(Crédit photo : BonneGueule)
Si vous avez regardé le film de notre capsule édito, vous savez désormais que mon sens de la compréhension tourne beaucoup autour des chats. Je ne sauterais probablement pas sur les toits pour un vêtement. À moins que ce ne soit un vêtement BonneGueule, et à plus forte raison si je suis un peu pour quelque chose dans sa création. Comme David, Jordan et Nicolò.
Alors, comment va le chat et où est donc passée ma première fringue BonneGueule ? Le chat a été retrouvé et il va très bien, rassurez-vous. En revanche, pour le reste : tout ne s'est pas vraiment passé comme prévu. Et si je vous racontais la véritable histoire de ce rendez-vous manqué avec notre capsule édito ?
L'ANNONCE, LES PREMIERS ÉCHANGES ET LE CHOIX DE LA PIÈCE
22 MARS 2021, 11H50.
Ça commence plutôt bien, par une surprise. Branle-bas de combat au Pôle édito : quelque chose se prépare avec notre équipe produit. On va en effet travailler sur une capsule spéciale, pour le début de l’année prochaine, l’idée étant de créer une silhouette avec par exemple veste, pantalon, surchemise et maille. À ce moment-là, 2022 parait encore loin.
La nouvelle annoncée par Benoît fait son petit effet chez David, Jordan, Nicolò et moi. Les premiers échanges affluent et je découvre un nouvel aspect de la personnalité de mes camarades : ils sont généralement intarissables sur le vêtement, mais donnez-leur la possibilité d'imaginer les leurs et vous verrez qu'on entre directement dans un autre monde !
J'avoue : étant d’un naturel plutôt posé, je suis presque choqué par cette effervescence soudaine et ça fuse tellement vite que je n'arrive pas vraiment à suivre. C’est-à-dire qu’à cette époque, j'ai encore un pied au Service Client et ma priorité, ce n'est pas du tout d'imaginer des vêtements BonneGueule mais bien de vous aider à recevoir ceux que vous commandez dans les meilleurs délais.
Quelle pièce feriez-vous si on vous en donnait l'occasion ? Voilà un truc auquel je n'avais jamais vraiment pensé. Une pièce exceptionnelle, ultra stylisée, avec plein de petits détails plus ou moins cachés ? J'aime les vêtements simples et un peu rustiques. J'aime aussi ce qu'ils me racontent du travail des autres.
Pour Jordan et Nicolò, ce n'est pas une première expérience. Souvenez-vous par exemple de notre jungle jacket ou de notre blouson estival créé avec A.B.C.L. :
Pour David et moi, c'est une nouveauté complète, mais David est un tel passionné du vêtement qu'il en a probablement déjà conçu dans une autre vie. Ou dans ses rêves.
De mon côté, je n'ai aucune expérience ou compétence dans le domaine de la conception de vêtements. Ça fait un peu peur... mais c’est excitant. J’y vais donc avec la fleur au fusil, encore un peu éberlué de participer à cette aventure.
Quelques heures passent, la carte de la future capsule prend forme à vue d'œil et chacun a déjà sa petite idée sur l'endroit où il veut aller. J'ai plus ou moins décidé de prendre la place qui reste, histoire de voir ce que je peux faire avec. Oui, je suis étrangement pragmatique, et je pressens aussi que ça ne va pas être simple à gérer.
C'est que depuis mon arrivée chez BonneGueule, j'ai quelques échos de ce qu'est la vie de notre équipe produit : beaucoup d'enthousiasme, d'essais et d'échanges avec les fournisseurs et les fabricants certes, mais aussi beaucoup de soucis techniques et logistiques à surmonter.
C'est-à-dire que ce n'est pas un long fleuve tranquille. J'entends déjà plus ou moins notre chef de collection Julien m'avertir : la maille, ce n'est pas ce qu'il y a de plus simple à réaliser.
Ça tombe bien, je reçois un message de Jordan ce même jour à 14h : « je crois que tu écopes de la maille, si c’est OK pour toi ». Les dés sont donc jetés.
Est-ce que ça va ? Je ne sais pas encore. Mais Jordan en profite pour me glisser une petite inspiration comme à son habitude :
Ce n'est pas exactement la photo d'origine, mais vous pouvez tout de même deviner sur la photographie ci-dessus un pull à col polo que porte Eric Clapton au début des années 90. L'aspect est un peu duveteux, moelleux, tendance doudou. Je ne suis pas un fan ultime de Clapton mais la pièce en elle-même est chouette. Ça me donne des idées pour commencer.
