Il y un peu plus d'un an, j'écrivais cette lettre de désamour à Uniqlo, à regrets, tant nous avons été amenés à la recommander. L'heure de regarder là où la marque japonaise a progressé —ou pas— est venue. Avec un œil sans concession, mais toujours bienveillant. Rendez-vos dans un an.
Mise à jour juin 2020
En septembre 2019, Uniqlo faisait un pas en avant et annonçant viser la certification pour l'ensemble de ses doudounes en 2020. Uniqlo garantit qu'il n'y a pas de plumage à vif et de gavage sur les oies de ses doudounes.
Par contre, toujours aucune info concernant le lieu de provenance de ce duvet… Allez courage Uniqlo, on y est presque !
Mise à jour juin 2020
Cette lettre de désamour, nous l'avons envoyée le 13 mars au patron d'Uniqlo, Taku Morikawa. En lettre suivie, pour s'assurer de sa bonne réception. Bonne nouvelle, elle a été reçue. Mauvaise nouvelle, nous n'avons eu aucune réponse, or nous sommes le 6 juin. Comme dit Benoît, "quand ça veut pas, ça veut pas". Maintenant, nous allons l'adresser par mail au service client. Toujours pas de réponse au mois de juin 2020. Christophe.
Uniqlo,
C'est le coeur brisé que je t'écris ces mots. Brisé de t'avoir autant aimé, de t'avoir mis en avant dans ma vie
Je t'écris cette lettre pour t'expliquer pourquoi j'en arrive là, et j'espère que ça te servira pour la suite, pour que tu t'améliores encore et encore.
Mais là, ce n'est plus possible.
Je dois mettre un terme à notre relation.
Et pourtant, je t'ai aimé.
Oh que oui.
Je n'ai pas arrêté de parler de toi à tout le monde, je te recommandais à tour de bras : que ça soit pour des jeans, des chemises, de la maille, voire même du techwear (très) entrée de gamme.
Je te présentais sans difficulté à tous mes amis, et je n'arrêtais pas de vanter ton rapport qualité/prix imbattable.
Je n'oublierai jamais tout ce que tu as fait pour le denim.
Tu t'es battu pour initier et démocratiser les toiles selvedge du japonais Kaihara. Un jean en toile selvedge japonaise à 50 euros, c'était juste incroyable à l'époque.
En 2015, tu m'as tellement envoyé du rêve avec la création de ton Jean Research Center" !
Mais ces derniers temps, je trouve que tu t'es laissé aller, que tu as arrêté de faire des efforts. Et pire, tu as commencé à me faire des cachotteries à moi, moi qui t'ai toujours soutenu.
Ton "made in Asie", à la limite, je peux le comprendre.
Tu vas me dire que ton argument principal, c'est un prix très accessible et que ça coûterait trop cher de fabriquer en Europe. Je te rassure, ce n'est pas ce qui me dérange le plus.
Par contre, là où je te croyais différent, c'est dans ta manière de traiter tes employés, j'espérais vainement que ton côté "clean" se matérialisait aussi dans ta politique de ressources humaines et ta manière de traiter tes fournisseurs.
Mais pas du tout, tu étais comme les autres.
J'aurai dû me méfier un peu plus quand, en 2011, un journaliste d'investigation japonais sort un livre sur ton fonctionnement interne : "Lumière et ombres sur l'empire Uniqlo".
Là, tu as eu de la chance, car ce livre n'a jamais été traduit.
Selon moi, tout a changé dans notre relation quand la SACOM a mené l'enquête en 2015, constatant que les volumes horaires étaient anormalement élevés, que les salaires étaient bien trop bas, que les cotisations sociales n'étaient pas payées et que les conditions de travail étaient franchement dangereuses.
Ce rapport a fait l'effet d'une bombe, et il a largement été relayé dans la presse, y compris dans la presse française (Le Figaro, "Conditions de travail: Uniqlo demande mieux", Le Figaro, "Deux sous-traitants chinois d’Uniqlo épinglés"
Le plus triste dans tout ça ?
C'est qu'un an plus tard, rien n'a changé, et tu es à nouveau pointé du doigt pour tes mauvaises conditions de travail (Fashion Network, "Uniqlo de nouveau attaqué pour ses pratiques de travail), toujours par la SACOM.
Même Hypebeast a relayé l'info ! (Hypebeast, "Reporter Goes Undercover at Uniqlo to Examine Labor Practices")
Tu m'as promis que tu allais faire des efforts, que tu allais changer, que désormais tu avais compris. Et je t'ai cru.
Tu as annoncé en 2018 une politique de bien-être au travail, mais bon sang, il t'a fallu trois ans pour que tu réagisses !
