Il y a quelques temps, alors que j’errais dans le grenier de mes parents, je suis tombé sur un item insolite. Là, entre les babioles et les bricoles, se tenait une jolie petite sacoche en cuir, patinée par le temps.
Si je vous raconte ça, ce n’est pas par nostalgie, même si ça m’a fait sourire d’imaginer mon père y glisser des billets de 100 francs, des Polaroïds, et les clés de sa 2-deuch’.
Mais surtout, je me suis posé une question en observant le montage robuste et le cuir épais de cette sacoche vieille de 40 ans : aujourd’hui, est-ce que quelqu’un produit encore des sacs conçus pour durer le plus longtemps possible ?
Bleu de Chauffe : des sacs contemporains inspirés des vieux sacs de métier
Alors j'ai arpenté la toile, et j'ai trouvé ce que je cherchais du côté de chez Bleu de Chauffe, une entreprise qui tire son nom de la veste bleue que portaient les conducteurs de locomotives à vapeur. Les gars de Bleu de Chauffe conçoivent des produits qui suivent trois principes :
- l’inspiration sacs de métier, autrement dit « workwear »,
- l’utilisation de cuir tanné végétal,
- une production et un savoir-faire 100% français.
J’ai testé pour vous le sac postier "Eclair" afin d’en avoir le cuir net.
Le sac, fraîchement déballé de son colis, dégage une puissante odeur de cuir.
A côté, c'est la fameuse sacoche de mon père !
Test du sac Eclair de Bleu de Chauffe
Choix du sac postier Eclair
C'est important de bien choisir un sac pour homme en fonction de ses vêtements et de sa silhouette, mais l'usage et la fonctionnalité sont d'autres facteurs tout aussi importants.
Pour la couleur, j'avais envie d'un aspect qui soit naturel, chaleureux et lumineux. J'ai donc choisi le coloris "pain brûlé".
Ici, le sac est parfaitement accordé avec mes chaussures,
des Richelieu que j'ai achetées à Florence
chez un bottier italien (rapport qualité/prix imbattable).
Comme j'ai un ordinateur portable de 13 pouces, j'ai choisi la taille intermédiaire (ni trop grand, ni trop petit). Ce modèle, dit "24 heures", est parfait pour un usage urbain.
Le sac ressort tant sur une tenue urbaine que sur une tenue décontractée "pieds dans l'eau".
Les aménagements intérieurs
C'est le sujet sur lequel les hommes sont particulièrement vigilants : quels sont les aménagements intérieurs ? Comment peut-on accéder facilement à son portefeuille ? Ou à son téléphone ? Figurez-vous que sur ce point, le sac postier est un concentré de détails bien pensés.
Ma première observation s'est portée sur mon ordinateur. Je souhaitais un emplacement qui lui soit réservé, qui le protège des rayures et des chocs.
Cette feutrine de laine de 3 mm est tellement
dense que j'ai décidé d'y glisser mon ordi à nu
(je suis un fou dangereux).
Le gros point de couture blanc (visible en haut à droite de la photo), très solide par ailleurs, n'est réalisé que sur une dizaine de centimètres. Cette astuce a deux conséquences :
- le fond de la housse en feutrine (là où repose l'ordi) ne touche pas le fond du sac ; cela a tendance à protéger l'ordinateur si le sac est posé brutalement sur une table ou sur le sol,
- l'ensemble feutrine-ordinateur est relativement mobile dans le sac, ce qui lui permet de s'adapter au contenu.
Du fait de la feutrine bleu marine, la grande poche du sac
se scinde en deux emplacements qui communiquent par le fond.
Ci-dessus, c'est la partie supérieure.
La poche plaquée contre la face avant est parfaite
pour accueillir les éléments qui doivent être
rapidement accessibles (portefeuille, téléphone).
Là, c'est la partie inférieure, où se situe
une petite trousse qui peut être détachée.
Tiens, j'apprends que c'est Zoé
qui a fabriqué mon sac, le 10 octobre 2013
(pas l'habitude de savoir ce genre de choses, moi).
Note de Geoffrey : j'ai bien inspecté le sac, Zoé n'a par contre pas laissé son 06.
Cette trousse, qui peut se clipser ou se détacher grâce à des boutons pression, s'inscrit dans le système "Snap". C'est un concept imaginé par Bleu de Chauffe, qui permet d'adapter l'aménagement de son sac en fonction de ses besoins (on peut acheter ultérieurement d'autres housses à clipser).
La matière du sac postier Eclair
Les produits Bleu de Chauffe ne sont constitués que de cuir premier choix. Pour être précis, il s'agit de cuir pleine fleur et pleine épaisseur.
C’est ce qui se fait de mieux : la peau n'étant pas poncée pour en homogénéiser le grain, cela force la marque à ne choisir que des peaux de premier choix. De plus, le cuir n'est pas refendu pour enlever de l’épaisseur. On est sur un produit vrai, brut, et qui respire l'authenticité dans sa fabrication.
Par l'irrégularité du grain, on voit immédiatement qu'il s'agit d'un cuir pleine fleur.