LES INSPIRATIONS ET LE FANTASME DE LA CRÉATION
27 AVRIL 2021, 11H03
Un mois s'est écoulé. Chacun vaque à ses occupations quotidiennes sans pour autant perdre de vue la capsule. Les idées fusent toujours, hein. De mon côté, l'idée du pull d'Eric Clapton a fait son chemin. Ce qu'on veut, c'est un pull printemps/été qui s'insère avec les autres pièces. Peut-être en lin ou en coton/lin. À voir.
Ma toute première idée, sorte de croisement entre le pull d'Yves Montand dans « César et Rosalie » de Claude Sautet et celui de Serge Reggiani dans « Le Doulos » de Jean-Pierre Melville - intriguant mélange ?
Vous me voyez probablement venir : mes premières idées sont extraites du cinéma, de Jean-Pierre Melville ou de Claude Sautet en particulier, par exemple à travers certaines tenues de Serge Reggiani ou d'Yves Montand.
Les images me viennent assez facilement. Les couleurs aussi. On se dirige cependant vers une couleur claire, beige ou plus vraisemblablement écru. Vous vous en doutez : on ne fait pas un vêtement à partir d'un bout de film. Pour revenir sur terre, j'enregistre un point d'une heure avec Julien. Il y en aura quelques autres et ça parle surtout technique et pragmatisme.
Car l'idée, ce n'est pas seulement de rêver : il faut que la pièce puisse exister et donc être techniquement faisable. Il faut qu'elle soit durable et qu’elle respecte l'ensemble de nos critères qualité, qui sont exigeants. Il faut aussi qu'elle soit complémentaire dans notre offre, qu'elle ne fasse pas doublon avec un autre pull.
Enfin, et c'est au moins aussi important que les trois premiers points, il faut qu'elle puisse être portée facilement et appréciée par vous tous qui nous suivez.
Bref, l’inspiration, c’est bien mais il faut avancer sur la technique : trouver un point de tricot, choisir un type de col, une matière particulière. Et croyez-moi : c'est compliqué quand on n'est pas technicien du vêtement à la base.
Au fil du temps, mes images de cinéma 60-70 commencent peu à peu à disparaître pour laisser place à quelque chose de plus simple, spontané et naturel : le genre de pièce que l'on porterait avec tout, par plaisir, par flemme ou simplement parce que la matière aurait quelque chose d'un peu intime. J'échange avec les autres. On n’est pas tous d’accord sur le col, la couleur, etc.
Alors on creuse, on recherche le consensus et on pense aussi évidemment aux futurs détenteurs de ces produits. Heureusement, c’est un travail d’équipe. Julien en est le chef d'orchestre.
Je me retrouve finalement avec plusieurs possibilités de formes, de cols, de matières, qu'il va désormais falloir transformer dans un langage produit. C'est une prise de conscience : j'ai une image presque idéalisée de la conception d'un vêtement.
Possible que je visualise quelque chose comme Karl Lagerfeld dessinant sur un coin de table pour en tirer par la suite des vêtements œuvres d'art. Facile, évident, magique. Mais bien sûr, ça ne se passe pas vraiment comme ça et les mois qui vont suivre en seront l'apprentissage.
LE DÉCLIC
11 JUIN 2021, 8H43
Les projets de chacun avancent et le mien est quand même un peu à la traîne. C'est un peu stressant mais depuis qu'on a commencé à évoquer l'univers de la capsule et l'histoire qui ira avec, je visualise un peu mieux les choses.
Je fais partie de ces gens qui ont besoin d’un fil conducteur ou d'une atmosphère pour comprendre où ils vont, peut-être davantage que mes camarades qui s'accommodent plus facilement du vêtement en lui-même et de la chose technique. De mon côté, il me faut toujours une ambiance, une histoire, un univers : c'est comme ça que j'aime le vêtement. Et pas mal d'autres choses aussi.
Un échantillon de fil, un peu orangé, parmi ceux envisagés au départ
Julien nous annonce aujourd'hui qu'il nous faut donner rapidement un nom à chacune de nos pièces, pour le référencement. Le bébé n'est pas encore né qu'il a déjà un prénom. C'est étrange mais en réalité, il y a beaucoup de choses à penser et à poser avant même d’avoir un produit entre les mains.
