Après la présentation d'un pull Loro Piana, abordons aujourd'hui une Maison française, toujours familiale, spécialisée dans le travail de la fourrure et des peaux. Nous allons tenter de vous transmettre sa vision (ainsi que la nôtre), de l'utilisation de cette matière si spéciale.
L'histoire d'Yves Salomon, une Maison aux savoir-faire atypiques
Si l'on reprend tout depuis le début, c'est jusqu'en 1910 que nous devons remonter. Grégory Salomon est citoyen russe, opposant au régime nouvellement en place : avec sa famille, il s'exile en Sibérie, dont nous connaissons les conditions extrêmes. C'était alors le lieu de passage obligé des marchands de peaux et de fourrures, commerce qui va rapidement le passionner.
Grégory Salomon, dépeint comme un personnage "petit, rond, jovial, charismatique et visionnaire" arrive en France avec la volonté intacte de travailler avec de belles fourrures. Après quelques années, il fera de nombreux voyages en train et chiens de traîneaux à travers la Russie, à la recherche des plus belles peaux.
Dans les années 40, il se voit contraint de quitter Paris suite à l'occupation, mais le fera de manière pour le moins surprenante. En effet, lui et sa famille (7 fils, tout de même !) parviennent à se hisser dans un wagon allemand jusqu'en zone libre, à partir de laquelle ils rejoindront les États-Unis.
A la fin de la guerre, et dès son retour en France dans les années 50, il n'a rien perdu de sa détermination et reprend le commerce de la fourrure : des Maisons comme celle de Christian Dior s'intéresseront, à partir de cette période, aux matières proposées par Salomon.
En 1965, alors que la deuxième génération prend la tête de l'entreprise à travers Boris Salomon, la Maison cherche à innover, et à se démarquer dans un secteur devenant concurrentiel.
Grâce à leur expertise, les ateliers parviennent à mettre au point une technique de teinture, permettant aux fourrures de se parer de couleurs vives et pop. Cela préfigure du raz-de-marée prêt à déferler sur la planète luxe...
Jean Paul Gaultier, Thierry Mugler, Azzedine Alaïa : cette armée de jeunes créateurs est venue bousculer les vieilles Maisons bien installées avec des designs innovants, voire révolutionnaires, des couleurs éclatantes et une identité très affirmée. Ils seront alors nombreux à se tourner vers Salomon pour profiter de ses connaissances.
Sous la houlette d'Yves Salomon, entré en fonction en 1972, l'innovation deviendra une priorité. La société va commencer par se doter de sa propre ligne de vêtements, après avoir travaillé longtemps pour d'autres marques.
Un département Recherche & Développement sera créé par la suite, s'ingéniant depuis à mettre au point et à expérimenter de nouveaux procédés. Les résultats sont là, avec, entre autres, l'invention de la fourrure stretch !
S'en suivront plusieurs techniques - assez répandues aujourd'hui - de tricotage des matières, et un gros travail effectué sur la légèreté, vers une utilisation plus technique et utilitaire de la fourrure...
Sur plus de cent ans, la famille Salomon a su maîtriser des centaines de matières différentes, marquant profondément le secteur du luxe de son empreinte.
L'innovation et la haute qualité des produits n'ont jamais empêché la Maison de proposer ses créations à un prix "raisonnable", comparé à ceux du secteur. Une vision unique de la fourrure s'est construite sur plusieurs décennies d'artisanat d'excellence, incarnée par la ligne masculine récemment créée.
La vision Yves Salomon aujourd'hui
Vous, lecteurs de BonneGueule, êtes l'illustration de ce qu'est une clientèle masculine exigeante sur les rapports qualité/prix, et nous nous en rendons compte dans chaque commentaire ou mail que vous nous envoyez.
À l'extravagance facile, vous préférez la sobriété savamment conçue, le confort, le côté pratique et, bien sûr, la durabilité des produits vous est essentielle. L'énoncé de ces critères paraîtra évident, mais à regarder autour de soi, force est de constater que tous les consommateurs et, de fait, toutes les marques ne l'ont pas intégré, même dans le luxe.
Yves Salomon a fait le choix de s'adresser à ce type de clientèle exigeante, assurant une production de qualité en conséquence. Les total looks en fourrure sont rares, et laissent place à une vision plus rationnelle des matières pour l'homme, congruente à nos attentes et à ce que nous présentons habituellement.