Ce qui fait la qualité du cuir, c’est aussi le travail du tanneur.
Dans le prêt-à-porter classique, on ne trouve quasiment que du cuir tanné au chrome, c’est-à-dire du cuir traité et imperméabilisé avec des substances chimiques. C’est très polluant pour l’environnement, et ça expose les travailleurs à des produits dangereux quand c'est mal fait.
Des prix aussi bas attestent d'un cuir fendu et refendu
qui ne tiendra pas une saison, mais aussi d'un tannage
destructeur de l'environnement, néfaste pour l'ouvrier,
voire même allergisant pour le client (du déjà vu).
En revanche, dans le cas des sacs Bleu de Chauffe, les cuirs sont soumis à un tannage végétal.
Le tannage végétal du cuir
Cette technique, longue et fastidieuse, consiste à faire baigner le cuir dans un grand tonneau remplit d’huiles d’origines végétales : mimosa, acacia, châtaignier…
C'est la combinaison de ces substances naturelles les unes avec les autres qui détermine les propriétés du cuir (élasticité, rigidité), ainsi que la couleur finale.
Outre l’aspect environnemental, le tannage végétal présente deux avantages :
1 - le cuir se patine avec le temps (il s'embellit), car il n'y a pas de pellicule qui viendrait le recouvrir le cuir,
2 - ça permet d'utiliser, sur un même item, des cuirs qui ont des propriétés complémentaires et des couleurs différentes.
Par exemple, les brides du sac Eclair sont spécialement traitées
pour être rigides, patinées pour un aspect lustrant,
et tannées de manière à obtenir un effet « pull-up ».
L'effet "pull-up", que l’on retrouve uniquement sur de la maroquinerie de luxe, révèle le côté transparent du cuir quand on applique une torsion sur la bride : le gras du cuir remonte à sa surface et donne un aspect plus clair à la zone en torsion.
Ainsi, plus le sac est manipulé, plus ces détails se révèlent et subliment l'aspect global. C'est le genre de petit truc en plus qui garantit au sac de s'embellir avec le temps par la patine, là où des produits industriels tendent simplement à... s'user.
Note sur l'entretien du cuir tanné végétal
Le cuir tanné végétal non pigmenté est un cuir qui a tellement baigné dans des produits naturels lors de son tannage qu’il garde du gras à l’intérieur.
Pour prolonger sa souplesse et son toucher agréable, il est conseillé de l'entretenir avec des crèmes. Attention cependant à bien utiliser des produits d'origine naturelle, sans colorant et sans teinture. Comme le gros bidon de lait hydratant Famaco, qui fait très bien le taf et dure un moment.
Enfin, je vous recommande fortement de ne pas utiliser d’imperméabilisant, car c’est un produit qui couvre le cuir et change son aspect.
Le sac postier Eclair Bleu de Chauffe en pratique
A présent, parlons de la contenance du sac. Etant donné qu'il s'agit d'un sac 24 heures, j'ai souhaité le remplir de tous les éléments qui permettent de faire le fameux test de "la soirée chez la copine".
Ci-après, mon nécessaire kit de survie en milieu urbain :
Notez comme j'ai utilisé le petit sac de présentation
du porte-monnaie (produit présenté plus loin)
en guise de mini trousse de toilette, contenant le déo,
la brosse à dent, le dentrifice, le rasoir électrique, etc.
Le résultat est probant : tout est rentré.
Par contre, il a fallu que je mette les soufflets du côté
et les brides du devant sur la position "maxi".
Le sac est bien rempli, mais pas non plus en surcharge, puisqu'il conserve sa forme originelle.
Les détails du sac postier Eclair
Parce que les détails font souvent la différence, voici des éléments qui ont retenu mon attention :
La bandoulière s'accroche non pas sur les côtés, mais sur le dos du sac.
Cette originalité confère une tenue de la bride près du corps quand on porte le sac...
...en revanche, il a tendance à s'ouvrir en se déployant lorsque les brides de la face avant ne sont pas accrochées.
Il faut prendre le coup de main pour fermer les brides,
parce que le poinçon est un peu étroit. C'est cependant une difficulté nécessaire, car le cuir
a tendance à s'assouplir dès les premiers jours.
En plus du rendu esthétique très réussi,
faire passer les brides en-dessous du sac confère
de la tenue, et empêche que le fond ne se détende.
Nous avons donc un excellent avis sur Bleu de Chauffe. Bien entendu, ce type de produit a un certain prix : 425 €. Mais il est vraiment bas au regard de la qualité de cuir et de fabrication : vous n'êtes pas en train de payer une étiquette Made in France, mais bel et bien le produit en lui-même. Le sac est disponible ici.
Bonus : test du porte-monnaie Bleu de Chauffe
Du côté de la petite maroquinerie, j'ai toujours été confronté aux mêmes problèmes :
- les portefeuilles sont trop gros : ils déforment les poches,
- et les porte-cartes sont trop petits : ils ne peuvent pas accueillir la monnaie.
