Dans le cadre de la sortie de nos nouveaux costumes, j'ai souhaité vous raconter l'histoire du tissu unique que nous avons choisi pour le Bellagio. Son aspect "grain de poudre" très marqué est issu d'une collaboration entre deux agents passionnés de vêtements et le savoir-faire d'Estéthia, un tisserand italien centenaire haut de gamme apprécié par de nombreuses maisons de luxe.
Un tissu quasi centenaire
Tout commence il y a plus de deux siècles, en 1757 en Italie, avec la famille Conte qui crée la maison G.B Conte à Schio, spécialisée dans le tissu poids manteau.
Mais il y a 17 ans, le grand groupe italien Marzotto rachète G.B Conte et l’intègre à Estethia fondé en 2007.
Le but de cette acquisition ? Faire d’Estéthia – G.B Conte une maison haut de gamme, et profiter de sa taille humaine pour créer et explorer, tout en bénéficiant des moyens importants de Marzotto et surtout du passé et des archives de G.B Conte.
Marzotto cherchait un diamant brut à polir pour avoir une offre qui correspond mieux aux attentes des maisons de luxe : une qualité irréprochable bien sûr, mais avec aussi une créativité avec plus de textures et de chiné.
Le logo de la maison Estéthia – G.B Conte, appartenant au groupe Marzotto.
Le renouveau d’Estéthia
Marzotto va donc investir dans la R&D d’Estéthia : alors que son offre était principalement composée de tissus de costumes unis et foncés, ils vont explorer les textures, les couleurs et les mélanges de matières.
Deux exemples de tissus texturés et créatifs : à gauche, une gamme de chevrons mouchetés et à droite, des laines moelleuses à l'aspect tridimensionnel avec une texture en nid d'abeille.
Et il y a 17 ans, Estéthia croise le chemin des agents Gestri (Eugenio et Xavier), à Paris. Eugenio et Xavier tiennent un showroom où ils présentent plusieurs fournisseurs de tissus italiens très haut de gamme, qui travaillent principalement avec les plus grandes maisons de luxe.
Ils ont été séduits par Estéthia, car c’était le meilleur des deux mondes :
- les moyens, l’outil industriel, la qualité et la traçabilité de ce qu’on peut attendre d’un grand groupe comme Marzotto,
- et la créativité et l’exploration d’un tisseur à taille humaine.
Ce sont aussi des grands passionnés de tissus comme j’en ai peu croisé.
Justement, parce qu’ils adorent ça, ils font régulièrement des expositions autour de la mode.
A la recherche du tissu oublié
C'est lors d’une exposition au Petit Palais consacrée au travail d’Yves Saint Laurent, en 2010, qu’Eugenio et Xavier ont été interpellé par un bout de tissu “grain de poudre” principalement utilisé pour les smokings.
Affiche de l'exposition Yves Saint Laurent au Petit Palais, en 2010
Ils aiment cette texture tout en subtilité et ce tombé qui donne de la structure. Ce choix de tissu était loin d’être anodin : Saint Laurent était connu pour utiliser des tissus masculins pour ses vêtements pour femme, c’était sa manière à lui de promouvoir une émancipation féminine à une époque où le prêt-à-porter pour femme était cantonné à des tissus très fluide et légers.
Cette vision créative, totalement novatrice à l’époque, a donné naissance à ses fameuses vestes de smokings pour femme qui ont fait sa renommée.
Des vestes de smoking visibles lors de l'exposition. Source photo : Musée YSL Paris
En sortant de cette exposition, ils se sont dit qu’ils aimeraient bien proposer un tel tissu à leurs clients. Ils achètent alors une pièce vintage Yves Saint Laurent et mènent l’enquête pour savoir quel était le tisseur derrière.
Rapidement, ils apprennent que c’était la maison Dormeuil qui vendait ce tissu à la maison Yves Saint Laurent. La maison Dormeuil achetait elle-même ce tissu en Italie mais il y a un problème : malgré toutes ses recherches, il est impossible de remonter plus loin, et le mystère sur le tisseur derrière ce grain de poudre reste entier.
Mais ils n’abandonnent pas, tiennent à leur idée, et réfléchissent à qui pourrait concrétiser leur projet. Ils ont besoin d’avoir un petit tisseur flexible, créatif, volontaire, avec une sensibilité haut de gamme…
Leur veste Yves Saint Laurent vintage sous le bras, les agents Gestri se tournent donc vers Estéthia, qui accepte le projet de développer ce tissu.
C’est la création du tissu E7011, une référence devenue célèbre dans les studios de création des maisons de luxe. Et c’est un énorme succès, tout le luxe se met à acheter des tissus Estéthia.
L’envolée d’Estéthia
Il y a une créatrice qui aime le E7011 plus que toutes les autres, c’est la légendaire Phoebe Philo, aux commandes des collections de la maison Céline à ce moment là.
Mais elle veut encore pousser plus loin le côté masculin du tissu, avec quelque chose de plus épais et structuré. Estéthia développe donc pour elle la référence E7031, qui est un grain de poudre plus marqué, et qui deviendra la porte d’entrée d'Estéthia pour la mode féminine, à une époque où des femmes achetaient des vestes de smoking chez Dior Homme.
Phoebe Philo, lors du shooting de la campagne Celine automne-hiver 2013-2014, avec la mannequin vedette Daria Werbowy. Source : Le Monde, tous droits réservés
Aujourd’hui, toutes les maisons de luxe achètent chez Estéthia, et je suis très fier que BonneGueule fasse partie des marques qui travaillent ces si beaux tissus.
Mais alors pourquoi un tel engouement sur ces deux tissus ?
Comme le dit Xavier : “tu as toujours un tombé nickel avec ce tissu”. En effet, il est quasi infroissable et donne de la structure. Cette rondeur et ce côté “haute couture” propres à Estéthia m’ont aussi beaucoup plu.
Mais je voulais un tissu encore plus texturé, avec un grain plus marqué, tout en reprenant la main si caractéristique du E7011 et du 37031 de Estéthia…
On a donc choisi cet autre tissu, “très reliefé”, avec ce tombé si unique. J’ai eu un énorme coup de cœur pour cette main à l’ancienne et la manière dont il prend la lumière.
Le tomber impeccable du tissu Estéthia, mis en valeur par (le très stylé) Kévis Manzi.