Si vous suivez un peu la blogosphère masculine, le blog de Julien Scavini n'a pas du vous échapper. Le blog a un peu plus d'un an, et a rapidement trouvé son public. En effet, Julien y raconte son apprentissage pour obtenir un CAP tailleur... et il a un vrai talent de pédagogue pour expliquer simplement la technique qui se cache derrière une épaule de veste. C'est quelqu'un de très passionné, qui a su satisfaire les demandeurs d'informations les plus exigeants au sujet des vêtements masculins.
Cette passion s'est ensuite concrétisée par l'ouverture de sa propre marque de demi-mesure et de grande mesure : la maison Scavini. Connaissant un peu l'homme, vous serez vraiment entre de bonnes mains si le sur-mesure vous impressionne 😉 Je vous souhaite donc une bonne lecture de cette interview passionnante...
Bonjour Julien, tu as un parcours un peu atypique, j’aimerai donc que tu expliques aux lecteurs comment tu en es arrivé là...
Bonjour Benoit, bonjour Geoffrey et bonjour à vos lecteurs.
Je suis donc en effet architecte avant d’être tailleur. Je suis allé jusqu’au Diplôme d’Etat d’Architecte pour sortir de l’Ecole en pleine crise de 2008. Ce n’était guère évident. Par ailleurs, j’étais passé lors de mon master, par un département à l’avant garde des nouvelles manières de penser l’architecture. On pensait l’architecture plus qu’on la faisait, tout cela basé sur la lecture des philosophes post-modernes, Bourdieux, Derrida, Foucault et bien d’autres. Ce fut une expérience éreintante. L’idée était de s’enlever les présupposés de la tête, pour penser nouveau.
Au lieu de cela, je ne savais même plus faire de l’architecture, je ne savais même plus ce que c’était. Expérience catastrophique.
Mais j’en suis sorti avec un esprit assez ouvert au monde, ce ne fut pas totalement néfaste. Seulement il y a des personnes qui arrivent à rebondir la dessus, et d’autres qui s’écrasent. Pour ma part, j’ai besoin de codes pour penser, disons un univers de sens structurés. Et j’ai fini par découvrir qu’il n’existe plus rien de la sorte en architecture. Chaque architecte fait ce qu’il veut dans son coin, le seul cadre étant la législation : pas tellement palpitant. L’époque des canons et des grandes doctrines est terminée en architecture. Et je suis assez contre les individualismes de pensée.
Alors y a't-il plus de codes dans la mode homme ?
[...] Il existe encore énormément de code dans la culture vestimentaire masculine, si l’on veut bien s’y attacher. C’est ce qui m’a plu.Je lisais depuis quelques années tout ce qui se disait sur internet à ce sujet, sur les forums très érudits comme De Pied En Cap ou les blogs comme Permanent Style etc... J’amassais donc des informations, qui me donnaient une trame de pensée. Et un jour, au détour d’un FigaroScope trouvé dans le métro, j’ai découvert les journées de l’artisanat, durant lesquelles sont ouverts les Ateliers à Paris, dont celui de l’Ecole des Tailleurs (AFT). Et je l’ai visité.
Au début, je ne voulais pas l’intégrer, car c’était trop manuel et j’étais encore en archi. Puis, après mon diplôme, ne sachant même pas où aller travailler, j’ai réfléchi à la question. Aucune agence ne me plaisait, sauf celle de Rena Dumas, qui designait l’univers Hermès. J’ai d’ailleurs fait mon mémoire sur son oeuvre et le milieu de l’architecture du luxe. Déjà ! Mais elle ne cherchait pas de collaborateur. Alors je me suis dit : et pourquoi pas? Il est toujours intéressant d’hybrider les parcours, de croiser les expériences. J’ai souvent écouté sur France Culture des gens aux parcours atypiques. Cela me plaisait. Et l’architecture ouvre à tout !
Alors, honnêtement, devenir un tailleur, c’est difficile ou pas ?
Oui. Ce n’est vraiment pas simple. Je suis donc rentré à l’école des tailleurs dirigée par l’estimable Maître Tailleur M. Guilson. Pas évident. Il a fallu que j’apprenne à coudre de A à Z. Et je me suis piqué les doigts, y compris sous la machine à coudre, expérience assez troublante.
Mais j’avais un avantage peut-être sur les autres, j’avais déjà un corpus référentiel très structuré dans ma tête. Je savais ce qu’était un trois pièces, la différence entre une jaquette et une queue de pie, les différents registres, à la ville, à la campagne etc... En même temps que l’entrée à l’école, j’ai ouvert le blog Stiff Collar. Depuis le temps que j’apprenais ici et là les codes, j’ai eu envie, en parrallèle du récit de mon apprentissage, de partager le savoir classique, assez bien défendu par les maîtres tailleurs, même si un petit dépoussiérage ne ferait pas de mal.
Mais oui, c’est difficile. Il faut maîtriser la façon, c’est à dire la confection à la main du costume et aussi la coupe. Ce sont les deux grands piliers du tailleur. A l’issu de ma formation, j’ai passé le CAP tailleur que j’ai obtenu. C’est un sésame obligatoire pour s’installer tailleur artisanal. Car évidemment, de nos jours, on trouve beaucoup de boutiques de ‘sur mesure’, comme Pernac ou Gambler. Mais ils ne sont pas tailleurs, juste prenneurs de mesures. Ceci dit, c’est déjà assez difficile comme travail. A la suite de quoi, j’ai encore développé, pensant un an, mes capacités seul chez moi, pour les amis ou la famille. J’ai raté des cols, j’ai raté des manches, mais évidemment, c’est une étape nécessaire. M. Guilson trouve formidable que je me lance, même s’il trouve cela difficile de nos jours. Il se tient à ma disposition si jamais je rencontre un problème, c’est une assurance et un réconfort.
