Sur notre blog de mode homme, le sujet des couleurs est un des plus fréquents. C'est aussi un des plus chargés en idées reçues ! Alors remettons tout à plat : ce n'est pas si compliqué que ça !
Affirmer ses goûts petit à petit
Reprenons : un débutant qui a envie de prendre son style en main va passer par plusieurs phases.
1 - Il découvre que la mode masculine peut être source de plaisir, et qu'il existe des ressources pour mieux la comprendre et se l'approprier. Ce qui lui paraissait auparavant incompréhensible devient maintenant plus clair.
Et il est encourageant pour le débutant de voir que mieux s'habiller est finalement quelque chose de plus simple qu'il n'y paraît.
Le look de celui qui a appris les bases (Gantt Rugger).
2 - Il va apprendre comment choisir ses pièces à partir d'une liste de critères objectifs (la couture de l'épaule, le jean légèrement serré, le cintrage, etc). Cette fameuse liste est très rassurante, car elle permet d'éliminer (ou du moins d'atténuer considérablement) la question qui tue pendant l'essayage : "est-ce que je fais le bon choix ?"
3 - Cette question peut vraiment devenir angoissante et les débutants vont parfois mettre en place tout un tas de stratégies plus ou moins efficaces pour s'assurer qu'ils font le bon choix, techniques dont l'overthink fait malheureusement partie (article à lire et à relire).
4 - Puis finalement, à force d'essayages, de questions, de commentaires, une vraie sérénité et un vrai plaisir vont s'installer au moment de trouver, d'essayer, d'acheter, et de porter des vêtements.
5 - Un style bien personnel commence à apparaître, encouragé bien souvent par les compliments spontanés de l'entourage, ou les demandes sur où il a acheté telle ou telle pièce.
6 - La mode masculine devient alors la première étape d'une amélioration bien plus globale de soi-même. C'est un constat qui peut sonner comme du développement personnel de comptoir, mais je suis toujours surpris (et touché) d'entendre des retours de lecteurs ou de clients qui m'expliquent que mieux s'habiller a été le premier pas d'un long et enrichissant voyage dans l'amélioration d'eux-mêmes. Certains ont commencé à mieux manger, à faire du sport, à perdre du poids, à suivre leurs passions, à réorganiser leur vie, ou tout un tas d'autres trucs positifs que je ne peux qu'encourager.
7 - Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants...
Sauf que parfois, le passage de l'étape 3 à l'étape 4 est un peu plus compliqué... C'est ce que j'appelle la "rationalisation des goûts".
Le perroquet a dit : tes goûts tu ne rationaliseras point.
La rationalisation de vos goûts (en mode masculine et ailleurs)
Parce que rationaliser ses goûts, c'est littéralement formater (voire décider) ce qu'on aime en fonction de critères totalement objectifs et logiques (un peu dommage quand il s'agit de goûts purs et simples). C'est reléguer ses goûts en arrière plan. C'est faire disparaître quelque chose d'émotionnel et d'intuitif derrière une logique contre-productive.
Pourtant - et là est le paradoxe - c'est un passage obligé quand on est débutant. On a peut-être aimé le look baggy dans le passé, on appréciait peut-être les tee-shirts trop grands. Mais on est bien d'accord qu'au début, il est nécessaire de reconnaître objectivement qu'un jean trop grand reste un jean trop grand et qu'une chemise avec des boutons de toutes les couleurs, des doubles cols, ou des intérieurs de cols flashy, ce n'est pas très beau.
Objectivement, ce n'est pas beau.
Pour vous en convaincre, demandez-vous ce que ça vous évoque...
Les esprit les plus cartésiens, les plus mécaniques vont donc se poser une autre question, aussi justifiée que vaine : "mais alors, qu'est-ce qui rend un vêtement beau ? Pourquoi on considère que des boutons carrés en plastique et des cols immenses ce n'est pas beau ? Pourquoi un vêtement est beau et pas un autre ?"
Et hop, la prise de tête commence... En se posant cette question, le débutant va tenter de construire son goût de manière rationnelle, de se dire rationnellement "cette chemise est belle pour telle raison".
C'est vraiment dommage, parce que c'est le meilleur moyen de faire passer ses goûts APRÈS des critères totalement objectifs et déconnectés de sa personnalité. Un comble pour choisir des vêtements qui sont censés nous définir et projeter la meilleure image de nous-même !