Le porte-monnaie "As" zippé est un excellent compromis : il tient parfaitement dans la main, se loge discrètement dans une poche sans la déformer, et peut accueillir cartes, billets et petite-monnaie.
Les deux empiècements en cuir compartimentent
l'intérieur du porte-monnaie : les cartes et les billets
peuvent être protégés des pièces, qui ne tombent pas grâce au zip.
La finition est impeccable, les coutures sont nettes,
la fermeture éclair est bien posée
(ce n'est pas une sinécure, et je sais de quoi je parle).
Dernier petit détail : un coin du porte-monnaie est arrondi, pour pouvoir le glisser plus facilement dans les poches de jean, qui ont cette forme-là.
C'est un produit avec un prix dans les clous : 59 €. Il est lui-aussi disponible sur le site de Bleu de Chauffe.
Interview d'Alexandre Rousseau de Bleu de Chauffe (co-créateur et designer)
- Bonjour Alexandre, peux-tu nous parler de toi et de Bleu de Chauffe ?
Je suis designer dans la maroquinerie de luxe, et je collectionne les vieux sacs de métier. En 2009, j’ai créé Bleu de Chauffe avec Thierry Batteux, mon associé. Notre concept : réhabiliter les vieux sacs de métier.
Bleu de Chauffe, ce sont aujourd'hui 13 personnes, dont 10 qui travaillent à temps plein à l’atelier de fabrication des produits, dans l’Aveyron. Pour tout ce qui concerne le design, le développement commercial, la logistique et l’administratif, nous sommes 3 à nous y consacrer entièrement.
- Pourquoi faites-vous tout fabriquer en France ?
C’est plus par pragmatisme qu’autre chose. Tout faire en France, ça a finalement beaucoup d’avantages : pouvoir en permanence contrôler la qualité, communiquer en temps réel avec les équipes, et développer de nouveaux produits directement avec les artisans.
Aujourd’hui, nous avons un nombre de sous-traitants et de fournisseurs important : nous travaillons avec trois tanneries françaises, deux fournisseurs de toile, et un fournisseur de feutrine.
- Quel est l’intérêt de mettre le prix dans un sac comme ceux que propose Bleu de Chauffe ?
Nous sommes conscients que tout le monde ne peut pas acheter un de nos sacs, mais ceux-ci s'adressent à des gens qui souhaitent consommer différemment.
Que ce soit en vêtement ou en accessoire, ces gens préfèrent acheter moins, mais acheter des produits stylés qui durent. Le prix, ça leur permet aussi de savoir dans quelles conditions ça a été fabriqué, avec quelle matière.
Nous sommes vraiment fiers de voir des clients nous faire part de leur satisfaction, trois ou quatre ans après avoir acheté un de nos sacs qu’ils portent encore.
- Est-ce que vous pratiquez les soldes ?
Nous ne sommes pas intéressés par la démarche de proposer un prix au client à un instant donné, puis le descendre quelques temps plus tard.
En fait, on ne solde pas, parce qu’on considère que ça reviendrait à dévaloriser nos produits et le travail des artisans. En revanche, nous essayons d’être le plus raisonnable possible sur nos marges, donc sur le prix final.
Pour le client, ça revient à une qualité équivalente à celle de l’industrie du luxe pour (au minimum) deux à trois fois moins cher.
- Comment tu travailles pour créer les modèles ?
Il faut savoir que le design d’une pièce en cuir ne se fait pas de la même manière que le textile en général. Au départ, il y a bien une idée couchée sous la forme d'un croquis que je fais à la main, puis sur l’ordinateur.
Mais ensuite, il faut travailler directement avec la matière, car le cuir a une manière de se mettre en forme bien à lui. A ce moment-là, ça devient presque de la sculpture en direct, et ça se passe forcément à l’atelier.
C’est un autre avantage d’avoir tout l’outil de production sur le territoire : on peut travailler directement avec les gens qui fabriquent le sac, en prenant en compte les questions de durabilité, les points de faiblesse, des ajustements de volume et d'usages.
- Quels sont les projets à moyen terme ?
En ce moment, nous avons un projet sur l’univers de la moto qui va bientôt arriver.
Sinon, nous allons ajouter de nouveaux modèles en fonction de la tendance, des usages, et de nos envies - c’est passionnant de créer des sacs. On a commencé avec 3 sacs, maintenant on en a 60.
Nous allons continuer à faire des collaborations avec d’autres marques, ça nous permet de travailler l’usage, l’esprit, en jouant sur les couleurs et les matières.
Nous développons de plus en plus la petite maroquinerie, dont tu as présenté le modèle As. Ce sont des produits qui paraissent simples à réaliser, alors que ça ne l'est pas du tout !
En fait, c’est le paradoxe de la petite maroquinerie de qualité : c’est d’autant plus difficile à créer que ce sont de petits objets. A cette dimension, le comportement de la matière est imprévisible. La création d'un tel produit suppose donc de longues heures de travail, et de nombreux prototypes.
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Merci à l'équipe Bleu de Chauffe et à Tommy, leur responsable communication, de nous avoir permis de faire ce test quand on s'est tourné vers eux.