Nous vous avions déjà parlé de cette nouvelle venue sur la planète souliers, qui nous avait tapé dans l'oeil.
Avec sa fabrication 100% française, ses prix justes et ses styles raffinés, Jacques & Déméter est une marque comme on les aime ! Elle a été fondée par Maxime et Valentine et propulsée par la plateforme Ulule, illustrant l'importance et la pertinence du crowdfunding pour les petits entrepreneurs qui souhaitent se lancer.
J'avais quelques questions à leur poser avant de passer au test d'une paire de double boucles.
Interview de Valentine et Maxime, fondateurs de Jacques & Déméter
D'abord, pourquoi les souliers ?
C'est venu très simplement : avec Valentine, cela faisait un bon moment qu’on avait envie de se lancer. On en a beaucoup discuté et on s’est rapidement rendu compte qu’on voulait vivre d’une passion commune.
De plus, ne venant pas du milieu de la mode, nous ne nous imaginions pas proposer un vestiaire complet. Les chaussures représentent une petite partie d’une tenue, mais elles en disent long sur celui qui les porte. Notre objectif est tout aussi simple : proposer des souliers haut-de-gamme (fabrication et matériaux), à un prix le plus juste possible grâce à un circuit de distribution court et direct.
Effectivement, lorsque l'on regarde plus en détail les différentes étapes du processus de fabrication, la notion de circuit court prend tout son sens :
Aujourd'hui, le "Made in France" est extrêmement exposé dans les médias. Au-delà de l'image, qu'est-ce qui vous a le plus séduit dans l'idée de tout faire fabriquer dans l'hexagone ?
Le "made in France" est là depuis le tout début (genèse du projet dans nos têtes à la mi 2010). Je l’ai déjà dit ailleurs mais, même si nous avions aussi d’autres considérations en tête, produire en France a pour nous un aspect très pratique.
Comme nous tenons à pouvoir superviser et suivre tout le processus de fabrication en permanence, il est bien plus simple de faire fabriquer nos chaussures là où nous pouvons nous rendre facilement et régulièrement.
Par ailleurs, il y a, pour la chaussure, un vrai savoir-faire - historique et réputé - en France. Que ce soit pour la fabrication ou pour le cuir. Donc pourquoi vouloir aller faire ailleurs ce qu’on peut (très bien) faire ici ?
Dans ce contexte, que pensez-vous de la concurrence des autres fabricants dans les pays à main d’œuvre moins / peu chère ?
Quand on connaît le coût d’un cuir de qualité et le temps de main d’œuvre nécessaire pour la fabrication d’une paire de chaussures, il est simplement impossible de proposer du haut-de-gamme en respectant le droit des travailleurs et en utilisant des matières premières de qualité en dessous d’un certain coût de fabrication (et donc un certain prix de vente).
Les fabricants à faible coût de main d’œuvre font nécessairement l’impasse sur l’un de ces aspects, voire sur tous. Produire en France est aussi un moyen de dire que nous sommes attachés à certaines valeurs.
Des valeurs telles que la durabilité et le "consommer mieux" par exemple ?
En faisant fabriquer nos chaussures en France et en utilisant des cuirs de veau Français (tanneries du Puy et Degermann), nous nous approchons de la notion de développement durable.
Nos chaussures ne font pas 3 fois le tour de la planète avant d’être livrées à nos clients et les cuirs que nous utilisons ont un impact limité sur l’environnement.
En plus, sur notre blog, j’essaie d’expliquer qu’en entretenant correctement et régulièrement une paire de chaussures, en la faisant réparer par un cordonnier lorsque c’est nécessaire, il est tout à fait possible de la conserver de très nombreuses années. Nous ne sommes donc pas dans la définition littérale du développement durable, mais dans une démarche du consommer moins et surtout consommer mieux, en tentant de faire reculer les achats jetables.
Puisque l'on parle de durabilité, est-ce qu'il vaut mieux un tannage végétal peu polluant ou un tannage au chrome plus "robuste" ?