D'ailleurs, les pièces masculines ne sont produites qu'en petites quantités en France, à l'opposé de la pression fast fashion imposant un renouvellement permanent des collections, et l'obsolescence programmée du style. La conception des pièces Salomon incarne une volonté de proposer des styles intemporels.
L'idée première est de dépasser une utilisation sujette à dissensus de la fourrure, lorsque celle-ci est réduite à un simple signe extérieur de richesse. Comment ? Simplement en essayant d'utiliser intelligemment ses propriétés isolantes uniques : c'est ce qui nous a beaucoup plu.
Par exemple, les parkas imperméables en tissus techniques se voient doublées de lapin, et disposent d'une capuche ornée de fourrure amovible, afin de s'assurer que le vêtement soit polyvalent et utilisable par temps de pluie.
Note de Geoffrey : les fourrures de lapin sont également issues de races à viande comme l'Orylag, les bêtes ne sont généralement pas élevées pour leur fourrure, mais bien leur viande.
Nous notons également la présence de fourrure en application sur des pièces comme des cardigans, associant le cachemire et le vison dans un équilibre très intéressant.
Si le style demeure reconnaissable, ce type d'association se révèle subtil et met véritablement les deux matières en valeur, sans tomber dans l'excès ostentatoire...
La présence de cuirs et peaux retournées n'est pas en reste dans l'univers masculin de la marque, comme le prouve cet étonnant manteau en cuir contre-collé : cela suppose de coller la peau sur une autre matière afin de lui donner une forme et/ou une texture différentes.
Un manteau en cuir d'agneau retourné nous a aussi frappé pour l'aspect duveteux unique qu'il présente, structuré par ces lignes de cuir appliqué, et dégageant ce fameux contraste de textures que nous aimons.
La fourrure, mais dans l'esprit BonneGueule
Le message que nous voulons faire passer à travers la présentation de la Maison Salomon est qu'une utilisation "intelligente" de la fourrure est possible, et surtout qu'il y a une énorme différence entre la fourrure bas-de-gamme provenant d'on ne sait où, et la fourrure haut-de-gamme telle que cette marque sait en proposer.
La production associe une fabrication française à une sélection des matières effectuées auprès de peausseries essentiellement situées en Norvège, au Canada ou aux États-Unis.
Nous avons choisi de vous parler de cette Maison en particulier, car elle est cohérente avec les produits de haute qualité que nous avons l'habitude de vous présenter, et ne tombe pas dans le bling bling à la Kanye West.
L'utilisation en doublure de ces matières nobles et rares, pour profiter au maximum de leurs propriétés isolantes ; ou sur un col et une capuche, pour allier douceur et esthétisme, est apparue comme un compromis très intéressant.
Pour illustrer ce propos, et vous montrer avec advertance ce que l'on entend par "utilisation intelligente" de la fourrure, nous allons vous présenter une pièce facile à porte au quotidien, extrêmement confortable et faite pour durer.
Test de la doudoune Yves Salomon : version luxe en feutre, cuir et fourrure
Tout d'abord, quelques petits conseils pour reconnaître une vraie fourrure. Au toucher, une vraie sera incontestablement plus douce, les poils glisseront sur vos doigts, là où une matière synthétique sera plus rêche.
En règle générale, la légèreté de la matière est sans équivoque : en soufflant sur une vraie fourrure, vous allez tout de suite voir les poils bouger délicatement dans tous les sens, alors que les fourrures en synthétique apparaissent plus lourdes et cartonnées.
Vous pourrez aussi remarquer que sur une vraie, les poils ont différentes longueurs : ceux de la base sont plus courts, plus fins et ondulés, alors que sur une fausse, ils sont souvent de même consistance et longueur.
Enfin, il reste le "test" de l'aiguille : enfoncer une aiguille dans une vraie fourrure sera difficile, la pointe butant sur la peau, alors que sur une fausse, le tissu à la base ne devrait pas résister.
Mais trêve de prolégomènes (note de Geoffrey : merci Wiki), entrons dans le vif du sujet !
Les doudounes sont des pièces devenues basiques dans le vestiaire masculin. Par conséquent, il était évident que ce blouson matelassé allait être intégré aux collections de différentes marques... et de différentes gammes !
Nous nous situons ici sur un produit très haut-de-gamme, extrêmement agréable à porter : malgré l'épaisseur de la pièce, jamais je n'ai eu l'impression désagréable d'être dans une cuve. La sensation de chaleur vient rapidement lorsque l'on enfile la doudoune, mais elle n'est pas oppressante grâce aux poils de lapin.