J'ai voulu te croire, sauf que, toujours 2018, rien n'a vraiment changé. D'ailleurs, la même année, tu trempes dans une affaire pas très claire (Clean Clothes, "Statement on the refusal of Uniqlo to pay what is owed") où tu as refusé d'aider une usine au bord de la faillite car, je cite, tu n'avais pas "d'obligations légales à le faire".
Mise à jour juin 2020
Malheureusement, cette affaire n'est toujours pas réglée (Labour Behind the Label, "Take action: Uniqlo owe workers 5.5million USD), les travailleuses indonésiennes estiment qu'Uniqlo doit 5,5 millions de dollars de salaires impayés, à tel point qu'il y a eu une manifestation à Milan en septembre 2019 à l'occasion de l'ouverture d'un Uniqlo à Milan.
Le mouvement a grossi, grossi, jusqu'à se rassembler autour du hashtag >#PayUpUniqlo.
Et le 21 avril 2020, ce fut le cinquième anniversaire de cette triste affaire… (Clean Clothes, "Former Uniqlo garment workers vulnerable due to COVID-19 restrictions on fifth anniversary of factory closure")
Tu t'es encore fait épingler par "Baptist World Aid" et son où tu écopes de la note générale D+ (la plus mauvais étant F).
Et tu as eu la pire note (F) pour la partie "worker empowerment". Cette note indique la proportion dans laquelle les travailleurs peuvent se faire entendre, s'unir et négocier des accords avec la direction.
Non mais sérieusement quoi… Si tu es si fier de tes jeans, prends exemple sur Outland Denim, qui fabrique au Cambdoge et qui va bien plus loin dans la transparence.
Mise à jour juin 2020
Le site Baptist World Aid étant inaccessible au moment de la mise à jour de cet article, je n'ai pu vérifier l'évolution du score d'Uniqlo.
Voici un autre indicateur, la note de Moralescore, où Uniqlo est classé 21 sur 29. Cela dit, notons que la société paie normalement ses impôts dans chaque pays où elle exerce et ne semble pas user de paradis fiscaux.
Ok, tu as eu un "A-" pour la partie "Engagements", mais il faudrait peut-être aller plus loin que des engagements justement…
Tu es clairement en queue de peloton.
Et tu n'as aucune excuse.
Aucune.
Tu pourrais au moins publier la liste de tes fournisseurs, comme l'ont fait Asos et Icebreaker par exemple.
A moi de faire amende honorable, j'ai été trop sévère avec toi car cette liste de fournisseur existe (Fast Retailing, "Enhancing Traceability and Production Partners List"). Tu dois continuer dans cette voie, et te montrer plus transparent sur ton cachemire et ton duvet !
Mise à jour novembre 2019
Uniqlo annonce qu'il vise la certification RDS en 2020.
Ton géniteur, Tadashi Yanai, est l'un des hommes les plus riches du Japon. Il a les moyens de faire d'Uniqlo cette marque exemplaire sur tous les points et d'engager une politique sociale et environnementale ambitieuse.
Ta mission, elle est écrite dans ton rapport de développement durable 2019 : changer le monde.
Moi j'ai l'impression que tu n'as rien changé du tout, malgré tes initiatives en la matière.
Alors peut-être que chez les autres marques de ta (maison) mère (Comptoir des cotonniers, J Brand, Helmut Lang, Princesse Tam-Tam, Theory, etc) c'est différent, et qu'il y a plus d'efforts.
Mais ce n'est pas la question, c'est à toi que cette lettre s'adresse, pas à ton copain Helmut Lang (très belle griffe autrichienne au passage).
Je suis fatigué que tu me caches des choses. Tu fais exprès de ne pas dire d'où vient ton duvet, ni dans quelles conditions il est recueilli, alors que tu dois être l'un des plus gros consommateurs au monde de cette matière.
Mise à jour juin 2020
Au niveau de la transparence, les choses ont évolue dans le bon sens. Il y a désormais un data book, où nombre de données sont compilées.
Uniqlo joue le jeu puisqu'on y trouve même le nombre de cas d'harcèlements au travail.
Les fournisseurs d'Uniqlo sont également audités, et le moins que le puisse dire, c'est qu'Uniqlo se met à nu en dévoilant par exemple le nombre d'usine qui ne sont pas dans des normes.
Par exemples, 35% des usines ne sont pas aux normes en ce qui concerne la santé et la sécurité des employés. Tandis que 0,1% des usines font une violation du droit de grève.
J'aimerai pouvoir commenter plus en détails ces chiffres, mais je n'ai pas de point de comparaison.
Certains chiffres sont encourageants, comme la consommation d'énergie qui diminue.
Bref, tout n'est pas noir ou blanc, et je salue la démarche de transparence d'Uniqlo à ce sujet.