Pour la confection de chaussures, il y a très peu de cuirs qui sont à tannage végétal, pour la simple et bonne raison que ces cuirs sont moins résistants et les possibilités plus limitées qu’avec les cuirs tannés au chrome.
Donc d’un point de vue qualité pour la chaussure, il n’est pas possible, au jour d’aujourd’hui, d’obtenir un cuir aussi bon avec un tannage végétal.
Sur le plan environnemental, les progrès technologiques et les contraintes règlementaires sur les tanneries européennes font que les choses avancent dans le bon sens.
Le problème du tannage au chrome est davantage lié aux pays dans lesquels la réglementation est plus laxiste. Cela entraîne des négligences aux conséquences désastreuses pour l’environnement et la santé de ceux travaillant dans ces tanneries.
Mais le débat est une bonne chose, car il met sur la place publique les problèmes et dérive d’une industrie : c’est le meilleur moyen pour que les différents acteurs fassent en sorte que les choses changent.
En terme de style, comment concevez-vous vos modèles ?
Au départ, il y a toujours un type de chaussures qu’on aime ; que, personnellement, j’ai envie de porter, de m’approprier. Cela peut être quelque chose de contemporain, mais ça peut aussi être un modèle de chaussures bien plus ancien.
Cela nous permet, au final, de nous adresser à ceux qui souhaitent être bien chaussés, sans pour autant porter ce que j’appelle des « chaussures de ministre » (dont l’archétype est le richelieu noir à bout droit). Je ne dis pas que ces modèles ne sont pas beaux, simplement que ce n’est pas ce genre de chaussures que je porte au quotidien.
Pour terminer... Est-ce qu'aujourd'hui votre entreprise est viable ? Quels sont les projets à moyen / long terme ?
Tout dépend de ce qu’on entend par viable : je n’ai pas pu m’acheter le manteau de mes rêves chez Loro Piana ou une Patrimony de chez Vacheron Constantin, mais nous mangeons à notre faim et nous nous offrons, de temps à autre, quelques jours de repos au soleil !
À moyen terme, nous allons continuer de développer notre gamme en prêt-à-chausser car il y a tant de modèles mythiques et incontournables que nous souhaitons revisiter...
Ensuite, sur le long terme, nous débordons d’idées : la mise en place d’un service "Made To Order", séries limitées avec des cuirs exotiques, ligne de maroquinerie, boutique physique, etc. Les projets ne manquent pas !
Test des double boucles chez Jacques & Déméter
Place au concret maintenant, puisque je vous propose de regarder d'un peu plus près le travail proposé par la jeune marque !
Cela fait maintenant plusieurs mois que j'ai craqué sur cette paire, donc je vais vous livrer un retour basé sur mon expérience. Le modèle en lui-même est (re)devenu un basique : les souliers double boucles (parfois appelés monk straps) sont élégants et raffinés.
Avec un pantalon de costume ou tout autre bas habillé, elles s'accordent parfaitement ; d'autant plus si le pantalon est coupé en feu de plancher, c'est-à-dire au-dessus de la cheville.
Cependant, je les porte régulièrement avec un jean assez près de la jambe, en faisant un revers pour le remonter un petit peu. Donc, très concrètement, un modèle qui n'est pas fait pour rester au placard !
Dans un premier temps, focus sur l'aspect général et la qualité de la peau, avant de passer au montage et aux détails. Si vraiment vous débutez avec le cuir, je vous conseille une lecture rapide de la première mais surtout de la seconde partie du guide consacré à la qualité du cuir.
Le cuir des double boucles
Comme vous le savez désormais, la marque travaille avec des tanneries particulièrement réputées pour leur savoir-faire, et cela se voit. Le grain du cuir est aussi fin que régulier, un couplé gagnant qui ne ment pas : sur du pleine fleur, la moindre piqûre de moustique ou veinure sautent aux yeux.
La sensation au toucher est extrêmement agréable, la matière est douce, lisse et sensuelle.
À la simple vue : une texture homogène qui se pare de reflets profonds et mats, rehaussés par la brillance métallique des boucles.