Quand je parle ici de "beau", je parle bien entendu d'esthétique et de design, et non de la qualité des finitions ou des matières. Des critères objectifs sont évidemment nécessaires pour juger de la qualité d'une matière, d'une confection ou des finitions.
Mais vos vêtements sont quand même censés refléter ce que VOUS êtes et parler pour vous !
Est-ce que vous pensez que l'inspecteur Harry rationalise ses goûts
entre deux bastos et une blague misanthrope ? NON !
Se cacher derrière le goût des autres
Un cas de rationalisation des goûts très courant, c'est de se fier aveuglement aux autres. Avec la logique suivante : "si X personnes autour de moi trouvent que c'est bien, alors c'est bien, donc si je suis ce schéma ils trouveront que je m'habille bien".
Sauf que ce ne seront jamais VOS goûts, donc ça revient en quelque sorte à vous déguiser en une autre personne.
Inspirez-vous des autres, identifiez chez eux les outils qui leur permettent d'obtenir un style sympa. Mais ne cherchez pas à faire de la copie. Vous l'aurez compris : ce n'est pas du tout la vision que l'on défend.
Arrêtez les looks de hipster si "ce n'est pas vraiment vous".
Au risque de vous étonner, on fait difficilement plus impersonnel...
De la même manière, quand vous voyez des photos de nos tenues, prenez-les comme une illustration de nos conseils. Mais en aucun cas comme une vision monolitique du style. Le style a de nombreuses facettes : à vous de trouver le votre avec les outils que l'on vous donne. Car c'est bien de cela qu'il s'agit : d'outil (pour assortir les couleurs, pour évaluer une qualité, pour savoir si c'est à votre taille, etc...). Outils qui vous éviteront de construire quelque chose qui ne tient pas debout, mais en aucun cas ils ne définiront le résultat final (l'architecte, c'est vous).
En guise d'exemple, notre ami Vianney est quelqu'un qui a vraiment son propre style. Ce style continue d'évoluer au fur et à mesure des quelques achats de pièces fortes, mais il garde une vraie cohérence et reflète vraiment sa personnalité :
Non, je ne posterai pas les photos de soirée !
Alors on se détend !
La première chose est d'absolument arrêter de penser de manière binaire "beau/pas beau" (au début en tout cas). Je l'ai souvent répété.
La deuxième est de faire cohabiter deux avis, deux opinions. On va prendre un exemple que j'aime bien :
Sneakers CCP, qui ne sont pas données, et qui divisent.
Alors, qu'en pensez-vous ? Vous trouvez ça beau ?
Moche ?
Vous aimez le design ?
Vous avez du mal à répondre ?
...
Bravo, vous venez de vous rendre compte que parfois, il faut aller plus loin et abandonner ce jugement beau/pas beau car certaines pièces n'ont pas vocation à recueillir l'unanimité des avis en matière de design.
Mais pourtant, il y a des gens qui adorent ces sneakers, qui adorent la démarche et l'utilisation de matériaux insolites et d'autres qui détestent ce design dégoulinant. Et vous savez quoi ? Ils ont parfaitement le droit d'avoir deux avis différents ! Rien que d'en prendre conscience permet de moins se prendre la tête !
Et entre ces deux extrêmes, il y a vous et votre avis sur ces sneakers. Cela s'appelle affirmer son goût et l'assumer, tout simplement.
Alors dédramatisez ! Vos goûts vont évoluer, acceptez de ne pas avoir d'avis sur certaines pièces, et acceptez que vos avis se forgeront au fur et à mesure.
Car au bout d'un moment, ce qui compte, c'est de développer son goût et de lui faire confiance, et pas d'en douter systématiquement !
Et enfin n'oubliez pas, je ne cesse de répéter que votre sensibilité au design, et plus globalement aux formes et aux couleurs est quelque chose qui se travaille, en nourrissant votre oeil d'objets que vous trouvez beaux.
Alors la prochaine fois, quand vous vous demanderez "est-ce que c'est beau ?", demandez-vous plutôt "est-ce que ça me plaît ?"
Chemise Yoann Serfaty.Vous vous rendez bien compte que la question "est-ce que c'est beau ?" est bien trop limitée face à ce genre de pièces !
(Crédit de la photo de couverture et de l'article : Etudes N°2)