Tu pourrais au moins te battre pour moi, te battre pour obtenir la certification Responsible Down comme l'ont fait tes copains de chez Arc'Teryx ou Colombia, mais tu as décidé de n'en faire qu'à ta tête. Je n'ai donc aucune garantie sur le fait que les oies ne sont pas plumées vivantes par exemple.
Mise à jour juin 2020
Uniqlo est engagé dans le processus de certification RDS. Pour info, Décathlon et H&M ont déjà obtenu cette certification.
A noter aussi qu'ils sont en train de s'orienter exclusivement vers de la laine mulesing free.
Par contre, il n'y a toujours rien sur l'origine des plumes et du cachemire, même si Uniqlo semble vouloir améliorer sa méthode de récolte du cachemire. L'article est très flou , mais c'est mieux que rien.
Citons également son rapport de développement durable (sustainability report), qui s'améliore année après année et qui résume toutes les initiatives d'Uniqlo prises en ce sens.
Et ne me dis pas que tu n'as pas d'autres solutions à utiliser du duvet, c'est faux.
Tu n'arrêtes pas de dire à tout le monde que tu es fier de mener beaucoup de Recherche & Développement, que tu adores les matières techniques, alors pourquoi tu n'en trouves pas une pour remplacer le duvet ?
Moi je pense savoir pourquoi tu ne le fais pas : tu crains que je sois trop bête pour comprendre.
Et ne me dis pas qu'il n'y a rien de plus performant que le duvet, c'est faux.
Tu sais très bien que pour un usage urbain une isolation synthétique de qualité, comme une technologie de filaments continus, fait parfaitement l'affaire. Et en plus, ça ne craint pas la compression ni l'humidité.
Et sur les vêtements de pluie, je ne supporte plus de te voir jouer sur l'ambiguïté entre les mots "water resistant" et "waterproof'.
D'ailleurs, c'est peut-être pour que ça que j'attends toujours que tu me donnes les performances du test colonne d'eau sur tes membranes.
Mais non, à la place tu me fais des filouteries en étant volontairement flou :
Moi je veux que tu sois sincère avec moi.
Et puis tu parles mal à mes amis.
Christophe, le rédacteur en chef avec lequel je travaille, n'était vraiment pas content que ton service client censure son avis - certes négatif - sur la marque, ça n'est pas cool du tout !
Comment tu as pu me faire un coup pareil alors que je lui ai dit beaucoup de bien de toi ? C'est abusé !
Bref, je n'oublierai jamais tout ce que tu as fait pour moi, tout ce que tu as apporté au vêtement, mais là, tu as épuisé ma patience.
J'ai eu un très grand amour pour toi, je n'arrêtais pas de dire du bien de toi tout le temps, mais maintenant, je ne t'aime plus.
Je te souhaite sincèrement de devenir une marque encore meilleure, tu le mérites. Mais pour le moment, nous n'y sommes pas.
Benoît
PS : et ça continue, il y a une semaine, on s'est encore plaint de ta culture d'entreprise nocive (News.com.au, "‘Everyone has some form of PTSD’: Former Uniqlo employees describe toxic bullying culture") et de tes cadences infernales pour tes employés qui travaillent en boutique, et ce, quelque soit leur métier.
Tu ne m'auras décidément pas épargné. Et comme d'habitude, tes excuses sont lapidaires.
Mise à jour : parce que je veux rester objectif avec toi, on m'a envoyé ce témoignage qui dit du bien de toi et de tes conditions de travail :
«En ce qui concerne les conditions de travail c'est comme dans n'importe quelle entreprise, chaque magasins d'une même enseigne à les mêmes standards de fonctionnements mais chaque équipe est différente, tu tombes sur le bon lot ou non, je bosse chez uniqlo et je ne suis jamais tombée sur une entreprise aussi à l'écoute et bienveillante.
Les horaires légales sont respectées, les heures supp sur volontariat, ils sont très arrageants, tickets restau, prime de fin d'année, -30% sur les achats perso, tous les 5 mois des uniformes sont offerts, la possibilité de monter en grade est accessible à tous dans les équipes.
Les standards sont stricts un peu à la militaire, la tenue du magasin doit toujours frôler l'excellence, breefings réguliers, connaissances des produits impeccable, ect mais toujours dans le but du respect de ses coéquipiers et clients.
Ca peut paraître rigide mais c'est une habitude à prendre, si vous n'êtes pas rigoureux et perfectionniste alors travailler à Uniqlo n'est pas une bonne idée.
Ne généralisez pas le problème, Uniqlo est une bonne entreprise pour certaines personnes et pas d'autres simplement.
En ce qui concerne les produits, leur qualité et leur fabrication ca vous regarde, si vous n'en êtes pas satisfait personne vous oblige à y rester client.»