Guide « RSE » – La Chine : l'atelier du monde

Guide « RSE » – La Chine : l'atelier du monde

Notre première partie sur le Guide "RSE" made in France, ce qui se cache derrière l'étiquette est d'ores et déjà disponible juste ici.

L'ÉTAT DU MARCHÉ CHINOIS

L'année 2010 a marqué l'hégémonie industrielle incontestée d'un pays : la Chine. Le pays prenait alors la première place sur le podium mondial de la production manufacturière, atteignant une valeur annuelle de 1995 milliards de dollars, passant devant les États-Unis et leurs 1952 milliards.
Depuis, la Chine représente 28% de la production mondiale, devançant désormais les États-Unis de plus de 10 points.

production manufacturière mondiale

Aujourd'hui, la Chine domine toujours la production manufacturière mondiale, mais est-elle toujours "l'usine textile du monde ?"

Pour rédiger ce guide, nous retrouvons nos experts Catherine Dauriac et Thomas Ebélé, qui nous avaient déjà aidés pour le guide RSE du Made in France

Catherine Dauriac est une activiste pour le climat. Elle est aujourd'hui journaliste indépendante et présidente de Fashion Revolution France.

Lanceuse d'alerte, Catherine souhaite un changement positif mais radical dans l'industrie de la mode. Pour ça, elle a notamment écrit un livre intitulé "Fashion, fake or not", qui décrypte le secteur de la mode, et plus particulièrement la fast fashion, les matières premières et les conditions de travail.

catherine dauriac

Thomas Ebélé est convaincu qu’il faut agir pour préserver l’environnement et assurer les droits des employés du textile.

Il s'est associé avec Eloïse Moigno afin de lancer SloWeAre en 2016. Il souhaite démontrer que l’on peut avoir un double impact positif sur les marques sincèrement engagées et sur les consommateurs en assurant éthique, transparence et qualité dans la chaîne de valeur.

thomas ébelé

Aujourd’hui la part de l’industrie dans le PIB chinois tend à décroître. En 2009, les emplois de services représentent la part la plus importante du PIB. Le secteur tertiaire est donc en pleine expansion et consolide sa première place, passant de 44% du PIB en 2011 à 51% aujourd'hui.

Comment la Chine reste leader si les services prennent le pas sur l'industrie ?

En se spécialisant.

Après avoir été durant presque quarante ans la destination favorite des délocalisations de produits bon marché, grâce à sa main-d'œuvre abondante, peu chère, et peu qualifiée, la Chine a développé une multitude de savoirs-faire.

usine textile

(Photo by Ryan Pyle/Corbis via Getty Images)

Le pays demeure le premier exportateur textile mondial (environ 30%, soit 154 milliards de dollars d'exports en 2020),  dispose d'infrastructures modernes, d'une gestion efficace de la chaîne d'approvisionnement et d'une productivité élevée. En effet, compte tenu de son statut "d'usine du monde" pendant quatre décennies, la Chine a accumulé une expérience certaine, notamment avec ses managers capables de gérer des stocks importants et une cadence de production considérable, le tout en flux tendu.

Avoir cet atout augmente l'efficacité et la productivité d'une usine. Cela a également l'avantage de raccourcir les délais de livraison.

De plus, les entreprises chinoises adoptent des méthodes de production automatisées ; la Chine est l'un des principaux importateurs de robots utilisés pour cette automatisation.

textile

Mais la Chine est devenue un pilier incontournable de la production de sportswear et de vêtements techniques, qui requièrent tous deux un investissement conséquent en coûts techniques et coûts humains. En effet, ces pièces sont fabriquées à l'aide de tissus spéciaux ; tels que le Gore-tex ou le polyamide ; et de techniques avancées, par exemple des manipulations chimiques ou technologiques.

Pour plus de détails, nous avons un article complet sur le sujet.

Trading Away our Rights d'Oxfam ont révélé que les femmes pouvaient subir plus de 150 heures supplémentaires par mois, que 60 % d'entre elles n'avaient pas de contrat écrit et que 90 % n'avaient pas accès à l'assurance sociale.
usine textile

(Photo credit should read Feature China/Future Publishing via Getty Images)

La loi ordonne que le temps de travail se limite à 44 heures par semaine et pas plus de 36 heures supplémentaires par mois.
Malheureusement, la réalité se rapproche plus des 60h en moyenne, atteignant parfois 80h, toujours selon le rapport d'Oxfam.

