Elle emploie aujourd'hui 1 100 salariés, et a ouvert plus de 350 boutiques dans le monde (dont 270 en Chine, au Japon et en Corée du Sud). Son chiffre d'affaires est réalisé à 65% par sa ligne de vêtements.
Mais qu'en est-il de l'intérêt des produits, pour les geeks du textile que nous sommes ?
La parka de pluie Aigle Downtown, le test (550 euros)
Aigle étant connu pour la qualité de ses pièces "outerwear", il nous fallait tester cette pièce qui a pour particularité d'allier une matière naturelle (le duvet) avec un matériau technique (le Gore-Tex).
Nous avons sélectionné la parka Downtown pour ce test. Car c'est une pièce que Aigle met beaucoup en avant, et qui est un de ses best-sellers.
Benoit et sa photogénie habituelle porte la parka Downtown,
avec le jean brut de la ligne BG et les BGNS.
Les matières techniques chez Aigle : l'association du Gore-tex et du duvet
Techniquement, le Gore-Tex est une membrane textile (c'est-à-dire une couche souple et fine) qui permet d'isoler un corps d'un autre. Sur un vêtement, elle assure un haut niveau d'imperméabilité : en effet, ses pores sont 20 000 fois plus petits qu'une goutte d'eau !
Concrètement, cela fait que l'eau à l'état liquide (celle qui mouille) ne peut s'infiltrer, même par capillarité. La membrane est donc totalement étanche. Autre caractéristique principale : son haut niveau de respirabilité. Ces mêmes pores sont 700 fois plus gros qu'une molécule de vapeur d'eau : la membrane laisse donc s'évacuer la transpiration.
La membrane en Gore-tex est laminée
entre le tissu extérieur et la doublure intérieure.
Attention, si le Gore-Tex est un matériau "coupe-vent", il n'apporte en aucun cas un gain de chaleur. La membrane permet seulement d'amoindrir la sensation de froid, mais pas plus qu'une autre matière. Associée à des matériaux chauds comme le duvet, une pièce avec du Gore-tex peut tenir chaud. Mais ce n'est en aucun cas le Gore-Tex qui sera responsable de la sensation de chaleur.
On en vient donc à un point important. Aigle a décidé d'associer à ce matériau technique, une matière naturelle : le duvet, source de chaleur. Le duvet est une matière avec un des meilleurs rapports poids/chaleur du marché. Le duvet n'est pas de la plume ; c'est un flocon (pouvant faire plusieurs cm de diamètre), et la plupart du temps, il est prélevé sur les canard et les oies.
L'apparition de matières synthétiques (évidemment moins chères) venant le concurrencer n'y change rien. Un duvet de bonne qualité sera toujours plus chaud ! Cela s'explique par sa structure microscopique qui emprisonne beaucoup plus d'air que les rembourrages de coton ou de matières synthétiques. Tu peux pas battre Mère Nature.
Mais vous vous en doutez, le duvet est aussi une matière qui est plus chère... Le luxe ultime étant le duvet de canard eider : celui-ci est prélevé à la main directement dans les nids, et son prix est astronomique !
Détail cher à Benoît, le canard eider se déplace en troupe et alterne vol plané et vol battu. Il vit dans l'hémisphère nord, notamment sur les côtes scandinaves et en Islande. Plusieurs étymologies sont envisagées. Le terme eider pourrait être un emprunt du vieux norrois aedr ou de l'islandais aedur1. Le mot « édredon » dériverait ainsi de l'islandais oedardun. On connaît en outre deux espèces fossiles, l'une conservée dans des roches de l'Oligocène moyen du Kazakhstan et l'autre trouvée dans les horizons Miocène inférieur ou du Pliocène supérieur de Lee Creek Mine, États-Unis. Il se pourrait que la seconde appartienne au genre Somateria. Benoît te dit merci d'avoir lu ce paragraphe important.
Autre élément à prendre en compte : le duvet est une matière compressible. Autrement dit, si quelque chose le compresse, il perdra une bonne partie de son isolation. C'est pourquoi une personne avec une grosse doudoune pourra sentir un peu de fraîcheur quand il y du vent si la paroi constituée par la veste est trop aplatie (les rafales viendront compresser le vêtement). Ainsi, un duvet compacté est un duvet qui isole moins.
Note de Benoit : c'est pour cette raison que vous ne devez pas choisir une doudoune trop près du corps, car si le duvet est serré, il perd ses propriétés thermiques.
Sur la parka Downtown, l'association Gore-tex / duvet est donc ambitieuse ; le risque étant que la membrane technique vienne étouffer le duvet. Mais rassurez-vous ! La parka protège bien contre le froid et surtout, elle est imperméable ! Parfait pour résister aux giboulées de mars, et amplement suffisant pour résister au froid de la métropole française !
À titre de comparaison, une parka Canada Goose tient plus chaud, mais elle n'est pas imperméable (et Liam Neeson te le dit : "Quand ton duvet est mouillé, c'est la fin").
La coupe et les finitions de la parka Downtown Aigle
La coupe de la parka Downtown n'est pas cintrée. Il faut bien comprendre qu'il s'agit d'un vêtement technique, et que la coupe n'est pas proche du corps. Personnellement, je porte une taille S, et cela ne me choque pas : je trouve ça suffisamment ajusté.