Pourquoi t’es-tu lancé si vite ?
Car j’aime être seul à décider de ce que j’ai envie. Et puis je voulais apporter un nouveau service sur Paris, proposer quelque chose de nouveau et de très qualitatif. Le problème était le suivant : on ne trouvait à Paris que deux offres de sur mesure, soit des costumes thermocollés soit des costumes en grande mesure (type Cifonelli ou Camps de Luca). Je voulais, parceque je parlais de qualité sur mon blog, apporter cela à mes lecteurs, un peu comme Kirby Allison (The Hanger Project) et ses cintres en bois sur mesure.
Alors j’ai développé mon offre de costumes de qualité, entoilé intégralement. Le sourcing fut long et j’ai finalement trouvé un atelier en Italie. Mais pour les demandes plus extravangantes, je peux travailler entièrement à la main. Evidemment, c’est plus cher.
Peut-on conjuguer style moderne (cintrage, jambes affinées, épaules étroites, etc) avec élégance sartoriale ?
Difficile de savoir ce qu’est un style moderne, tant le marché se segmentise. Chaque homme peut se référer à une école stylistique : codes anglais classiques, look italien, structuration à la française etc... Ceci dit, une veste qui va bien est une veste près du corps. Evidemment. La norme classique ne différe pas tellement du canon actuel. Après, attention aux vestes trop cintrées, et trop courtes surtout. La mode a eu des errances dans les années 90, nous le savons tous. Je crains qu’actuellement nous commettons la même chose, avec cette tendance aux pantalons très bas, très serrés et aux veste très courtes... raz-de-pet disait-on dans les années 30.
Quant aux épaules, on peut les placer où l’on souhaite, en retrait ou en surplomb, c’est selon. L’épaule napolitaine (Spalla Camicia) est aussi une réponse.
Vous savez, les tailleurs de Saville Row travaillent indifférement pour les banquiers et les stars de la pop. Regardez le parcours de Tom Ford qui commenca chez Anderson & Sheppard pour aujourd’hui se recommander de leur invariance. Ou de Paul Smith qui possède également son atelier artisanal classique.
Comment trouver un costume honnête avec un budget ridicule ?
Etrangement, je me promenais un jour avec un ami qui cherchait un costume pas cher et nous avons trouvé près des Halles à Paris une boutiques où il a acheté deux modèles pour 99 et 69€. Cette boutique vendait un nombre incensé de costumes brillants très moches, mais au milieu de cela, quelques modèles sobres, dont un en super 150’s plutôt agréable. Comme quoi. Mais cela reste du thermocollé, à la durée de vie limitée.
Pour faire simple, on peut dire qu’un costume thermocollé ne doit pas dépasser 650€. Au dessus, c’est un peu douteux... En revanche, les costumes entoilés se trouvent rarement en dessous de 1000/1200€. Mais en terme de confort et de durée de vie (10/15 ans contre 2/3 ans), c’est le jour et la nuit.
Pour ma part, je suis à 1600 (voire 1400€ si la veste du costume est non doublé), ce qui s’explique par les finitions mains (boutonnières, surpiqures et divers rabbattements) et la doublure en soie tissée en France que je suis le seul sur le marché à proposer. J’ai fait au mieux.
Combien d'heures de travail faut-il pour confectionner un costume ?
Pour ma fabrication sur mesure italienne : 3 jours d’atelier. Il faut compter 2 essayages. Pour une confection haute couture entièrement à la main, 80 heures soit trois à quatre semaines avec les 3 essayages.
Quels sont tes tissus préférés ?
Pour les tissus, je me fournis chez les anglais exclusivement. Je n’aime pas trop les tissus italiens trop feutrés qui s’usent très vite. Je fais confiance à Holland & Sherry, Dugdale Bros, Thomas Fisher, J.J. Minnis ou encore Hunt & Winterbotham. Après, j’aimerais en avoir plus, mais il faut faire des choix, surtout que je suis tailleur itinérant. Le local dédié sera pour l’année prochaine. Et pour le tissu de doublure : de la soie, en ponge ou en twill, dans des coloris très variés.
Qu'est-ce qui t'inspire dans ton travail ?
La possibilité de changer l’allure de certaines personnes et le renouvellement systématique des demandes : costumes pour la ville, costumes de campagnes, vestes sports etc...
Sinon, ma source d’inspiration récurente est la série télévisée anglaise Hercules Poirot. Ils sont si divinement habillés, très british, parfait dans la tradition.
Qu'est-ce que tu aimes le plus dans ton travail ?
Discuter avec le client. Rencontrer de nouvelles personnes. C’est toujours très enthousismant de présenter l’offre et d’échanger sur un projet. A ce prix, mes clients ont le droit à l’écoute. C’est le plus important. Cerner leur goût, leurs attentes et leurs habitudes. Toujours admirable. L’archi m’a enseigné cela : le goût de la communication des idées, des projets.
Quel est ton regard sur les costumes que la plupart des cadres portent ?
Quelque fois très bon. Certains banquiers sont très bien habillés, très sobrement. A l’inverse, on voit se développer les fantaisies idiotes (lacets ou boutonnières de couleurs) que je n’aime pas. Mais globalement, la situation s’améliore. Disons qu’il manque un peu de culture du vêtement. Il pourrait être bien plus élégant de faire plus simple, plus discret souvent. En revanche, les tissus ne sont jamais tellement beaux. Du progrés pourrait-être fait de ce côté là !