En effet, les heures de travail standard sont de 10 à 12 heures et parfois de 15 à 16 heures par jour, avec un ou deux jours de congé par mois. L'ACFTU (le seul syndicat autorisé par le Parti Communiste) a lui-même constaté que 62% des salariés travaillaient 7 jours sur 7 et qu'un quart d'entre eux ne recevaient pas leur salaire à temps.

manifestation uniqlo

(Photo by David Wong/South China Morning Post via Getty Images)

Afin de lutter contre ces abus, des lois strictes furent promulguées par le président Xi Jinping, mais elles restent peu appliquées. Les autorités de contrôle des conditions de travail sont régulièrement accusées de détournement de fonds et de négligence.

De nombreuses entreprises textiles ont délocalisé dans des pays aux coûts de production plus faibles, comme la Tanzanie, le Bangladesh mais aussi au Cambodge. A Phnom Penh, de nombreux industriels textiles chinois louent les usines (au loyer avantageux par rapport à certaines provinces de Chine), le salaire mensuel minimum y est également plus bas (80 dollars US/mois, contre 149 dollars US/mois en Chine). Enfin, les produits textiles fabriqués au Cambodge bénéficient d'une politique préférentielle hors taxes à l’exportation vers l’UE.

carte délocalisation

Par exemple, une loi de 2007 obligeant un contrat écrit est très peu appliquée, permettant l’exploitation de travailleurs ignorants et/ou analphabètes, les privant de tout recours juridique.

En théorie, le droit du travail impose également aux employeurs de fournir une assurance vieillesse, une assurance contre les accidents du travail, une assurance maternité et une assurance médicale. Mais en pratique, ces prestations ne sont pas toujours fournies. Il est estimé que 9 entreprises chinoises sur 10 ne respectent pas les normes du droit du travail national.

En 2017, la Fédération Internationale des Droits de l'Homme (FIDH) publie un rapport sur les conditions de travail des ouvriers chinois. Ce rapport préconise que le gouvernement chinois doit "traiter le problème de corruption chez les inspecteurs", et "s’assurer que les autorités locales n’accordent pas de dispenses incompatibles avec la législation nationale, notamment en ce qui concerne les heures supplémentaires et la sécurité sociale".

Les donneurs d'ordres ne sont pas assez délicats : "Soyons conscients au niveau de la gouvernance, c’est toujours le même problème. Si derrière les grands groupes qui essaient d’imposer leur cahier des charges, le cahier des charges ne doit pas être seulement technique, mais d'abord social, environnemental, puis technique" confie Thomas Ebélé.

En 2005, le CNTAC (China National Textile and Apparel Council, un conglomérat d'entreprises textile chinoises) met au point un code de bonne conduite sur les conditions de travail dans le secteur du textile, le CSC9000T. Du Yuzhou, le président du conglomérat promet que les engagements pris soient en adéquation avec les principes du Pacte Mondial des Nations Unies. Pourtant, le code est surtout basé sur le droit chinois et ne respecte pas tous les standards de l'Organisation Internationale du Travail (OIT). Plus surprenant encore, le règlement ne prévoit pas de garde-fou indépendant pour vérifier sa bonne application.

Catherine Dauriac

“Quand on achète un T-Shirt à 5 balles, 6 balles, il y a forcément de la souffrance derrière”. Catherine Dauriac

Puisque nous abordons le sujet des conditions de travail, il nous est impossible de clore le sujet sans parler de la controverse la plus médiatisée : les Ouïghours.

manifestation soutien ouighours

(photo by Mark Kerrison/In Pictures via Getty Images)

Depuis 2014, le gouvernement de la République populaire de Chine mène une violente politique de répression envers les minorités religieuses, majoritairement musulmanes, de la région du Xinjiang. Et notamment envers les Ouïghours.

"C'est compliqué de donner un chiffre précis. Selon mes données, 500 000 ouïghours travaillent dans les champs de coton, et certains évoquent même un million de travailleurs forcés." Catherine complète : "Tout compris, cela représenterait 5 millions de Ouïghours contraints."

Ces prisonniers politiques sont utilisés comme main d’œuvre quasi gratuite par des entreprises de manufacture textile chinoises.

Ces manufactures sont elles-mêmes sous-traitantes de grandes marques internationales, souvent occidentales, et bien connues par les consommateurs.

