Oui, je sais ! Encore le mocassin !
Ne soyez pas surpris si un jour je débarque avec un tatouage de penny loafers sur l'avant-bras. Je l'aurai dans la peau comme je l'ai dans le cœur.
Vous vous dites sûrement qu’un Panache sur le mocassin était suffisant. Peut-être même avez-vous dit : « oh la barbe lui et ses mocs. »
Oh la barbe.
OH ! LA BARBE !
Comme je vous retrouve là. Moi aussi je suis adepte de ce genre d’expressions désuètes. Des expressions comme « bouffer la feuille », « brûler la chandelle par les deux bouts » ou « il faut se méfier du loup qui mord » ou même la simple interjection « plaît-il ? » qui nous fait voyager l’air de rien dans le 19ème siècle.
Là vous vous dites : « De quoi il parle ? Cet homme est fou ! » Mais, contrairement à ce que dit ma psychologue (et mon rédacteur en chef), je ne suis pas fou.
Je veux vraiment en venir quelque part.
Et c'est que le mocassin est comme ces vieilles expressions. Quand elles arrivent dans une conversation elles nous surprennent, on les trouve un peu ridicule d'abord et puis elles nous charment et on les emploie ensuite avec délectation. Exactement comme quand quelqu’un porte des mocassins.
Et je rajoute que là où ces expressions sont les plus charmantes, c’est dans la bouche de ceux dont on ne s’imaginerait jamais qu’ils emploient ces expressions.
C’est à ce moment-là que le charme opère vraiment.
Un vieux bourgeois en mocassin n’a rien de surprenant, ni de charmant d’ailleurs, mais si c’est un rebelle, un marginal, jeune ou non, ou toute personne qui n'était pas destinée à le porter, alors là c’est exquis !
Alors là, ce n’est plus de l’habillement, c’est de la poésie.
Peut-être avez-vous compris maintenant dans quel guet-apens vous êtes tombé. Ce n’est pas un simple billet, c’est un éloge !
Et cet éloge n’est pas que sentimental sinon ce serait trop facile. Non ! Il est raisonnable aussi.
Oui, je persiste et signe : porter le mocassin est aussi un choix de raison.
Et je le prouve :
Concernant les chaussures, il existe deux écoles. Il y a ceux qui font des double-nœuds et ceux qui font des simples nœuds.
Dans ces écoles, il y a d’autres écoles : ceux qui passent la boucle au-dessus et ceux qui la passent en dessous. Ceux qui serrent fort et ceux qui lacent mollement.
Et pour finir, il y a qui sont en terrasse avec une bière et leurs mocassins, parce qu'ils s'en fichent pas mal de ces écoles. C'est l'école buissonnière à vie. Ils sont déjà chaussés et déjà sortis à vivre la vie que vous pourriez vivre si vous n'aviez pas vos lacets à faire.
Réfléchissons.
Si on compte un gain de temps sur le laçage de 30 secondes par jour. Cela fait 6300 secondes par mois. Ce qui fait 105 minutes. Ce qui fait, par ricochet algébrique, 1260 minutes par an. C’est-à-dire 21 heures. (Vous pouvez vérifier mais ça vous fera perdre encore plus de temps.)
Et je ne compte pas les lacets récalcitrants qui ne veulent pas se laisser lacer, ceux qu’il faut refaire en pleine rue, ceux qui cassent quand on tire dessus…
21 heures de votre vie.
Une journée en moins.
Le temps est ce qu’on a de plus précieux, non ? On en manque toujours.
À la fin de l’année, le monde se fige au soir du 31 décembre et les mecs en mocs ont une journée en rab juste pour faire ce qu’ils veulent : devenir meilleur, pour commencer, sauver le monde pour finir !
De là à dire que le vaccin contre le coronavirus a été trouvé si rapidement parce que les scientifiques portaient des mocassins, il n’y a qu’un pas.
Et ça, ces 21 heures, c’est tous les ans.
Quand viennent les évaluations annuelles au boulot, qui rafle l'augmentation ? Le mec en moc. Ça vous surprend ?
Les mocassins c’est pour les gens qui vont à l’essentiel. C’est pour ceux qui considèrent que la vie n’attend pas, qu’elle se saisit.
Ils glissent leurs pieds sans chausse-pied, claquent les talons, la porte et partent.
Les lacets qui vrillent ou cassent, sur lesquels on marche, pour eux, c’est de la science-fiction.
Les mocassins partagent cette caractéristique avec le chausson. Ils partagent également avec le chausson cette sensation donnée que le monde est son salon. C’est la raison pour laquelle le mec en mocs croise plus souvent les jambes que le mec lambda.
Parce qu’il est à l’aise. Il se sent partout comme chez lui.
La preuve, c’est qu’un type l’a écrit sur internet. Sur un site qui s’appelle BonneGueule. Ça ne s’invente pas des trucs pareils.
Alors forcément ça énerve.
Y’en a qui voudraient y voir un symbole de plus de la lutte des classes. Mais, je le dis solennellement et une bonne fois pour toute, c’est une erreur !
La seule élite que le mocassin chausse, c’est celle des promeneurs avisés ! La seule classe à laquelle appartiennent ces promeneurs, c’est à celle des pieds légers. Ils sautent par-dessus les flaques, dansent à la faveur des pavés, moonwalkent hors des emmerdes.
Cependant, c’est vrai : le mocassin n’est pas fait pour tout le monde.
Il est fait pour les esprits libres.