Cinq ou six lettres maximum. Séance brainstorming qui dans mon cas va se poursuivre encore une semaine, jusqu'à ce que le nom se fasse jour lors d'une soirée Skype avec quelques amis étrangers. Avec les confinements successifs liés au Covid 19, on a pris l'habitude de se retrouver de temps en temps pour échanger sur nos petites histoires quotidiennes. Ça me permet de travailler mon anglais, aussi.
Le nom de ma future pièce se fait jour quelque part entre Paris et Dortmund : Seamus, ça sonne irlandais, ça me fait penser à la mer et ça amène un peu de fraîcheur. Avouez que c'est un plus pour une maille en été. C'est aussi le prénom de l'ancêtre de Marty McFly dans « Retour Vers le Futur » - un des premiers articles Bobine :
Enfin, pour aller avec Pochette, c'est aussi le nom d'une chanson de Pink Floyd et on peut trouver un lien avec les Beastie Boys également, pour ceux qui connaissent :
Tout cela fait sens pour moi. OK pour Seamus. On s'oriente alors avec Julien vers un pull en coton/lin. On opte pour plusieurs types de fil pour faire des essais. On en valide trois et deux types de formes - un pull à col rond et un autre à col polo. Les teintes sont plutôt claires. Tout va bien.
LES PREMIERS CONTRETEMPS
6 OCTOBRE 2021, 9H16
L'été est passé et on a déjà reçu quelques prototypes pour David et Nicolò. Leurs pièces avancent bien. C'est plus compliqué pour Jordan : le fournisseur choisi pour le blouson nous a plantés. Quant à moi, il faut repartir de zéro.
Un zoom sur la matière un peu magique retenue pour le développement du pull. Le bleu autour, c'est la surchemise imaginée par David.
La qualité qu'on avait identifiée n'est pas disponible pour monter un prototype et le minimum pour produire les fils est trop important pour en faire un (60 kg donc minimum 60 pulls, en gros...). Autant dire que ça s'annonce compliqué : retour à la case départ, et le temps commence sérieusement à manquer.
On ne baisse pas les bras. Quelques jours plus tard : nouvelles idées et surtout nouvelle matière que Julien avait dans ses cartons et qui n'a jamais été testée. C'est un coton/lin en fil chenille. C'est beau, très doux, assez proche du velours visuellement et la couleur est naturelle.
Une photo de David, avec les matières du pull, du pantalon et de la surchemise. Les trois ensemble faisaient rêver, non ?
Au toucher, quelque chose d'assez surprenant, pareil à une Madeleine de Proust : c'est comme si j'avais déjà eu ce vêtement entre les mains, dans une autre vie. On tient peut-être la part d'intime dont je hasardais la recherche plus haut. C'est tout de même assez rare de ressentir un vêtement.
Ce que Julien me montre n'est qu'un petit bout de tissu un peu informe, pas encore un pull, mais il se passe définitivement quelque chose qui va bien au-delà du style. À partir de là, pas besoin d'en faire des tonnes : la matière se suffit à elle-même. C'est comme un flashback et j'aime assez l'idée de proposer quelque chose qui procure de l'émotion de manière un peu inattendue.
Bref, coup de cœur. Le reste de l'équipe est emballé par la matière et la couleur. Rien n'est perdu, même si tout est encore à faire. Je suis loin de me douter des nombreuses embûches qui nous attendent sur cette nouvelle piste.
LE PREMIER PROTOTYPE
24 NOVEMBRE 2021, 9H55
Julien nous partage les premières images du prototype. Il y a trois formes différentes, toutes arrivées en S, ce qui fait qu’aucun d’entre nous ne peut essayer les pièces. Ça commence bien ! Mais la couleur, la texture, tout cela donne très envie.
Un premier prototype, avec un col roulotté - pas très convaincant...
Seconde version, avec col rond et manches courtes. Intéressant, non ?
On a reçu plusieurs formes, à col rond, à manches longues, à manches courtes, etc. Le pull à col rond manches longues remporte tous les suffrages. C’est un pull doudou ou presque, qui appelle au layering. Reste à savoir si cette belle matière est durable, capable de tenir les ports et les lavages.
© BonneGueule
Troisième version, avec manches longues et bords côtes sympathiques - il y a encore du travail mais on touche au but !
C’est qu’on ne transige pas avec la qualité de nos produits. À un niveau plus personnel, je n’accepterai pas non plus d’être associé à un produit qui ne tient pas la route ou dont je ne suis pas un minimum fier. C’est valable pour toute l’équipe, et bien sûr en priorité pour notre équipe produit.