La coalition pour mettre fin au travail forcé estime que plus d'un produit en coton sur cinq vendu dans le monde est entaché de travail forcé et de violations des droits de l'homme qui se produisent dans la région du Xinjiang.

manifestation soutien ouighours allemagne

(Photo by Markus Scholz/picture alliance via Getty Images)

Par exemple, l'usine Quingdao Taekwang Shoes produit 7 millions de paires de chaussures par an pour Dirty Laundry (vf : Linge sale), un rapport publié par GreenPeace en 2011, la situation phréatique chinoise est préoccupante : "La Chine est l'un des pays avec les eaux les plus polluées au monde. 70 % de ses rivières, lacs, réservoirs sont affectés. La pénurie s'aggrave à cause de la spirale de la demande et des effets croissants du réchauffement climatique. Un quart du pays n'a plus accès à l'eau potable. Les pénuries d’eau s'aggraveront à travers la Chine si aucune action n’est engagée pour s’attaquer au problème."

Jusqu'en 2014, les lois concernant la protection de l'environnement étaient floues et très peu appliquées. Cette année-là, le Président Xi Jinping déclara une "guerre à la pollution". Au fur et à mesure des années qui suivirent, les lois furent renforcées et leur application s'intensifia.

Par exemple, les agences gouvernementales sont habilitées à sanctionner les entreprises polluantes ainsi qu’à saisir leurs biens et aucune limite ni échelonnage n'est fixée sur les amendes encourues par les industries polluantes. En d'autres termes, les autorités peuvent sanctionner les pollueurs comme elles le souhaitent, sans limites.

Alors que les entreprises s'empressent de se conformer à une législation de plus en plus stricte, les coûts de production ont également augmenté.

UN GOUVERNEMENT OMNIPRÉSENT

La Chine s'éloigne donc résolument d'une politique environnementale passive qui n'existait que de nom avant 2015 et s'oriente vers l'interventionnisme étatique fort qui la caractérise dans de nombreux autres secteurs de son économie. En effet, le gouvernement chinois intervient fréquemment dans son industrie, quand celle-ci n'est pas déjà nationalisée. Par exemple, la Chine a envoyé des "représentants" aux conseils d'administration de géants du retail ou de l'automobile tels qu'Alibaba ou Geely.

Pour l'universitaire américain Philip S. Golub, il s'agit d'une manœuvre stratégique : "La modernisation industrielle intersectorielle menée par l'Etat a permis à la Chine de progresser régulièrement dans de nombreux domaines industriels et de capter une part croissante de la valeur ajoutée."

Selon le gouvernement, le rôle des "représentants des affaires gouvernementales" est de favoriser la communication et d'aider les entreprises à mener à bien des projets clés. Dans la réalité, le gouvernement du Président Xi Jinping resserre l'étau sur un secteur privé en pleine expansion. En témoigne la disparition temporaire de Jack Ma, PDG d'Alibaba + d'octobre 2020 à janvier 2021. Son retour à la vie publique s'est accompagné d'un comportement élogieux envers le gouvernement chinois.

jack ma fondateur Alibaba

Jack Ma, PDG d'Alibaba, lors de son allocution de retour en janvier 2021.

Dans son intervention en ligne, Jack Ma a vanté les efforts du régime communiste pour éradiquer la grande pauvreté, projet phare du président Xi Jinping.

Il s'est dit "plus déterminé que jamais à aider l'éducation et le bien public", là où il avait été critique de sa participation économique à peine deux ans auparavant : "La consommation chinoise n'est pas dirigée par le gouvernement mais par l'esprit d'entreprise, et le marché".

La solution serait “d'arrêter d’acheter, pour que les marques arrêtent de vendre, et que les usines arrêtent de produire. Autrement, n’attendant pas que le consommateur soit conscient, soyons conscients au niveau de la gouvernance" préconise le fondateur du label SloWeAre.

Si la Chine souhaite s'éloigner de cette image d'usine textile du monde, sa participation dans l'univers textile reste considérable, tout comme son impact humain et environnemental.

classement des principaux exportateurs

Toujours leader dans la production de textile mondiale, d'autres pays toujours plus compétitifs tentent de récupérer des parts du marché.

Pour ça, les conditions de travail sont toujours de plus en plus difficiles et précaires :"En Inde par exemple, les enfants confectionnent des tapis dans les caves des bidonvilles pour limiter les coûts" rappelle Catherine Dauriac.

Et ce n'est pas un cas exceptionnel, en effet, selon la CIDE, ce serait des dizaines de millions d'enfants qui travailleraient dans le pays.

Alors dans le marché textile mondial, quelle est la place de l'Inde ? Quelles sont les conditions de travail d'un ouvrier ?

Réponse au prochain épisode.

Équipe éditoriale BonneGueule,

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