Mais comme vous le savez, j'aime bien porter des vêtements un peu amples (ce qui provoque de grands débats dans l'équipe d'ailleurs !). Benoit, qui à l'habitude de porter sa parka Canada Goose, porte lui aussi la parka Aigle Downtown en taille S.
Oui, je sais, le chino est lui aussi assez ample !
Influences streetwear obligent.
La parka possède six poches extérieures : quatre sont plaquées (et se ferment avec des boutons-pression), et deux autres permettent de glisser ses mains au chaud au niveau du buste (voir photo ci-dessous). A mon sens, toute parka se doit de posséder ces deux poches au niveau du buste : c'est essentiel pour se réchauffer les mains !
Tes mains se réchauffent, ton coeur se réjouit.
La parka se ferme avec un zip et des boutons pression. Entièrement fermée, elle recouvre entièrement le cou et assure une excellente protection. La fourrure amovible (en raton laveur) vient se poser sur les oreilles, et tient bien chaud !
"Check ce bouton presse, bro" te dit Alexandre.
La parka recouvre bien les fesses, ce qui est important pour être bien isolé du froid (sur les parkas courtes, l'isolation est assurée par un gros bord-côte sur le bas de la pièce).
La longueur des manches est bonne : elles viennent très légèrement mordre sur la main. Finition appréciable : le bord-côte au niveau des poignets renforce l'isolation contre le froid.
L'emmanchure est à la bonne hauteur : elle est suffisamment haute pour assurer du confort pendant les mouvements du quotidien, sans pour autant casser la silhouette générale de la pièce. Vous pouvez aussi glisser une grosse maille en-dessous sans problème !
Enfin, la capuche tient correctement toute seule, ce qui embellit la silhouette globale de la pièce. C'est un détail "crucial" : il n'y a pas pire qu'une capuche de parka qui s'écrase mollement dans le dos.
Enfin, il est même possible de la resserrer à deux niveaux : il y a des pattes de serrage de part et d'autre de la capuche, et une dernière sur le dessus.
Détail appréciable : la capuche est amovible !
Mais c'est mieux de la garder si tu tournes un clip de rap.
Les finitions intérieures sont soignées avec des poches zippées, et d'autres avec velcro.
Alors, cette parka downtown ?
La parka dowtown est disponible en deux coloris (dispo sur le site de Aigle) : noir et kaki, pour un prix certes un peu élevé (550 euros). Mais le Gore-Tex et le duvet sont des matières qui coûtent cher : cela se répercute logiquement sur le prix de vente final. Une bonne parka, fabriquée dans de beaux matériaux, ça a un prix ; mais c'est l'assurance de la porter pendant plusieurs années.
De fait, le mix Gore-tex / duvet est intéressant. Comme je le dis un peu plus haut dans le test, il ne s'agit pas de la parka la plus chaude que je connaisse, mais c'est amplement suffisant pour un port en France (d'autant plus qu'il est très facile de glisser plusieurs couches en-dessous). Son imperméabilité est un vrai avantage. Je trouve la pièce très fonctionnelle et très pratique (poches plaquées, poches intérieures, capuche et fourrures amovibles...).
Portez-la avec un chino, ou un jean brut comme sur les photos, et n'hésitez pas à porter des vêtements workwear (chemises en chambray, en flanelle à carreaux...) ou des pièces plus simples comme des teeshirts basiques.
Il est même possible de la porter avec une tenue plus habillée comme un costume (dans ce cas-là, optez pour le coloris noir !). Le temps du trajet bien sûr : vous serez protégés par temps pluvieux froid, mais ce n'est pas la tenue la plus élégante au monde (même si la Downtown a un bon petit style, mais je la conseille vraiment en marron, pas en noir !).
L'avis de Geoffrey : J'anticipe les questions ! Si on pense à la concurrence, je pense qu'il ne faut pas forcément se demander s'il vaut mieux la Downtown de Aigle, ou la parka Nobis, ou encore la Canada Goose, car elles ne remplissent pas les mêmes usages (demandez-vous plutôt : "de quoi ai-je besoin ?").
Car ici, on a vraiment un vêtement d'hiver pluvieux et modérément froid, versus des produits conçus spécifiquement pour la neige. À noter que Woolrich (je la porte dans l'article sur les jeans Gustin) propose un bon entre-deux, toujours dans les mêmes gammes de prix.
Note de Benoit : j'ai pu porter la parka Aigle pendant un bon moment. En fait, elle ne joue pas sur le même plan que Canada Goose qui est une vraie marque de vêtement spécialisée dans les températures négatives (au-delà, vous avez trop chaud). En fait, la parka Aigle vient prendre le relai quand il fait trop chaud pour une Canada Goose. A 5/6°, en marchant à bonne allure pendant 20 minutes parce que vous rentrez de soirée et que vous êtes pressé de rentrer dans votre lit, vous risquez d'avoir trop chaud en Canada Goose, surtout si vous avez une grosse maille en-dessous. Avec une parka Aigle, vous serez bien. En terme de chaleur, on se situe entre une Canada Goose et un manteau classique en drap de laine. Pour les gens hyper frileux,même quand il fait 10°, c'est le genre de vêtement qui vous plaira.
Alors évidemment, dès que les températures deviennent négatives, une parka Canada Goose est plus chaude ! L'expertise de la marque en termes d'isolation thermique est indiscutable, et Aigle n'a pas vocation à venir la concurrencer. Cela dit, le fait que la coupe de la parka Aigle soit relativement droite permet de rajouter une couche de vêtement facilement.