On remarquera des plis d'aisance relativement discrets : une peau de qualité bien tannée aura cette capacité à ne trop pas marquer les pliures, ce qui participe grandement à l'esthétisme du soulier. En somme, rien à dire sur l'aspect général : la tannerie honore les plus hautes attentes que l'on puisse avoir en matière de fabrication française.
Quel montage sur les double boucles ?
Malgré la présence de petits points de couture sur la semelle extérieure qui peut faire penser à du goodyear, nous sommes en présence d'un cousu blake sous gravure. La différence avec un blake classique ?
Il suffit de retourner la chaussure pour le savoir : aucun point n'apparaît, tout simplement parce que la petite gorge accueillant les coutures est refermée pour protéger le fil. Maxime a précisé qu'une gravure de qualité ne doit pas être trop profonde pour ne pas fragiliser la semelle, mais suffisamment pour bien protéger la couture.
Le goodyear est souvent présenté comme un parangon de qualité et de durabilité : je crois cependant que le blake rivalise aisément avec le goodyear dans la pratique, même si sur le papier ce n'est pas forcément le cas.
Tout indique que le montage est ici parfaitement réalisé : aucune "faiblesse" du cuir après de nombreux ports qui aurait pu trahir un assemblage irrégulier ou une mauvaise découpe du cuir.
Les points visibles à l'intérieur de la chaussure (sous la première de propreté) sont dits "noués" et donc réalisés avec 2 fils : là aussi, le travail est net et régulier. Même remarque pour ceux visibles à l'extérieur : ils servent à renforcer la solidité de la semelle et viennent en complément du collage des différentes tranches de cuir composant la semelle.
Les détails de la chaussure
La tige et l'assemblage des différentes découpes de cuir indiquent un travail sérieux : les renforts au niveau de l'arrière de la chaussure maintiennent le talon, et je n'ai pas eu d'ampoule à ce niveau-là malgré un port intensif... pendant la fashion week = marathon ! Les coutures sont fines, régulières mais rares ; car le design de la chaussure offre une large surface de cuir non rapiécé.
La portée de la chaussure est impeccable, ce qui n'est pas toujours le cas même sur des souliers à prix équivalents : le talon est parfaitement posé, et l'avant marque une légère courbe sur la pointe.
J'ai fait poser un patin pour protéger la semelle, mais la partie restant visible confirme une belle qualité de peau. Le talon comporte un insert en caoutchouc, ce qui évite de devoir le faire protéger à moyen terme : le cuir exposé va se lisser petit à petit.
J'aurais, en revanche, quelques petites remarques concernant la finition, en particulier au niveau des boucles. Les lanières destinées à être bouclées frottent sur le métal, ce qui génère des espèces de petits "lambeaux" de peau. Pour remédier à cela, plusieurs possibilités comme le cirage de la tranche, ou même le goudronnage. Maxime m'a affirmé que c'est un détail qui a déjà vocation à être amélioré sur les séries à venir : les bords seront rempliés : c'est-à-dire qu'en plus d'être paré (aplati), le cuir sera replié sur lui-même pour une finition parfaite.
Malgré ce petit détail, vous aurez compris que je suis tout acquis à l'achat d'une paire Jacques & Déméter.
Pour la qualité bien sûr, car le travail réalisé est vraiment propre et honorable, et puis c'est un PLAISIR d'entretenir une main d’œuvre qualifiée et, surtout, respectée pour son savoir-faire.
Pour la démarche aussi ! À un moment où tout le monde estime la fabrication française réservée uniquement aux grandes Maisons, ces deux entrepreneurs rappellent qu'avec la détermination qui fût la leur, le projet d'un produit comme la chaussure 100% made in France n'a rien d'utopique.
Enfin, dernier point important : le prix. À 375€, cela semble cher, mais on est vraiment sur un prix juste, garantissant un achat de qualité d'une part, et une rémunération équitable pour toute la chaîne derrière.
Retrouvez la paire de double boucles sur le site de Jacques & Déméter.
Vous pouvez également jeter un œil au blog de Jacques & Déméter, dans lequel vous trouverez de bons conseils.