© BonneGueule
Quelques jours plus tard, alors qu’on semble en passe de voir la lumière, Nicolò résume la situation en trois bullet points :
LE TEMPS PRESSE, LES SOUCIS S’ACCUMULENT
2 DÉCEMBRE 2021 12H28
Ne jamais crier victoire trop vite. Julien douche la plupart de nos espoirs, avec tableaux et explications détaillées : la matière ne tient pas au porter et en machine, elle se détend, se déforme, et rétrécit même au lavage. Aussi magique soit-il, impossible de sortir ce pull en l’état. Il n’est pas conforme à nos standards de qualité.
© BonneGueule
Un tableau et des chiffres bien utiles : notre équipe produit teste entre autres la résistance de nos produits. Malheureusement pour moi, mon prototype ne passe pas les tests et nos exigences en matière de tenue. Il va donc falloir trouver autre chose...
Dommage. Ce pull aurait fait des merveilles : je le voyais déjà comme le nouveau basique de mon vestiaire. Une pièce très simple, facile à accorder mais avec du caractère comme j'aime et surtout une matière qui fait voyager en pensées, voire en enfance. Pas courant, ça. Et un peu magique, aussi.
Alors que faire ? Réfléchir à un autre produit ? Continuer le développement du pull, dans l’idée de solutionner les questions techniques et de lui donner sa place plus tard dans la collection BonneGueule ?
Il reste peu de temps et il faut jongler avec les incertitudes et complications liées au Covid 19, prendre en compte les délais de tests et de production, etc.
À cet instant, je pense plus ou moins à me mettre au tricot. Une formation express, pour réaliser un unique pull – juste pour avoir quelque chose à présenter sur cette capsule ! L’idée est amusante, un brin conceptuelle mais rassurez-vous : j'ai retrouvé très rapidement mes esprits.
C’est le moment le moins fun de l’aventure : si l’on reste pragmatique (et il faut l’être dans ce métier), le pull ne pourra pas faire partie de notre capsule édito. Relancer un autre projet est trop hasardeux vu le temps imparti. Il faut donc accepter « l’échec », tout en continuant les recherches. C'est un coup dur, quand même.
MES ENSEIGNEMENTS
Des projets de vêtements qui n’ont pas pu voir le jour, Julien en a probablement des dizaines. De mon côté, c’est le premier et bien sûr ce n’est pas très agréable. Mais il faut voir tout ce que j’ai appris à travers cette expérience.
© BonneGueule
Imaginez toutes les tenues qu'on pourrait faire avec un pull de ce type. Ici par exemple : une surchemise bleue, un pull écru, un pantalon en velours gris.
Lors d’une récente rencontre avec Maxime Van Rothem de Jacques & Déméter, j’avais été frappé par tout ce que la production de vêtements ou dans son cas de chaussures pouvait avoir de complexe :
Chez BonneGueule aussi, le processus créatif doit beaucoup à l’échange et à la discussion. Et chez nous aussi, tout n’est pas parfait. Mais tout est humain. Il y a parfois des ratés, des retards, des soucis de matière ou de fabrication, des choses sur lesquelles on travaille dur et qui ne sortent pas.
C’est comme ça, et avec le recul, je réalise que toutes ces histoires de l’ombre rendent les vêtements BonneGueule que vous portez plus beaux encore.
Au final, je sais qu'on a pris la bonne décision. Après tout, produire un vêtement est une responsabilité, ne serait-ce qu'écologique. Inimaginable pour moi, pour nous, de sortir une pièce pour sortir une pièce, coller au calendrier marketing ou compléter la photo de famille édito.
C'est sans doute dommage pour le storytelling mais d'un autre côté, c'était surtout la chose la plus raisonnable et honnête à faire. Le produit, ça reste l'essentiel : il faut pouvoir être à la fois fier et sûr du vêtement. Ce sera donc peut-être pour une prochaine fois.
Bref, c’est important de vous montrer cette réalité des choses. « Mon pull » est un exemple parmi d’autres, mais à travers lui, vous comprenez peut-être un peu mieux désormais tout ce qu’il y a derrière nos vêtements : de l’échange, du temps, de la passion, pas mal de déconvenues et un peu de chance aussi parfois. Ce pull trouvera-t-il un jour le chemin de notre e-shop ? L’avenir nous le dira. En attendant, vous pourrez y découvrir les pièces de mes camarades.