Nous avons aussi apprécié le fait que sur ce modèle, la fourrure apparaît judicieusement, et surtout à des endroits où cela est pertinent.
Notre doudoune en lainage est donc composée d'un drap anthracite à l'extérieur, composé à 60% de laine et 40% de polyester, mais attention : ce n'est pas un manteau, et son utilisation est prévue pour des conditions plus rudes.
Le gainage des matelas est réalisé à partir d'un mélange plumes d'oie et duvet, aux propriétés isolantes éprouvées. Mais ça ne s'arrête pas là : la doublure du manteau, amovible, est en lapin, ce qui procure un confort et une douceur exceptionnels.
Pour anoblir encore le vêtement, les épaules et la capuche sont en cuir d'agneau noir, et les manches et le bas sont resserrés grâce à un côtelé élastique (noir également). Indispensable pour bien garder la chaleur et éviter toute entrée d'air.
La capuche dispose de rabats, et le tout est intégralement doublé en fourrure de lapin élevé en Espagne, alors que le bord est garni en marmotte de Finlande.
A peine a-t-on rabattu la capuche et fermé les rabats que l'on sent un nuage de chaleur s'installer autour du visage : en emprisonnant l'air chaud dans ses poils, la fourrure constitue un rempart contre le froid extrêmement agréable.
Mais ce n'est pas terminé pour les matières, car la doudoune se voit appliquée de cuir d'agneau sur les épaules et sur tout l'extérieur de la capuche. Cela ajoute au design luxueux du vêtement.
Vous aurez immédiatement repéré le contraste de textures créé entre le mât du drap et la brillance caractéristique du cuir. Évidemment, celui-ci a reçu un léger traitement afin de lui permettre de tolérer de rudes conditions, même s'il est déconseillé d'utiliser cette pièce par temps de pluie !
Niveau détails, nous n'avons pas été déçus. D'abord au niveau de la capuche, amovible pour permettre un look plus habillé, les fermetures sont cachées par des liserés de laine.
D'ailleurs, aucune fermeture ni aucun bouton ne se voient, à part au niveau de la capuche : on est vraiment dans la volonté d'un jeu de textures épuré, non "pollué" par des touches de métal brillantes. Des coudières également en peau viennent renforcer ces zones souvent sollicitées par les plis.
La fermeture centrale de la doudoune dispose d'une superbe patte en cuir surpiqué, détail que l'on retrouve typiquement sur des pièces très haut-de-gamme. Les poches zippées sont elles aussi gansées de cuir, de façon à masquer élégamment la fermeture. On notera la régularité des points de couture, notamment sur l'angle de la patte, et le joli grain du cuir en général.
La seule chose regrettable est que la provenance du lapin ne soit pas, contrairement à celle de la marmotte, précisée sur l'étiquette, tout comme le Made in France ; même si nous savons que les ateliers sont effectivement situés dans l'Hexagone, et que ça ne remet pas en cause la qualité du produit.
Mais la législation au sein de l'Union Européenne tend à être plus restrictive à ce niveau-là, ce qui correspond d'ailleurs à une demande croissante des consommateurs.
Niveau entretien, globalement il faut être vigilant sur l'humidité et la température. Si la fourrure est vraiment mouillée, il faut simplement la laisser sécher, et ne jamais la laisser près d'une source de chaleur, ou de lumière directe genre spot.
La Maison Salomon propose un service d'été, période durant laquelle ils vont garder votre vêtement dans une pièce réfrigérée. Sinon, l'idéal est de stocker la pièce dans une housse en coton !
Ce type de pièce constitue un investissement, avec des prix souvent compris entre 1.500 et 2.000 €, mais qui sont très loin d'être délirants vu les matières, les détails et le soin apporté à la fabrication.
Cela a un coût, et nous estimons que les prix Salomon sont loin d'être indécents... Surtout quand on sait, par exemple, qu'un manteau en coton ciré de chez Valentino est vendu 2.500 €, ou que Moncler vend plus de 1.000 € ses doudounes en plastique dont le coût de production est inférieur à 50€ !
Si vous souhaitez en savoir plus, ou voir de plus près le travail de la Maison, n'hésitez pas à vous rendre au 245 rue Saint Honoré ou au Printemps !